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CHRONIQUE
bK
AIU)i:-J)J\r\n-UOIlAMMED-Bfc;N-DJAHIH-BEN-YKZID
TABARI.
PRIKTED
FOR THE ORIENTAL TRANSLATION FUNF)
OF GREAT DRITAIN AND IRKLAMD
AND 8 0 L I)
AT THR K. ASIATIC SOCIETY'S HOUSE,
H" sa, ALBEMARLB 8TRKET. LODOR.
CHRONIQUE
DE
ABOn-DJAFAR-MCrHAMMED-BEN-DJARIR-BKN-YEZID
TABARI,
« * # . '
TRADUITE
SUR LA VERSION PERSANE D'ABOU-'ALI MO'HAMMËD BEL'AMI,
D'APRES LKS MANUSCRITS
DE PARIS, DE (lOTHA. DE LONDRES ET DE CANTERBURY,
PAR
M. HERMANN ZOTENBËBG.
TOME DEUXIÈME.
PARIS.
IMPRIMERIE IMPERIALE.
M DCCC LXIX.
AVERTISSEMENT.
Aux manuscrits que j'ai eus à ma disposition pour la
traduction de la première partie de celle Chronique, el
dont j'ai donnc^ la lisle en léle du premier volume, esl
venu s'ajouler, pour celle deuxième parlie el pour les
parlies suivantes, un nouvel exemplaire acquis récemment
par la Bibliothèque impériale. Ce manuscrit, assez mo-
derne, qui porte maintenant le numéro 166 du Supplé-
ment persan, et que j'ai désigné par la lettre L, m'a fourni
quelques bonnes leçons. J'ai fait usage, en outre, d'un
volume du texte arabe de Tabari (ancien fonds arabe de
la Bibliothèque impériale, if 697), qui renferme l'his-
toire de plusieurs règnes des rois Sassanides et les événe-
ments correspondants de l'histoire arabe. A l'aide de ce
manuscrit, j'ai pu corriger plusieurs fautes évidentes du
texte persan. J'ai cherché aussi à rétablir, autant que cela
m'a été possible, les véritables formes des noms propres,
qui, dans les manuscrits persans, sont presque toujours
corrompus. Ces changements ont été indiqués dans les
notes, à la fin du volume.
Il AVERTISSEMENT.
Qu'il nip soit encore permis de faire remarquer qu'il
n'entre pas dans le plan de cette publication d'offrir dans
des notes, en dehors du texte, des rapprochements littc^-
raires ou autres, que le lecteur peut facilement faire lui-
même.
H. Z.
CHRONIQUE
DE MOHAMMED BEN DJARÎR
TABARI.
DEUXIÈME PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
HISTOIRE D'ARDESCUIR, FILS DE BABEK.
Nous înons dit prér<»domnienl que, depuis Fépoque de
Dson*l-Oûrnaïii Alexandre jusqu'au temps d'Ardeschîr, fils de
BaLek, cet empire [de Perse] était divisé en deux moitiés. La
contrée au delà du Tigre était sous le pouvoir des Grecs, des
Ploléniées, comme nous les avons désignés, et, après ceux-ci,
sous le pouvoir des Romains. Les uns et les autres régnaient
sur toute la contrée jusqu'au Tigre. Le premier [des empe-
reurs romains] fut Auguste. Dans la quarante-deuxième année
de son rogne naquit Jésus, et, après cet événement, il vécut
encore quatorze ans. Il régna en tout cinquante-six ans. Son
fils Tibère lui succéda. L'ascension de Jésus au ciel et le
meurtre de Jean, fils de Zacharie, eurent lieu pendant son
règne. Tibère se fit cbrétien.
Le royaume de Syrie et celui de Roum ne formèrent qu un
11. 1
•2 CHRONIQUE DE TABARI.
seul empire. Les rois se succédèrent et régnèrent sur le pays
de Roum et la Syrie, jusqu'au temps de notre Prophète. Le
dernier de ces rois, lorsque notre Prophète parut, (Hait Hëra-
clius, auquel notre Prophète adressa une lettre.
Quant à la contrée située en deçà du Tigre, elle était, après
Alexandre, au pouvoir des rois des Provinces. Les rois Asch-
kaniens possédaient la partie située entre le Tigre et la ville
de Rci ; et ce c&ié-ci du pays, depuis Reï jusqu'à la frontière
des Turcs et jusqu'au fleuve Djihoun, appartenait aux rois
des Provinces.
Lorsque les rois Aschkaniens (nous avons indiqué plus haut
leurs noms et la durée du règne de chacun d'eux) eurent
cessé de régner, les Arabes occupèrent leur place. En efl*et ,
les Arabes avaient été très- gênés dans le désert, dans le
'Hedjàz et dans le Yemen. Alors ils vinrent et se fixèrent dans
le Ba^hraïn et dans le Yemâma ; et lorsque les rois Aschkaniens
quittèrent l'^Iràq, les Arabes sortirent du territoire de Koufa
et de 'IlJra, et occupèrent l'^Frâq, à la place des Aschkaniens.
Mais la domination des Arabes ne comprenait pas tout le ter-
ritoire des Aschkaniens; ils ne purent pas s'emparer du pays
situé de ce côté-ci du Tigre, entre ce fleuve et la ville de
Reï; mais ils s'étendirent jusqu'à la hauteur de 'Holwàn, à la
frontière de Tlràq et du Sawâd. Ce qui est situé en deçà de
*Holwân, jusqu'au fleuve Djihoun, resta au pouvoir des rois
des Provinces. Ceux-ci ne prêtaient pas obéissance aux Arabes ,
et les Arabes, de leur côté, ne pouvaient rien contre eux. Les
Arabes occupaient toute la contrée depuis le Tigre jusqu'à
*Hira et Anbâr, tout le pays de l'^Irâq jusqu'aux frontières de
la Syrie. La Syrie avec le pays de Roum formaient l'empire
des Romains.
Cette division du monde dura jusqu'à l'avènement d'Ar-
PARTIE H, CHAIMTHK I. 3
desckir, qui soumit les rois des Provinces et leur enleva Tem-
|)ire depuis les bords du Tigre jusqu'à ^Holwân. Il se rendit
maître également des pays habités par les Arabes, de T'Irâq ,
du territoire arrosé par le Tigre et du royaume de Babylone;
il les chassa de T'Iràq, du Sawàd et des territoires de *Hira et
de Koufa, et les confina dans le désert, dans le ^Hedjàz et dans
le Ba'hraïn, où ils durent reconnaître son autorité* Ardeschir
chercha également à enlever la Syrie aux Romains, mais il
n y put parvenir, et la Syrie et le pays de Uoum restèrent aux
rois de Roum. Aucun des rois de Perse qui succédèrent à
Ardeschir ne put s'emparer de la Syrie : ce pays resta uni à
Tempire romain, depuis Tépoque où Jésus monta au ciel
jusqu'au temps de notre Prophète. Le premier de leurs rois
fut Tibère et le dernier Héraclius: entre ces deux rois s'écoula
un espace de temps de cinq cent quatre-vingt-cinq ans.
L'auteur dit qu'il y eut pendant cette période cinquante -cinq
rois qui régnèrent sur le pays de Roum et sur la Syrie; il
indique également la durée du règne de chacun d'eux, à sa-
voir :
Le premier fut Tibère. Après lui , Auguste régna vingt-trois
ans. Dans la dix-huitième année de son règne, Jésus monta au
ciel; après cet événement Auguste régna encore cinq ans. 11
eut pour successeur son fds Calîgula, qui régna quatre ans. Un
autre fils de Tibère lui succéda, qui régna également quatre
ans. Après lui régna un roi nommé Néron, pendant quatorze
ans. Ce fut ce Néron que les deux apôtres que Jésus avait
envoyés à Rome appelèrent à la religion de Jésus. U les lit
mettre en croix, la tête en bas, et ils moururent. Lui-même
mourut immédiatement après. R eut pour successeur un roi
nommé Vitellius, qui régna quatre mois. Après lui vint
Vespasien, qui fut chrétien et régna trois ans. Vespasien
I .
h CHRONIQUE DE TABARl.
envoya son (ils, nommé Titus, à Jérusalem , aGn qu'il détruisit
la ville et le temple, et qu'il massacrât les enfants d'Israël,
pour venger sur eux ce qu'ils avaient fait à Jésus. Titus fit
ainsi. Il monta sur le trône après son père, et régna deux ans.
Il eut pour successeur un roi nommé Domitien, qui régna
seize ans. Après lui vint un roi nommé Hadrien , qui régna
vingt et un ans. A Hadrien succéda un roi nommé Antonin ,
qui régna sept ans. Celui-ci eut pour successeur Marcianus
(Marc Aurèlc), qui régna six ans. Ensuite régna Septimus
(Septime Sévère), quatre ans; ensuite Alexandre, treize ans;
ensuite Maximin, trois ans; puis Gordien, six ans; Philippe,
sept ans; Dèce, six ans; après lui Cacus (Gallus?), cinq ans;
ses fils, quinze ans; Trébonien, un an et demi; Emilion,
six mois; Vaiérien, vingt- cinq ans; Carus et ses fils, deux
ans; Galerius, six ans; Licinius, dix ans; Constantin, trente
ans; Constance, vingt ans; Julien, deux ans; Jovien, un an;
Théodose I", dix-sept ans; puis deux rois nommés Arca-
dius et Honorius, vingt ans; ensuite Théodose le Jeune et
Valentinien, seize ans; puis Marcien, sept ans; Léon, seize
ans; Tibère, six ans; Maurice, dix ans; ensuite son fils Phocas,
sept ans et six mois. Son fils fut Héraclius , qui régna trente
ans. C'est sous le règne de ce dernier qu'eut lieu l'avènement
de noire Prophète, qui lui adressa une lettre, et lui envoya
un messager.
Depuis l'époque de Nabuchodonosor, qui avait détruit
Jérusalem pour la première fois, avant le temps où vivait
Alexandre, jusqu'à la fuite de notre Prophète, il s'est écoulé
un espace de temps de plus de mille ans; depuis Alexandre
jusqu'au temps de notre Prophète, neuf cent vingt-six ans;
depuis Alexandre jusqu'à la naissance de Jésus, trois cent
trois ans« Depuis la naissance de Jésus jusqu'à son ascension
PARTIE II, CHAPITRE ï. 5
au ciel, après qu il eut exercé la fonction de prophète au mi-
lieu des hommes pendant trois ans, il s'est passe trente-trois
ans. Depuis l'ascension de Jësus jusqu'au temps de notre Pro-
phète, il s'est écoulé un espace de cinq cent quatre-vingt-
cinq ans.
Nous avons indiqué qu'après Alexandre l'empire de tous
les pays situés au delà du Tigre, jusqu'à la Syrie et l'Occident,
avait appartenu aux Grecs, puis aux Romains, jusqu'à l'époque
de notre Prophète; nous allons maintenant faire connaître
l'état de l'empire en deçà du Tigre.
Nous avons dit que la contrée située entre le Tigre et la
ville de Reï fut sous le pouvoir des Aschkanicns, et que les
rois des Provinces gouvernèrent depuis Reï jusqu'aux bords
du Djihoun. Les rois des Provinces respectèrent beaucoup h^s
Aschkauiens , parce qu'ils descendaient d'Aschk, fils de Dârâ;
mais ils ne leur donnèrent pas l'empire. Ils leur abandon-
nèrent le gouvernement du pays entre le Tigre et Reï, et ne
leur demandèrent ni des biens ni le pouvoir. Les Aschkaniens,
de leur côté, ne demandèrent pas obéissance aux rois des
Provinces et ne les molestèrent en aucune façon; seulement,
quand un ennemi menaçait le royaume des Aschkaniens, ils
réclamaient des rois des Provinces une armée, que ceux-ci
envoyaient de bonne grâce.
Du temps des rois Aschkaniens, il ne se trouvait aucun
Arabe sur le territoire de l"Iràq. Les Arabes étaient tous ren-
fermés dans le ^Hedjàz , dans le désert et dans le Yemen, sauf
cette portion que Nabuchodonosor, avant l'époque d'Alexandre,
dans la guerre qu'il fit aux Arabes, avait faits prisonniers et
qu'il avait amenés dans T'Irâq. Ce furent les descendants de
Ma'ad ben-'Adnân, qu'il établit à ^Hira et dans l'Anbâristân.
Anbar est une des villes de l"lrâq; on dit qu'elle est appelée
0 CHRU.MQLE DE TABARI.
ainsi parce que .\abucliodoDosor y avail retiferiiié les pri-
sounie^s arabes, avec l'ordre d'y resler; d'autres disent qu'elle
porte ce nom parce qu'elle é(ail le dépôt gënëral des anciens
rois de Perse, ou des Aschkaniens, ce qui est plus exact; car
les anciens rois de Perse n'y avaient pas leur résidence. Les
rois Aschkaniens y conservaient le blé du Sawàd et y distri-
buaient des provisions à l'armée; après eux, les (iOsi*oè$ y
avaient également leurs magasins de blé. 11 n'y avait donc
dans l'Mrâq des Arabes que ceux qui demeuraient à Anbàr, de
la tribu de Ma^ad, fils d'^Adnân, descendants de ceux que
Nabuchodonosor avaient emmenés de l'Arabie comme prison-
niers. Les autres Arabes étaient tous dans le ^Hedjàz, dans le
désert, à la Mecque et dans le Yemen. Là ils avaient à sogffrir
du manque de vivres et de guerres intestines : alors ils se dis-
persèrent dans le monde. Une partie considérable, des rois
arabes et des chefs du ^Hetljâz, sortirent donc de leur pays,
mais ils n'osèrent pas entrer dans Plràq, redoutant les rois
Aschkaniens. Ils s'établirent dans le Ha'hraïn et dans le Ye-
mâma. Yemâma est un endroit dans le désert, comprenant un
grand nombre de villes, dont l'une s'appelle Hadjr, une autre
La'hnâ, et sept ou huit autres qui aujourd'hui sont occupées
par les Caramathes.
Beaucoup de chefs arabes se rassemblèrent à Ba^hraïn.
Parmi eux il y avait deux frères de la famille des Benf-Temini ,
de la tribu de Qodhâ^a, nommés Mâlek et ^Vmrou, fils de
Fahm, fils de Temim, fils de Taïm-Allah; un autre, nommé
Mâlek, fils de Zohair, fils de Fahm, fils de Taïm-Allah, leur
cousin; un autre, nommé Khanfâr, fils de Konos, fils d"Amrou,
fils de Ma^ad, fils d'^Adnân; un autre, nommé Ghatafàn, fils
d'Iyâd; un autre, nommé Zohaïr, fils d'Al^hârelh ; un autre,
nommé Çâli'h, fils de Çoubh, fils d'Arhareth. Avec chacun
PARTIE II. CHAPITRE I. 7
de ces chefs arriva une masse considérable d'hommes. Ils se
fixèrent donc dans le Ba^hraïn , à la frontière de PIràq , qu'ils
n'osèrent franchir, redoutant les rois Aschkaniens et les rois
des Provinces, leurs alliés, et ils demeurèrent là.
Outre ceux-là, il y avait un autre prince, nommé Djadstma,
fils de Màlek, fils de Fahm, fils de Ghounm, fils de Dous,
TAzdite. Il était roi, comme son père. Il avait le surnom de
Djadsima al-Abraç, parce quil était lépreux sur tout son
corps; mais les Arabes, par respect, rappelèrent Djadsima
al-Abrasch , ou encore Djadsfma al-Waddhà^h. Lui aussi avait
été gêné dans le désert, et ce Màlek, fils de Zohaïr, qui était
venu dans le Ba^hraïn, lui avait envoyé une lettre et Tavait
invité à venir dans le Ba^hraïn. Alors il y vint avec tout son
peuple des Azdites. Màlek, fils de Zohaïr, lui fit accueil et lui
donna sa sœur en mariage.
Tous ces chefs arabes demeuraient ensemble dans le Ba^h-
raïn et y vivaient dans Tabondance. Ils s'engagèrent récipro-
quement à se prêter aide dans le cas où ils seraient attaqués
par les rois Aschkaniens ou par les Arabes du Yemen , et à
ne pas s'abandonner. On les appela Tounoukhides; car tou-
noukh , en langue arabe , signifie rr station, t) Us restèrent dans le
Ba^hraïn plusieurs années. De temps en temps, quelques-uns
d'entre eux se rendaient dans l'^Iràq , dans le territoire d'Anbâr,
vers ces Arabes qui y étaient établis, les descendants des captifs
de Nabuchodonosor ; ils en rapportaient des vivres et des in-
formations concernant les rois Aschkaniens. Après un certain
temps, ces derniers étant tombés, ils furent remplacés dans
l'empire par des hommes qu'on appela Aramànyàn (Aramécns),
et qui descendaient d'^Ad et de Themoud. Tous ceux qui des-
cendent d'^Ad sont appelés Araméens, parce que ^ Ad était fils
.d'Aram. fils de Sem. Les commentateurs du Coran disent que
8 CHRONIQUE DE TABARI.
le Coran rattache ^Ad à Iraiii, parce qu'il était fils d'Arain, et il
dit : rriram aux grandes colonnes. t) (Cor. sur. lxxxix, vers. C.)
Ce furent des rois de ces deux tribus qui remplacèrent les
Ascbkaniens, et ils portèrent le nom d'Araméeus. Leurs noms
et la durée du règne de chaque roi ne sont pas mentionnés
dans ce livre, parce que leur empire n'eut qu'une très-courte
existence. Ils eurent des guerres avec les rois des -Provinces,
qui leur disputèrent le règne, et il y eut aussi des guerres
entre eux-mêmes.
Lorsque les Arabes du Ba^hraïn virent ces tl^oubles et qu'ils
apprirent que les Araméens ne pourraient pas se maintenir
dans la possession de l'Iraq, et que les rois des Provinces ne
leur prêteraient pas obéissance, ils sortirent du Ba'liraïn,
s'établirent à Anbâr et dans F'Iràq, et enlevèrent ce pays aux
Araméens. Les Aabatéens, qui aujourd'hui habitent le Sawâd
et les villages de l'^Iràq, descendent tous de ces Araméens,
qui, lorsque les Arabes leur enlevèrent l'empire, se disper-
sèrent et se firent cultivateurs.
Le premier d'entre les Arabes du Ba'^hraïn qui entra dans
r^Iràq fut Kbanfâr, suivi de tout son peuple. Ensuite vinrent
Mâlek et ^Amrou et leur peuple; puis Màlek, fils de Zoliaïr,
et Djadsima, avec leur peuple; puis Cliatafân, fils d"Anirou.
Plusieurs de ces rois amenèrent une armée considérable et
se rassemblèrent à 4Iira; de là ils se dirigèrent vers Anbâr.
Les Arabes qui habitaient Anbàr les favorisèrent jusqu'à ce
qu'ils eussent enlevé l'empire aux Araméens. Ils s'emparèrent
de ^Hira, d'Anbàr, de Mossoul et de la Mésopotamie jusqu'à
'Holwàn. Le territoire qui s'étend depuis 'Holwàn jusqu'à lla-
madàn, Reï, Ispahân , Djebâl, Koumesch et le Khoràsan jus-
qu'aux bords du Djihoun, était en la possession des rois des
Provinces, qui étaient tous Persans et ne reconnaissaient p«i8
PARTIE II, CHAPITRE I. 9
rautorité des Arabes. L'^Irâq et le Sawâd restèrent entre les
mains des Arabes, qui étaient en guerre perpétuelle entre
eux, comme c est leur coutume. Les rois des Provinces étaient
indépendants des Arabes, et ceux-ci étaient indépendants des
rois des Provinces : ils ne s'inquiétaient pas réciproquement.
Les cboses restèrent en cet état jusqu'à l'arrivée dans T'Irâq
de plusieurs tribus arabes du Yemen, d'^Aden, des tribus de
Lahyàn, de Djorhom, de Kilâb et de Temim, sous la con-
duite du Tobba^As^ad abou-Kereb. Ce Tobba^ traversa Tlràq
et vint à ^Hira e( à Anbâr. Dans chaque ville il laissa une
partie des Arabes de ces tribus, de sorte que Plràq fut rempli
d'Arabes. I^es rois des Provinces ne les attaquèrent point, et
r^Irâq resta en leur possession, tandis que le territoire en de^à
de 4Iolwàn resta aux rois des Provinces, jusqu'à l'avènement
d'Ardeschir, fds de Bàbek, qui leur prit la Perse, ainsi que
r^Irâq aux Arabes. Aussi longtemps que les Arabes occupèrent
T'Iiàq, ils lurent en guerre entre eux. L'auteur de cet ouvrage
donne les noms de ces rois arabes et raconte leurs guerres
et quelques-uns des événements qui se passèrent sous leur
règne.
On dit que le premier roi fut Màlek, fils de Fahm, fils de
Taïm-Allah, qui s'empara de l'Iraq et laissa le territoire situé
de ce côté-ci de MIolwàn aux rois des Provinces. Il établit sa ré-
sidence àUIira. Les rois arabes dePIràq étaient tous idolâtres,
tandis que les souverains de la Syrie et de Itou m professaient
la foi de Jésus, le christianisme. Ils conservèrent la religion
de 1 Évangile un grand nombre d années. Plus tard, les rois
de Syrie s adonnèrent au paganisme. (Juant aux Arabes, ils
étaient tous idolâtres, (juand Màlek, fils de Fahm, monta sur
le trône, il promulgua l'idolâtrie, et tous l'acceptèrent. Màlek
eut pour successeur son frère 'Amrou, fils de Fahm; Dja-
10 CHRONIQUE DE TABARl.
dsima al-Abrasch succéda à ce dernier. Les règnes de Màiek
et d'^Amrou n'eurent qu une courte durée; celui de Djadsîma
dura plus longtemps. Maintenant nous allons donner le réci^
des faits et gestes de chacun de ces rois, et des guerres qu'il
y eut entre eux.
CHAPITRE 11.
HISTOIRE DE DJÂDSIHA ÂL-ABRÂSCH. •
Lorsque Djadsîmu monta sur le trône, tous les rois arabes
de PIrâq, du ^Hedjàz et du Ba^hraïn reconnurent son auto-
rité; mais ceux de Rouni, du Yemen ot les rois des Pro-
vinces ne lui furent pas soumis. Par ses qualités et son pou-
voir, il était supérieur à tous les rois arabes. II entreprit un
grand nombre de guerres. Nous allons raconter une de ces
guerres.
Une partie de la tribu d'Iyàd demeurait près d'une source,
sur le territoire de Djadsima, à la frontière du Sawàd. Cette
source élait appelée 'Ain Obàgh. Obàgh était le nom d'un
homme d'entre les Amalécites qui avait creusé cette source et
fondé un grand nombre de villages autour d'elle. Les Arabes
qui y demeuraient étaient de la (ribu d'iyâd, parents de Dja-
dstma, dont la mère élait de cette tribu, tandis que son père
appartenait à la tribu d'Azd. 11 y avait parmi eux un chef
nommé Naçr, fils de Rabi'a, fils d"Amrou, fils de 'Hàretb,
fils de Mas'oud, fils de Màlek, fils de Nomàra, de la tribu
de Lakhm. La tribu de Lakhm était très-puissante parmi les
Arabes; et ces lyâdites, qui demeuraient près de la source,
étaient tous de cette tribu ; ils avaient pris pour chef Naçr,
fils de Rabfa. Celui-ci avait un fils nommé 'Adi, qui était un
PARTIE II, CHAPITRE IL 11
jeune homme si beau, quon ne trouvait pas son égal parmi
les Arabes de T'Iràq, du Ba'hraïn et du 'Hedjàz.La réputation
de sa beauté arriva jusqu'à Djadsima. Celui-ci envoya un mes-
sager à celte tribu alin qu on lui envoyât ^Adi, fils de Naçr,
qu il voulait traiter comme s'il était son fils. Les Arabes refu-
sèrent d'obtempérer à son désir. Djadsima renouvela sa dé-
marche et leur fit dire : Il y a des liens de parenté entre vous
et moi du côté de ma mère; il ne faut pas que la guerre
éclate entre nous à cause de ce jeune homme. Les lyâdites
refusèrent encore. Alors Djadsima rassembla une armée et
les attaqua.
Djadsima avait deux idoles d'or, qu'il appelait Dhahan et
qu'il adorait. Quand il entreprenait une guerre, il les empor-
tait avec lui, dans la pensée qu'elles lui procuraient la vic-
toire. Il pratiquait aussi la magie et la divination. Djadsima,
avec sa nombreuse armée, arriva auprès des lyâdites et établit
un camp. H fit dresser une tente de brocart pour ses idoles,
et la fit garder par dix hommes. Quand il se mit en marche, il
fit attacher chaque idole sur un chameau, et les dix gardiens
se tinrent autour des idoles. Quand il fut en présence des
lyâdites, ceux-ci n'avaient à lui opposer qu'une armée infé-
rieure en nombre à la sienne, et ils reconnurent qu'ils ne
pourraient pas lui résister. Ils envoyèrent donc, pendant la
nuit, dix hommes qui enivrèrent les gardiens des idoles et
qui enlevèrent les idoles et les portèrent dans leur tribu. Le
lendemain, ils envoyèrent un messager à Djadsima, avec ce
message : Tes dieux sont venus vers nous et nous ont dit
que tu as commis beaucoup de violences; ils nous ordonnent
de te faire la guerre; ils nous ont promis la victoire sur toi et
leur protection. Donc, si tu veux la guerre, nous la ferons;
mais si tu veux la paix , nous les prierons de retourner auprès
12 CHRONIQUE DE TABABI.
de toi. Quand Djadsiina eut reçu cet avis, il se rendit dans
la tente des idoles, et il ne les trouva pas. Il interrogea les
gardiens, qui dirent qu'ils ne savaient pas ce qu'elles étaient
devenues. Djadsinia en fut étonné; il conclut la paix et reprit
ses idoles. 11 dit aux Arabes : Je suis venu à cause de ce jeune
homme; je vous accorde tout ce que vous désirez, mais ne me
laissez pas retourner sans lui. ils indemnisèrent donc le père
du jeune homme, et remirent ^Adi entre les mains de Dja-
dsima, qui ramena son armée dans son pays, et lit d''Adi
son échanson. ^Adi lui devint plus cher que tous ses autres
serviteurs, et il entrait même dans les appartements rései'vés
aux femmes.
Djadsima avait une sœur, nommée Riqàscli, qui devint
amoureuse d''Adi et l'appela auprès d'elle. *Adi refusa, en
disant : Je ne veux pas commettre une trahison. Hi(}àsch lui
dit : Demande-moi en mariage au roi. ^Adi répondit : Je n'ose
le faire. 11 se passa sur cela quelque temps, et Tamour de
celte femme s'accrut. Un jour, le roi étant a boire, et ^Adi
remplissant ses fonctions d'échanson auprès de lui, lu sœur
de Djadsima lui dit : Verse au roi du vin pur, et à ses com-
pagnons du vin mêlé d'eau, alin que le roi devienne ivre;
puis demande-moi à lui en mariage,, et prends les convives
comme témoins. ^Adi consentit et fit ainsi. Djadsima lui ac-
corda sa sœur, et ses convives en furent témoins. La même
nuit, la sœur de Djadsima appela ^Adi auprès d'elle et cou-
cha avec lui. Celte fenmie était vierge, et elle devint en-
ceinte la même nuit. Le lendemain, le roi appela 'Adi, et
s'aperçut qu'il était parfumé. Il dit : Qu'est-ce que ce parfum?
^Adi répondit : Ce sont les parfums de la noce. Djadsima dit :
De quelle noce? ^Adi répondit : Le roi m'a donné hier sa sœur
en mariage en présence de ses compagnons. Le roi fut stupé-
PARTIE ri, CHAPITRE II. 13
fail. Il porta la main à son front et baissa les yeux, plein de
tristesse. ^Adi' se tint loin de lui; et quand il vit que le roi
réfléchit et ne leva pas la tête, il eut peur; il sortit, monta
sur un cheval, s'arma, prit le chemin de sou pays et retourna
dans sa tribu. Après un certain temps, le roi leva la tête; ne
voyant pas *Adi, il fit appeler sa sœur et lui dit : N'as-tu pas
honte de t'étre donnée à un esclave arabe? La sœur répondit :
N'as-tu pas honte, toi, de me Ta voir donné pour époux? Si
tu m'avais consultée, je ne l'aurais pas agréé; mais je n'ai pas
osé te faire des représentations et te résister. Le roi dit : Il
est vrai que lui aussi est du sang royal; il est chef dans son
peuple. Alors il fit chercher ^Adl\ mais on ne le trouva pas,
et on dit au roi qu'il était retourné dans sa tribu. Djadsima
en fut très-alTligé, à cause de sa sœur. Il voulut envoyer quel-
qu'un à sa recherche, mais il se dit : Loi'sque je suis allé le
chercher, on a dit que je prenais un esclave; maintenant on
dira que je cherche l'époux de ma sœur. Il eut honte et ne fit
aucune démarche.
^Adi était rentré dans sa tribu. Son père était mort. Une
femme de celte tribu devint amoureuse d'^Adi, qui eut com-
merce avec elle. Les frères de cette femme, informés de ce
fait, le guettèrent. Un jour, *Adi se trouvant à la chasse
avec des amis, ils tombèrent inopinément sur lui et le pré-
cipitèrent du haut d'une montagne. Il se rompit le cou et
mourut.
La sœur de Djadsima, au bout de neuf mois, mit au
monde un lils qui était aussi beau que son père. Elle le garda
auprès d'elle jusqu'à sa cinquième année; puis elle l'orna et
le présenta au roi. Il plut au roi, qui l'adopta, lui donna de
grandes richesses, et Teut en plus grande afl'eclion que ses
propres fils. Il lui donna le nom d"Amrou, et l' éleva avec
U CHRONIQUK DE TABARI.
ses iils. 'Amrou, encore enfant, montra par quelques traits
sa grande intelligence, et ses paroles passèrent en proverbes
parmi les Arabes. L'un de ces traits est le suivant :
Le roi avait Thabitude, chaque année, au printemps, de
sortir de la ville, et de faire dresser une tente dans la cam-
pagne, et d'y rester jusqu'au mois de tammouz. Il y avait là
de grandes quantités de champignons que Ton recueillait. Un
jour, le roi étant sorti dans la campagne, ses fils, avec ^Amrou,
cherchèrent des champignons, que les Arabes mangent soit
crus, soit cuits. Les fils du roi mangèrent les plus beaux et
les plus grands de ceux qu'ils avaient trouvés. Quand les en-
fants présentèrent les fruits au roi, celui-ci le remarqua, et dit
k *Amrou : ïa cueillette est la meilleure. ^Amrou répondit :
(rLa meilleure est la cueillette de celui qui retient sa main
de sa bouche, T» c'est-à-dire qui ne la mange pas. Cette pa-
role est devenue un proverbe parmi b»s Arabes et est en usage
encore aujourd'hui.
«
On raconte du prince descroyanLs, 'Ali, fils d'Abou-Tàleb,
qu'il s'était rendu un jour dans le trésor. Il y vit une grande
quantité d'argent et y prononça ce proverbe et ne prit rien
pour lui. Puis il saisit une poignée de dinars et une poignée
de dirhems, ensuite il les jeta et dit : rr Rouge ou blanc, vous
ne pouvez pas me séduire. 7^
Lorsque Djadsima vit 'Amrou si éloquent, il en fut très-
satisfait et il lui lit faire un collier d'or. 'Amrou fut le pre-
mier des rois arabes qui porta un collier. 'Amrou porta cette
-chai'ne constamment, jour et nuit, et on l'appela r'Amrou an
collier.7> A l'âge de dix ans, il fut enlevé, une nuit, par les
Dîvs. Le lendemain, on ne le trouva pas. Djadsima, stupéfait,
envoya un grand nombre d'hommes à travers le monde pour
le chercher. On le chercha vainement pendant dix ans. Il
PARTIE H, CHAPITRE II. 15
s'était rendu dans ie désert, où il vivait avec les bétes et man-
geait de rherbe. Personne n'en eut connaissance. Sa cheve-
lure était devenue longue et il avait Tair d'une béte. Au bout
de dix ans, il fut guéri de cet état de démence. De temps en
temps, il venait sur la route et s'y asseyait; mais quand il
voyait des hommes, il s'enfuyait. Quand il fut guéri, il ne
s'enfuyait plus lorsqu'il voyait des hommes, et se mêlait à eux.
Il y avait deux Arabes, deux frères, dont l'un s'appelait
Màlek, l'autre *Aqfl, qui venaient de Syrie et se rendaient au-
près de Djadsima. Ils étaient accompagnés d'une femme musi-
cienne, qui, dans leurs haltes, les servait, leur versait à boire
et chantait. Ils avaient entendu raconter que le neveu de
Djadsima avait été enlevé, dix ans auparavant, par les Divs.
Lorsqu'ils arrivèrent à l'une des stations du désert, cette
femme étendit devant eux une table et leur servit un agneau
rôti, et ils mangèrent. *Amrou, fils d'^Adî, les observa de
loin ; alors il s'approcha , nu et avec sa longue chevelure. Les
autres, en le voyant, eurent peur. 11 les salua et s'assit. Ils lui
dirent : Viens et mange quelque chose. La femme détacha
l'os du pied du mouton et le jeta à "Amrou, comme on jette
quelque chose à un chien. *Amrou le rongea; puis il étendit
la main pour avoir de la viande et il dit : «Tu donnes à un
esclave la patte, il désire le pied.?» Cette parole passa égale-
ment en proverbe. La femme, qui s'appelait Oumm-^\m^ou,
voulut l'empêcher de prendre de la viande, mais les deux
frères dirent : Laisse-le manger. Ensuite ils se mirent à boire
du vin. La femme en donna aux deux frères et n'en donna pas
à ^Amrou. Alors celui-ci dit :
Oumm -'Amrou m'a refusé la coupe qui devait circuler de gauche è
droite. Ce n'est pas ie plus mauvais des Irois compagnons, ô Oumm-'Amron,
cpIuî à qui tu refuj^es le vin.
16 CHRONIQUE DE TABARl.
Les autres dirent : Qui cs-lu et d'où viens-tu ? *Anirou ré-
pondit : Si vous ne me connaissez pas, nierez- vous que je
sois ^Anirou, fils d'^Adf? Alors ils se levèrent, Tembrassè-
rent,lui coupèrent les cheveux et les ongles, rhabillèrent et
dirent : Nous ne pourrions olTrir au roi un plus beau cadeau
que celui-là; et ils ramenèrent auprès du roi. Lorsque Dja-
dsima le vit, il ne le reconnut pas, car son visage était devenu
noir. Il dit: Je ne sais si c'est *Amrou, ou non. Les deux
frères lui firent le récit de Tétat dans lequel ils l'avaient
trouvé. Le roi l'envoya vers sa sœur, qui le reconnut et qui
s'écria avec joie : C'est ^Amrou. Elle le garda dans ses appar-
tements pendant sept jours, jusqu'à ce qu'il eût recouvré ses
couleurs; puis elle le revêtit de beaux vêtements et le présenta
au roi, qui le reconnut alors et en fut charmé. Il ordonna d'ap-
porter le collier qu'^Amrou avait porté à son cou et qui était
resté entre les mains de sa mère, comme souvenir de lui. Mais
^Amrou était devenu grand et le collier ne pouvait plus s'adap-
ter à son cou. Djadsima dit : tr'Amrou est trop grand pour le
collier. 7î Cette parole est également passée en proverbe.
Le roi dit aux deux frères : Dites ce que vous désirez, je
vous l'accorde. Us répondirent : Nous sommes venus pour
servir le roi. Alors il en fit ses convives, et ils le furent jusqu'à
sa mort. Cette histoire est célèbre parmi les Arabes, et on dit
proverbialement tries convives de Djadsima,?? pour désigner
deux personnes qui sont liées par une longue amitié et pour
dire: A la fin, à sa mort, ils ont été séparés; toi aussi, tu
seras séparé de ton ami. Les Arabes ont beaucoup de chants
et de pièces de vers relatifs à ce sujet. Abou-Khiràsch le
Hodsaïlite dit :
Je le déclare que Kabiscli n'a pas été lasse do ino voir; la récompense
qu'elle m'a donnée élail bien peu de chose auprès d'elle. Ne sawz-vous j»as
PARTIE II, CHAPITRE lit. 17
que, loogiemps avant nous, IfS compagnons sincères, Màlek et 'Aqit, ont ét^
séparés [ de leur ami ] 7
Motammim, fils de Nowaïra, lorsque son frère Mâlek fut
tué , du temps du calife Abou-Bekr, composa plusieurs élé-
gies, entre autres celle-ci :
Nous étions longtemps comme les compagnons de Djadslma, de sorte
qu'on dit : Ik ne peuvent pas être séparés. Et quand nous fumes séparés,
c'était, malgré le temps considérable de notre vie commune, comme si nous
n'avions pas passé ensemble une seule nuit.
Djadsima garda ^Amrou , fils d'^Adi, avec ses fils , et le traita
mieux qu'eux-mêmes.
CHAPITRE III.
HISTOIRE DE LA GIBRBE DE DJâDsImA AVEC ^AMROl ,
FILS DE DHAREB.
Il y avait un roi arabe nommé ^\mrou, fils de Dhareb,
fils de ^Hasan, descendant des Amalécites, qui régnait en
Mésopotamie. La Mésopotamie est située entre PIraq et la
Syrie, comprenant plusieurs villes, dont Tune était Mossoul,
une autre 'Haditha, une troisième Scherqat, une quatrième
Ra^haba. Toutes ces villes sont séparées les unes des autres,
et avaient chacune leur propre territoire et un grand nombre
de villages; le tout ensemble était appelé Mésopotamie, et
était gouverné par ^Amrou, fils de Dhareb. Ce roi rassembla
une armée et attaqua Djadsima , dans Tintention de s'em-
parer de PIraq. Djadsima alla à sa rencontre, remporta la
victoire sur lui et le tua. L*armée d'*Amrou fut mise en fuite.
^Amrou, fils de Dhareb, avait une fille remarquable par
son intelligence. Son nom était Nâlla, et son surnom Zebbâ, à
11.
18 CHRONIQUE DE TABARI.
cause de la longueur des poils h ses parties secrètes. Lorsque
Tarmée revint en Mésopotamie, Zebbâ apprit que son père
avait été tué par Djadsima. Alors elle ouvrit son trésor,
donna de l'argent aux troupes, et leur demanda de s'engager
envers elle et de faire, sous sa conduite, la guerre à Djadsîma
pour venger le sang de son père. L'armée prit cet engagement
et la reconnut comme reine. S'étant ainsi emparée du gouver-
nement, Zebbâ le garda pendant cinq ans, jusqu'à ce qu'elle
se fût solidement établie sur le trône et qu'elle fût sûre des
sentiments de l'armée.
Zebbâ avait une sœur nommée Zaïnab, intelligente et
habile. Elle avait fait construire pour celle-ci un palais sur la
rive occidentale de l'Euphrate. Elle y passait l'hiver avec sa
sœur, et l'été elle faisait des tournées dans son royaume.
Lorsque son empire fut solidement établi , elle se disposa à
rassembler Tarmée et à faire la guerre à Djadsima, pour
venger son père. Elle délibéra avec sa sœur, qui était douée
d'une haute intelligence. Celle-ci lui dit : rrLa guerre est
comme un seau (tantôt en haut, tantôt en bas), et ses erreurs
ne peuvent pas être réparées. -n Tu es une femme et lui
un homme; la victoire s'attaclie plutôt aux pas de l'homme.
S'il remporte la victoire, tu perdras ton royaume. H ne sied
pas à une femme de chercher la vengeance. N'entreprends
point la guerre, mais cherche par la ruse à t'emparer de lui.
Zebbâ agréa ce conseil; elle imagina une ruse, et envoya le
message suivant à Djadsima : Quoique la femme ne soit pas
dépourvue de force, toujours est-il qu'elle est faible. J'avais
saisi le gouvernement de ce royaume pour empocher que
l'arméo ne se dispersât. Mais il n'est pas convenable qu'une
femme soit assise au milieu des hommes, et il est honteux
pour des hommes d'obéir à une femme. Je désire un époux à
PARTIE II, CHAPITRE III. 19
qui je puisse remettre ic gouvernement. Je ne vois digne de
moi aucun des rois, si ce n*est toi, parce que tu es supérieur
par ton intelligence, la fortune, ta naissance et ton courage.
Viens, afin que je te remette le gouvernement et que je sois
ton épouse. Quand Djadsima reçut cette lettre, il était disposé
à accepter ses propositions. H rassembla son armée et déli-
béra avec elle, en faisant connaître cette lettre. Tous furent
d accord que c'était une affaire acceptable.
Djadsima avait un officier nommé Qaçîr, fils de Sa^ad,
de la tribu de Lakhm, qui était de ses parents. Il était fils
d'un chef; son père Sa^ad avait épousé une femme de la
maison de Djadsima , et Qaçir était né de cette union. Dja-
dsima lui demanda également son avis, et Qaçir émit une opi-
nion opposée à celle de toute Tarmée. Il dit : Cest une ruse,
rr l'imprudence en présence de la ruse,Tî mot qui est devenu
proverbe. Puis il ajoula : trll convient de délibérer sons le toit
et non en face du soleil, u Cette parole est également devenue
proverbiale. Enfin il dit : «rO roi, c'est une affaire de perfidie, t»
Djadsima demanda l'avis du fils de sa sœur. ^Amrou, fils
d ^4di, se prononça pour l'exécution. Qaçir dit : Tu as tué
le père de cette femme; garde-toi d'elle. Envoie quelqu'un
pour lui dire que, si elle veut te prendre pour époux, elle
vienne vers toi. Djadsima dit : «r On ne suit pas l'avis du
I>elit ( Qaçir ),T» parole qui est devenue une locution prover-
biale.
Djadsima confia l'administration de sa maison, de sa. fa-
mille et de toutes ses affaires particulières h *Amrou, fils
d'^Adi, et il institua régent du royaume et son lieutenant un
de ses officiers, nommé 'Amrou, fils d"Abd al-Djinn , de la tribu
de Djorhom. Il partit avec ses familiers, y compris Qaçir.
La ville où Djadsima résidait s'appelait Baqqa, et il existe
9 .
30 CHRONIQUE DE TABARI.
un proverbe qui dit : crLa décision a été prise a Baqqa.^f
Na^bschal, fils d*Ai-^Harriyy, a fait une pièce de vers au sujet
de quelqu*un dont on ne suit pas Tavis, jusqu'à ce que la chose
devienne évidente et quon la regrette, sans pouvoir y re-
médier :
Mon esclave s^ëtait révolté contre moi et était devenu maître de son affaire
plus qae ne fut obéi Qaçtr dans les deux Baqqa.
Mais lorsque mon affaire et la sienne étaient devenues manifestes, les
prémisses estaient évanouies devant les conséquences. Mon ami désirait
revenir à mon obéissance, mais de nouvelles conditions avaient succédé aux
premières.
Djadsima sortit de Tlrâq et se dirigea le long de TEuphrate
vers la Mésopotamie, et il arriva à Ra'baba. Alors il eut un
moment d'bésitalion, il se repentit et dit à Qaçîr : Que te
semble? Qaçir répondit : trTu as laissé la prudence à Baqqa. ?>
Cette parole est devenue proverbe. Lorsque Djadsima arriva
h la prochaine station, les envoyés de Zebbâ se présentèrent
avec des cadeaux considérables. Il dit à Qaçir : Que dis-tu
de cela? Qaçîr répondit : rr C'est une petite chose pour un
grand danger. ^ Cette parole est également passée en pro-
verbe. Les messagers de Zebbâ dirent : La reine a ordonné
que toute Tarmée marche devant toi. Djadsima dit à Qaçîr :
Le cœur commence à me battre et je crains quelque chose;
qu'y a-t-il à faire? Celui-ci répondit : Demain, quand les
troupes se présenteront devant toi, si elles mettent pied à
terre et te rendent des honneurs, TalTaire est en bonne voie;
mais si elles t'entourent, c'est une mauvaise aiïaire. Djadsima
dit : Si elles m'entourent, que faut-il faire? Qaçir répondit :
Demande ton cheval *Aça, monte-le et cherche à te sauver.
*Açâ était un cheval appartenant à Djadsima; aucun autre
cheval arabe ne l'égalait en vitesse. Le lendemain, quand
22 CHRONIQUE DE TABARI.
y fût recueilli. Lorsque les bras de Djadsima s'affaiblirent, le
sang se répandit en dehors des vases. Zebbâ dit : ;r Ne laissez
pas perdre le sang du roi, car le sang des rois ne doit pas être
perdu?) (proverbe). Djadsima dit: tr Laissez couler le sang que
son possesseur répand ij (proverbe). Puis il mourut. Zebbâ
se (it apporter les vases, y plongea un tissu de coton qui ab-
sorba tout le sang, le fit sécher et Tenferma dans une boite
qu'elle plaça dans son trésor, et dit : Voilà la rançon du sang
de mon père.
La nouvelle de cet événement arriva au village où se trou-
vait Qaçir. 11 se rendit de là dans PIraq, vers ^Amrou, fils
d'^Adi, et ^Amrou, fils d'^Abd al-Djinn, qui étaient tous les
deux à ^Hira, et leur annonça la mort de Djadsima. L'armée
se divisa en deux parties, dont Tune acclama ^Amrou, fils
d'*Adi, l'autre ^Amrou, fils d'^Abd al-Djinn. Une guerre allait
éclater entre eux deux, mais Qaçîr s'entremit entre eux et
les concilia. ^Amrou fils d"Abd al-Djinn abandonna le gou-
vernement à ^Amrou fils d'^Adî, et se soumit à lui. Toute
l'armée se rangea alors sous les ordres de ce dernier. Il
combla Qaçir d'honneurs, mais celui-ci dit : Je ne serai sa-
tisfait que lorsque tu vengeras la mort de ton oncle.
CHAPITRE IV.
HISTOIRE D'^AVROU, FILS D'^ADl.
Lorsque Zebbâ apprit qu'Amrou, fils d"Adî, était monté
sur le trône, que l'armée Tavait acclamé et qu'il tenait le
gouvernement de l'^Irâq , elle fut très-inquiète et préoccupée.
Elle savait qu'il vengerait la mort de Djadsima. Zebbâ avait
un astrologue qui lui prédisait l'avenir. Elle lui demanda son
PARTIE II, CHAPITRE IV. 23
horoscope» et il lui dit : Tu succomberas par la main d'un
jeune homme nommé ^Amrou, de sang royal; tx)u royaume
passera entre ses mains; mais il ne pourra pas te tuer; tu pé-
riras de ta propre main. Zebbâ se tint sur ses gardes contre
^Amrou; elle établit sa résidence dans le palais de sa sœur,
qui était solidement fortifié, et cessa ses tournées à travers
les villes de son royaume. Elle avait aussi un peintre nommé
Faqarroum, à qui elle donna des sommes considérables et
quelle envoya à la cour d'^Amrou, en lui disant : Lie-toi
d amitié avec ses gens et fais-leur des portraits, afin qu'ils
reconnaissent que tu es un peintre. Puis fais le portrait
d'^Amrou dans toutes les positions, assis, en pied et à cheval,
dans son costume d'été et d'hiver, et apporte-moi ces portraits,
de façon que, s'il vient m'attaquer, je le reconnaisse à sa vue
et que je puisse me garder de lui. Le peintre se rendit à la
cour d'^Amrou , y resta pendant une année et fit le portrait du
prince dans toutes les positions; ensuite il porta ces portraits
à Zebbâ. Elle fit faire un chemin souterrain entre le palais et
la forteresse, afin que, s'il lui arrivait quelque accident dans
le palais, elle pût se sauver dans la forteresse.
Quand il se fut écoulé une année, Qaçir dit h ^Amrou :
Venge ton oncle, car Djadsima ne fut pas un roi dont le sang
dût être versé impunément. ^Amrou répondit : tr Comment
pourrais-je le faire? Cette femme est plus insaisissable que-
l'aigle dans les airs.?» Cette parole est devenue proverbe.
Qaçîr dit : Fais-moi couper le nez et lacérer le dos à coups
de fouet. *Amrou répondit : Je ne ferai jamais chose pareille
envers toi qui ne l'as pas mérité de moi. Alors Qaçir lui dit :
(T Laisse-moi faire et sois exempt de blâme, « parole devenue
proverbe. *Amrou dit : Fais ce que tu voudras. Qaçîr se coupa
le nez et se déchira le dos à coups de fouet; alors on dit
24 CHRONIQUE DE TABARI.
ces paroles, devenues proverbiales : trQaçir s'est coupé le nez
pour une affaire importante, n Le poète Motalammis a dit :
Qaçtr s'est coupe le nez pour chercher vengeance, et Baïhas s^est plonge
dans ta mort avec son épée.
Quand la blessure de Qaçir fut guérie, il partit à pied,
Qu-tête et nu-pieds, les vêtements déchirés et le dos lacéré,
et il alla de F^Irâq en Mésopotamie. On annonça à Zebbâ son
arrivée. Elle le fit introduire auprès d'elle et elle l'interrogea
sur son misérable état. Il dit : C'est ^Amrou, fils d'*Adî, qui m'a
traité ainsi, en m'accusant d'avoir trahi et fait périr son oncle;
il m'a emprisonné pendant un an; mais maintenant je me suis
enfui de la prison et je suis venu pour t'offrir mes services,
sachant que je ne peux servir un souverain plus dangereux
pour lui que toi. Zebb«4 l'accueillit bien, le logea dans une
maison convenable et lui fit remettre une grande somme
d'argent; et il y resta. Zebbâ reconnut qu'il était doué d'une
gi*ande intelligence; elle le consultait et il lui donnait des
conseils sincères. La reine fut complètement rassurée à son
égard et l'admit parmi ses familiers et ses ministres. Il se
passa ainsi un an, et Zebbâ n'eut plus aucune méfiance
à son égard. Un jour, comme elle s'entretenait avec lui, on
lui présenta de magnifiques étoffes d'^Irâq. Zebbâ dit : De
* telles étoffes n'existent pas dans mon trésor ni dans tout mon
royaume. Qaçfr lui dit : 0 reine, ces étoffes sont très-abon-
dantes dans r*Irâq; si la reine le permet, je prendrai des pro-
duits de ce pays et les porterai dans T'Irâq, pour faire le
commerce, de façon que personne ne m'y reconnaisse. J'irai
avec la caravane; puis j'y achèterai de ces belles étoffes de
nrâq, et je reviendrai auprès de toi, et je les vendrai ici , de
façon qu'il t'en revienne un grand profit en argent et aussi on
PARTIE II, CHAPITRE IV. 25
ëloQes. Dans Tétai où je suis réduit, je ne suis plus apte k
Texercice militaire ni à la guerre; je ne puis faire autre chose
que m*occuper de commerce ou donner des conseils. Zebbâ
agréa cette proposition : elle lui donna de grandes sommes
d'argent et une caravane composée d'une grande quantité de
chameaux. Qaçîr acheta tout ce qu il crut avantageux et partit
pour PIrâq. Il se rendit à la capitale d'^Amrou, à *Hîra,
vendit ses marchandises et acheta les belles étoffes de PIrâq.
Dans la nuit il alla secrètement vers *Amrou, fils d'*Adî, lui
rendit compte de ces circonstances et se fit donner par lui
encore d'autres étoffes; puis il retourna auprès de Zebbâ.
Pendant l'absence de Qaçtr, la sœur de Zebbâ avait dit k
celle-ci : L'argent que lu as donné à cet homme est perdu; cet
homme ne reviendra jamais vers toi. Zebbâ répondit : S'il re-
vient, il est honnête; s'il ne revient pas, en raison de ce qui
lui est arrivé à cause de moi , qu'on lui a coupé le nez , et en
raison des services qu'il m'a rendus, l'argent lui est dû; qu'il
lui reste. Puis, lorsque Qaçîr revint, Zebbâ en fut charmée.
Elle agréa ces étoffes et en choisit ce dont elle avait besoin;
pour le reste, elle l'abandonna à Qaçir et lui dit de le vendre.
Il le vendit et en eut un grand profit. L'année suivante, il fit
le même négoce, et revint, et eut un grand profit; de même
la troisième année. La quatrième année, Zebbâ lui donna
mille de ses propres chameaux. Qaçîr dit : Ces sacs sont trop
étroits, il en faut de grands et larges, tissés de crin, conte-
nant une plus grande quantité de marchandises et plus faciles
à porter pour les chameaux. Zebbâ donna des ordres pour
qu'on fi t mille paires de grands sacs tissés de crin. Mo^hammed ,
fils de Djarîr, rapporte, d'après Mo^hammed, fils d'Al-Sâïb,
que Qaçîr fut le premier homme qui fabriqua cette espèce
de sacs.
36 CHRONIQUE D£ TABARI.
Qaçir chargea les chameaux, se rendit dans T^Irâq el dit
à *Amrou, fils d'^Adî: Si tu veux venger la mort de ton oncle,
le moment est venu. ^Amrou dit : Que faut-il faire? Qaçir
répondit: Fais placer dans chacun de ces sacs un homme
cuirassé et complètement armé; nous aurons de cette façon
deux mille hommes sur les mille chameaux. Place-toi toi-
même, avec tes armes, dans un des sacs, et nous partirons
vers la résidence de Zebbâ. Quand nous aurons franchi la
porte de la forteresse, nous ferons sortir les soldats, nous
pousserons des cris et mettrons Tépée à la main. Zebbâ a
(dans son palais) un chemin souterrain pour s'enfuir par là,
si elle est surprise. Je te placerai à Feutrée de ce chemin;
quand elle arrivera là pour se sauver, tue-la. ^Amrou con-
sentit, et ils firent ainsi. Ils mirent un homme dans chaque sac
et le fermèrent, l'homme qui s'y trouvait tenant à l'intérieur
l'attache. Ils s'acheminèrent ainsi en caravane jusqu'à la rési-
dence de Zebbâ. A proximité de la ville, Qaçîr prit les de-
vants et alla avertir la reine. H lui dit : Cette année j'apporte
des marchandises comme je n'en ai jamais apporté. Zebbâ,
très-contente, monta à cheval et sortit de la ville pour voir la
caravane. Quand elle vit les chameaux marcher d'un pas lourd
à cause de la pesanteur des armes et des hommes qu'ils por-
taient, elle dit :
Pourquoi ces chameaux ma rcheot-ils si lentement? Portent-ils des pierres
ou du fer?
Ou du plomb, froid el lourd, ou des hoaunes ramassés et plies sur eux-
mêmes ?
Puis Zebbâ rentra dansla ville. La caravane entra également
dans la ville. A la porte de la ville, il y avait un gardien naba-
téen, qui, apercevant la marche pesante des chameaux, pion-
PARTIE II, CHAPITRE IV. 27
gea une baguetle dans un sac. L*homme qui s*y trouvait lâcha
un vent; le Nabatéen dit alors : Dans ces bagages il n*y a rien
de bon.
Arrivés au milieu de la ville, ils firent agenouiller les cha-
meaux. Les hommes sortirent des sacs, armés, mirent Tépëe
i la main , poussèrent le cri de guerre et commencèrent le
massacre. Qaçîr fit sortir de son sac ^Amrou et le conduisit
à rentrée du passage secret et lui dit : Reste là, aussitôt que
Zebbâ paraîtra pour s*enfuir par ce chemin, tue-la. Lorsque
Zebbâ apprit que les soldats massacraient dans la ville, elle
courut à ce passage; elle vit ^Amrou, debout, Tépée à la main,
et le reconnut à sa ressemblance avec le portrait que le
peintre lui avait apporté. E31e portait à son doigt une bague
contenant un poison subtil; aussitôt quelle aperçut ^Amrou,
elle -ouvrit la bague et avala le poison , en disant : C'est de
ma main «t non de la tienne que je veux mourir, et elle
tomba. *Amrou se précipita sur elle, et l'acheva. Ensuite il fit
proclamer que les soldats cessassent le massacre.
*Amrou s'empara du gouvernement et du trésor; l'armée
de Zebbâ lui rendit hommage. Il réunit le royaume de Mé-
sopotamie à celui de nrâq, et tous les Arabes se soumirent
à lui. Il occupa le trône pendant cent vingt ans, puis il
mourut. L'empire demeura entre les mains de ses descendants
comprenant PIrâq, la Mésopotamie, le désert et le ^Hedjâz,
et cet empire passa de père en fils pendant l'espace de cent
ans. On les appelle les rois Naçrites; leurs faits et gestes sont
racontés dans les livres arabes et persans. Pendant ce temps,
le territoire situé entre le Djîhoun et le 'Holwân était en la
possession des rois des Provinces , et les pays de Roum et de
Syrie entre les mains des empereurs, jusqu'à l'avènement
d'Ardeschîr Bâbegân, qui soumit les rois des Provinces et
28 CHRONIQUE DE TABARl.
leur enleva la Perse et le Khorâsân, et qui prit également aux
rois Naçrites T'Irâq et la Mésopotamie. Ardeschir relégua
ces rois dans le Ba^hraïu, dans le désert et dans le ^Hedjâz,
où ils furent sous sa domination, ainsi que tous les Arabes
et quelques-uns des rois du Yemen et de la Syrie, tan-
dis que quelques autres de ces deux pays étaient soumis aux
Romains. Les rois Naçrites fleurirent encore de longues années
dans le désert, le ^Hedjâz et le Ba^hraïn, après Ardeschir;
car, lorsque celui-ci expulsa les Arabes de T^Irâq, il leur assi-
gna le 'Hedjàz , le Ba'hraïn et le Yemen , et leur donna un roi
de la famille d'^Amrou , (ils d'^Adî.
La résidence des rois Naçrites était à 'Hira et leur royaume
s'étendait au delà de cette ville. La résidence des rois perses
était à Madâïn; car Bagdad, qui est aujourd'hui la résidence
des califes, n'existait pas encore. Cet état de choses continua
de même sous le règne des successeurs d'Ardeschir, qui lais-
sèrent les pays du ^Hedjâz, du Bâ'hraïn et du désert aux
Arabes, sous le règne des princes de la famille d'^Amrou, fils
d'^Adî. Le dernier de ceux-ci fut Norman, fils de Moundsir,
qui fut tué par Perwîz, fils de Hormuzd , comme nous le ra-
conterons plus loin. Ce Norman fut fils de Moundsir, fils de
No*mân, fils d'^Amrou, fils de Moundsir, fils d'^Amrou, fils
d'Udî, fils de Naçr, fils de Rabra.
*
Tous ces événements que nous venons de rapporter sur
Djadsima et *Amrou se passèrent du temps des rois des
Provinces; car ceux-ci régnèrent pendant quatre cents ans,
depuis Alexandre jusqu'à Ardeschir, période pendant la-
quelle se passèrent un grand nombre de choses mémorables,
dont celles que nous venons de rapporter font partie, ainsi
que l'événement relatif à Tasm et Djadis, que nous allons
raconter.
PARTIE II, CHAPITRE V. 29
CHAPITRE V.
HISTOIRE DE 'hASAN, FILS DE TOBBa\ ROI DU YBMEN.
Tasm et Djadis étaient deux tribus arabes du Yemâma, du
temps que Djadsima fut roi de PIrâq. Elles étaient gouvernées
par un roi appelé ^Amlouq , qui avait été institué par Djadsima.
n appartenait à la tribu de Tasm. Ce roi exerça la tyrannie
sur son peuple, et alla si loin dans son oppression , qu*il exigeait
que toutes les jeunes filles qui se mariaient fussent conduites
auprès de lui pour qu'il leur ôtât leur virginité. Le peuple
resta sous cette oppression , impuissant et consterné. Cepen-
dant les gens de la tribu de Tasm, qui était celle dont le roi
était issu , ne subissaient pas le même outrage de sa part. Il se
passa un long espace de temps, jusqu'à ce que, un jour, un
homme nommé Aswad, fils de Ghifâr, réunit les chefs de sa
tribu — lui-même était un des chefs — et les jeunes gens, et
il leur dit : Vous savez dans quelle misérable situation nous
nous trouvons; des chiens ne supporteraient pas un état pa-
reil, bien moins des hommes. Je vous demande votre a[^î,
afin que nous nous délivrions ensemble de ce roi. Les autres
dirent : Que veux-tu? Aswad dil : J'inviterai à un festin dans
ma maison le roi et toute la tribu de Tasm. Je vous inviterai
également, de telle façon qu'il y aura deux hommes d'entre
nous pour un homme de l'autre tribu. Chacun de vous ap-
portera son épée et la cachera sous la table dans le sable.
Ceux-là viendront sans armes, et quand ils entreront vous
saisirez vos épées, moi-même je tuerai le roi, et chacun de
vous tuera son homme. Quand vous aurez tué les chefs, il
n'y aura plus de danger à craindre de la part des autres. Ils
Taon. fDL rymsïiiuuHsic «mt arstf^f^ -fc «& ^rânL
& à» Swcn:. ffluisô: «fPK^ «és^ 'Sitsax. & Àt TiUa'. f ^
èf» pi2ifiaac<> TiÂiÔA' Ô£ T^piiyg. ftâa^ Tnifcmà àf ne- ^«e
maaôsaû Àt ruamififirt ie^ |>Eaif àt- TasB^ ^Haon «s &: trà^
cmmin» «s jorlâî v«9r mut pmàe arméf |«nr if Ta&&Ba,
afni f Jittiiçiisr k râbc Af* I^&k. Irr^vf » triûf jonrnâes^ 4c
SiiDciif' df- leur isrîuiiT^, lâiiit'i. ici âjC : Jil paxmû €vi me
fifleoT gui k m. •^tnizi àf- î» inxio àf- I^j»âûw. ISf* n'i j«af. daas
k- BHOâdc' MOI épAt jitai 1& ioàcîiÎH^ àt ik ^ut : dk* ^ciit à la
dkteiice àf Ircûf jffoméef âf- marclif f^ imomic- }£f peii> de la
Izâio de ot gneUf- «|«prraiL C^ figfitdBf Zeirqâ ai-Yemâma,
«1 a réjHitaliim «fit ^raDdf- parmi k» %raî«eN. ?îâhΣ;iia al-
iHabykui a àà danf mK* qarida :
diuf> ts jn^feoMB^ im dflLaïuuuMmi neBÙttÊààÊ- a rrini de ia jeoae
Bht. te piaf fbfltmfpfH- de s trîtic, quand t*lK *>e^ardail 1» cnéooihff^
fâdcMit diriger vatk àes^ «box
Pnif liQial) dit : Ordoniif que rfaaqiif srtldat prenne une
brancbf d*aiiïre et qu'il ia îiejine devant lui, afin que, si e!W»
Doof aperçnit , elle ne voie que W hninciMs et non pa> les hom-
nieR, H? firent ainsi, he*^ pens de la triliu de Djadis dirent a
^ emama : Monte à ia tour et rcjjarde. ^ emâma rej^arda et dit :
Je vois des ariires qui Tnarcbenl : ils ont la forme de> arbres;
mais ils s'avanrent comme des hommes. Ceux-là dirent : Ce
n est rien, et ils n'ajoutèrent pas foi k ses paroles. Le lende-
main ils lui dirent de nouveau de regarder. EUe dit : Je voi^
derrière un arbre quelqu'un qui déiarho un morceau de
viande d'un os et le mange ; il lient un soulier d<Vhire dan«
sa main et le raccommode. ||> diront : Cen'f^l rien. De celle
PARTIE H, CHAPITRE V. 8t
façon ^Hasaa tomba sur eux à Timproviste, les massacra
et dévasta le pays de Yemâma. Il fit saisir Zerqâ et lui dit :
Par quel moyen parviens-tu à rendre tes yeux aussi clair-
voyants? Elle répondit : Je ne dors jamais sans mettre du
collyre sur mes yeux. *Hasan lui fit arracher les yeux; on y
trouva des fibres noires, injectées de collyre dont la couleur
était noire.
^Hasan rentra dans le Yemen. Djadstma, informé de ces
événements , envoya de T^Irâq une armée à sa poursuite. Li|
rencontre eut lieu, et ^Hasan défit Tarmée de Djadsima et tua
un grand nombre d'hommes; puis il continua sa route. 'Hasan
fut un roi puissant d'entre les Tobba^ du Yemen. Il était fils de
Tobba', fils d'As*ad; son père était appelé Tobba* abou-Karib.
^Hasan avait un fils qu'on appelait Tobba* le Jeune. Quant à
Tobba* abou-Karib, c'est lui qui, à l'époque du pèlerinage,
vint i la Mecque avec une armée. H y a près de la Mecque un
endroit entre deux collines, appelé Scha^ab al-Matâbikh , nom
qui provient de ce que le Tobba* y avait fait établir ses cui-
sines et qu'il fit distribuer tant de provisions qu'elles suffirent
pour nourrir tous les pèlerins de celte année. Il couvrit aussi
la Ka^ba entièrement , employant à cet effet ses propres vête-
ments, d'un prix inestimable et tels que personne n'en avait
encore vu. Les habitants de Yathrib, les gens des tribus
d'Aus et de Khazradj , vinrent auprès de lui pour se plaindre
des Juifs de Khaïbar, de Fadaq et de Khoraïdhah, disant :
Ces Juifs se sont réfugiés parmi nous, en venant de la Syrie,
et ont trouvé un asile parmi nous; maintenant ils nous oppri-
ment. Le Tobba* fit marcher son armée vers Yathrib. Arrivé
près de la ville, il fit halte dans un endroit qu'on appelle
encore aujourd'hui, à cause de cela. Station du Roi. De là il
envoya l'armée dans la ville, et un grand nombre de Juifs
32 CHRONIQUE DE TABARI.
furent tués. Puis il retourna à la Mecque et ensuite dans le
Yemen.
C'est ce même Tobba^ qui expédia une armée en Chine,
où elle porta le massacre et le pillage. Puis, il envoya son fils
avec une puissante armée dans Tlndoustan, où ils tuèrent
beaucoup d'habitants et d'où ils passèrent ensuite en Chine.
D'un autre côté, il envoya un général nommé Schamr et
surnommé Dsou'l-Djenâ^h (parce que, quand il partit pour la
guerre, il marchait comme s'il avait des ailes), avec l'ordre
de pénétrer dans le Turkestan, et de là en Chine pour prêter
secours à son fils^Hasan. Le général arriva à Samarcand, qui
faisait partie alors des possessions de la Chine, et qui était
une ville bien fortifiée. Il se rendit maître de la ville, la dé-
truisit et tua un grand nombre d'habitants. Ensuite il la re-
construisit et la nomma, d'après lui, Samarcand, car aupara-
vant elle avait porté un autre nom. Samarcand veut dire tria
ville de Schamar;?) car en langue pehlvie qand signifie rrune
graqde ville;?) les Arabes, en traduisant ce nom dans leur
langue, en ont fait Sarmarqand. Schamar entra ensuite en
Chine, y porta la guerre et retourna viclorieux.
CHAPITRE VI.
HISTOIRE DES GENS DE LA CAVERNE.
Les gens de la caverne étaient delà Syrie, d'une ville dont le
roi était idolâtre, ainsi que tous les habitants. Ceux-là avaient
été mis dans la bonne voie par Dieu. Le roi s'appelait De-
cianus et était l'un des rois grecs à qui appartenait alors la
Syrie, après Alexandre, avant que ce pays échrtt aux Romains.
Ils étaient les seuls croyants dans toute la ville, el ils con-
PARTIE II, CHAPITRE VI. 33
naissaient Dieu; ils étaient au nombre de six. Le roi, informé
de leur croyance, les fit appeler et leur dit : Qui adorez-vous
et quel est votre dieu? Ils confessèrent leur religion devant le
roi , se tenant devant le roi, et Dieu forlifia leurs cœurs, afin
qu'ils n'eussent pas de crainte; ils dirent: Notre dieu est le Dieu
du ciel et de la terre, et nous n'en reconnaissons pas d'autre
que lui; si nous disions autre chose, nous dirions un men-
songe. Dieu a dit dans le Coran (sur. xviii, vers. i3) : rNous
fortifiâmes leurs cœurs lorsque, en se tenant [devant le roi],
ils dirent : Notre dieu est le Dieu du ciel et de la terre, w etc.
A cette époque, il n'y avait pas de prophète sur la terre; c'est
par leur propre intelligence qu'ils étaient parvenus à la con-
naissance de Dieu. C'était avant l'apparition de Jésus, de Jean
et de Zacharie ; il n'y avait alors aucun prophète en Syrie. Ces
hommes étaient tous de grande naissance; le roi ne pouvait
pas les mettre à mort légèrement. Le roi avait un cadhi dont
le fils professait également la vraie foi et qui n'osait pas le
faire publiquement, à cause du roi. Le roi dit ii ce cadhi :
Que te semble, comment faut-il agir avec eux? Le cadhi ré-
pondit : Ils sont tous de bonne famille, il ne faut, pas les
luer légèrement. Donne-leur le temps de cette nuit, afin qu'ils
réfléchissent et reviennent peut-être à la raison. Le roi leur
accorda ce temps, et ils se retirèrent. Dans le Coran, ils sont
appelés du nom honorifique de fr jeunes gens.^ (Surate xviii,
vers. 9 et 19.) C'étaient des jeunes gens qui croyaient en
Dieu, sans que personne les eût appelés à Dieu. Dieu ajoute
encore dans le Coran (sur. xviii, vers. 12) : «Nous les avons
dirigés dans la droite voie, afin qu'ils nous reconnaissent. 17
Les docteurs et les commentateurs disent que l'expression
de tr jeunes gensw n'est employée que deux fois dans le
Coran relativement à des croyants : une fois , elle esl appli-
11. 3
34 CHRONIQUE DE TABAIU.
quée ù Abraham, dont il est dit : rrNous avons enlendu un
jeune homme nomme Abraham,^ etc. (sm\ xxi, vers. 6i);
et fautre fois aux compagnons de la caverne. Quant aux in-
fidèles, on lit dans Thisloire de Joseph : rDeux jeunes gens
entrèrent dans la prison.^ (Sur. xii,vers. 36.) D'autre part on
lit : ttll dit àses jeunes gens : Mettez leur argent parmi leurs
bagages, T) etc. (Sur. xu, vers. 69.)
Quand la nuit fut venue, craignant que le roi ne les fi't
tuer, ils quittèrent tous les six la ville, dans la même nuit.
Leurs noms étaient les suivants : xMaximilianos , le premier
d'entre eux et celui qui avait pris la parole devant le roi;
Malchos, Yamblichos, Martinianos, Dionysios et Johanues.
Ils se rendirent vers une montagne qui se trouvait près de
la ville et qui s'appelait Ya'hlos. Là ils rencontrèrent un pâtre
nommé Antoninos. Ils lui dirent : Y a-t-il dans cette montagne
un endroit où nous puissions nous cacher pour quelques jours?
Le pâtre leur dit: Qui êtes-vous?Ils répondirent: Nous profes-
sons une autre religion que le roi et les habitants de cette ville;
nous adorons un dieu diiïérent de leurs idoles, et nous nous
sommes enfuis d'auprès du roi, craignant pour notre vie; nous
cherchons un endroit pour nous cacher. Le pâtre dit : Quel
est votre dieu et quelle est votre religion? Ils lui exposèrent
leur croyance et il l'accepta également, puis il leur dit : J'irai
avec vous. Ils consentirent. Ensuite le pâtre dit : Il y a. dans
cette montagne une grande crevasse et une énorme caverne ,
ayant une entrée très-étroite; nous autres pâtres, quand dans
la nuit il fait froid , ou qu'il fait du vent, et qu'il tombe de la
pluie, et que nous craignons pour les moutons, nous les faisons
entrer dans cette caverne. Ensuite le pâtre confia ses moutons a
ses camarades et alla avec eux. Il avait un chien , qui les accom-
pagna. Les autres, en le voyant, dirent au pâtre : Renvoie ce
PARTIE II,. CHAPITRE M. 35
chieu; c^r, quand il aura faim, il fera dubruilel déuoucera
aux hommes notre présence. Mais, quelque peine que le pâtre
se donnât pour chasser le chien, en le frappant, le chien ne
s'en allait pas. Quand ils Feurent longtemps frappé, Dieu lui
donna la parole, et il leur dit distinctement : Pourquoi me
frappez-vous ? Moi aussi , je crois au même dieu auquel vous
croyez. Ce fut là pour eux un signé et un miracle de la part
de Dieu. Ensuite ils se mirent en route et entrèrent dans la
caverne. Ils trouvèrent un lieu grand et vaste, comme il est dit
dans le Coran : «r Et ils se trouvèrent dans un endroit vaste de
la caverne. 7> (Sur. xviii, vers. 16.) Ensuite ils se couchèrent
et le chien également, en étendant ses pattes et la bouche
posée sur les pattes, comme c'est l'habitude des chiens. Le
•(]oran le décrit en ces termes : cf Leur chien était couché, les
pattes de devant étendues, à l'entrée. « (Sur. xviii, vers. 17.)
Dieu leur envoya le sommeil , et pendant le sommeil , il en-
leva leurs âmes, ainsi que celle du chien.
Le lendemain, le roi les fit chercher, mais on ne les
trouva point; on lui dit qu'ils avaient quitté la ville. Le roi
envoya à leur poursuite; on les rechercha pendant un mois,
sans les trouver; alors on cessa les recherches. Ils restèrent
dans cette caverne trois cent neuf ans. Dieu envoyait chaque
semaine un ange, afin qu'il les retournât d'un côté sur l'autre,
pour empêcher que leur chair ne pourrit par le contact de la
terre, et pour que les corps ne fussent pas décomposés. Il est
dit dans le Coran: trNous les retournions à droite et à gau-
che. ?) (Ibid.) Quand le soleil se levait, il était à leur droite, et
il se couchait à gauche de la caverne, comme il est dit dans
le Coran : ^Tu aurais vu le soleil, quand il se levait, passer à
droite de leur caverne, et quand iPse couchait, décliner à leur
gauche. -n (Sur. xviii, vers. 1 6.) Les docteurs et commentateurs
3.
36 CHHONIQUE DE ÏABARI.
expliquent ce verset de la manière suivante : dette montagne
était située vers le sud, qui est à gauche de l'occident; cl
rentrée de la caverne élait tournée du côté du nord. Dans
cette situation, le soleil, qui se lève à Torient, se trouve être
à la droite de la caverne, et à sa gauche quand il se couche.
Le vent du nord y souille et empêche Todeur cadavérique de
se développer.
Ils restèrent donc dans cette caverne trois cent neuf ans.
Pendant ce temps, le roi Decranus était mort et d'autres rois
grecs lui avaient succédé dans le gouvernement de la Syrie;
puis le gouvernement avait passé entre les mains des Romains.
Sous le premier tics rois romains qui gouvernaient en Syrie,
apparut Jésus , qui avertit les enfants dlsraël de Tévénement des
gens de la caverne. Il leur annonça qu ils ressusciteraient, que
les hommes les verraient et qu'ils mourraient de nouveau,
afin que les hommes qui niaient la résurrection des morts,
en voyant cela, fussent convaincus que Dieu tient ses engage-
ments et que la résurrection est une vérité. Dieu a fait mention
de leur histoire dansTEvangile, de môme que dans le Coran,
où il est dit : n C'est pour cette raison que nous les avons infor-
més de leur histoire {trad. pers. C'est pour cela que nous les
avons ressuscites), afin quils reconnaissent que les engage-
ments de Dieu sont vrais et gu'il n'y ait pas de doute sur la ré-
surrection. ^^ (Sur. xviii, vers, ao.) Après trois cent neuf ans,
tous les habitants de la Syrie et du pays de Roum croyaient en
Jésus et lisaient rÉvangile; et ils connaissaient cette aventure.
Mais il n'était pas dit dans l'Évangile dans quelle contrée de
la Syrie était située la caverne, comme cela est indiqué dans
notre Coran : ils attendaient donc de quel pays ils sortiraient.
Quand les trois cent neuf ans furent écoulés et que Dieu
voulut les ressusciter, l'un deux, nommé Maximilianos, qui
PAHTIE II, CHAPITRE VI. 37
élail le premier irenlre eux, revint à la vie, vers le teiu|)8
(lu AVimdz, avant que le soleil déclinai. Il appela les autres,
et tous revinrent à la vie, de même que le chien; et ils se
levèrent, comme on se lève du sommeil. r^L'un dit à Tautre :
Combien de temps èles-vous restés ici? Un autre dit : Un jour,
ou une partie du jour. 7) (Sur. xviii, vers. 18.) Ils s'imaginaient
être entrés dans la caverne la veille au crépuscule et s'âtre
réveillés le lendemain au milieu de la journée. Puis ils dirent:
fr Votre Seigneur sait mieux que personne combien de temps
vous êtes restés, w (Ibid.)
Ils avaient de l'argent du temps de Decianus, et qui était
plus grand que celui qui était en usage dans cette ville ce jour-
là. Ils dirent : «r Envoyez Tun d'entre vous avec votre argent
que voilà à la ville, qu'il cherche celui qui aura les meilleures
provisions et qu'il vous en apporte pour votre nourriture. . .
Mais qu'il ne fasse pas connaitre ce qui vous concerne, n (Ibid.)
Ils envoyèrent donc Yamblichos. Lorsque celui-ci fut entré
dans la ville, il en reconnut les maisons et les bazars, mais
il ne connut pas les hommes. Il vit les hommes en prière,
adorant Dieu ; il en fut étonné et dit : Depuis un jour que nous
sommes partis, le peuple est devenu si croyant I Ensuite il
entra chez un boulanger pour acheter du pain. Quand il prit
l'argent et le remit au boulanger, il se trouva que ce n'était
pas la monnaie courante. Le boulanger dit : D'où as-tu cette
monnaie? L'autre répondit: C'est la monnaie de cette ville et la
marque de ce roi. Le boulanger dit : Dans cette ville, il n'y a
pas de monnaie semblable, et ce roi n'a pas frappé une j>a—
reille monnaie ; il est probable que vous avez trouvé un trésor
de monnaies anciennes. Yamblichos dit : J'ai emporté hier
cette monnaie avec la marque de Dccianus, de cette ville. Le
boulanger ne connaissait pas Decianus; il dit : Je ne connais
58 CHRONIQUE DE TABAKI.
[tas ce roi donl lu parles; celui-là est mort, à {irésent uotre
roi est un tel, Yaniblichos dit : Quelle religion a-t-il et qui
adore-t-il? L'autre répondit : Il suit la religion de Jésus et il
adore Dieu. Pendant quils parlaient ainsi, les seniteurs du
roi passèrent par là et les entendirent, ils emmenèrent Yani-
blicbos devant le roi, qui écouta son aventure et regarda la
monnaie. Alors il reconnut qu il était un des compagnons de
la caverne dont il avait lu Tliistoire dans TEvangile. Le roi
rassembla le^ babitants de la ville, les docteurs et les lecteurs
de FÉvangile, afin qu'ils apprissent cet événement. Y'ambli-
chos raconta : Moi et mes amis, nous avons quitté cette ville
du temps du roi Decianus. Nous nous sommes enfuis , craignant
pour notre foi , et nous nous sommes rendus dans une telle
montagne, nous sommes entrés dans une caverne, où nous
avons dormi. Aujourd'hui nous nous sommes réveillés, et
maintenant je suis venu, afin d'acheter avec cet argent de la
nourriture pour mes compagnons. Nous voulons prendre les
provisions et partir cette nuit. Les lecteurs de TÉvangile re-
connurent que c'était là Taventure des gens de la caverne
dont il était question dans FEvangile. Le roi dit à Yamblichos :
0 jeune homme, reçois la bonne nouvelle que Decianus est
mort, et que depuis sa mort il s'est écoulé trois cent neuf ans;
Dieu a envoyé un prophète nommé Jésus, avec son livre venu
du ciel; votre aventure est révélée dans ce livre. Nous adorons
Dieu et suivons la religion de Jésus; nous nous attendions
que vous sortiriez de la caverne. Vous avez dormi dans la
caverne pendant trois cent neuf ans. Maintenant oii sont tes
compagnons? Yamblichos dit : Us sont dans la caverne. Le
roi se leva et sortit de la ville avec toute sa suite et le peuple,
accompagnant Yamblichos jusqu'à la caverne. Arrivé pi-ès
de là, Yanihlichos dit : Mes amis nont pas connaissance de
^
PARTIE II, CUAPITUE VL 39
Télal (lu luoiide; ils croiront que Deoiauus e^t eucoi*e vivant;
quand ils verront toute celte foule, ils penseront que De-
cianus vient pour les taire périr. Restez ici pour que j'aille
en avant, que je les avertisse, afin qu'ils se réjouissent et
qu'ils sortent. I^ roi le laissa partir. Yamblichos entra dans
ta caverne, en vue du roi et du peuple. Quand ses compagnons
l'aperçurent, ils lui dirent : Quelle nouvelle apportes-tu?
Yamblichos leur raconta les événements survenus dans le
monde, relativement à la religion de Jésus , à IKvangileetau
roi. Après avoir parlé, il tomba et mourut , et les autres mou-
rurent égalemenL Le roi et le |)euple restèrent a la porte de
la caverne toute la nuit , jusqu au lendemain au milieu du jour.
Yamblichos ne reparut plus. Le roi ordonna qu'on entrât dans la
caverne, mais persoiwe n'osait y entrer, redoutant la caverne.
Ils ne savaient que faire et dirent : tr Construisez au-dessus [de
la caverne] un édifice, afin que les hommes sachent que ce
sont les gens de la caverne. Leur Seigneur sait mieux que
personne ce qui les concerne, « etc. (Sur. xviii, vers, ao.)
Tous les hommes dirent : Nous construirons une chapelle a
la porte de la caverne, afin que les hommes y prient et que
leur prière soit exaucée. Ils y construisirent donc une chapelle,
et inscrivirent sur la pierre du mur de la caverne Thisloire
des gens de la caverne, telle que nous venons de la raconter
littéralement d'après les commentateurs.
Mo^hammed, fils de Djarir, dit encore dans son ouvrage:
Quelques-uns des docteurs rapporleut que ces gens sont entrés
dans la caverne avant Jésus et eu sont sortis après Jésus; mais
leur entrée et leur sortie a eu lieu du temps des rois des
Provinces, après l'époque d'Alexandre et avant celle d'Ai-de-
schir, fils de de Bàbek, ainsi que nous l'avons dit. D'autres
disent que c'est là une erreur, qu'ils sont entrés dans la ca-
40 CHRONIQUE DE TABAHI.
veri»e après lapparilion de Jésus, qu'ils avaient cru en lui
et que le roi et les liabitants de leur ville étaient restés
idolâtres; quun des disciples auxquels Jésus avait ordonné
de convertir le inonde et d'appeler les hommes à sa religion,
était venu dans cette ville, qu'il avait appelé les habitants à
Dieu , que ceux-ci n'avaient pas accepté sa prédication et que
les compagnons de la caverne l'avaient acceptée. Ils s'étaient
ensuite enfuis d'auprès du roi et étaient entrés dans la caverne.
Après trois cent neuf ans ils en étaient sortis, avant l'époque
d'Ârdeschîr, fils de Bàbek, du temps des rois des Provinces.
Quand ils sortirent, les habitants de la ville et leur roi étaient
devenus croyants et avaient adopté la religion de Jésus, comme
nous l'avons raconté.
On rapporte le fait de leur entrée dans la caverne de dif-
férentes manières, et les avis sont très-partages à cet égard.
Voici un autre récit : Leur roi était idolâtre. Il avait fait placer
à la porte de la ville une idole; quiconque entrait dans la
ville l'adorait. Or un des apôtres de Jésus arriva à cette ville.
Quand il voulut y entrer, on lui dit d'adorer cette idole. 11 re-
fusa et n'entra pas dans la ville. Il y avait près de la porte un
établissement de bains dans lequel il se rendit; il y offrit ses
services au baigneur et s'engagea à lui pour des gages. Il faisait
son service dans la journée, et, le soir, il recevait son salaire
au moyen duquel il achetait de la nourriture et mangeait. Il
passait la nuit en prières et jeânait le jour. Dieu bénissait
rindustrie du baigneur; celui-ci le reconnut et dit : Cette bé-
nédiction me vient à cause de ce serviteur. En conséquence,
il traitait l'apôtre avec égards et le rapprochait de sa personne.
Apr«*s un certain temps, l'apôtre, étant devenu plus familier
avec le baigneur, lui exposa la religion de Jésus, cl le bai-
gneur raccepta. Il y avait quelques jeunes gens de la ville qui
PARTIE H, CHAPITRE VI. h\
venaient de temps eu temps chez le baigneur et qui étaient lies
d'amitié avec lui. L'apôtre leur exposa la fol de Jésus, et ils
Facccplèrent. Ce sont là les compagnons de la caverne. Ils
restèrent tous ensemble chez le baigneur.
Un jour, le fils du roi se rendit dans cette maison de bains
avec une femme de mauvaise vie. L'apôtre serviteur lui dit :
N'as-tu pas honte d'aller au bain avec cette femme prostituée?
Le fils du roi le frappa, l'injuria et entra dans le bain. Lui et
la femme suIToqucrent et moururent. On annonça au roi que
son fils avait été tué dans le bain. Le roi se transporta dans
l'établissement de bains, fit appeler le baigneur et le serviteur,
et dit : Quels sont les habitants de la ville qui fréquentaient
le baigneur? On lui nomma les jeunes gens mentionnés. Le roi
les fit rechercher. Ceux-ci, avertis , sortirent de la ville et s'en-
fuirent. A un certain endroit ils rencontrèrent un paysan qui
avait un chien , et qui professait également leur religion. Ils lui
dirent : Le roi nous recherche. Cet homme eut peur; il alla avec
eux , accompagné de son chien ; et ils allèrent tous ensemble , le
baigneur, le paysan, l'apôtre et les jeunes gens de la ville.
Ce sont ceux-là qui furent les compagnons de la caverne.
Ils entrèrent dans une caverne. Lorsque le roi- arriva à la
porte de la caverne, aucun de ceux à qui il ordonna d'y
entrer n'osa le faire. Alors le roi dit : Si je pouvais m'emparer
d'eux , je les mettrais à mort. Maintenant enfermez-les dans
la caverne. Puis il ordonna d'élever à l'entrée, un mur d'ar-
gile et de pierre, afin qu'ils mourussent de faim et de soif.
Ils fermèrent ainsi l'entrée de la caverne et s'en retournè-
rent. Les compagnons de la caverne y dormirent trois cent
neuf ans. Lorsque Dieu voulut qu'ils reparussent, un pâtre
vint à y passer; il avait froid et se tourna vers la monlagne.
Là il vil une pelile ouverture et pensa que rVlait une caverne.
à'I CHRONIOUK'DE TABAIU.
Il dégagea coniplétement Touverlure, y enlra avec ses mou-
tons el y passa la nuit; le lendemain il s'en alla. Dieu ré-
veilla les compagnons de la caverne et leur rendit la vie.
Alors ils envoyèrent Tuu d'eux avec la monnaie qu'ils avaient.
L'auteur dit que (à cette époque) chaque dirhem avait la
valeur de dix dirhems (d'aujourd'hui), et en avait sept fois le
poids, et était grand comme la plante du pied d'un petit
de chameau. Cet houune remit cette monnaie au boulanger.
Celui-ci la porta au roi el lui amena l'homme, qui raconta
toute cette aventure.
Mo^hammed , (ils de Djarir, ajoute que le récit qu'il adonné
plus haut est plus exact que celui que nous venons de rap>
porter, et dont un ou deux faits sont en opposition avec ce
qu'on lit dans le Coran. Premièrement ce dernier récit dit
qu'ils avaient caché leur religion, tandis qu'il est dit dans le
Coran : «Nous fortifiâmes leurs cœurs. . . et ils dirent : Notre
Seigneur est le Seigneur du ciel,7) etc. (Sur. xvni, vers. i3.)
L'autre contradiction est celle-ci : D'après le récit, le roi au-
rait fermé l'entrée de la caverne, et elle serait restée fermée
pendant trois cent neuf ans. Mais le Coran dit : rrTu aurais
vu le soleil , à son lever, passer à droite de l'entrée de la ca-
verne, t? etc. {Ibid. vers. 16.) Le commencement du récit est
tel que nous l'avons rapporté. Si l'entrée de la caverne avait
été fermée, ce récit n'aurait pas de sens.
Quant au nombre des gens de la caverne, il n'y a pas d'opi-
nions différentes parmi les commentateurs et les tradition-
nistes : ils sont tous d'accord qu'ils étaient au nombre de sept
et que le chien était le huitième, comme il est dit dans le
Coran. (Sur. xvni, vers. 21.) Mais on a discuté sur. ce verset
du Coran: (tll y en aura qui diront qu'ils étaient trois, et le
chien le quatrième; d'autres diront qu'ils étaient cinq, et le
PAUTIE II, CIIAPITRK Ni. 43
cliien le sixième, cherchant à deviocr le mystère ;d'aulres diront
qu'ils étaient sept, et le chien le huitième, -n (Sur. xviii, vers, a i .)
Ce verset s'applique aux gens de rÉvangile et aux hérétiques,
qui avaient transmis cette histoire aux Juifs et aux infidèles de
la Mecque. Quelques-uns d'entre eux prétendaient qu'ils étaient
trois, et le chien le quatrième; d'autres, cinq, et le chien le
sixième; d'autres encore, qu'ils étaient sept, et le chien le hui-
tième. Le Coran mentionne ce dissentiment et ajoute : rtDis:
Dieu sait mieux que personne combien ils étaient; bien peu
de gens le savent.?) (Ibid.) Maintenant, tous les docteurs et
les commentateurs sont d'accord qu'ils étaient au nombre de
sept, et que le chien était le huitième. Et pour cela, il y a deux
raisons : d'abord une tradition , ensuite un argument donné par
le Prophète. La tradition est celle-ci : Ukrima et ses disciples
rapportent d'Ibn-^Abbàsque^elui-ci avait dit: tfMoi, je suis de
ce petit nombre dont Dieu a parlé dans ce verset relative-
ment au nombre des gens de la caverne. J'ai interrogé le Pro-
phète sur leur nombre, il m'a répondu qu'ils étaient sept. t)
Leurs noms sont déterminés dans les traditions, tels que nous
les avons rapportés. Quant à la preuve directe du nombre sept
qui est dans le Coran, elle est celle-ci : il y est dit : rEt leur
chien était le huitième, t? Il mentionne d'abord les dissensions
des possesseurs des livres sacrés et leurs trois opinions. Arrivé
à celle du nombre sept, il termine son énumération et il passe
au second membre de la phrase, en disant : ^Et leur chien
était le huitième, t) Cette manière de parler est d'usage dans
la construction du deuxième membre de la phrase, et cette
antithèse répond, non à la partie de la première phrase re-
lative aux diiïérentes opinions, mais les mots fret le chien
était le huitième?) veulent dire (|ue leur nombre était de
sept.
H CHRONIQUE DE TAUAUl.
Mo^hainnied, fils de Djarir, dit encore dans son livre qu'ils
étaient neuf personnes, et il donne leurs noms : celui du hui-
tième, Natos, et le neuvième, Kalos. S'il en était ainsi, il
faudrait que le Coran dit : tret leur chien était le dixième. 7»
Mo^hammed, fils dlsMiâq, Tauteur du Moghazi, dit qu'hits
étaient huit, et leur chien le neuvième.
CHAPITRE VIL
HISTOIRE DE JOIfAS, FILS DE MATAI.
Au nombre des choses merveilleuses qui se passèrent parmi
les enfants d'Israël, du temps des rois des Provinces, est This-
toire de Jonas, fils de Mataï. Jonas était des enfants d'Israël,
il était prophète, envoyé par Dieu, comme il est dit dans
le Coran : rr Et Jonas fut un de nos envoyés.^ (Sur. xxxvn,
vers. iSg.) Dieu Tavait envoyé vers une ville du territoire de
Mossoul, renfermant sept villes, adonnées toutes à ridolâtrie.
Celte ville négligea le message de Dieu, aucun de ses
habitants ne l'accepta et personne ne voulut croire. Il se
passa ainsi un long espace de temps. Jonas pria Dieu et Dieu
lui donna la promesse que, s'ils ne croyaient pas, il enver-
rait sur eux un châtiment; mais Dieu ne dit pas (d'une ma-
nière absolue) qu'il les châtierait. Alors Jonas leur annonça;
Tel jour, un châtiment du ciel fondra sur vous, si vous ne
croyez pas. Lorsque ce jour fut arrivé, Jonas sortit du milieu
d'eux pendant la nuit, et, quand le jour se montra. Dieu
envoya un nuage rouge rempli de feu; des flammes de feu
en sortirent, et ce nuage se tint au-dessus de leur ville. Le
roi et les habitants de la ville se réunirent et reconnurent
que \v rhâlimciil riail prorhe. Le roi dit: Cherchez Jonas,
PARTIE II, CHAPITRE VII. 45
afin que nous croyions eu Dieu; car ce qu il nous a annoncé
esl la vérité. Quand Jouas sut qu'ils le cherchaient,* il dit
avec colère: Pourquoi n'ont-ils pas cru avant ce jour? Il s'en-
fuit d'auprès d'eux et ne se montra pas, comme il est dit dans
le Coran: rr Lorsqu'il s'enfuit sur un vaisseau chargé ^^
(sur. xxxvii,vers. iZio),eldans un autre passage : «r Lors-
qu'il partit en colère. tj (Sur. xxi, vers. 87.) Il s'en alla vers le
bord de la mer, aGn que ceux-là ne le trouvassent point et
que le châtiment eût son cours. Le lendemain, le roi sortit
et dit : Jouas nous appelle à Dieu; si Jonas est parti, le Dieu
de Jonas est resté. Il fit sortir de la ville toute la population,
grands et petits, hommes et femmes; leur uombre était de
plus de cent mille, comme il est dit dans le Coran : trNous
l'envoyâmes vers un peuple de cent mille âmes ou plus.^) La
particule trou if [aou) est employée ici dans le sens de tr plu-
tôt r [bal). Ils firent sortir également tous les animaux qua-
drupèdes qu'ils avaient et les oiseaux. Le roi se couvrit de pous-
sière , mit sa face contre la terre , et tout le peuple se couvrit de
poussière. Le roi dit : 0 Seigneur, quoique Jonas , ton pro-
phète, soit parti, nous ne perdons pas la confiance en loi.
Nous croyons en toi, Dieu, et à ton prophète. Puis le roi or-
donna d'apporter toutes les idoles, et il les fit toutes détruire.
Ensuite il ordonna de séparer les enfants de leurs mères,
ceux des hommes comme ceux des animaux. Alors les mères
poussèrent des cris, en redemandant leurs enfants, et les
enfants crièrent et pleurèrent, en demandant leurs mères ; et
ces cris et ces pleurs des êtres humains et des bétes, et les
supplications des hommes et les prières et les sanglots de tout
ce peuple montèrent au ciel , et le ciel et la terre en furent
affligés, et les anges pleurèrent et pardonnèrent à la ville. Le
peuple continua ces supplications pendant trois jours et trois
A6 CHRONIQUE DE TABARl.
nuils. Le qualrièiwe jour, Dieu eut pi lié d'eux et éloigna d'eux
le châtiment. Jamais Dieu n'avait encore pardonné à un
peuple, si ce n'est celui-là. Un peuple qui n'avait pas cru
au temps voulu ne pouvait plus se sauver en croyant alors
que le châtiment élait arrivé, excepté le peuple de Jonas,
comme il est dit dans le Coran: rrS'il n'en était pas ainsi,
une ville qui aurait cru aurait été sauvée par sa loi. Il n'y
a que le peuple de Jonas que, quand il crut, nous déli-
vramesdu châtiment,^ elc. (Sur. x,vers. 98.) Ils adoptèrent
donc la foi et crurent en Dieu. Mais Jonas n'était pas là pour
leur enseigner la religion et le culte, et ils attendaient que
Dieu leur envoyât Jonas ou un autre prophète.
Jonas était allé pendant la nuit et s'était dirigé vers le bord
de la mer, irrité contre son peuple, et voulant éviter qu'il
le trouvât, afin qu'il ne pût le prier d'intercéder pour lui
auprès de Dieu. Il ne savait pas qu'il commettait un péché
que Dieu punirait ; c'était un péché commis sans intention ;
il ne pensait pas que Dieu le punirait. Quand il fut arrivé
au bord de la mer, un vaisseau vint à y passer. Jonas, crai-
gnant que les gens de la ville ne le cherchassent et ne le
ramenassent, monta sur le vaisseau. Le vaisseau se mit en
route. Lorsqu'il fut arrivé au milieu de la mer. Dieu fit sortir
du fond de la mer le poisson dans le ventre duquel il voulut
faire entrer Jonas, et le poisson arrêta le vaisseau. Les hommes
du vaisseau se mirent en prière et pleurèrent et se préparèrent
à la mort. Alors Jonas reconnut qu'il avait commis un péché;
il pensa que probablement le peuple l'avait cherché et ne
l'avait pas trouvé, et que Dieu n'approuvait pas qu'il les eût
quittés. Il y avait sur le vaisseau un grand nombre d'hommes,
comme il est dit dans le Coran: trEt il se sauva sur un vais-
seau chargé, 7) c'est-à-dire rempli de monde et de marchan-
PARTIE If, CHAPITRE VII. àl
dises. Jouas leur dit: C'est moi que ce poisson veut, jetez-
moi à lui. ils dirent: Qui es-tu? II répondit: Je suis prophète
de Dieu, envoyé vers les habitants de Ninive; mon nom est
Jonas, fils de Mataï. Je suis le pécheur parmi vous; jetez-moi
dans la mer, et partez en paix. Ils dirent : Nous ne jetterons
pas dans la mer un prophète de Dieu. Le vaisseau fut ébranlé
parle poisson. Jonas dit: Pourquoi ne voulez-vous pas me
jeter? Us répondirent: Nous allons tirer au sort; nous jette-
rons dans la mer celui sur qui le sort tombera. Us tirèrent
trois fois au sort, et trois fois le sort tomba sur Jonas, comme
il est dit dans le Coran : trEt ils jetèrent le sort entre eux et il
fut condamné.^ (Sur. xxxvii, vers, i/ii.) Us tirèrent au sort
do la manière suivante : ils prirent des morceaux d'argile et
inscrivirent sur chaque morceau le nom de Tun des hommes
qui se trouvaient sur le vaisseau, et dirent: 0 Seigneur, fais
surnager le nom de celui que lu veux , et fais tomber les
autres. Le nom de Jonas surnageait. A la troisième fois, ils
dirent : 0 Seigneur, fais que le nom de celui que tu veux
s'enfonce et que les autres surnagent. Le nom de Jonas s'en-
fonça et tes autres surnagèrent. Alors ils dirent à Jonas: Tu
le sais mieux que nous. Jonas se plaça au bord du vaisseau
et se jela lui-même dans la mer. Dieu dit au poisson : Sors
et avale-le. Le poisson ouvrit sa bouche et l'avala , comme il
est dit dans le Coran: rrLc poisson l'avala, car il était blâ-
mable. r> (Sur. xxxvii , vers, i &9.) Dieu recommanda au poisson
de ne pas le considérer comme sa nourriture et de bien le con-
server. Jonas se mit aussitôt à prier; le poisson était si grand
que Jonas pouvait se tenir debout pendant la prière, mais il ne
pouvait rien voir. Jonas aimait la prière , et il est dit dans le Co-
ran : tr Si Jonas n'avait pasété de ceux qui prient (Dieu aime ceux
qui prient) , il serait resté dans le ventre du poisson jusqu'au
175 '.;illi»M«M h: )E "VBVftL
jonr it#» la i->»sii motion.- Snr. ".3Livii. ^rs. tj-i^iuu, loiiasr
i-psU «tans !•* >*ntrp iu pi>iss«u piarante ^oiir? H pLunnU*
niiiU: «'f. [)*^ndant loiit n^ vmp». e jiiiuisea iubSL u inauger
ni l)«irf». «i^ [v^ir ii* taire iu :iiai k ionasi^ ie Le :'airp^ fkîrir.
L*»s poissons pu -ont ie fesp^fco le :e!ai-r''i >iii .oiw^. par la
volonté «ie Dieu , !e «los très-^eve. -omine la zoi&areirine auii-
>;on. Vnjourri'Iiui «-e ptiiàson ^^s^ bien n>iinu pamu ie^ ,f^i^
de la mer naWjpteurs H [ïèciktursi \h ne ouuigfMit pai» àa
rhair et ne lui font pas la «^hasse : >H. {oami on «le «rt^ pois-
sons tombe (ians le dlet. ii^ ae le pnmueat pat^.
Après ipiaranle jours. Dieu vouiiu.ielivn^r louas. D lui uns^
pira la pensée if luvoipier Dieu, «.^umme Jt"^ iii >tamr le Coran :
-Alors il sei'ria <laus les tenèi)rPî>: Il iy j pas^ de Dieu **a tie-
liors de toi Et aous tV\au4^àuie>ei le^ieiivnàuieîà^ tie Toiffic-
tion. -? { Sur \u,vers. ^^-éi^. • Eu^suiie. Dieu .^uvova on auge^
adn rpi "il lit sortir le poisson du louii «ie la mer ei «pi II fanieiiài
an rivage , à reodnùt où ionas» était monte dan^ te vaisîëeau. Il v
a, du bord de la mer iuât{u'à la ville de Glaive, trois joar-
née^ de route. Le poi^^ia «îleva sa tètk» bor» de feaa et rejeta
Jcyn^ de sa gueule sur le boni de la uu^r. l^ioas^ était deveoa
eomme an enfant ffui sort du seia de sa mère . auâ» laîUe et
aosdi maigre ; ear il était resté quarante j«>arH saoe» manger ai
boire, comme il est dit dans le Coran : rXott^ ie jetâmes sur
le rifage aride; il était malade. -^ ^Sor. ^\xiru. lers. il3.)
Dieu inspira, une biche pour qu'elle fînt et se tint au-dessus
de la l^t^ de Jonas, qu'elle mit son pis dans sa bouche et quVIle
rallaiUl, ju^|u'à ce qu'il fût rassasié; puis elle s en alla et re-
fini \v. Mj\r. (}\\s^ïiA le soleil devint chaud, il tomba sur le corps
iU* iffUHn ni le brâla. Dieu fit sortir de la terre une citrouille,
il y tnnit (ui bord de la mer le tronc d'un arbre desséché;
lu rilroijflb; Mitl;ir|ia à ce (ronc d'arbieel fit éclore de larges
k
PARTIE II, CHAPITRE Vil. à9
feuilles, pour donner de Tombre à Jonas. La biche vint pen-
dant quaranle jours, matin et soir, et Tallaita jusqu'au mo-
ment où il prit des forces, se leva et pria. Ensuite, la ci-
trouille se dessécha. Jonas fut affligé d'c^lre privé de l'ombre;
alors Dieu Texhorta et dit: 0 Jonas, tu t'affliges tant parce
qu'un arbre que tu n'as pas produit s'est desséché; mais tu
ne t'es pas affligé de tant de milliers de mes serviteurs que tu
as abandonnés. Dieu l'envova ensuite de nouveau vers ce
peuple, comme il est dit dans le Coran : ffNous l'envoyâmes
vers un peuple de cent mille âmes ou plus, ^ etc. (Sur. xxxvn,
vers. 1 47-1 48.)
Lorsque Jonas arriva sur le territoire de la ville, il rencon-
tra un berger et ses moutons, et il lui demanda des rensei-
gnements sur l'état de la ville et des habitants. Le berger dit :
Leur prophète , Jonas , fils de Mataï , irrité contre eux , les avait
abandonnés ; Dieu envoya un châtiment qui resta suspendu
sur leurs têtes pendant trois jours entiers. Alors ils prièrent
et se lamentèrent, jusqu'à ce que Dieu détournât d'eux le
châtiment. Maintenant ils cherchent toujours Jonas, afin
qu'il leur enseigne la religion. Jonas dit: Je suis Jonas, fils
de Mataï; va, et avertis-les. Le berger dit : 0 prophète de
Dieu, où seras-tu pour que j'y vienne? Jonas répondit:
Dans cette montagne. L'autre dit : Qui me montrera le che-
min vers toi ? Jonas répondit : Celte chèvre. Le berger de-
manda encore : Qui attestera auprès du peuple que je t'ai vu ?
Jonas dit : Ton chien. Ensuite Jonas entra dans la montagne;
et le berger partit et avertit le roi. Le roi et tous les habi-
tants sortirent de la ville. Arrivé [près de son troupeau], le
berger dit au chien : Rends témoignage pour moi, comme le
prophète te l'a ordonné. Le chien se mit à parler et dit dis-
tinctement : Jonas, fils de Mataï, le prophète de Dieu, ét^it
lî. ft
52 CHRONIQUE DE TABARI.
avons un mauvais présage sur vous; si vous ne cessez pas, nous
vous lapiderons?!. Ils leur dirent : Vous êtes venus pour notre
malheur, et c est à cause de vous que la pluie nous manque.
Les prophètes répondirent : «Le mauvais sort est avec vous,?»
c'est-à-dire c'est vous-mêmes qui êtes cause de votre malheur;
car vous êtes des pécheurs et vous adorez d'autres dieux que
Dieu. Alors les habitants se réunirent tous pour mettre à mort
les prophètes. Lorsque ^Uabib le charpentier apprit cela, il
accourut et dit, comme il est écrit dans le Coran : trÔ mon
peuple, suivez ces envoyés.?) (Sur. xxxvi, vers. 19.) Ils répon-
dirent : Tu les as suivis I II dit : tr Pourquoi n'adorerais-je pas
celui qui m'a créé et vers lequel vous retournerez?» [Ibid.
vers. 21.) Puis il dit aux prophètes : «r Certes je crois à votre
Seigneur, écoutez-moi. d {Ibid. vers, ai.) Les habitants l'en-
tourèrent et lui dirent : Tu es un étranger et tu tires ton pain
et ton eau de notre ville; mais tu as des accointances avec
nos ennemis. Ils le foulèrent aux pieds et le frappèrent de
sorte que ses entrailles sortirent par sa bouche et qu'il mou-
rut. Dieu l'envoya en paradis, comme il est dit dans le Coran.
{Ibid. vers. 96.) Lorsque ^Habib vit les splendeurs du paradis,
il dit : Ah ! si mon peuple savait ce que Dieu m'a accordé
parce que j'ai suivi ses prophètes, certes ils les suivTaient
également. Le tombeau de ^Habib le charpentier se voit encore
aujourd'hui à Antioche. Ensuite Dieu ordonna à Gabriel de
faire entendre un son, et ils moururent tous, comme il est dit
dans le Coran : tril y eut un seul cri, et ils furent tous anéan-
tis.-n {Ibid. vers. 98.)
PARTIE 11, CHAPITRE IX. 53
CHAPITRE IX.
HISTOIRE DE SAMSON.
Parmi les histoires qui se sont passées du temps des rois
des Provinces est aussi celle de Samson. Samson n était pas
prophète, mais il était croyant; il demeurait dans une des
villes de Roum et adorait Dieu. Sa mère avait fait un vœu et
Tavait consacré à Dieu. Dieu lui avait donné tant de force»
que personne ne pouvait se rendre maître de lui ; et quand
on le liait soit avec des cordes, soit avec des chaînes de fer,
il les brisait : rien ne pouvait le tenir. Les habitants de cette
ville étaient idolâtres. Samson avait une maison en dehors
de la ville, à la distance d'une parasange. Il vint dans la
ville et appela les habitants à Dieu; mais ils ne crurent pas.
Il leur fit la guerre à lui seul , et Tarme avec laquelle il com-
battait était Tos du menton d'un chameau. Dieu fit sortir pour
lui de Touverture de Tos une source dont il buvait à son gré.
Dans tous les combats qu'il leur livra, il en tua un grand
nombre, fit beaucoup de prisonniers et enleva des dépouilles
considérables. Quelque ruse qu'ils employassent contre lui,
ils ne pouvaient l'atteindre. Alors ils dirent : Il faut l'at-
teindre par le moyen d'une femme. Ils offrirent de grandes
richesses à sa femme , qui était des leurs, afin qu'elle le liât et
qu'elle les avertît ensuite; et ils lui donnèrent une très-forte
et grosse corde. Lorsque Samson dormit , elle lia ses mains à
son cou. Quand il se réveilla, il déchira la corde. 11 dit à sa
femme : Pourquoi as-tu fait cela? Elle répondit: Je t'ai éprouvé,
pour voir si c'est par ta force que tu résistes à ces hommes
ou si c'est par leur faiblesse. Une autre nuit, les hommes lui
54 CHRONIQUE DE TABARI.
apportèrent un collier d'airain , afin qu elle attachât les mains
de Samson à son cou. Lorsque Samson dormit, sa femme lui
attacha les mains au cou. Samson secoua les mains et brisa la
chaîne. Il dit à sa femme : Pourquoi as-tu fait cela? Elle ré-
pondit : Je t'ai éprouvé, pour voir combien tu es fort; mainte-
nant je sais que nul homme dans le monde n*est plus fort que
toi. Samson dit : Il n'y a qu'une seule chose par laquelle je
puisse être lié et dans laquelle je ne pourrais me remuer. La
femme lui demanda ce que c'était; mais il refusa de le lui
dire. Elle le pria tant qu'il dit : Je ne puis être lié que par
mes propres cheveux. Samson avait des cheveux si longs qu'ils
traînaient à ses pieds. Quand il dormit, cette femme lui atta-
cha les mains et les pieds ensemble avec les cheveux , et s'en
alla avertir les hommes de la ville. Ils arrivèrent et coupèrent
les oreilles et le nez de Samson , lui crevèrent les yeux et l'em •
menèrent dans la ville, à la cour du roi, où ils le placèrent.
Le roi se trouva sur la terrasse et le regarda. Samson implora
Dieu pour qu'il lui rendit sa force et tout ce que l'on avait
coupé de son corps. Ensuite il arracha la colonne de la ter-
rasse du roi et la fit tomber. Tout ce peuple périt.
CHAPITRE X.
HISTOIRE DE GEORGES.
Ce Georges vivait également du temps des rois des Pro-
vinces, après Jésus. Il était croyant et professait la religion
de Jésus. Il était de la Palestine, et voyageait de ville en ville
en faisant le commerce avec son argent. A la fin de l'an-
née, quand les hommes donnent l'aumône, il distribua aux
pauvres tout ce qu'il avait gagné et ne garda pour lui que le
PARTIE II, CHAPITBE X. 55
capital. L'année suivante, il fit de même, en disant: Si ce
n était pas par le désir de faire Taumône, je ne chercherais
pas ies richesses.
II y avait à Mossoul un roi nommé Dâdyânè (Dioctétien),
qui régnait sur Mossoul et sur la Syrie. li était un des géants
et idolâtre. Il avait une idole qu'on nommait Apollon, et tous
les habitants adoraient des idoles ouvertement. Il y avait avec
Georges quelques hommes croyants, disciples de Jésus, qui
avaient embrassé , comme Georges , la religion de Jésus. Comme
tous les rois de la Syrie étaient idolâtres, ils craignirent pour
leurs personnes, et tinrent leur vraie religion secrète. Or
Georges leur dit : De tous ces princes le plus puissant est le
roi qui réside à Mossoul , nommé Dâdyânè. Je vais lui porter
des présents et de grandes richesses, me rendre à sa cour avec
vous, et nous mettre sous sa protection , afin que nous soyons
en sécurité dans la Syrie et que personne ne puisse nous
inquiéter. Ils répondirent : C'est fort juste. Georges se rendit
donc à Mossoul, à la cour du roi, emportant avec lui de
grandes richesses.
On avait informé le roi que, dans sa ville, il y avait des
hommes qui n'adoraient pas les idoles et qui suivaient une
autre religion que la sienne. Le roi avait fait publier une
proclamation, et réunir tout le peuple en dehors de la ville ;
il en était sorti lui-même et avait amené son idole , nommée
Apollon, et avait fait allumer un grand feu devant lui. Puis
il présenta l'idole au peuple : quiconque l'adorait n'était pas
inquiété, mais il fit jeter au feu ceux qui refusèrent de l'ado-
rer. Les grands et les chefs de la nation se tinrent debout ou
assis devant le roi. Georges y arriva, en compagnie de ses
amis et apportant de grands biens. Lorsqu'il vit le roi dans
cet état, l'idée suivante lui vint à l'esprit. Il se dit : Si j'ai-
56 CHRONIQUE DE TABARI.
lais appeler le roi à Dieu! Ou il croirait, ou il me punirait de
mort, et alors j'aurais ma récompense auprès de Dieu; cela
vaut mieux que de dépendre de ce roi, de lui donner ces
biens et d'avoir sa protection. Georges retourna et distribua
tous ses biens à ces hommes qui suivaient la même religion
que lui , et revint pauvre devant le roi. Il le trouva les yeux
étiucelants de colère contre les croyants, lise présenta devant
lui et lui dit: Pourquoi es-tu irrité contre les serviteurs de
Dieu? Tu es Tesclave de Dieu comme ceux-là; quel droit as-
tu sur eux ? Dieu t'a créé, c'est lui qui te donne la nourriture,
c'est lui qui fait vivre et qui fait mourir. Tu es une créa-
ture comme moi. Tu as là une idole qui ne voit, ni n'entend,
ni ne parle, et qui ne peut procurer ni avantage, ni dommage.
Tu as entouré cette idole d'or et d'argent, tu en as fait un
dieu et tu ordonnes à ceux qui croient en Dieu d'adorer cette
idole. Le roi dit: Qui es-tu, qui est ton père, et d'où viens-
tu? Georges répondit: Je suis un serviteur de Dieu, fils d'un
serviteur de Dieu ; mon nom est Georges , et je suis le plus in-
fime de tous ses serviteurs. Je suis venu ici pour fappeler à
Dieu, afin que tu adores Dieu. Le roi dit : S'il en était ainsi
que tu dis, tu serais dans un meilleur état que tu n'es, et
tu serais aussi puissant que moi et mes serviteurs qui sont
là. Le roi les nomma tous et dit : Voilà Theophilos, qui adore
les idoles et qui a tant de milliers en sa fortune; et voilà Ma-
chlitos, qui a tant de milliers. Il y avait aussi là une femme
nommée Inbil et de grande famille. Le roi dit : Voilà In-
bil, qui est l'esclave de mon idole, et qui a tant de milliers.
Ton Dieu doit être un esclave comme toi, dépourvu et nu.
Georges dit : Les grâces de mon Dieu sont de l'autre monde,
non de celui-ci. Si ton idole a des serviteurs comme Theo-
philos, mon Dieu a des serviteurs comme Elie et comme Idrîs,
PARTIE 11, CHAPITRE X. 57
qui ëtaieut prophètes et que Dieu a enlevés au ciel, afin qu ils
y soient avec les anges. Et si tu as des serviteurs comme Ma-
ckiilos, mon Dieu a des serviteurs comme Jésus le Messie, fils
de Marie, que Dieu a distingué d'entre tous les hommes. Puis
Georges parla longtemps des mérites de Jésus, et il ajouta : Si
ton idole a des esclaves comme Inbil , mon Dieu a des servantes
comme Marie, la mère de Jésus; et il énuméra ses mérites.
Le roi dit: Ceux que je fai nommés sont là devant toi; ceux
dont tu parles ne sont pas là et je ne les connais pas; amène
Idris et Jésus, pour que je les voie et que je sois convaincu
qu'il en est ainsi que tu dis. Georges dit : Tu ne peux pas les
voir en ce monde, à moins que tu n acceptes leur religion.
Le roi dit : Je fai donné des preuves, et tu n'en as pas; tu as
avancé des choses que tu ne peux pas prouver. Maintenant il
faut que tu adores cette idole , ou je t'infligerai une punition
sévère. Georges dit : J'adore ce Dieu, qui a créé cette idole, et
toutes les créatures du ciel et de la terre, et toute chose. Le
roi ordonna d'étendre une planche par terre et d'y attacher
Georges tout nu. Ensuite on apporta des étrilles de fer et on
étrilla son corps de telle sorte que le sang et la chair sortirent
par les pieds; mais il n'en mourut pas. Ensuite le roi fit mettre
sur ses plaies du vinaigre et de la moutarde. Georges ne mou-
rut pas. Puis le roi fit apporter un clou de fer, qu'on fit rougir
dans le feu et qu'on enfonça dans la tête de Georges; mais il
ne mourut pas. Ensuite il fit remplir d'eau un seau de cuivre,
le fit mettre sur le feu jusqu'à ce que l'eau bouillit, puis on
y plongea Georges et on couvrit le seau. On y tint Georges
jusqu'à ce que l'eau se fût refroidie. Georges ne mourut pas.
Alors le roi fut stupéfait; il le fit retirer de l'eau, l'appela de-
... *
vaut lui et lui dit : 0 Georges, qui es-tu? Georges répondit :
Je suis un homme. Le roi dit : N'as-tu éprouvé aucune douleur
58 CHRONIQUE DE TABARI.
de ces châtiments ? Georges répondit :.Ce Dieu vers lequel je
f appelle détourne de moi les douleurs de tes châtiments,
afin que cela soit un argument en sa faveur auprès de toi.
Ensuite le roi le fit mettre en prison. Ses familiers lui dirent:
Il faut le tourmenter dans la prison , afin qu'il y soit occupé
de lui-même et qu'il ne débauche pas les gardiens, en les ap-
pelant à sa religion. Le roi ordonna de l'étendre dans la prison
sur le ventre , et de clouer ses mains et ses pieds à son corps
avec quarante clous de fer. Il y avait là une colonne de mar-
bre, que vingt hommes seulement pouvaient soulever. On mit
celte pierre sur le dos de Georges, et il resta dans cet état
toute la journée. Quand la nuit fut arrivée, Dieu lui envoya un
ange et lui donna une vision. Auparavant il n'avait pas en-
core reçu de message de Dieu. L'ange enleva de dessus son
dos la pierre , lui ôta les clous des pieds et des mains et le fit
manger et boire jusqu'à ce qu'il fût rassasié; puis il lui dit
de la part de Dieu : 0 Georges, patiente avec mon ennemi, et
souffre ses tourments et ses châtiments; il te tuera quatre fois,
et je te rendrai la vie trois fois, et la quatrième fois je te dé-
livrerai de son martyre.
Le matin , Georges se présenta devant le roi. Le roi lui dit :
Qui t'a fait sortir de la prison et qui t'a amené devant moi?
Il répondit : Celui dont le pouvoir est plus grand que le tien.
Le roi le fit mettre entre deux planches de bois et scier en
deux, et l'on coupa chaque moitié en sept morceaux. Le roi
avait deux cages contenant chacune sept lions sauvages. On
jeta les morceaux du corps de Georges dans ces cages; mais
les lions, après les avoir sentis, ne les touchèrent pas. Dans
la nuit. Dieu rassembla ces morceaux, en reconstitua le corps
et lui rendit l'âme. Georges se présenta devant le roi et lui dit :
0 roi, c'est mon Seigneur qui peut accomplir de telles choses.
PARTlIi: II, CHAPITRE \. 59
Le roi dit : Qu est-ce que cet homme, et quel moyen em-
ployer avec lui? On lui dit : Cest un magicien, il charme
les yeux. Fais venir les magiciens, pour qu ils triomphent de
lui. Le roi réunit les magiciens et dit à leur chef : Montre*
moi quelque chose de ta magie, aCn que je voie si tu peux
remporter sur Georges. L'autre dit : Il faut un hœuf. On amena
un bœuf, le magicien souffla dans les deux oreilles de Tanimal ,
et le transforma en deux bœufs. Puis il demanda un peu de
blé. Il le sema devant lui, et à Tinstant même le blë leva,
vint en épis et mûrit. Il le coupa, Fécrasa, le fit cuire et le
mangea. Le roi eu fut enchanté et dit : Je reconnais que tu
pourras confondre Georges. Puis il lui dit : Peux-tu transformer
Georges en chien? Le magicien répondit : Je le peux. Il fit
apporter une coupe remplie d'eau, souffla dans cette eau et
la donna à boire à Georges. Celui-ci la prit et dit : Au nom de
Dieu; il but et ncn éprouva aucun mal. Le magicien fut
confondu et dit : 0 roi , s'il y avait dans ces choses de la magie ,
je l'aurais vaincu ; mais ce sont là des actes du Dieu du ciel.
Un homme des familiers du roi dit : 0 roi, ces actions de
Georges ne sont pas de la magie ; car jamais je n'ai vu un magi-
cien mourir et revenir à la vie, et je n'ai jamais vu de magicien
qui ait rendu la vie aux os d'une vache dont la chair et la peau
avaient été dévorées par les chiens. Le roi dit : Est-ce que
Georges a fait cela ? L'autre répondit : Certes. Il y a dans cette
ville une pauvre femme qui avait une vache qui lui donnait
du lait, dont elle se nourrissait et qu elle vendait pour sa sub-
sistance. Cette vache mourut, et la femme jeta le cadavre de-
hors , et les chiens et les oiseaux de proie le dévorèrent. Après
un long espace de temps, elle alla trouver Georges. Celui-ci eut
pitié d'elle et lui donna une baguette , en lui disant : Prends
ceci et frappe la vache avec cette baguette ; la vache reviendra à
60 CHRONIQUE DE TABARl.
la vie. La femme répondit : Que dis-tu là? Toute la vache a été
dévorée par les chiens. 11 dit : Apporte un os, n importe lequel.
La femme apporta une corne qui était restée. Georges y appliqua
la baguette et la vache revint à la vie, et la femme la possède
maintenant. Veux-tu qu'on Tamène, pour que tu t'en rendes
compte par toi-même ? Le roi dit : Ce miracle est arrivé? L'autre
dit ; Certes, et j'ai accepté la religion de Georges et j'ai cru a
lui. Le roi, à ces mots, ordonna de lui arracher la langue.
Cette histoire se répandit dans la ville, et, le jour même,
quatre mille hommes crurent au Dieu de Georges. Le roi en
fut informé, il fit amener ces quatre mille hommes et les fit
mettre à mort avec les tourments les plus variés. Puis il dit
à Georges : Pourquoi u'as-tu pas dit à ton Dieu de rendre la
vie à ces hommes? Georges répondit : Les délices que ceux-ci
ont trouvées sont préférables à la vie dans ce monde.
Le roi était assis à une table avec quatorze personnes; cha-
cun avait un siège de bois, et sur la table étaient placées des
coupes de bois. L'un des convives du roi dit à Georges : Je te
demanderai une chose; si ton Dieu peut l'accomplir, je croirai
à ta religion. Georges dit: Que demandes-tu? L'autre dit: Nous
sommes assis sur quatorze sièges, dont chacun est fait du bois
d'un arbre différent, ainsi que la table. Demande, ô Georges, à
ton Dieu qu'il fasse sortir de chaque espèce de bois les feuilles
de l'arbre dont il vient, pendant que nous y sommes assis, et
que ces feuilles deviennent vertes, qu'il y ait des fruits, et que
nous mangions les fruits de ces arbres. Georges pria , et Dieu
fit verdir ces bois, et il y vint des feuilles et des fruits. Le roi
dit : Personne ne peut vaincre ce magicien. Cet homme dit :
0 roi, donne-le-moi ; je lui ferai subir un tourment contre
lequel il ne pourra pas employer la magie. Le roi y consentit.
Alors cet homme s'en alla et fit faire une statue de bronze.
PARTIE II, CHAPITRE X. 61
sous la forme d'un taureau, creuse et très-vaste à Tialérieur;
il la lit remplir de naphte, de sandaraque, de soufre et de
plomb , et y fît introduire Georges. 11 fil allumer le tout et mit
le feu sous la statue, pendant trois jours, de sorte que tout
fondit et brilla, avec Georges. Il vint un vent qui amena un
nuage noir, il tomba du feu du ciel, il y eut des coups de
tonnerre et des éclairs, et le monde devint obscur et noir
comme la nuit. Les hommes tremblèrent et restèrent pendant
trois jours dans la stupéfaction et ne surent que devenir. Dieu
envoya Tange Michel, afin qu'il renversât la statue et qu'il
la brisât. Il produisit un bruit qui fut entendu dans toute la
Syrie; quiconque l'entendit fut renversé et s'évanouit. Le roi
et tous ses convives tombèrent et s'évanouirent.
Après que Michel eut brisé la statue, Georges en sortit,
se présenta devant le roi et lui adressa la parole. Quand
le roi entendit la voix de Georges, il recouvra ses sens, ainsi
que tous ses convives. Lorsque Georges était revenu à la vie,
le bruit du ciel avait cessé , le soleil avait reparu et le monde
était rentré dans son état ordinaire. Quelqu'un des convives
du roi dit : 0 Georges, je ne sais si c'est toi qui accomplis
ces prodiges ou si c'est ton Dieu. Si c'est ton Dieu, dis-lui
de ressusciter les morts de ce cimetière, afin que nous leur
pariions et que nous les interrogions, et qu'ils te rendent té-
moignage. Georges se rendit, devant leurs yeux, à un vieux
cimetière , dans lequel se trouvaient ceux qui étaient morts
avant cette époque. Il dit : Dieu accomplit cela pour vous
prouver la vérité. Il pria, et dix-sept personnes sortirent
vivantes de leurs tombeaux , et vinrent à eux : neuf hommes ,
cinq femmes et trois enfants. Parmi eux il y avait un vieil-
lard. Le roi lui dit : Quel est ton nom? Il répondit : Toubîl.
— Quand es-tu mort? — A telle époque. — Ils comptèrent
62 CHRONIQUE DE TABARI.
le temps; il y avait quatre cents ans qu'il était mort. Quand
ils virent ceci, los familiers du roi dirent : Il ny a aucune
espèce de tourment qu on ne lui ait fait subir, sauf la faim.
Le roi ordonna de le détenir dans la maison d'une vieille
femme décrépite et pauvre, où il n'y avait ni nourriture, ni
boisson. Quand Georges fut dans cette maison, il dit à la
fenmie : As-tu quelque chose à manger? Elle répondit : Je n'ai
rien. Il dit : Connais-tu Dieu? Elle dit : Je ne le connais pas.
Georges lui exposa la foi, et elle l'accepta. Georges pria. Dans
cette maison, il y avait une colonne qui soutenait la maison;
cette colonne devint verte , poussa des feuilles , et toutes espèces
de fruits bons à manger en sortirent. Georges et cette femme
en mangèrent. Le sommet de la colonne s'éleva au-dessus du
toit en un arbre très-haut. Il se passa ainsi quelque temps,
et Georges se nourrissait de ces fruits. Un jour le roi vint à y
passer, vit cet arbre et dit : Je n'ai jamais vu un arbre aussi
beau et aussi frais. On lui dit : C'est ce magicien qui est dans
cette maison qui a fait pousser cet arbre et ces fruits, dont
il se nourrit, lui et la propriétaire de la maison. Le roi or-
donna d'aiTacher l'arbre et de détruire la maison. Quand ils
voulurent arracher l'arbre, il se dessécha et redevint ce qu'il
était auparavant. Ils laissèrent la maison et en firent sortir
Georges. Cette femme avait un fils sourd, aveugle, muet et
paralysé. Quand on voulut emmener Georges, elle lui dit :
Prie Dieu, afin qu'il guérisse mon fils. Georges souffla dans
l'oreille du fils, et celui-ci recouvra l'ouïe; il souffla dans son
œil , et il recouvra la vue. La femme dit : Prie aussi pour sa
langue, ses mains et ses pieds. Georges dit : Une autre fois.
On l'emmena et on le conduisit devant le roi.
Le roi avait un chariot traîné par quarante bœufs, où,
quand il se rendait à un endroit, on mettait ses bagages.
PARTIK II, CHAPITRE X. 63
II ordonna de fixer aux roues de ce chariot des épëes, des
couteaux, des poignards et des pointes, et le fit rouler sur
Georges, qui fut complètement mis en pièces. Le roi fit ras-
sembler les fragments de son corps, les fit brûler et réduire
en cendres, qu il fit porter et jeter à la mer par quelques
hommes. Dieu ordonna au vent de porter ces cendres au
bord de la mer, à la vue de ces honmies, et il rendit la vie à
Georges. Lorsqu'ils virent Georges sortir vivant des cendres, ils
retournèrent auprès du roi ; Georges y vint en même temps.
Le roi leur demanda conmient les choses s'dtaient passées;
ib lui en firent le récit , et le roi en fut stupéfait. Il dit à
Georges : S'il n'y avait pas cette circonstance que les hommes
diront que tu m'as vaincu , je croirais en toi. Mais fais pour
moi une chose qui nous sauvera tous deux. Georges dit : Que
veux-tu? Il dit : Va dans le temple de mes idoles; il y a là
beaucoup d'idoles, dont la plus grande est Apollon; offre-lui
une adoration et un sacrifice, et je croirai en ton Dieu et
j'adopterai ta religion. De cette façon les hommes ne diront
pas que tu m'as vaincu. Georges dit : C'est bien. Il voulut aller
dans le temple et y faire un miracle sur ces idoles, afin que
le roi sût qu'elles n'étaient pas des divinités. Le roi en fut
très-satisfait, lui baisa la tête et le visage, et dit : Reste cette
nuit avec moi, pour que le peuple sache que j'ai fait la paix
avec toi ; demain nous irons au temple. Georges resta cette
nuit dans la maison du roi. Le bruit se répandit dans la ville
que , le lendemain , Georges irait au temple du roi. Un grand
nombre d'habitants de cette ville avaient adopté sa religion,
soit en secret, soit ouvertement; tous en furent très-affligés.
Georges passa cette nuit en prières et en chantant des
psaumes à haute voix. Or il avait une voix agréable. La femme
du roi l'entendit, et elle vint et se tint derrière lui en priant.
«4 i.HBOMOLE J>E TaBaRL
^iu^Sàd ifjeorge^ Vsip*:rcui, il lui e\po>a la foi et elle l'adopta,
«fo lui di.<Kafat : Gardes-^o le secret.
Iji iendemajQ. toute la ville se rendit à la porte du temple
de» idoles, tant ceux qui avaient résisté à Georges qw* ceui
qu'il avait convertis, pour \oir ce qu'il ferait. On avait dit à
!a tieille femme dans la maison de laquelle il avait séjourné,
et qui avait cru en lui, que le roi avait séduit Georges par
Fargent et le pouvoir, dont Georges avait envie, qu'il avait
adopté la religion du roi et qu'il abandonnait la sienne, et
que, ce jour-là, on Tamènerait dans le temple, afin qu'il y
adorât les idoles. Cette femme fut très-affligée et en eut une
grande douleur; elle suspendit à son cou son fils qui était
muet et paralytique, et vint à la porte du temple, avec les gens
de la ville, pour regarder. Le roi arriva avec Georges, et ils
entrèrent dans le temple. Le fils de la vieille femme fut
guéri, et recou\Ta Tusage de ses mains, de ses pieds et de sa
langue. Il quitta le cou de sa mère, entra dans te temple
et se plaça devant Georges. Celui-ci le reconnut et lui dit :
Appelle-moi ces idoles. Il y avait dans ce temple soixante
et onze idoles, chacune placée sur un trône d'or. Le jeune
homme dit : 0 idoles, Georges vous appelle. Toutes les idoles
tombèrent de leurs sièges sur la terre , jusqu'auprès de Georges.
Georges frappa la terre avec son pied, et toutes les idoles
ensemble avec les sièges disparurent sous (erre. Iblis était
dans ce temple. C'est lui qui parlait de l'intérieur des idoles
à ceux qui venaient les adorer. Georges le saisit de sorte que
tout le peuple l'aperçût, et il lui dit : 0 maudit , pourquoi perds-
tu et égares-tu tous ces hommes? Quel plaisir as-tu à cela?
Iblîs dit : 0 Georges, si Dieu me disait : Choisis le royaume
du ciel et de la terre et tout ce qui y est renfermé, ou la
faculté d'égarer un seul homme, je préférerais égarer un
PARTIE IF, CHAPITRE X. 65
seul des fils d'Adam; parce que, avant Adam, le royaume de
la terre m'appartenait. Dieu m'ordonna d adorer Adam; tous
les anges Fadorèrent, comme Gabriel, Michel et Israfïl, et
moi, je ne le Gs pas, et j'ai perdu mon pouvoir, sans y avoir
pris garde. Georges le lâcha, et il disparut sous terre. Le
roi dit : 0 Georges, tu m'as trompé et tu as anéanti mes
dieux. Georges dit : Je l'ai fait avec intention, afin que tu
saches que ce ne sont pas des dieux, et, comme ils ne peu-
vent pas se protéger eux-mêmes, ils ne peuvent pas vous
pro léger.
La femme du roi fit connaître sa foi , et dit au roi : Il n'y a
pas de prodiges que Georges n'ait accomplis sous tes yeux,
sauf qu'il prie pour que tu disparaisses sous terre, comme ces
idoles. Pourquoi ne crois-tu. pas en lui? Tous ceux qui avaient
adopté la religion de Georges furent réjouis et lui firent con-
naître leur foi. Il y avait sept ans que Georges demeurait parmi
eux, et trente-quatre mille hommes avaient cru en lui. Le roi
dit à sa femme : Il y a aujourd'hui sept ans que je lutte contre
ce magicien; quel que soit le moyen qu'il emploie, il ne peut
pas me séduire. Toi, tu as été séduite dans une seule entre-
vue. Il ordonna de l'attacher au même bois auquel ils avaient
attaché Georges, le premier jour, et de l'étriller avec les mêmes
étrilles de fer. La femçie dit à Georges : Prie, afin que Dieu
adoucisse mon tourment. Georges lui dit : Tourne ton visage
vers le ciel, et regarde. Elle tourna ses regards vers le ciel, et
elle sourit. Le roi lui dit : Pourquoi ris-tu? Elle dit : Je vois
au-dessus de ma tête deux anges, avec des vêtements du
paradis, des ornements et des couronnes; ils vont prendre
mon âme, pour me porter vers Dieu. Ensuite elle rendit l'âme
au milieu des tourments. Après qu'elle fut morte, Georges
leva les mains et dit : 0 Seigneur, tu m'as protégé dans tous
II.
r>6 CHRONIQUE DE TABARI.
ces toMrmeiils, et lu me les as fait supporter; lu m'as accordé
la récompense des martyrs dans les morts successives que j'ai
subies. Aujourd'hui est mon dernier jour; tu m'as promis
que lu me ferais monter à loi , et que tu me délivrerais de
ces malheurs. 0 Seigneur, avant que tu me portes vers loi,
anéantis devant moi ces hommes, qui n'ont pas cru en moi et
qui m'ont fait subir des tourments. 0 Seigneur, quiconque,
après moi , sera dans le malheur ou dans l'aflliction , et qui
t'appellera, donne-lui la joie, par ta pitié et par mon inter-
cession, et sauve-le de même que tu m'as sauvé. Quand Georges
eut terminé celte prière, un nuage couvrit le ciel, et une pluie
de feu tomba sur ceux qui n'avaient pas cru en lui, et les
trente-quatre mille hommes et femmes qui avaient cru en lui
étaient présents. Lorsque le feu tomba sur le roi et ses adhé-
rents, ils saisirent leurs épées, se précipitèrent sur Georges et
ses disciples, et les tuèrent tous. Les incrédules furent tous
dévorés par le feu.
A cette époque, le règne des rois des Provinces arriva à sa
fin. Ardeschîr, fils de Bâbek, leur enleva le pouvoir, et les
chassa de Tlràq, du Bâ'hraïn et du ^Hedjâz.
CHAPITRE XI.
HISTOIRE D'ARDESCHIR, FILS DE BABEK.
L'auteur dit : Lorsque, après le règne d'Alexandre, il se
fut écoulé un espace de temps de quatre cents ans, ou, selon
le dire des chrétiens, de cinq cent vingt-trois ans, ou, selon
les mages, de deux cent soixante-six ans, eut lieu l'avénenient
d'Ardeschfr, fils de Bâbek, dans la ville d'Içtakhr, en Perse.
Ardeschîr descendait de Bahman, fils d'Isfendiâr. Voici sa
PARTIE II, CHAPITRE XI. 67
généalogie : ArdcschiV, fils de Bâbek, fils de Sâsâu, qui eiil
pour ancêtre Bahnian. Quand Bahnian remit la couronne à sa
fille, Sâsàn, courroucé, h enfuit dans un lieu où il cacha sou
origine, et fut berger dans THindoustan jusqu'à sa mort. Il
laissa un fils, nommé également Sàsân, dont les descendants
jusqu'à la cinquième génération s'appelaient tous Sâsân,
jusqu'à Bâbek, qui fut le père d'Ardeschir. Celui-ci déclara
qu'Alexandre étant venu et ayant tué Dârâ, et ayant enlevé
par la force, et contre tout droit, l'empire à ses descendants
(Dârâ était le cousin d'Ardeschir, car il était fils de Dârâ, fils
du roi Bahnian), il voulait venger la mort de Dârâ, faire ren-
trer le royaume dans sa famille, restreindre le pouvoir des
rois des Provinces, l'enlever aux Arabes et réparer l'injustice
commise par Alexandre.
Il y avait, dans la dépendance d'Içtakhr, une contrée nom-
mée khir ; et là il y a un bourg nommé Tirouzè. Ardeschîr
était de ce bourg. Le roi d'Içtakhr était un Perse nommé
Tirouzè, et ce bourg est appelé de son nom. Quelques-uns
disent que son nom était Djouzher, ce qui est plus exact.
Ce roi était l'un des rois des Provinces, de la famille de Bâ-
zerandjiân. Ces Bâzerandjiân faisaient partie des rois des
Provinces et tenaient la province de Perse. Dans chaque ville
de la Perse , il y avait un roi de leur dynastie.
Sâsân le Jeune, le grand-père d'Ardeschir, était un homme
très-brave , qui faisait la guerre pour son compte avec soixante
et dix ou quatre-vingts hommes. Il n'était pas roi, mais il était
le chef de tous les bourgs du district de Khir, jusqu'à Içtakhr,
et les temples du feu d'Içtakhr dépendaient de lui. C'était un
homme chevaleresque, aimant la chasse. Il avait une femme
nommée Minehscheb, de la famille des Bâzerandjiân, qui
étaient rois de; Peim^ Celle femme donna lé jour à un (ils,
5.
^ CHBO^îiQCE DE lABlRI.
qu'on appela Bâbek el qui fut k- pèiv if Anle^rhir. Quand Bà-
bek vint ao rnoode, il a%ail à la ièîe des theveiu plus longs
que la main. Sa mère dil : Cet eniani fera de gnuMles choses.
Quand il fut grand, son père Sasan moamt, et Babek le rem-
plaça dans toutes ses afaires, dans radminislration de ce
district et dans la surveillance des temples du fen. Le roi
d'Içtakhr Teut en grand bonneor. Ensuite Bàbek eut un fils,
nommé Ardeschir. Djouzher avait un eunuque nommé Piri,
qui Favait élevé. D avait confie à cet eunuque le gouvernement
de Dâràbguerd, ville de la Perside qui avait été fondée par
Dàrà.
Quand Ardeschir fut âgé de sept ans, Bibek demanda à
Djouzher d'envoyer son fils chez Piri, à Dàribguerd, afin que
Piri rélevât, lui donnât une bonne éducation, et pour qu Ar-
deschir succédât à Piri dans le gouvernement de Dârâbguerd.
Le roi dlçtakhr agréa la demande de Bâhek, adopta Ardeschir
et lui assura le gouvernement de Dârâbguerd après Piri, par
un acte écrit, pour lequel il prit comme témoins les habitants
d'Içtakhr. Puis il envoya Ardeschir à Piri, avec cet ordre :
tlève-le bien , pour qu'il te succède dans ton gouvernement.
Piri adopta Ardeschir pour son fils. Lorsque Piri mourut,
Djouzher confia le gouvernement de Dârâbguerd a Ardeschir,
comme successeur de Piri. Ardeschir exerça la justice et Té-
quiié envers les hommes, et fut humble avec eux, et ils le
prirent en affection. 11 connaissait la constellation de sa nati-
vité, et il la dit aux astrologues. Ceux-ci lui dirent : Tu ob-
tiendra» un royaume plus grand. Une nuit, Ardeschir rêva
qu'un ange descendait du ciel et lui disait : Dieu te donnera
Tcmpire de Tunivers; sois prêt! Ardeschir se réveilla, fortifié
par ce rêve. Il fit ses premières armes dans les environs de
Dârâbguerd. Il attaqua la ville de Djoubâtân, gouvernée par
PARTIE II, CHAPITRE XI. 69
uu roi iionmië Parwiz. Ârdeschtr tua ce roi et s'empara de
son gouvernement. Le père d'ArdeschiV, Bâbek, vivait encore
à Içtakkr, et auprès de lui était un frère aine d'Ardeschlr,
nommé Schâpour, bomme d'une grande bravoure.
Lorsque Ardescbir eut tué ce roi , il écrivit à son père : Tue
le roi d'Içtakbr, Djouzber, et saisis en mon nom les rênes du
gouvernement. Bâbek fit ainsi, mais il plaça sur le trône d'Iç-
lakbr son fils Scbâpour, sans se soucier d'Ardeschir. Celui-ci
avait une couronne d'or; Bâbek la mit sur la tête de Scbâ-
pour. Peu après, Bâbek mourut. Schâpour adressa une lettre
à Ardescbir, lui disant: Rends-toi auprès de moi; car j'ai
plus de droits au trône que toi, je suis ton frère aine. Arde-
scbir ne vint pas. Scbâpour fut très-irrité. 11 avait encore un
frère plus jeune qu'Ardescbir et un autre plus âgé d'un an
que lui. Scbâpour rassembla une armée, et invita ses frères
à faire la guerre à Ardescbir, et ils partirent avec lui et son
armée contre Ardescbir. Mais ces frères avaient plus d'incli-
nation pour Ardescbir, et cberchèrent à se le rendre agréable :
lorsqu'ils furent sortis d'Içtakbr, ils mirent à Scbâpour des
liens et en Avertirent Ardescbir par une lettre. Celui-ci arriva,
et ils lui remirent l'armée, la couronne et le trône. Ardescbir
arriva à Içlakbr, s'assit sur le trône, mit la couronne sur sa
tête, s'empara du gouvernement de la Perside, et exerça le
pouvoir avec fermeté et avec autorité et en se faisant respec-
ter. Il y avait un bomme, nommé Sâm, fils de Ra^bqar, qu'il
nomma son vizir, et un bomme d'entre les docteurs , du nom
de Bâbir, qu'il fit mobed suprême. Il donna à cbacun son
rang dans l'armée, parmi les savants, parmi les cbefs et les
sujets, et ordonna toutes les affaires.
Quelque temps après, il fut averti que ses frères cber-
rhaiont h le faire périr cl qu'ils avaient gagné une partie de
70 i:UB03klOLE DE TiBlBL
i armée, il fit mettre à niort tous si's frère», et îou i-ai|>in*
fat solklemeiit établi »iir toute la pro^iuce de Perse. Plus
lard, il reçut la nouvelle que les liabilants de Dàràbguerd
f»'étaient révoltés», .\rdescbir 8\ rendît dlctakbr a\ec une
nombreuse armée, et y fit un grand massacre. (Juiconque lui
résistait fut mai»ëacré, de sorte qu*il ne lui resta pas un seul
opposant. Ëusuile il plaça dans chaque ville de la Perse un
lieutenant avec un corps d'armée, quil croyait en état de
maintenir la \ille. Lui-même dirigea une armée vers le kir-
niân. Il y avait là un roi nommé Palâsch, qui alla au-devant
d'Ardeschir avec une armée nombreuse. Un combat acharné
eut lieu, et un grand nombre d hommes furent tués des deux
cdtés. Ardeschir combattit lui-même. Euiin il mit eu fuile l'ar-
mée de Palâsch, le fit prisonnier, et sVmpara du gou\erne-
inent du kirmân.
Il y avait aux bords de la mer plusieurs \illes qui faisaient
partie tant du kirmân que de la Perside, et (|ui étaient gou-
vernées par un roi nommé Iswer. Celui-ci avait une nom-
breuse armée, et son royaume subsistait depuis longtemps. Il
possédait plusieurs édifices remplis de trésors et de grandtvs
richesses. Ardeschir laissa son fils comme lieutenant dans le
kirmân, en lui donnant une forte armée; il laissa également
entre ses mains Palâsch, le roi de kirmân, qu'il avait fait pri-
sonnier, et dirigea lui-même une nombreuse armée vers le
littoral, pour attaquer le roi de cette contrée. Iswer alla au-
devant de lui; ils rangèrent les années en bataille. Iswer
sortit en personne et provoqua Ardeschir au combat. Ils lut-
tèrent ensemble, et Ardeschir lui donna un coup d*é|>ée sur
la léle et le fendit eu deux jus<ju'à la selle. Il tua un grand
nombre de ses soldats, s empara du Uttoral et élablil lu un
gouverneur sous sa dépendance; puis il prlil.
PARTIE II, CHAPITRE XI. 71
li y avait dans son empire un autre roi, nommé Mihrak. Il
lui envoya une lettre et lui demanda sa soumission. Ce roi re-
fusa. Ardeschir Tattaqua, le fit prisonnier et le tua. Ensuite
il dirigea une armée vers la Perside, contre la ville de Djour.
Celte ville, située dans la Perside, est la ville la plus chaude
qui existe. Il y a là de grandes quantités d'herbes odorifé-
rantes, de fruits et d'arbres. L'eau de rose de T^Irâq appelée
4fot«ri, que Ton apporte de la province de Perse, provient de
Djour. Ardeschfr voulut en faire sa résidence. Il y fit cons-
truire un palais, une forteresse appelée Terbâl et un temple
du feu. Il demeura là en repos, après avoir conquis la Per-
side et le littoral.
Il y avait dans le Kouhistân , à Ispahàn , un homme nommé
Ardev^àn Pehlewi , qui régnait sur Ispahàn et sur tout le Djebàl.
Il était de la dynastie des rois des Provinces, de la branche
de Perse. Ce Djouzher qui avait été roi d'Içtakhr, et que Bâ-
bek, le père d'Ardeschir, avait tué, avait été sous sa dépen-
dance. Ardewân avait une grande autorité parmi les rois des
Provinces. Ardeschir gouvernait en paix dans sa résidence de
Djour, lorsqu'il reçut d'Ardewâu une lettre ainsi conçue :
Tu n'as pas reconnu mon autorité et tu t'es soustrait à mon
pouvoir. Ton père était un chef de canton et n'avait pas le
droit de venir dans la ville. De quel droit as-tu ordonné de
saisir le roi d'Içtakhr et de tuer les rois de la Perse et du
Kirmân? De quel droit t'es -tu emparé de la couronne et
de la royauté ? J'ai écrit au roi d'Ahwâz qu'il vienne et
qu'il t'envoie enchainé vers moi. Ardeschir, après avoir lu
cette lettre, répondit : Ce trône et celte com'onne m'ont été
donnés par Dieu; il m'a accordé la victoire sur ces rois. J'ai
l'espoir que je remporterai aussi la victoire sur toi, afin que
je prenne ta tcte et que j'emploie tes trésors pour les temple?
It CHBOHIQLC DE TlBllL
àik Cm. infesrliâr quîUa la «ilie de Dfmr H «« neodit à Iç-
taUir. Là it plaça à la liêle de rarmée on liettlenaal Dominé
Bénin. Peu de temps après, il reçut une lettre de Bersam,
lai anjMMiçaiiit qu'il avait été attaqué par le toi d'Ahvâx^ qu'il
Tarait laiuai et repoussé.
U y avait à kpaliiu un roi dépendant d Ardevàn, et nommé
Scbâb-Sebâponr. Ardeschir fit marcher son armée contre lui,
le vainquit et le tua ; puis il retourna dans la Perse , après
s'être emparé du gouTemement d'Iqpahan et après y avoir
établi un lieutenant avec une arm^.
Ensuite Ardeschir fit marcher son armée contre le roi
d'Ahwiz, nommé Pirouxi (?). Celui-ci prit la fuite devant
Ardeschir, qui s'empara de toutes les villes de TAhwâx. Il fit
sa résidence à Râm-Hormuid , qui est la ville la plus consi-
dérable de FAhwâz, et rassembla un immense butin. 11 y
fonda une ville, nommée Souk-al-Ahwâz, qui est aujourd'hui
la plus grande ville de TAhwâz. Après avoir jeté les fonde-
ments de la ville, il y établit un lieutenant avec une nom-
breuse armée, et lui ordonna d achever la ville. Lui-même,
avec une armée, sortit de TAhiràz et se rendit dans la Mésène,
qui est un royaume semblable à TAbwâz. Il y avait là un roi,
nommé Bévdâ (?). Ardeschir tua ce roi. 11 fonda dans la
Mésène une ville nommée Karakh, appelée par quelques-uns
Ardeschlrsân. Il y laissa une garnison et retourna dans la
Perside. Ensuite il envoya à Ardewân, le roi du Djebâl, un
message ainsi conçu : Je t attaquerai dans la plaine de Hor-
muzdjân , à la fin du mois de mihr. Prépare-toi. Ardeschir
partit pour la plaine avant cette époque, et y transporta son
armée par la voie d'eau. Là il fit creuser un fossé autour
de son campement. Lorsque Ardewân s'approcha, il le tint
éloigné de ce fossé. Ardeschir avait un fils nommé Schàpour,
PARTIE II, CHAPITRE XI. 73
qu'il envoya au-devant d'Ârdewân. Une bataille eut lieu. Ar-
dewàn avait un vizir nommé Dârbendân, qui avait la direc-
tion de Tarmée et de la guerre. Schâpour tua ce vizir de sa
propre main, et Tarmée d'Ârdewân fut mise en fuite. Arde-
schir, avec un corps d'armée, poursuivit Ardewân, l'atteignit
et le tua. 11 descendit de son cheval et l'assomma avec sa
massue, de sorte que sa cervelle jaillit de sa tête. Ce jour-là
Ardeschir reçut le nom de roi des rais.
Il partit de là avec son armée et se rendit à Hamadân.
Il s'empara des gouvernements du Djebâl, de Hamadân, de
Nehâwend et de Dinwer, et en tua les rois. De là il se diri-
gea vers l'Aderbidjân et l'Arménie, et arriva à Mossoul et fit
la conquête de ces provinces. Puis il revint dans le Sawàd, le
district de Baghdâd, et s'en empara. A cette époque, Baghdâd
n'existait pas encore. Entre Mossoul et lajrille de Madâïu, aux
bords du Tigre, se trouvaient de nombreux bourgs et autant
de principautés, comme cela est encore aujourd'hui. Il s'em-
para de toutes ces principautés et fit reconstruire les bourgs
qui étaient détruits, et fonda une ville en face de Madâïn.
Puis il retourna dans la Perside, et résida à Içtakhr; il ne fut
pas inquiété dans la possession de ces provinces.
Ardeschir rassembla une armée et alla attaquer le Khorâ-
8«in. 11 vint de la province de Perse dans le Kirmân et de là
dans le Seïstân, s'empara de cette contrée, et se dirigea en-
suite vers le Khorâsàn, où il conquit les villes de Balkh, do
Merw, de Nischabour et de Khàresm. Il réduisit tous les rois
des Provinces et envoya leurs têtes en Perse, pour être sus-
pendues à l'entrée du temple du feu, à Içtakhr. Ensuite il
rentra dans la province de Perse et résida à Djour. Plus tard
il dirigea une armée vers Madâïn, et de là il se rendit dans
le Ba'hraïn. Il y avait là un roi nommé Sàtiroun, qui s'était
là CHRONIQUE DE TABARl.
relrauché dans une forteresse. Ardeschir Tassiéga pendant
un an. La famine se déclara dans la forteresse, et la gar-
nison voulut tuer le roi et livrer la forteresse à Ardeschir.
Alors le roi se précipita en bas du mur de la forteresse et
trouva la mort. Ardeschir s'empara de la forteresse et tles
trésors qui s'y trouvaient, puis il retourna en Perse. Il éta-
blit son fils Scbâpour régent, le nomma son successeur et
lui mit la couronne sur la tête. 11 lui ordonna d'achever les
villes dont il avait jeté les fondements. Puis il alla résider à
Madàïn , et fonda , dans les dilTérentes parties de son royaume,
huit autres villes : une ville appelée Ardeschir -Abâd; une
autre, nommée New-Ardeschir;dans TAhwâz, une ville nom-
mée Hormuzd- Ardeschir, qu'on appelle aujourd'hui Souk*
al-Ahwàz; dans le Sawâd, une ville nommée Aspàbàd- Ar-
deschir, qu'on appelle aujourd'hui Karkh de Mésène; dans
le BaMiraïn, une ville nommée Aspâ- Ardeschir, qui porte
aujourd'hui le nom de Madinat-al-'Hat; entre Medine et
Mossoul, une ville nommée New- Ardeschir, appelée aujour-
d'hui Djidè.
Le royaume de l'Hrâq, le Khorâsân jusqu'aux bords du
Dji^houn , le Seïstân , la province de Perse et le Kirmàn lui
restèrent soumis. Les rois des Provinces disparurent de la
terre. Les Arabes aussi furent dépossédés et s'en allèrent; les
uns allèrent rejoindre les Qodha^ites de Syrie, les autres ga*
gnèrent le désert, du côté du ^Hedjâz.
Ardeschir exerça la justice, rendit le monde florissant, et
son royaume fut complet. Il fut complété le jour où il tua
Ardewân et où il posa la couit)nne sur sa tête. Ce jour-là,
^Amrou, fils d'^Adi, qui possédait l'^Irâq, était encore vivant.
Ardeschir demanda sa soumission. ^Amrou avait sa résidence à
*Hira, ville située en deçà de Koufa, vers le désert. Ardeschir
PARTIE lU CHAPITRE XU. 75
doona 41ira à ^Ainrou, qui tenait de la main d'Ardeschir
rMrâq, le Sawâd et la Mésopotamie.
Ardesclih* régna encore quatorze ans après la mort d'Ar-
dewàn; puis il mourut, après avoir régné en tout quarante-
quatre ans : pendant trente ans, il lit la guerre, et pendant
quatorze ans^ il régna en paix.
CHAPITRE XII.
«
HISTOIRE DU REONE DE SGHAPODR.
Lorsque Scbâpour monta sur le trône, ceignit la couronne
et prit entre ses mains le royaume de son père, il fut, comme
son père, maître de Tunivers. Schàpour est la forme arabe de
son nom; en persan, il s'appelait Sckahpour, qui veut dire
ff Gis du roi v. Voici la généalogie de Scbâpour :
Dans les commencements, quand Ardeschir saisit le gou-
vernement de Dâràbguerd, il fut iuformé que son aïeul Sa-
sân, fils de Babman, lorsque Ascbk, fils de Dârâ était monté
sur le trône d'^Irâq, ne pouvant résister à Ascbk et lui aban-
donnant la couronne, avait fait le serment suivant : Si, un
jour, le trône m'écboit, je ne laisserai pas un seul Ascbka-
nien vivant sur la terre. Sâsân mourut avant que Tempire lui
échût; mais il avait fait jurer à son fils, qui devait faire
prendre le même engagement à ses descendants, de père en
fils, que quiconque d'entre eux obtiendrait la couronne exé-
cuterait son serment et ferait périr les Ascbkaniens. Mais Tem-
pire était resté entre les mains des Ascbkaniens, et aucun
des descendants de Sâsân navait obtenu la couronne, jus-
qu'au temps d'Ardescbîr. Quand Ardescbir apparut, les Ascb-
kaniens* perdirent renqiire, ol aucun dVux ne resia sur son
76 CHRONIQUE DE TABARl.
trône. Le gouvernement de T^Iràq [seulement] demeura entre
les mains des Arabes et des rois des Provinces. Mais quel-
ques-uns des Aschkaniens avaient subsisté, en s*éloignant de
leurs demeures. Ardeschir fit mettre à mort tous ceux d'entre
eux qu'il put atteindre, grands et petits; aucun d'eux ne resta
vivant, et le serment de son aieul fut accompli. Il mit dans
son trésor les biens de tous les chefs Aschkaniens qu'il tua ,
et leurs esclaves furent employés à son service. Un jour on
lui présenta les biens d'un Aschkanien : de l'or, de l'argent,
des hommes et des fenmies esclaves. Parmi ces dernières se
trouvait une jeune fille telle , qu'on n'en avait jamais vu de
plus belle. Ardeschir en devint amoureux, et pensa qu'elle
était une des esclaves des Aschkaniens. Il l'employa à son
service et la tint auprès de sa personne. Il lui demanda [un
jour] si elle n'avait jamais été touchée par un homme. Elle
ré|)ondit que non. Alors Ardeschir, ne pouvant se contenir,
lui âta sa virginité, et elle devint enceinte de lui. Lorsqu'il
l'ut familier avec elle, il l'interrogea sur son origine et lui
demanda en quel endroit elle avait été faite prisonnière. Elle
ré|)ondit : Je ne suis pas une esclave, je suis de la famille
des Aschkaniens. Ardeschir regretta d'avoir étendu sa main
sur elle ; il voulut la faire périr, afin qu'aucun membre de la
famille des Aschkaniens ne restât vivant, et afin d'accomplir
ie serment de son aïeul. Mais il ne put s'y résoudre, à cause
de l'amour qu'il sentait pour elle. Il ordonna de la détenir
pendant quelque temps, afin que l'image de la jeune fille
s'eiïaçât de son souvenir et que l'amour qu'il avait pour elle
disparût de son cœur. Ensuite il prit la résolution de la faire
périr, pour accomplir le serment de son aïeul. 11 avait un
oUicier plein de science ei de sagesse, qui était le surinten-
dant de sa maison et à qui il avait confié la garde de ses
PARTIE II, CHAPITRE XII. 77
fenimes, de ses biens et de toute sa inaisoii. Il fit appeler cet
officier, lui raconta Thistoire de la jeune fille, et lui dit : Je
préfère Taccomplissement du serment de mon aïeul à Tamour
pour cette jeune fille. Emmène-la et fais-la périr. Quand
le surintendant la prit pour la tuer, la jeune fille lui dit: Je
suis enceinte du roi. Il fit venir des sages-femmes, qui de-
raient s'en assurer; celles-ci confirmèrent qu'elle était en-
ceinte. L'officier la fit transporter dans sa maison et la fit
enfermer sous terre. Puis il se coupa les signes de la virilité ,
les mit dans une boite, qu'il scella, et alla trouver Ârdeschir.
Celui-ci lui dit : Qu'as-tu fait ? Il répondit : Je l'ai mise sous
terre. Ardeschir pensa qu'il l'avait tuée. Puis l'officier pré-
senta à Ardeschir la boite et lui dit : Que le roi ordonne de
placer cette boîte, scellée comme elle est, dans son trésor,
et que le trésorier la garde précieusement jusqu'au jour où
j'en aurai besoin. Le roi en confia la garde au trésorier.
La jeune fille donna le jour à un fils dans la maison de
l'officier. Celui-ci n'osa pas l'annoncer au roi ni donner un
nom à l'enfant sans son ordre. Il fit observer la constellation
de sa nativité, et trouva, dans la constellation, que cet en-
fant deviendrait roi et que l'empire du monde lui appartien-
drait. Il rendit grâces à Dieu de ce qu'il n'avait pas tué la
jeune fille. Il songea à donner à l'enfant un nom qui fût
digne de sa naissance et il l'appela Schâpour, c'est-à-dire
(tfils du roi.^ Quand l'enfant eut atteint l'âge de dix ans, il
lui enseigna les bonnes manières, l'équitalion et tout ce qu'il
faut aux princes. Un jour, se présentant devant le roi, il le
trouva soucieux. Il dit : Qu'est-il arrivé au roi ? Ardeschir
dit : J'ai conquis tout l'univers, j'ai anéanti mes ennemis et je
me suis emparé de leurs royaumes; mais je n'ai pas de fils
pour me remplacer et pour régner après ma mort. Le surin-
7S CHRONIQUE DE TABARI.
tcD(lanl dit : Que le roi vive longtemps ! Le roi ci chez moi
uu fils parfait, sorti indubitablement des reins du roi, qui
a grandi et qui est instruit. Le roi dit: Comment cela est-il ?
L'autre dit : Que le roi fasse ouvrir la boîte qu'il garde 'depuis
dix ans, elle en contient le rëcit. Piiis il sortit. Ardeschîr fit
apporter la boîte scellée et la fit ouvrir. Il y vit des signes vi-
rils, et un écrit contenant ceci : Le roi m'a livré cette jeune
fille Aschkanienne pour la tuer; il me fut assuré par les sagea-
femmes qu'elle était enceinte, et je ne me suis pas cru auto-
risé à détruire le germe semé par le roi. Je l'ai placée au
sein de la terre pour voir ce qu'elle mettrait au monde. J'ai
coupé mes signes virils, afin que personne ne puisse jeter
sur moi la calomnie. Le roi fit appeler l'olBcier et lui dit :
Quel âge a cet enfant et comment est-il ? L'autre lui en fit
la description. Le roi dit : Si c'est mon fils, je le reconnaî-
trai enlre mille. Amène-le avec mille enfants du même âge,
de la même taille et vêtus de la même façon ; si mon cœur
lui rend témoignage, ton récit est vrai, et il est mon fils.
L'officier fit ainsi. Ardeschîr jeta les yeux sur les enfants, et
son cœur lui dit que Scbâpour était son fils. Ensuite il fit
apporter des raquettes et des balles et fit jouer les enfants.
Ardeschîr avait dans son palais un mail, et sur le mail un
appartement où il y avait une estrade. Ardeschîr s'assit sur
cette estrade; les enfants jouèrent, et il les regarda.^ La balle
vint à tomber du mail sur cette estrade, devant le trône d*Ar-
desèhîr. Aucun de ces enfants n'osa venir chercher la balle.
Scbâpour dirigea son cheval sur l'estrade, enleva la balle de
devant le trône et retourna dans le mail. Ardeschîr fut con-
vaincu qu'il était son fils, à cause de la hardiesse qu il mon-
trait, et il lui dit : Mon enfant, (jucl est ton nom? Uenfanl
répondit : Scbâpour. Le roi dit: En effet, iuasfls du roi. C'est
PARTIE II. CHAPITRE XII. 79
alors qu^il le reconnut pour son fils, cl qu'il en instruisit
le peuple. Lorsqu'il .fit la guerre à Ardewân, quil fut en
possession incontestée du royaume et que Tunivers lui fut
soumis, il nomma ce fils son successeur et plaça lui-même
la couronne sur sa tête. Scbàhpour est appelé en arabe Schâ-
pour.
Lorsque Ârdeschir mourut, Schapour monta sur le trône.
Quoiqu'il eût montre, déjà du vivant de son père, beaucoup
de qualités en fait de justice et d'humilité, et de bienveillance
pour l'armée, après la mort de son père, lorsqu'il fut roi , ces
bonnes dispositions s'accrurent encore, et il montra des ver-
tus supérieures à celles de son père. Après que Schapour eût
régné quinze ans, il rassembla une armée et marcha contre
Nisibe, ville solidement fortifiée, située vers la Syrie. Le roi
de Nisibe se trouva dans la forteresse. Schapour, assiégeant
cette place pendant un long espace de temps, fut informé
qu'un ennemi , venant du Khorâsân , avait envahi la Pcrsidc.
Schapour retourna dans la Perside, attaqua l'ennemi, le fit
prisonnier et le tua ; puis il revint à Nisibe. L'armée campa
sous les murs de la ville, assiégeant le roi de Nisibe. Schapour
plaça son armée sous la porte de la forteresse; elle y resta une
nuit, et, la nuit suivante, le mur tomba, et Schapour s'empara
de la forteresse sans combat, et fit un grand massacre; il
s'empara aussi des trésors immenses appartenant au César
de Roum, qui étaient conservés dans cette forteresse!. Puis il
attaqua la Syrie. 11 y avait dans la ville d'Antioche, qui est si-
tuée sur le littoral , un roi des Romains nommé Valerianus. Ce
roi s'était renfermé dans la forteresse d'Antioche. Schapour fit
tomber la forteresse, fit prisonnier le roi, et le conduisit dans
l'Ahwâz. Là il jeta les fondements de la ville de Schouschter, et
donna cet ordre au roi de Roum, qu'il avait fait prisonnier :
80 CHRONIQUE DE TABARl.
Envoie quelqu'un en Roum, afin que des Romains habiles dans
la construction des villes et dans les travaux de soubassement
viennent et construisent cette ville. Quand elle sera terminée,
je te donnerai la liberté. Le roi de Roum envoya quelqu'un,
et les artistes romains arrivèrent. Schâpour leur donna cet
ordre : Je désire que vous jetiez des soubassements tout autour
de cette ville, de sorte que le sol de la ville repose sur eux.
Creusez les fondements jusqu'à ce que vous arriviez a Teau;
puis remplissez-les de briques, de mortier et de pierres, el
jetez dessus de la terre. Ces fondements devront avoir mille
coudées de largeur sur mille coudées de longueur, afin que
je puisse y construire les murs de la ville. Ils exécutèrent tout
ce travail , dont les dépenses furent faites par le roi de Roum
qui était prisonnier, jusqu'à ce que le travail fât achevé. En-
suite Schâpour lui donna la liberté, après lui avoir coupé le
nez, en disant: Il faut absolument que tu aies sur la figure
la marque de la captivité. Puis il le laissa partir.
Entre le Tigre et l'Euphrate, en face de la ville de Tikrtt,
entre l'*Irâq et la Syrie, était une ville nommée *Hadhr. H y
avait là un roi du nom de Sâtiroun , surnommé Dhaïzan , qui
était Arabe, de la tribu de Qodhâ^ Il avait une nombreuse
armée, et gouvernait, depuis de longues années, la ville
de ^Hadhr. C'était une forteresse que l'on avait rendue im-
prenable par un charme, le jour oîi on l'avait construite.
Personne n'avait encore réussi à la faire tomber, et celui qui
s'y renfermait, ne pouvait être vaincu. Dhaïzan, le roi de
^Hadhr, alors que Schâpour se rendit de T^Irâq dans la Pep-
side, pour en chasser l'ennemi qui l'avait envahie en venant
du Khorâsân , avait attaqué les frontières de l'^Irâq et en avait
détaché une portion. Quand Schâpour revint et qu'il en eut
fini avec le royaume de Mossoul, il attaqua 'Hadhr avec une
PARTIE II, CHAPITRE \1I. 81
armée innombrable, telle que personne parmi les Arabes,
personne parmi les Persans n'en avait encore réuni. C'est à
cause de cette nombreuse armée que les Arabes lui donnèrent
le nom de Schâpour al-Djonoud. Dhaîzan, le roi de *Hadhr,
s'enferma dans la forteresse, et l'armée de Schâpour vint se
poster sous ses murs. Elle y resta quatre ans, sans pouvoir
prendre la forteresse et sans s'en retourner. Après quatre ans,
il arriva que la fille du roi Dhaîzan, qui était avec lui dans
la forteresse, et dont le nom était Nadhira, et qui était la
plus belle femme parmi les Arabes, vint sur le mur de la for-
teresse et vit Schâpour qui en faisait le tour à cheval. Schâ-
pour était très-beau, et cette fille en devint amoureuse. Elle
trouva un moyen de lui dépêcher quelqu'un et lui fil dire :
Cette forteresse a un charme, et quand môme tu y resterais
cent ans, tu ne pourrais t'en emparer. Si tu consens à me
prendre pour femme, je t'informerai de quelle façon tu peux
l'en rendre maître. Schâpour consentit el s'engagea par
serment à accomplir les conditions posées par la jeune fille.
Le messager retourna et lui rendit compte. La jeune fille fit
dire à Schâpour : Celte forteresse ne peut être prise que si
on fait tomber sur le mur un linge trempé dans le sang des
menstrues d'une femme. Mais le mur est très-élevé et personne
n'en peut atteindre le sommet. Il y avait au haut du mur, sur
une des tours de la forteresse, un nid de pigeons ramiers.
La jeune fille trouva moyen de prendre un de ces pigeons,
le porta dans sa maison, lui attacha au pied un linge trempé
dans du sang de menstrues, et le laissa s'envoler. Le pigeon
retourna à l'endroit où était son nid, se plaça sur la tour, et
y laissa tomber le linge. Le mur s'ébranla, et la forteresse
s écroula. La jeune fille avait ainsi accompli ses engagements
envers Schâpour. Celui-ci pénétra dans la forteresse, s'empara
II. G
82 CHRONIQUE DE TABARI.
(le la place , el commença le massacre. Il fil posler Tarmée à
rouverture du mur et recommanda aux soldais de luer tous
ceux qui viendraient vers eux. Lui-même avec un corps d'armée
attaqua Uhaïzan, et le lua. Il fit passer au fil de Tépée tous
ces milliers d'Arabes qui composaient la garnison, et pas un
seul n échappa; Schâpour les tua tous; et ceux qui cher-
chèrent à se sauver par Touvertufe du mur furent massacrés
par les soldats qui y étaient postés. Ces Arabes étaient ceux du
désert, du^IIedjâz, du Ba*hraïn , du Yemâma, de la Syrie et du
Yemen : il n'y avait pas une seule tribu qui n'eût des hommed
dans la forteresse ; ils furent tous tués. Ce fut une calamiti^
pour toutes les tribus; et celte histoire est conservée dans les
chants des Arabes, dans les élégies qu'ils chantèrent pendant
de longues années au sujet des victimes de *Hadhr. De tous ces
chants le plus beau est celui d'A^scha , qui dit :
Ne vois-tu pas 'Hadbr, dont les habitants étaient dans la prospérité ?
Mais celui qui est heureux est-il étemel ?
Schâpour al-Djonoud Tatlaqua; pendant deux ans, il y foule le sol.
Mais son Dieu n^ajouta pas a ses forces, et il ne put pas égaler (son
adversaire).
Et lorsque son Seigneur vit son affaire, alors il tomba sur celui qui ne
fut pas vengé.
Le cri de son peuple fut : A votre affaire ! elle est arrangée I
Mourez courageusement par vos glaives! Je vois que celui qai est brave
linivc la mort.
Nous avons déjà rapporté ces vers, mais nous les avons
répétés [ici], parce que c'est ici leur place. Une autre de ces
élégies arabes est celle d'Abou-Douâd al-Iyâdi, qui dit :
Certes, la niorl a fondu do iladhr siir le chef de ses habitants, sur le
SiHiruun. "^
PARTIE II, CIIAPITRK Xil. 83
Voici les paroles d'^\niroii, fils dWI-Yekma :
N*e9-tu pas attristé — la nouvelle s'en est répandue — (l«> ce qui est
arrivé aax cavaliers des Benfl- Abld?
Et de la chute du Dliaïzan et de ses confrères , et des vaillants cavafiers
des Benf-Yezid?
Scbâpour Ai-Djonoud les a attaqués avec des éléphants caparaçonnés e4
avec des héros.
Scbâpour s'en retourna et fit détruire les murs de la for-
teresse, les fit fouler sous les pieds des éléphants et complè-
tement raser. Puis il fit arracher les arbres et les jardins ,
et dessécher les rivières, de sorte que personne ne pût y de-
meurer. Ensuite il conduisit larmée à *Aïn-al-Tamar, ville
située dans la Mésopotamie et qui faisait partie de son royaume.
H emmena NadbJra, la fille du roi de *Hadhr, et Tépousa. Une
Duit, il était couché avec elle sur un lit composé de dix ma-
telas faits de soie de Chine. Cette femme si» plaignit toute la
nuit que l'étoffe était dure et qu elle en éprouvait des dou-
leurs au côté. Le matin, quand Scbâpour se leva, il vit le
lit inondé de sang, et le côté de la femme était tout sanglant.
Il regarda, et vit qu'il y avait, dans le lit, sous le côlé de la
femme, une feuille de rose dont les bords l'avaient blessée.
Scbâpour demeura étonné; il regarda [de plus près], et vit
que la moelle des os de la femme était a découvert. H dit :
0 femme, quelle nourriture ton père t'a-t-il donnée? Elle
répondit : Il a fait détacher la moelle des os des moutons,
des agneaux et des bœufs; il y a fait mettre du beurre frais
et du miel blanc, et une petite quantité de fleur de farine
très-clair-semée et de telle sorte qu'elle ne paraissait pas; puis
il a fait donner [à ce composé] une forme ronde, comme un
gâteau, et l'a fait cuire dans un pot avec du beurre de vache.
Il m'a donné cela comme ma nourrilure orHinaire. Au lieu
6.
84 CHRONIQUE DE TABARL
•
dVau, il lua fait boire du vin pur el vieux de cinq ans;
je n'ai jamais mange de pain .et je n*ai jamais bu d'eau.
Schâpour dit : Comme lu as trahi ce père qui t'a ainsi élevée,
et que tu n'as pas été reconnaissante envers lui, personne ne
peut se fier à toi. Cette femme avait des cheveux qui traînaient
jusqu'à terre. Schâpour fit amener un cheval jeune et ardent,
et ordonna d'attacher cette femme par les cheveux aux pieds
du cheval, et il le laissa prendre ainsi sa course. Le cheval
traîna Nadhira sur les pierre» et la mit en pièces.
L'hérésiarque Mâni apparut du temps de Schâpour, et
répandit son hérésie.
Schâpour fonda un grand nombre de villes : l'une dans la
province de Perse, nommée Schâd-Schâpour; une autre dans
l'Ahwàz, nommée Tchendî-Schâpour, qui est la plus floris-
sante et la plus agréable de toutes les villes de l'Ahwâz; la
végétation y fleurit en hiver comme en été. On raconte qu'il
y avait là primitivement un champ non cultivé. Quand Schâ-
pour y arriva et en vit les agréments, il désira y fonder une
ville. 11 aperçut un vieux berger, l'appela et lui dit : Quel est
ton nom ? Le berger répondit : Bîl. Le roi dit : Pourrait-on
construire ici une ville? L'autre répondit : Si cet endroit peut
devenir une ville, je pourrai devenir un notaire. Il disait
cela pour exprimer son étonnement. Schâpour fit halle à
cet endroit, envoya le vieux berger à son vizir et dit : Je ne
m'éloignerai pas d'ici avant que tu aies fait de ce vieillard
un notaire. Le vizir demanda un an de temps. Le roi y con-
sentit et demeura, avec son' armée, un an dans ce champ.
Le vizir emmena le vieillard, fit venir un maître et lui
dit : Reste ici el enseigne à ce vieillard le calcul; ne lui
apprends pas beaucoup en un jour; car il esl vieux et oublie
facilement; apprends- lui chaque jour une règle qu'il pourra
PARTIE II, CHAPITRE XIII. 85
retenir, et, à la Gn de raniiée, il saura trois cent suixante-ciiiq
r^ies, et, sachant cela, il sera savant. Quand Tannée l'ut
écoulée, Schâpour fil venir devant lui le vizir et le vieillard. Il
dit: 0 vieillard, une ville pourra-t-elle s'élever ici? Le berger
répondit: 0 roi, il s'y en élèvera autant {tcliefid) que tu vou-
dras. Car tu as pu faire de moi un notaire, tu pourras aussi
faire naître ici une ville. Ensuite Schâpour fonda cette ville
et l'appela Tchendt-Schâpour. Il y laissa le vieillard comme
payeur et inspecteur des ouvriers. Lui-même retourna à Ma-
dâîn. Le vieillard acheva la ville encore du vivant de Schâpour.
Les hommes appellent la ville Ardbil, du nom de ce vieillard.
Schâpour régna trente et un ans, puis il mourut. Son fils
Hormuzd lui succéda sur le trône.
CHAPITRE Xm.
HISTOIRE DU RÈGNE D'UORMUZD.
Schâpour, de son vivant, avait nommé Hormuzd son suc
cesseur. Quand Hormuzd fut monté sur le trâne après son
père, il ceignit la couronne, s'empara du gouvernement et fut
CD possession assurée de l'univers. Hormuzd n'avait qu'une
seule main. Voici la cause pour laquelle il avait perdu une main.
Du temps qu'Ardeschir fit périr les rois des Provinces, ayant
son fils Schâpour dans Tavant-garde, il était arrivé à une
ville nommée Ardcschir-Khouré, dans la Perside. Dans ceth;
ville il y avait un roi^ nonmié Mihrak. Ardeschir l'attaqua
et le fit prisonnier. Les astrologues dirent à Ardeschir : Il
viendra un descendant de Mihrak à qui ton royaume appar-
tiendra. Ardeschh* fit mettre à mort Mihrak et toute sa famille >
tous ceux qu'il trouva, grands et petits, hommes et femmes.
86 CHIIONIQLE DE TAIURI.
n était assuré qu il n'eu restait pas une personne vivante sur
la terre. Mais Mihrak avait une fille âgée de dix ans, qui se
sauva devant Ardeschir et quitta la ville. Elle aperçut dans la
campagne plusieurs tentes de bergers, elle se dirigea vers ces
bergers et leur dit qu'elle était la fille de Mibrak et qu'elle
s'était enfuie devant Ardeschir. Un de ces bergers, un vieillard,
l'adopta pour sa fille, la fit entrer dans sa tente et l'y garda
avec sa famille. Cette jeune fille était fort belle. Il se passa
ainsi quatre ou cinq ans. Ardeschir ignorait qu'il y eût sur
la terre un membre de la famille de Mihrak. Un jour, Schâ-
pour, fils d' Ardeschir, étant allé h la chasse, se trouva séparé
de sa suite, dans la plaine. Il avait soif, et aperçut les tentes
des bergers. Il s'approcha et demanda de l'eau. La fille de
Mihrak lui offrit de l'eau. Schâpour regarda sa figure, dont
la beauté lui fit oublier la soif. Il dit à ces bergers : A qui
appartient cette jeune fille? Le vieux berger dit : C'est ma
fille. Schâpour but et resta là jusqu'à ce que sa suite arrivât.
Puis il dit au vieillard : Donne-moi ta fille en mariage. Quand
le vieillard sut que c'était le prince, il n'osa Heu lui dire,
et il lui accorda la jeune fille. Schâpour la conduisit dans sa
demeure, la fit couvrir de vêtements royaux et de joyaux d'or
et d'argent; et il demeura avec elle. Elle donna le jour à un
enfant, qu'il nomma Hormuzd. Quand Ardeschir en fut in-
formé, il en fut très-charmé; mais il ignorait quelle était la
mère de cet enfant. Celte femme traitait les autres femmes de
Schâpour avec hauteur; un jour, Schâpour lui dit : Que si-
gnifie ce ton hautain et cet orgueil que tu montres? Ne sais-tu
pas que les enfants des bergers n'ont rien de commun avec les
personnes de sang royal? Elle répondit: Moi aussi je suis de
sang royal aussi bien que toi. Je suis la fille de Mihrak. Puis
elle lui raconta toute l'histoire. Schâpour fut consterné; car il
PAKTIK 11, CHVIMTHK XIII. 87
bavait que, si Ardej!$ckir apprenait cet événeiueiit, il la l'erait
périr. 11 le cacha donc à Anleschir. llorinuzd aUei|;int i âge
deciuq ans, sans qu*il le présentât à Ardescliir, de peur (ju-il
u^apprit son origine. Un jour, Ardescliir, revenant de la cliai>se,
passa près du palais de Scliàpour. Horniuzd avait alors six
auSf et était occupé à jouer. Ardeschir dit à Scliàpour : Quel
est cet enfant? Schâpour répondit : C'est mon iils liorniuzd.
Ardeschir Fappela auprès de lui el le regarda pendant long-
temps, et Tcxamina, puis il dit: Je sais que c'est Ion Iils; mais
dis-moi qui est sa mère. Schâpour baisa la terre et dit : ^'ai
commis un crime que je vais maintenant avouer au roi, à la
condition que le roi ne fera pas périr cet enfant, ni sa mère.
S'il faut tuer quelqu'un , c'est moi qu'il faut faire périr, car
c'est moi qui ai connnis le crime. Ardeschir prit l'engagemcMil
qu'il ne les tuerait point. Alors Schâpour lui raconta toute
Thistoire de cette femme. Ardeschir lui dit: U mon iils, tu
m'as réjoui; car les astrolo{|[ues m'ont dit que mon royaume
passera à un rejeton de Milirak ; grâces soient rendues à Dieu
que ce rejeton soit sorti de tes reins; car celui-ci a des droits
sur mon trône et le tien. Puis Ardeschir donna à Ilormuzd des
marques d'aiïection et de grandes richesses. Lorsque, après
la mort d' Ardeschir, Schâpour monta sur le trône , il envoya
Hormuzd dans le Khorâsàn. Là, après dix ans de séjour,
Ilormuzd avait réuni de grands biens et une nombreuse ar-
mée. Les hommes l'envièrent et diiH3nt à Schâpour : Ilormuzd
réunit des forces pour t'attaquer et s'emparer de ton trône.
Schâpour l'appela devant lui; mais il craignit qu'il ne vint
pas à son appel; il tint secrets les rapports qu'on lui avait
faits, et réfléchit comment il procéderait. Honnuzd apprit
cet état de choses. Il se coupa une main; puis il guérit sa
blessure. 11 est de coutume chez les Persans de ne jamais
88 CHRONIQUE DE TABARI.
donner le Irône à quiconque a une infirmité, soit qu'il lui
manque une main, ou un pied, ou un œil; soit qu'il ait
quelque autre infirmité à son corps. Hormuzd mit la main
coupée dans une boîte et l'envoya à Schâpour, et lui écrivit
une lettre ainsi conçue : J'ai appris que l'on avait dit au roi
que je voulais m'emparer de la royauté. Mais je n'ai jamais
eu cette pensée, et je n'ai jamais cherché à avoir la royauté,
ni du vivant du roi, ni après lui. Je me suis donc coupé
cette main, mutilant mon corps, pour me rendre incapable
de régner, et le roi pourra nommer comme son successeur
qui il voudra. Je désire revenir à la cour, mais je ne l'ose
pas; j'irai où le roi m'appellera. Schâpour fut consterné et
eut des remords. Il écrivit une lettre à Hormuzd, et, en jurant
par l'Âme d'Ardeschir, il lui dit : Quand même tu te couperais
en morceaux, je te donnerais après moi ce royaume. Il le dé-
clara son successeur et l'appela à sa cour. Hormuzd revint à la
cour, et, à la mort de Schâpour, il monta sur le trdne et cei-
gnit la couronne. Il exerça l'équité et la justice, et il conserva
les fonctionnaires de son père, chacun dans sa fonction, en
leur disant : Ayez la même conduite que du temps de mon
père. Parmi les officiers de son père était Norman, fils d'Al-
Moundsir, fils d'*Amrou, fils d'*Adî, gouverneur des Arabes.
'Amrou, fils d'^Adi, est celui à qui Ardeschir avait donné le
gouvernement des Arabes et qu'il avait confirmé dans cette
charge. Lorsque Ardeschir mourut, Schâpour le confirina
également dans sa charge. Après que Schâpour eut régné
huit ans, ^Amrou, fils d'^Adi, mourut. Il laissa un fils, nommé
Al-Moundsir, fils d'^Amrou, fils d'^Adl. Schâpour le confirma
dans le gouvernement, en disant : Ardeschir n'a pas enlevé le
gouvernement des Arabes au^ Naçrites de la famille de Rabf a ,
moi non plus je ne le leur enlèverai pas. Moundsir régna sur
PARTIR II, CHAPITRE \1V. 89
les Arabes pendant treize ans; puis il mourut. H laissa un
fils, nomme Norman, fils d'Al-Moundsir. Schâpour lui donna
loat le royaume des Arabes. A la mort de Schâpour, Honnuzd ,
quand il monta sur le trâne, laissa à tous les fonctionnaires
de son père leurs charges , et accorda également à Norman le
gouvernement des Arabes.
Honnuzd régna un an ; puis il mourut. Son fils Uabrâni
lui succéda.
CHAPITRE XIV.
HISTOIRE DE BAHRAM, FILS D'HORMUZD.
Quand Bahrâm, fils d'Hormuzd, monta sur le trône, il
confirma tous les officiers de son père dans leurs charges, et
accorda le gouvernement des Arabes à Norman, fils d'AI-
Moundsir. Norman était devenu chrétien , et avait abandonné
l'idolâtrie et la religion des Arabes. Norman tint le gouver-
nement des Arabes, du temps de Schâpour, pendant quatorze
ans, jusqu à la mort du roi. Il y eut pendant sa carrière quatre
rois perses qui occupèrent [supcessivemeul] le trône : le pre-
mier fut Schâpour, qui lui donna le gouvernement; puis
. Hormuzd, fils de Schâpour; ensuite Bahrâm, fils d'IIormuzd
[et enfin Bahrâm, fils de Bahrâm |. Chaque roi qui monta sur
le trône laissa le gouvernement des Arabes aux mains de
Norman.
Bahrâm, fils d'IIonnuzd, lut un homme intelligent et bien-
veillant; il exerça la justice et l'équité; à sa mort, ses sujets
furent fort affligés.
Mâni, rhérésiarque, qui avait paru du temps de Schâpour,
avait converti un grand nombre d'hommes; de nu^me du temps
dHornnizd. Pendant le règne de Bahrâm, on reconnut que
90 CHRONIQUE DE TABAUI.
sa docirine étail fausse, et Babram le ûi saisir et mettre à
mort; il le fil écorcher, fil remplir sa peau de paille et la fit
suspeudre à la porte de la ville de Tchendi-Scbapour. Il fit
tuer également tous ses sectateurs, afin d'en délivrer la terre.
Bahràm régna trois ans et trois mois; puis il mourut.
Il eut pour successeur son fils, nommé Balirâm fils de
Balirâm, qui exerça la justice et Téquité, confirma les offi-
ciers de son père dans leurs charges et marcha dans les traces
de son père.
CHAPITRE XV.
inSTOlRE DU REGNE DE BAHRAM, FILS DE BAHRAM,
ET DE SES SUCCESSEURS.
Lorsque Bahrâm, fils de Bahrâm, monta sur le trône et
mit la couronne sur sa tète, il prit le titre de roi des rois. Il
exerça la justice et Téquité, et régna quatre ans. Il n'avait pas
de fils; mais il avait un frère nommé Narsi, fils de Bahrâm,
qui lui succéda, et qui régna sept ans. Celui-ci eut un fils
nommé Hormuzd, fils de Narsi, qui lui succéda. Son père„
de son vivant, Tavait nommé son successeur. Il était d'une
nature violente et d'un aspect dur. Lorsqu'on lui donna le
gouvernement, les hommes eurent de Taversion pour lui.
L'ayant appris, il réunit les hommes et leur dit : Je veux
renoncer à mes mauvaises dispositions et être bienveillant
envers vous. Après cela, il répandit la justice et l'équité; ses
sujets furent tranquillisés à son égard et l'aimèrent. Il régna
sept ans, puis il mourut. Avant de mourir, conmie sa femme
était enceinte , il recommanda par son testament , à ses su-
jets : Si cette femme met au monde un fils, je lui donne le
nom de Schâpour et lui destine le royaume. Le trône de Perse
PAirriE II, CllAlMTKi: \Vl. ui
resta vacant pondaut six mois; quiconque reinplissuit une
fonction continua, pendant ce leuq)s, de la remplir, et le
vizir [de BahrâmJ conduisit les aHairos, jusqu'au jour où la
fcQime mit au monde un iils. Le peuple en fut Irès-content;
on nomma cet enfant Schapour, on suspendit la couronne sur
son berceau cl on le fit roi, et le bruit s'en répandit aux quatre
coins du monde. Le vizir continuait de conduire les affaires,
et chaque Cbnctionnaire {jardail son poste. Ce prince était
Schapour Dsou'l-Aktaf.
Hormuzd avait envojé une armée en Syrie, pour exiger
du tribut du [roi desj Ghassan. Celui-ci demanda du secours
au César; mais, avant que Tarmée romaine fût arrivée en
Syrie, [le roi des] Ghassan avait été tué, et Tarmée arabe dis-
persée. Quatre mille hommes d'entre eux' firent une invasion
dans le désert. Hormuzd, étant allé un jour à la chasse,
accompagné de cinquante hommes, ces Arabes Fatlaquèrent
à la lisière du désert et le blessèrent, et il mourut de sa
blessure. Ils revinrent une autre fois, Schapour étant encore
enfant, et s'emparèrent d'une partie du Sawàd.
CHAPITRE XVL
HISTOIRE DK SCIIAPOL^R DSOU'L- AKTAF.
La nouvelle |de la naissance | de Schapour et de son avène-
ment au trdne de Perse se répandit dans le monde. Les rois
des Turcs, de Roum et de l'Inde apprirent que le Irone de
Perse était vacant, que les Perses n'avaient pas de roi, qu'ils
avaient nommé roi un enfant au berceau, et qu'ils lui gar-
daient le royaume jusqu'à ce qu'il fut devenu grand, sans
savoir sil vivrait ou non. Alors tous ces rois des Turcs, dt
92 CHRONIQUE DE TABARl.
rinde et de Rouni attaquèrent la Perse, et s'emparèrent de
ce pays : chacun prit la portion qui était dans son voisinage.
Ce furent principalement les Arabes qui firent des tentatives
sur la Perse , parce que celle-ci était plus rapprochée d'eux ,
et aussi parce qu'ils étaient plus pauvres et dans le besoin.
Des multitudes d'Arabes de chaque tribu et de tout endroit
s'assemblèrent , vinrent en Perse du côté de la mer, enlevè-
rent aux hommes leurs biens , emmenèrent les. troupeaux ,
et s'emparèrent des villes. Personne ne leur opposa de ré-
sistance.
La première occasion dans laquelle l'intelligence et la
bonne éducation de Schâpour se montrèrent fut la suivante.
Une nuit, étant endormi sur la terrasse, il fut réveillé, au
matin, par un bruit d'hommes. Il dit : Quel est ce bruit? On
lui répondit : Ce sont des hommes qui passent sur le pont;
les uns viennent d'un côté , les autres du cdté opposé ; il se
produit des rassemblements d'hommes qui se poussent les
uns les autres et qui font du bruit. Le lendemain , il fit ap-
peler le vizir et lui dit : Fais établir deux ponts, afin que
l'on puisse passer sur l'un en venant de ce cdté-ci , et sur
l'autre en venant du câté opposé, de sorte qu'il n'y ait pas
de rassemblements d'hommes qui se pressent. Les hommes
furent charmés de cette intelligence et de cette perspicacité.
Le même jour, on construisit un autre pont, et on fit de telle
sorte que, avant que le soleil fdt couché, le pont fut ter-
miné, et les hommes passèrent sur les deux ponts, et il n'y
eut plus d'encombrement. A mesure que Schâpour avançait
en âge, le vizir lui exposait chaque jour quelques affaires du
gouvernement, afin qu'il apprit à les connaître. Or un jour,
le vizir lui exposa le fait suivant : Les soldats qui sont placés
aux frontières du royaume , pour faire face aux ennemis , comme
PARTIE II, CiniMTRK XVI. 93
leis Arabes, les Itomaius et les Turcs, ont tous quitlé leur
poste et Tont abandonué; reiincini a franchi la frontièiv du
royaume, a tout pillé et ddvasté; maintenant rennemi s'ap-
proche. Schâpour dit : Ne t'afflige pas, car cette aiïain; est
facile. Ecris une lettre, de ma part, aux- troupes qui sont
placées h cet endroit, et dis-leur : J'ai pris des informa-
tions à votre égard; il y a longtemps que vous êtes à ces
postes et que vous êtes en face de Tennemi. Quiconque d'entre
vous désire rentrer dans sa patrie peut partir; je lui donne
son congé; mais celui qui restera là, afm que j'en dispose
et jusqu'à ce que j'aie envoyé quelqu'un à sa place, je serai
reconnaissant envers lui, et je le récompenserai. Le vizir el
toute la cour furent charmés de cet avis, et dirent : S'il avait
gouverné et régné de longues années, il n'aurait pas Irouvé
une plus grande clémence et un meilleur jugement. On
écrivit ces lettres, et les troupes eurent honte, et restèrent à
leur poste.
Quand Schâpour eut atteint l'âge de seize ans, et <{u'il
put monter à cheval et se servir des armes, il réunit les
grands de la nation, le peuple et l'armée, et leur lit la décla-
ration suivante : Je suis disposé à suivre la même règle que
mes aïeux, en ce qui consiste à vous gouverner avec jus-
tice, à rendre le pays florissant et à chasser l'ennemi du
royaume. Cet ennemi qui nous est venu du côté des Arabes
et qui a dévasté le royaume et qui a pillé, je vais l'attaquer.
De toute cette armée je vais prendre mille hommes que
j'aurai choisis , et j'irai avec eux pour rétablir le royaume.
Je laisserai ici un lieutenant, jusqu'à ce que je revienne. Les
hommes se levèrent, récitèrent des louanges sur Schâpour et
dirent : Il ne faut pas que le roi parle, car il a une nombreuse
armée et de vaillants généraux; (|u'il en place un à la tiUe
{
94 CIIRONIQUK DE TABARI.
(le Tarmée, qu'il Tenvoio pour rétablir Teinpire, et que lui-
même reste ici ! Schâpour n'y conscutit pas. Il choisit mille
hommes dans Tarmée , tels que chacun d'entre eux pût lutter
contre cinq cents, et dit : Ce seront cent mille hommes. Puis
il leur dit : Je vous interdis de faire du butin, excepté ce que
je vous donnerai. Si vous êtes victorieux dans le combat,
versez le sang, et ne laissez personne en vie, et ne prenez
aucun bien. Ensuite il partit pour la frontière de la Perside
et attaqua les Arabes qui y étaient entrés", venant du Ba^hraîn ,
vers le littoral, et qui s'étaient emparés des villes des fron-
tières. Il les tua tous et n'en laissa pas un seul vivant. Puis il
alla par mer dans le Ba^hraïn. Il y avait dans le Ba'hraïn
des Arabes des Beni-Temîm , des Benî-Bekr-ibn-Wâïl et des
Benî-^Abdou'1-Qaïs. Il les tua tous, de sorte que le sang
coula sur le sol comme un fleuve et tomba dans la mer; per-
sonne ne pouvait se sauver devant lui. De là il se dirigea
vers les villes des ^Abdou'1-Qaïs, et tua tout Arabe qu'il y
trouva; ceux qui s'enfuirent dans le désert périrent dans les
sables. Il ne prit aucun butin, craignant que l'armée ne
fût trop chargée. Ensuite il entra dans le désert, se dirigea
vers Yathrib. c'est-à-dire Médine, et massacra tous les Arabes
qu'il rencontra. Il lit combler tous les puits du désert, dont
les Arabes tiraient de l'eau, et les fit détruire. De Yathrib il
se dirigea vers la Syrie , arriva aux bords de la mer, et passa
à Alep; il massacra tous les ennemis qu'il rencontra; en-
suite il poursuivit sa marche. Entre la Syrie et l"Irâq est un
désert, dans lequel habitaient un grand nombre d'Arabes.
Il massacra tous les Arabes qu'il y rencontra. Il s'arrêta dans
le Sawâd de l'^Irâq et y fonda une ville , nommée Bersakh-
Schàpour. Dans TAhwâz il fit reconstruire deux villes :
Tune, qui avait été fondée par Dàrab, fut nommée [alors]
I»\BTIR IF, <:HM>FTUK \VI. \Ki
àScliâpour, i*t 1^111 Iro fut npiu^hM* Srhousrli. IViis il entra «laiis
la Syrie, y lit un grand massacre ol pilla, dévasta lo pays.
Ensuite il retourna dans la Porsido cl y fonda une ville, cpf il
nomma Beli-Schàpour; et il rentra dans rMrâ(|, a Madaïii.
Il y avait dans Roum un roi, nommé Kliànus (Julien), qui
Tôt de la famille de Constantin, appartenant a la relijpon
chrétienne, à la i*eli{pon de Jésus. Ce Julien abandonna ensuite
le christianisme et rc^tourna au pafjanisme, qui lut la reli{pon
des Romains, avant Jésus. 11 fit détruire toutes les é[T|ises
de Roum et briser toutes les croix. Lorstpie SrbApour, après
avoir cnvabi la Syrie et porté le massacre , le pillage et la
dévastation sur la frontière de Roum, fut rentré dans ses
États, Julien, le roi de Roum, rassembla une armée; et
comme le royaume des Kbazars faisait partie de son empiiv,
il alunit é{[alemeiit une armée de Kbazars, et fit \enir des
troupes de toutes les parties de son em|ûre. Tous les Arabes
qui s*étaient sauvés de la main de Sclià|)our et étaient venus
dans Roum se présentèrent devant Julien et lui demandèrent
lautorisalion d'aller avec lui pour faire la [juerre à ScliApour.
n leur donna la ])ermission, et ils allèrent avec lui. Ils envoyè-
rent des messa{[ers en Arabie, dans leBa'liraïu, dans le dé-
sert, à Yathrib, en Syrie, et partout où Srliâpour avait [lassé
et massacré les Arabes, pour appeler [tous les liabitantsj à la
guerre; et ils réunirent une nombreuse armée. Le roi de Roum
sortit de son pays n\cc cette armée, composée de Romains, de
Khazars et d'Arabes, et qui était innombrable. Julien passa en
revue les Arabes : il v avait cent soixante et dix mille liommes.
H en fil son avanl-([ardc, en plaçant à leur tête un de ses
généraux romains, nonnné Jovianus. Lui-même partit avec
l'armée de Roum et des Kba/.ars, et entra dans r'Irîi([.
Quand Scbâpour en fut informé, il eut d<'<î a|iprébensions
96 CHRONIQUE DE TABARl.
el envoya des espions vers cetle arinëe pour en connaître le
nombre et les armements. Les espions revinrent et rappor-
tèrent des renseignements contradictoires; chacun d'eux fai-
sait un récit différent. Schâpour ne se reposa pas sur eux ,
quitta l'armée et alla lui-même avec cent hommes pour faire
une reconnaissance et prendre des informations. Lorsqu'il
fut arrivé près de l'armée romaine, là où Jovianus était
campé avec son avant-garde, Schâpour envoya dix hommes
de ceux qui l'accompagnaient vers l'armée de Jovianus, pour
y faire une reconnaissance. Les Romains firent prisonniers ces
dix hommes et les amenèrent devant Jovianus. Il les fit in-
troduire auprès de lui un à un et leur dit : Si vous avouez
qui vous êtes et dans quelle intention vous êtes venus, je vous
traiterai bien; si vous n'avouez pas, je vous ferai mettre à
mort. Il examina chacun en particulier et lui dit: Si tu n'a-
voues pas , il se peut que ton camarade avoue ; celui-ci sera
mis en liberté, et toi tu seras mis à mort. Un seul parmi
eux avoua, et fit la déclaration suivante : Nous sommes
envoyés par Schâpour pour faire une reconnaissance. Schâ-
pour est venu lui-même, sans armée; il reste à tel endroit
avec quatre-vingt-dix autres hommes el nous attend. Schâ-
pour apprit ce résultat, quitla le poste et retourna à l'ar-
mée. Jovianus envoya mille cavaliers contre Schâpour, à
l'endroit indiqué par cet homme, mais ilç ne le trouvèrent
pas et retournèrent. Jovianus fit mettre à mort les espions
envoyés par Schâpour, les neuf, [qui n'avaient pas avoué]
et également le dixième, en disant: Ils ont tous menti. En-
suite il dépêcha une personne vers Julien pour le préve-
nir. Julien quitta son campement, vint rejoindre Jovianus,
et les deux armées se réunirent et se préparèrent à attaquer
Schâpour. Tous les Arabes de l'armée se réunirent et allé-
PARTIK II, <:iIA!MTnK \\ I. 97
reut trouver Julien et dcmandtTent ù attaquer Srliàpour, di-
Haut : Accorde-nous de livrer ce combat; car nous avons à
nous venger de Schâpour. Julien y consentit, et cent soixante
et dii mille Arabes allèrent au-devant de Scliàpour, lui li-
vrèrent un combat et Tc^crasèrent. Schâpour s'enfuit de Ctési-
phon et se sauva dans T^ràq. Los Arabes tuèrent un grand
nombre de ses soldats et firent beaucoup de prisonniers. Ju-
lien arriva et s'empara de tous les magasins et des trésors
de Schâpour, et resta à Clésiphon.
Schâpour envoya des lettres dans toutes les parties de son
empire et appela des troupes de T^Irâq , de la Perside et du
Khorâsân, les réunit toutes et vint attaquer Julien. Il le mit
en fuite et lui reprit Ctésiphon et Madâïn. Julien revint, s'ar-
rêta aux bords du Tigre, et Schâpour fit marcher son armée
contre lui, s'arrêta en face de lui, et resta ainsi [>endant un
mois. Des envoyés allèrent et vinrent [d^in côté à Tautre]
jiour négocier la paix. Un jour, dans l'après-midi, Julien se
tenait à cheval devant sa tente avec ses familiers, en face de
l'armée de Schâpour, et il la regardait. Une flèche vint du
camp de Schâpour et pénétra dans le foie de Julien, qui tomba
et mourut. Ses troupes en restèrent stupéfaites. Le lendemain,
tous les gens de Roum et des Khazars se réunirent et allèrent
trouver Jovianus pour le proclamer roi. Mais lui n'accepta pas,
disant: Je suis chrétien, et Julien vous a fait abandonner le
christianisme; je n'accepte pas d*<}tre votre roi. Ils déclarèrent
tous par serment ceci : Nous ne l'avons abandonné qu'en
apparence, notre religion à tous est le christianisme. Alors
Jovianus accepta la royauté.
Lorsque Schâpour fut informé* que Julien était mort, il
l^ensa que l'année s'en retournerait. Mais quand il apprit que
les Itomains avaient proclamé Jovianus, il en fut très-étonné,
II. 7
98 CHRONIQUE DE TABAHI.
et il leur envoya le message suivant : Dieu a l'ail périr votre roi ,
et vous en avez nonmië un autre. J'ai Te^poir que Dieu vous
fera périr également dans T'Irâq par la faim , de sorte qu'aucun
de vous ne rentrera dans Roum ni dans le pays des Khazars, et
mon armée n'aura pas besoin de tirer Fépée contre vous. Et
puisque vous avez établi un autre roi, qu'il envoie ici un offi-
cier habile dans les négociations, afin que nous débattions
avec lui : s'il faut la paix, nous ferons la paix, et s'il faut la
guerre, nous ferons la guerre. Jovianus dit: J'irai moi-même.
Les autres dirent : Il ne faut pas. Mais il n'obtempéra pas k
leur désir et s'en alla lui-même avec quatre-vingts officiers de
Roum pour trouver Schâpour. Quand celui-ci entendit que le
roi de Roum arrivait de sa personne, il fut enchanté et alla au-
devant de lui avec cimjuante officiers perses. Quand ils furent
en présence l'un de l'autre, ils descendirent tous les deux de
cheval, se saluèrent, baisèrent la terre et s'arrêtèrent au mi-
lieu de leurs suites. Schâpour fit étendre un tapis de brocart,
ils s'assirent; on apporta le service de Schâpour, et ce jour-là
ils mangèrent ensemble et se réjouirent. Le lendemain , Schâ-
pour dit à Jovianus : Moi, je voudrais faire la guerre; mais à
cause de toi je veux faire la paix. J'avais attaqué les Arabes,
parce que, pendant mon enfance, ils ont pillé et dévasté mon
royaume; je les avais poursuivis et avais passé dans Roum.
Maintenant je vais faire la paix avec vous et j'ai fait cesser la
guerre. Cependant, vous avez commis dans ce pays, qui est
mon empire, des dégâts. Donnez une indemnité pour cela, ou
donnez -moi la ville de Nisibe. Cette ville était située dans
l'Ahwâz et appartenait aux Perses, mais les Romains s'en
étaient emparés. Jovianus et les quatre-vingts hommes qui
l'accompagnaient consentirent; ils conclurent la paix et stipu-
lèrent que les Romains ne garderaient pas avec eux les Arabes
• PAHTIK II. <;ilAI>ITRK XM. 99
el qu*il8 lie les souiïriraii'iil pas dans le pays de Itouni. Ils con-
durent donc la paix, et les Romains so retirèrent. Ils livrèrent
la ville de Nisibe à Schâpour, et éloignèrent les Arabes du n\j-
lieu d'eui. Quand les habitants de Nisibe le surent, ils se ren-
dirent tous dans le pays de Roum et évacuèrent la ville. Alors
Schâpour y transporta douze mille familles de ses sujets de la
Perside el dlçtakhr, et les y établit. Puis il attaqua les Arabes,
et, partout où il trouva un Arabe, il le tua ou il lui fit percer
le8 deux épaules : c'est pour cela qu'ils rappellent Schâpour
aux épaules (DsouM-Aktâf). Il voulut ({ue pas un seul Arat)e ne
restât vivant. Ensuite il s'en retourna et demeura en |)aix.
Lie roi de Roum vécut encore cinq ans, puis il mourut,
et les Romains proclamèrent un autre roi. Alors les Arabes
qui avaient échappé à Schâpour s'enfuirent dans le pays de
Roum. Schâpour envoya un messager à Roum avec le mes-
sage suivant : J'ai conclu la paix avec vous, à la condition que
vous ne donnerez pas asile au milieu de vous aux Arabes.
Si vous éloignez les Arabes, ce sera bien; sinon préparez-
vous à la guerre, l^e roi de Roum ne lui livra pas les Arabes.
Schâpour rassembla l'armée de Perse pour lui porter la
guerre. Mais il voulut d'abord connaître le roi de Roum , son
extérieur et la mesure de son intelligence. 11 partit et se rendit
a Roum, seul et dans les habits d'un pauvre qui va de ville
en ville; il alla ainsi à Roum pour apprendre ce qu'il dési-
rait savoir. Le roi de Roum fut informé par des espions que
Schâpour avait dispani du milieu de ses sujets et de son en-
tourage, et que personne ne savait où il était. Le roi de Roum
eut des appréhensions à l'égard de ce prince, et il ne savait
pas qu'il était dans Roum. Or le roi de Roum donna un banquet
auquel se rendirent tous les grands du rovaunie. Schâpour
y alla, |^rmi les pauvres, pour voir la ligure du roi. In des
100 CHROMOl >K DE TVBAIil
gi-ands ie reconnut; car il Tavait vu lors de la conclusion de
la paix, il dit au roi que c'était Schâpour. I^ roi Gt apporter
1% peau encore humide d'un bœuf, et avec cette peau on enve-
loppa Schâpour depuis les pieds jusqu'au cou , ne laissant libn*
que la tétc. Cette peau sécha sur lui, et il ne pouvait plus se
remuer. Alors le roi de Roum rassembla une armée, partit
pour le royaume de Schâpour et enunena avec lui Schâpour
toujours enveloppé de cette peau. 11 détruisit les villes, lit
un grand massacre, et fit arracher les arbres. Puis il quitta la
Perside et envahit FAhwâz; il y fit de même. De là il vint dans
la ville de Tchendi-Schâpour, et y agit de la même façon. Des
gardiens veillaient jour et nuit sur Schâpour, et si quelque
prisonnier arrivait , ces gardiens de Schâpour le tenaient éga-
lement. Or, une nuit, les gardiens s'étaient relâchés de leur
surveillance sur Schâpour. Il y avait là, posées près de lui,
des outres remplies d'huile. Schâpour dit aux prisonniers de
l'Ahwâz : Versez ces outres sur moi. Us firent ainsi , et la peau
s'amollit, et Schâpour en sortit et se sauva vers la ville de
Tchendi-Schâpour. II dit aux gardiens de la porte : Je suis
Schâpour. Ceux-là le reconnurent et le firent entrer. Le peuple
se réunit autour de lui, se réjouit et poussa des cris de joie.
Le roi de Roum apprit que Schâpour s'était enfui et avait
pénétré dans la ville. Schâpour réunit toutes les troupes qui
se trouvaient dans la ville et, quand il fut jour, il sortit de
la ville, tomba sur l'armée de Roum, la mit en fuite, tua un
grand nombre d'hommes, et fit prisonnier le roi de Roum. Il le
lit charger de lourdes chaînes et exigea de lui qu'il ftt recons-
truire tout ce qu'il avait détruit dans son royaume, qu'il fit
planter, à la place de chaque arbre qu'il avait fait arracher,
deux arbres, et, à la place d'un palmier, un olivier. Le roi ap-
pela des gens de Roum et fit tout rétablir; et les arbres de-
PAirriK II, <:nAi>rnu: x\i. loi
\iiireiil grands et portèrent des fruits. Le roi de Uouiii resUi
dii ans dans la captivité de Schâpour. Quand tout l'ut ter-
naînéy Schâpour luidta lesliens, lui lit couper les deux talons,
le plaça sur un âne et le renvoya à Roum.
Tous les Arabes vinrent se mettre sous la protection de
Scbâpour; il la leur accorda et les envoya dans le kirniân.
Tous les Arabes qui aujourd'hui sont dans le Kiruiân sont
[les descendants] des tribus de Tha'lab, de Bakr-ben-Wâïl (>t
d*Abdou*l-Qaïs,qui y furent envoyées.
Le gouvernement des Arabes et de ^Hira , qui avait été donné
à ^Amrou, fils d'^Adi, ne lui fut pas enlevé par Schâpour, qui
le lui laissa, comme avaient fait ses pères. Puis'Amrou, fils
d**Adi, mourut et laissa un fils, nommé Imrou'l-Qaïs. Schâ-
pour accorda à ce prince le royaume de son père, et il eut le
gouvernement des Arabes, de ^llira et du désert, de même
que ses aïeux. Imrou1-Qaïs mourut , et laissa un fils nommé
^Amrou, à qui Schâpour donna le gouvernement, de même
qu'il Tavait donné à son père, et^\mrou le conserva pendant
loul« la vie de Schâpour. Après cela, Schâpour resta encore
trente ans sur le trône du Perse. Aucun de ceux qui occu-
pèrent le trône de Perse n'ôta le gouvernement à *Amrou.
Schâpour resta sur le trône pendant soixante et douze ans,
puis il mourut. 11 avait un jeune fils, nommé Schâpour fils
de Schâpour, et un autre, plus âgé, nommé Bahrâm fils de
Schâpour. Il avait aussi un frère aine, nommé Ardeschir.
Son père Tavail chassé , et , à cause de cela , il avait laissé le
trône â Schâpour, qui était encore dans le sein de sa mère.
Quand Hormuzd mourut, Ardeschir pensa que les grands do
la Perse et les mobeds lui donneraient le gouvernement,
parce que Schâpour était encore dans le sein de sa mère.
Mais ils ne h» tirent pas; ils respectèrent la volonté d'Ilor-
v\nia n. < lui-iiitt \n lui
Miireiil gMua:' -1 prtiT*-iil <li- Ifiiits. U roi .l.' llnii t.i
ili\ ails dan* la fapti«itO il-' Silià|HHir. Ounml l<iiil fiil h-i-
niitii-. Si^liàiHjur luiijla U-slii-iis. lui lit riiuj»Tii--il.-ii\ Uimi-.
le i)laïa sur un àui- «.-l I'.' ivimija à H'Hiiu.
Tous It! Arabe:' »iui*nl si- iiu-ltre >ous la jinili-ili !■■
Srliàpour; il U k-ur aiTonla ft li-s i-inuja dall^ le kiniiàii.
Tiiui les AraWî- ijui aujouiilliuî xnit ilaii> If kirinàii -mil
[les ilesrenilaiib] •le> Irilus Jf Tliu'iub. ilt- ItaLrlxii-W liil "I
ir\biioul-',)al*,tlui ) riiri'iil i-iiMiuVs.
Le gouicriieinmil <ie> Arabi'stt ilu'llir» , i|iii avait rlr il»tiii<'-
ii'.\iui'OU,filsd''\<lî, nu Im fui |ia» eiili'ti- [laiSiliùiinui'. >{iii
11- lui laissa, tommi; a*aieiil fail m's [>vns. Piii!>'.Viiiniii. liU
■r.yî, mourui e\ laissa un liU. iiomiué liiiruu'I-IJui». Silià
jiour accunla à ce (iriiirt; le mauuu: ili- siin [lèiT , r\ W cul ii-
guuveniei»ei;t des Arabes, de 'Hira et du di-M-rl, di- uu'im-
tjue »e!> aïvu\. linnm'I'IJais uimirul, et lai^sa un tils iiiiuiuié
'Amruu, à qui Scbùixmr duiiua le );ouveruemi-iit , (1>< inriiii'
tiuil lavail Jouiiv àsou [lèie. i-l'Amioii le eoiiseiva {icudaiil
IuuIë la \ic de Sebàiiour. \\nv» cula, Sibàjiuur ivsta emure
Ireiite ans sur le trôue (le l'ei'se. Aucun de ceuï <)ui oiru-
l'wenl le Irùne de Perse n'ùta le {.'ouHriieiueul à 'Auirou.
Scliàimuv ivsla sur le trône pendant soixante el doua- an»,
puis il uiuunil. U avait nu jeune lils, uuimiié .Srliàpour Ëls
de Schàpour, el un autre, plus ùyû, uuiiimé Balirini IJI» 4e
SeMpuï. U avait aussi u« frère ainv, nomme AnJoeifr
■■ a père l'avait cbassi- , el , à cause de cela , il ■tuI ji^^ i,
l^àpour, qui ëuil uucon: daus \e làn iê u mèn.
'■"l,Ardmhîrpe„«,„i, ^
> mobeds lui donneniMi k p^
encore diw te (BB * s
le Urcut II
'""'**^*'^^n*
102 CHRONIQUE DE TABARI.
muzd, aUciidircnl la naissance de Schâpour et lui douuèrciit
le royaume. Ardeschir garda rancune aux Perses. Quand Schâ-
pour fut grand, il traita Ardeschir avec bonté; et lorsque
Schâpour mourut, son frère Ardeschir monta sur le trône de
Perse, et les hommes le reconnurent, parce que les fds do
Schâpour étaient encore jeunes.
CHAPITRE XVII.
HISTOIRE D'ARDESCHIR , FILS D'UORMUZD.
Après qu*Ardeschir, fils d'Hormuzd et frère de Schâpour,
fut monté sur le trône, qu'il eut mis la couronne sur sa
tête, et qu'il eut été reconnu par le3 habitants, il exerça
la justice pendant un an. Puis, quand il fut en possession
incontestée du gouvernement, il fit mettre à mort nn à un
les grands de la province de Perse et aussi des mobeds du
royaume de Perse, et poursuivit sa vengeance. II fut roi pen-
dant quatre ans; ensuite on le chassa du royaume, et Ton mit
sur le trdne Schâpour, fils de Schâpour.
CHAPITRE XVIII.
HISTOIRE DE SCHAPOUR, FILS DR SCHAPOUR.
Or, quand Schâpour, fils de Schâpour, monta sur le trône,
il exerça la justice et Téquité, et les habitants furent contents
et se reposèrent sur lui. Son oncle Ardeschir se soumit à lui.
Il régna pendant cinq ans. Puis, un jour, qu'il était assis dans
sa tente, les troupes se révoltèrent et jetèrent la tente sur sn
tête, et il en mourut. Son frère Bahrâni, fils de Sclia|K)ur,
monta sur le trône à sa place.
VAIITIK II, <:IIAIMTHK \\. 103
CHAPITRE \IX.
lUSTOIIIK DE UAimÂM , FILS DR Sc'llÀPOUH.
Ou rappela Bahrâiii Kirinàiischàli, parce (jue Srliàpour lui
avait donne le gouvernenicnl de Kirniaii pendant sa jeunesse.
Les bonunes reconnurent son autorité, el il fut en possession
incontestée du royaume. Il régna onze ans. Ensuite les troupes
se révoltèrent, se réunirent, Tentourèrent et le frappèrent
d'une flèche; il en mourut. Personne ne sut qui avait lancé
celte flèche. Après lui, son fils Yezdedjerd al-Athîm (le Mé-
chant) monta sur le trône. Il commit beaucoup de violences,
et c'est pour cela qu'on l'appelle al-Athim, el, en persan,
Bezègâr.
CHAPITRE XX.
UISTOIRE DE YEZDEDJERD AL-ATHIU.
Quelques-uns disent que Yezdedjerd élait fils de Schâpour
et frère de Bahràm. CY^tait un honnne intelligent et raison-
nable. Lorsque la couronne lui échut, il se départit de ces
bonnes dispositions et commit des violences; il était orgueil-
leux, dédaignait la sciences et les hommes de science, et
méprisait ses sujets. Il ne pardonnait aucune faute, et punis-
sait les fautes légères comme des fautes graves; il n admet-
tait pas les personnes qui voulaient intercéder [auprès de lui
en faveur de quelqu'un], ni aucune sollicitation ; il ne se fiait
* à personne, et si quelqu'un lui rendait un service, il ne lui
donnait pas de récompense. Il ne recevait aucune recomman-
dation, el disait au solliciteur : Combien as-tu pris [pour ce
104 CHRONIQUE DE TABARl.
service]? El ii suspectait tout le monde. Il établit un vizir
nommé Narsi, un homme sage et noble. Mais il n'écoulait
jamais sa parole. II versait beaucoup de sang, et scjs sujets,
complètement réduits entre ses mains, invoquèrent Dieu
dans leur affliction. Il s'en alla de Madâïn dans la Perside,
et de là dans le Kirmàn pour se rendre dans le Khorâsan,
et partout où il allait, il commettait plus de cruautés. Alors
on rappela Yezdedjerd al-Athîm (le Méchant), et quelques-
uns rappelaient Yezdedjerd al-Khaschn (le Dur), à cause de
son injustice. Il régna vingt et un ans. Quand son terme fut
arrivé, un cheval indompté vint et s'arrêta devant son palais.
On n'avait jamais vu un cheval aussi beau. On en informa le
roi, qui ordonna de seller et de brider le cheval. Mais per-
sonne n'osait l'approcher. On le dit à Yezdedjerd. Il sortit,
caressa le cheval, lui mit la selle et la bride, et le sangla. Il
voulut aussi arranger la croupière; alors le cheval lui lança
une ruade et l'atteignit au cœur; et Yezdedjerd mourut. Le
cheval prit sa course , rejeta la bride et la selle et déchira la
sangle. Personne ne sut d'oiî il dtait venu ni où il alla. On
dit : C'est un ange que Dieu a envoyé pour nous délivrer.
Après lui, Bahrâmgour monta sur le trône. Au moment de la
mort de Yezdedjerd, Bahrâmgour n'était pas présent. Nous
allons raconter la cause de son absence; ce récit est très-
curieux. Lie nom de ce roi était Bahrâmdjour en arabe, et eu
persan Bahrâmgour,
CHAPITRE XXI.
HISTOIRE DE BAHRÂMGOUR, FILS DE YEZDEDJERD.
On raconte qu'aucun enfant (|ui naissait à Yezdedjerd n'é-
tail viable, et que tous mouraient aussildl. Or le gouverne-
PARTIE II, CHAPITRE XXI. 105
ineot des Arabes était d'abord entre les mains d'^\inrou, fils
d'Imrou'l-Qais. Lorsque ^Amrou mourut, il laissa un fils,
nomme Imrou'1-Qaïs, qui tint le gouvernement des Arabes
de Schâpour. Imrou*l-Qaïs mourut du temps de Bahràm,
fils de Schâpour, qui conféra le gouvernement à Norman,
fik dlmrou'1-Qaïs. Quand Yezdedjerd monta sur le trône,
le gouvernement des Arabes était entre les mains de ce
Norman, et Yezdedjerd le lui laissa. Comme tous les en-
fants de Yezdedjerd mouraient, ayant eu un fils, qui devait
être son successeur sur le trône, et quil nomma Bahràm,
il pensa qu'il fallait Téloiguer de la Perse et Tenvoyer dans
un endroit de ^Hlra, où il aurait un air plus sain. Il dépé-
cha un messager vers le roi des Arabes et Tappela de Ullra.
Norman, fils d'Imrou 1-Qaïs, vint; Yezdedjerd le traita avec
distinction et lui dit: Je veux te confier mon fils, emporte-le
et élève-le dans.Tair de 4Iira et du désert. Norman prit
Bahràm et Temmena à ^Hira. Il lui donna trois nourrices :
il en choisit une parmi les femmes de Perse, et il l'em-
mena avec lui, afin qu'elle pût nourrir l'enfant pendant le
voyage. C'était une femme d'une grande famille de Perse,
de noble origine, trcs-entendue et d'une bonne constitution.
Quand il fut arrivé à ^Hira, il choisit deux nourrices arabes,
de grande et noble origine; il les chargea toutes les trois d'é-
lever Tenfant, de le surveiller jour et nuit et de l'allaiter suc-
cessivement. L'air de Mlira est le plus pur et le meilleur du
monde entier.
Ensuite Norman ordonna qu'on cherchât un très-habile
architecte , pour construire un palais , sur la terrasse duquel
on tiendrait cet enfant, où il y aurait un air plus agréable et
plus pur. Et il voulut que ce palais AU rond comme un pa-
villon et élevé comme un phare, v[ n^nfermât des habitations
!06 CHHONIQUE DE TABARl.
et uu chàleau. On appelle un tel palais kkawaniè en persan ,
et khawamaq en arabe. On chercha dans tous les pays arabes
et dans la Syrie, et Ton trouva eu Syrie un homme, du pays
de Roum, qui y faisait des constructions de diiïérents genres,
telles qu étaient les constructions de Roum. Son nom était Si-
nimmâr. On Tamena auprès de Norman, qui lui dit : J'ai chez
moi le fils du roi de Perse; je veux construire pour lui un
édifice plus élevé que tout autre, au haut duquel je puisse
faire demeurer cet enfant, pour qu il respire un air plus sain ,
et pour qu'il soit plus éloigné de la surface de la terre. Je dé-
sire donc que tu me construises un khawamèy au haut duquel
il y ait une habitation où des hommes puissent demeurer
en hiver comme en été, et où je puisse tenir Tenfant. Je
veux que tu fasses tout autour un mur rond, d*une exactitude
et d'une beauté telles, que personne ne puisse dire que Ton
ait fait une construction pareille en Syrie ou dans Roum.
Sinimmâr dit : Je te ferai un édifice tel, que personne n'en
aura possédé sur la terre , de l'orient à l'occident.
Ensuite Sininmiâr demanda des ouvriers, des outils et du
mortier; il prépara le mortier comme il l'entendait, et le
liquéfia avec du lait. Il travailla pendant cinq ans, et cons-
truisit un édifice qui, dans la nuit, brillait comme la lune;
et quiconque le regardait, le jour, ne pouvait en détacher ses
yeux; Arabes et Perses en furent dans le ravissement. Norman
vint, et quand il le vit, il dit à Sinimmâr: Tu as produit
une chose telle que moi je n'aurais su te la demander. Si-
nimmâr dit : Si j'avais su que tu serais reconnaissant envers
moi et que ma peine ne serait pas perdue, j'aurais fait un
édifice qui aurait changé de couleur avec le soleil : le matin,
quand le soleil se lève, il aurait eu la même couleur que le so-
leil; puis, quand le soleil esl plus élevé et devient plus rongr,
PARTIE II, CHAPITRE X\I. 107
rédiiice serait devenu t^galenient rouge; et, au milieu du jour,
quand le soleil est jaunâtre, Tédilice aurait eu la même cou-
leur; et quand le soleil devient jaune, il serait également
devenu plus jaune; et quand la lune se lève, il serait devenu
blanc comme la lune. Norman dit : Tu peux faire une cons-
truction supérieure à celle-ci ? L'autre dit : De beaucoup
supérieure et plus élevée. Le roi Norman pensa : Si quelque
roi de la terre lui donne des richesses immenses, et si cet
homme fait un édifice supérieur et plus beau que celui-là,
qu'en sera-t-il alors? Puis il dit : Puisque tu pouvais faire
mieux que cela, pourquoi ne Tas-lu pas fait? Y a-t-il un roi
plus juste que moi? Réponds-moi. Ensuite il se mit en co-
lère et ordonna de conduire Sinimmâr au haut de Tédifice
et de le précipiter en bas, afin que son corps se brisât. Chez
les Arabes, quand un homme paye un autre d'ingratitude,
on dit: trLa récompense de Sinimmâr,?) proverbe arabe qui
est employé dans le langage ordinaire, par exemple comme
dit un poète :
H m*a récompense (que Dieu le récompense de ia plus mauvaise de ses
récompefites ! ) de la récompense qu'eut Sinimmâr, quoiqu'il fût innocent.
Ou ne connaît pas fauteur de ce vers, et Ton ne sait pas à
quelle occasion il a été composé. II fait partie d'un poème de
dix vers qui se trouve dans le recueil des proverbes. Mo^ham-
med, fils de Djarir, n'en a pas rapporté l'histoire dans son
ouvrage; je vais la raconter, parce qu'elle est curieuse; la
voici :
Il y avait un roi d'entre les rois Ghassânides, nomnm
'Hârith, fils de Maria le Ghassânide. Un homme de la tribu
de Kelb était venu le trouver et lui avait apporté eu cadeau
un cheval. Le nom do cet homme était 'Abdou i-'Aziz, fils
108 CHIIONIQLE DE TABAUl.
dlmrou 1-Qaïs ; il ëtait uu des grands et puissants de la tribu
de Kelb. Ce roi Ghassânide agréa le cadeau et se moutra
reconnaissant envers ^Âbdou'l-^Aziz, qui avait avec lui deux
Gis, Tun nommé ^Abdou'l-^Hâritli, et Tautre Scherâ^bil; le roi
le garda, lui et ses deux fils, à sa cour, et leur donna chaque
jour leur entretien. Le roi Ghassânide avait un fils, qu'il avait
donné en nourrice dans la tribu de Kelb, à laquelle appar-
tenait SVbdou'i-^Azi'z, pour Ty faire élever. Les rois avaient
[alors] la coutume de confier leurs fils aux chefs des tribus
ou des villes, afin quils les élevassent et leur donnassent
une éducation complète ; ensuite ils les ramenaient. Or on
informa le roi Ghassânide que son fils avait été mordu par
un serpent et quii était mort. Le roi eut le soupçon que
les gens de la tribu de Kelb avaient tué son fils. Il fit venir
^AbdouPAziz, et lui dit : Va, enchaipe tes fils et les fils de
tous les grands de ta tribu et amène-les. L'autre dit : Puis-je
enchainer mes fils et les fils de mes proches? Le roi déclara
par serment : Si tu ne les amènes pas, je te ferai mettre à
mort. ^Abdou PAziz dit : Je reçois de toi la même récom-
pense que Siuimmâr reçut de Norman, le seigneur du kha-
warnaq : il s'attendait de sa part à des actes de générosité,
et il fut tué par lui. Ensuite "Abdou'l-^Aziz envoya ses deux
fils vers la tribu de Kelb, pour informer les hommes de ce que
le roi méditait contre eux, afin qu'ils pussent prendre leurs
précautions; et il écrivit le poëme suivant, qu'il leur envoya
par ses fils :
li m'a récompensé (que Dieu le récompense de la plus mauvaise de ses
récompenses I ) de la récompense qu'eut Sinimmâr, quoiqu'il fût innocent :
11 avait travaillé pendant vingt années à construire un édifice qui était
couvert de tuiles et de plomb.
Or, quand il eut vu Tédifice dont l'élévation «'lait terminée et qui était
comme une monla|pic haute et escarpée ;
PAIiTIE II, CIIAIMTRE XXI. lOÎ)
Et il Ta vail terminé après vingt années, et il avait excité rudiiiiralion ilis
gens de TOrient et de TOcddonl ;
Et que Sinimmâr y eut fondé des espérances d''en être récompensé , et
d*avoir obtenu son afl(>ction et son amitié ,
Alon [No'mân] dit : Précipitez le barbare du haut de son chAleau ! Et
cela, par Dieu! fut le plus grand des crimes.
Or moi, je nVais pas envers Ihn-'Haqba, sachez-le, do faute qui vienne
aoof la forme d^un serment contre Kelb.
Certes, il viendra fouiller, avec la cavalerie, les fonds de leurs |)ay8. Tu
aéras dégagé, d prince, de ton serment extravagant.
Quanta la choae à laquelle Ibn-'llaqba s'ost engagé, les hommes repous-
seront la tyrannie de la tribu.
Déjà, avant toi, Thomme lIArith nous avait inquiétés; mais il fut ramené,
les mains attachées au cou , auprès des collines rouges.
Norman fit conduire Balirâin sur la terrasse de ce klia-
wamaq et Ty Gt élever. Eu face de ce château il y avait un
village nommé Sedir, qui était également sur le territoire de
'Htra. Sur la terrasse de ce khawarnaq, on avait d'un colé
le désert; Tair [qui souillait de ce côté] est le meilleur air
du monde; de Tautre côté, le Sawàd de T'Irâq, des villages,
des sommets de montagnes, le fleuve Euphrale : c'était la plus
belle chose et le plus beau spectacle que Tœil pAl voir. Les
. Arabes appelaient Norman irle seigneur du kbawarnaq et du
SedJr.7) Il éleva donc Bahrâm au haut du khawarnaq jusqu'à
ce qu'il fût grand et qu'il eût accompli sa dixième année.
Norman avait la religion des Arabes et adorait les idoles.
Il avait im vizir originaire de la Syrie, qui élait chrétien et
suivait la religion de Jésus, fils de Marie. Un jour, No'mân,
étant assis avec lui sur la terrasse du khawarnaq, regarda
autour de lui; c'était dans la saison du printemps; il vit de
droite et de gauche la verdure, la beauté du [])aysage], le
fleuve Euphrate, le Sawâd ot Tlrâq, tout autour. Il y avait
no CHRONIQUE DE TABARI.
vingl-dcux ans que No^iiiàii était sur te trône. [Â ce moment-
là] il dit au vizir : Y a-t-il dans le monde un endroit dont
Taspect soit plus agréable que celui-ci? Le vizir répondit :
Il est très-beau , mais il a un défaut , il ne dure pas. Le roi
dit : Qu'y a-t-il de durable? L'autre dit : La religion de Dieu et
son culte et Tautre monde. Norman descendit du khawarnaq,
adopta la religion de Jésus, se revêtit d'un froc et se retira
du monde, en abandonnant la royauté. La môme nuit il
partit ; personne ne Ta plus revu et personne ne sait ce qu il
est devenu. Il avait un fils, nommé Moundsir fils de Norman,
([ui monta sur le trône, et Yezdedjerd lui confia le gouverne-
ment des Arabes. Il est appelé Moundsir Mâ-es-Semâ. Mâ-es-
Semâ était le nom de sa mère, et le nom de son père était
No'mân, fils dlmrou'l-Qaïs. Il éleva le fils de Yezdedjerd,
Bahrâm, de môme que son père l'avait élevé, jusqu'à l'âge
de dix ans. Quelques-uns des traditionnistes rapportent que
Yezdedjerd avait confié son fils à Moundsir lui-môme, après
la mort de Norman et «(près l'avènement de Moundsir au
trône; mais la vérité est qu'il l'avait confié à No^àn, le père
de Moundsir, le seigneur du khawarnaq et du Sedir. Moundsir
avait aussi un fils nommé Norman, fils de Moundsir, fils de
Norman, qui prit le gouvernement des Arabes après la mort
de son père. Ce Norman avait le mômo âge que Babrâm, et ils
grandissaient ensemble.
Quand Bahrâm eut atteint l'âge de dix ans, il dit à
Moundsir : Amène des maîtres qui m'apprennent la science,
les bonnes manières, l'art de monter à cheval et de tirer l'arc.
Moundsir dit : Tu es encore jeune et un enfant, il faut t'amuser
et jouer. Bahrâm dit : Si je suis jeune en âge, je suis grand
en intelligence: si je nai pas encore l'âge d'apprendre la
science, quand scra-t-il temps? Il faut l'acquérir maintenant,
PARTIE M, CHAPITRE XXf. lit
aCfi que, au nioincnt d'a|;ir, je possède la science ; car la chose
que tu ne cherches pas avant le temps , tu ne la trouveras pas
en son temps, et ce que tu cherches avant le temps tu le trou-
Yerasen son temps. Quand Moundsir entendit ces paroles, il
fut charmé de Tintelligence de Bahrâm et de son désir d^ sa-
voir. Ensuite il fit venir des savants et des mobeds, afin qu ils
enseignassent à Bahrâm la science et les bonnes manières. On
amena des hommes sages de Roum et de TArabie, de chaque
viHe, et on les mit à la disposition de Bahrâm, afin qu'il
apprit ce qu'il désirait. Quand il eut quinze ans, il renvoya
les lettrés et les mobeds, et Moundsir les récompensa tous.
Puis Bahrâm ordonna : Procure-moi des cavaliers qui m'en-
seignent réquitation, et amène-moi des archers, aHn que
j'apprenne à tirer de l'arc. Moundsir fit ainsi. Lorsque Bahrâm
sut qu'il était complètement instruit, il dit à Moundsir : Il me
faut un cheval qu'aucun autre cheval ne surpasse en beauté,
pour que j'en fasse ma monture que je monterai [toujours].
Moundsir, charmé de sa grande capacité, ordonna de faire
sortir tous les chevaux qu il possédait et de les présenter à
Bahrâm. Balirâm dit : On ne peut connaître un cheval qu'en
l'essayant. Il fit conduire tous ces chevaux en dehors de la
ville et ordonna que des cavaliers les montassent et les fissent
courir, pour voir lequel courrait le plus vite. On conduisit
tous ces chevaux hors de la ville. Moundsir et Bahrâm sortirent
tous les deux, et on fit courir les chevaux. Moundsir avait un
cheval roux , qui était le plus rapide de tous les chevaux arabes
qui se trouvaient là. Bahrâm le choisit, et Moundsir le lui
donna. Bahrâm en fut charmé; il le prit, et le montait quand
il allait à la chasse.
Or, un jour, Bahrâm était allé à la chasse, accompagné
d'une suite composée d'Arabes et de Moundsir. Il vit de loin
112 CHRONIQUE DE TABARI.
un onagre courant dans le désert. Baliràm le poursuivit, et
Moundsir et sa suite allèrent aveclui. Bahrâni tenait Tare tendu
avec la flèche préparée, quand, s'approchant de Tonagre, il
vit un lion qui s'était jeté sur le dos de Tonagre, Tavait saisi
de ses dents et allait lui briser la nuque. Bahrâm fit partir la
flèche, qui alla frapper le dos du lion, sortit de son ventre,
entra dans le dos de Tonagre et sortit du ventre ; puis la flèche
entra dans la terre, jusqu'au centre, de sorte quelle trembla
pendant une heure. Moundsir et les Arabes restèrent étonnés.
Moundsir ordonna que Ton représentât Bahrâm tenant Tare
et monté sur son cheval, Tonagre et le lion, et la flèche qui
pénètre dans la terre; que Ton représentât tout cela par la
peinture sur les murs du khawarnaq, là où se trouvait le
lieu des banquets de Bahrâm. Ce jour-là, on lui donna le
nom de Bahrâmgour; les Arabes l'appelaient Bahrâmdjour.
Quand Bahrâm reconnut qu'il était devenu tout à fait
homme, il dit à Moundsir : U faut absolument que je cherche
à acquérir le trône; je pourrai acquérir le trône en allant
auprès de mon père et en me tenant à son service aussi
longtemps qu'il vivra, afin d'obtenir le trône après lui.
Moundsir lui prépara un magnifique équipage et Tenvoya
vers son père. Quand Bahrâm arriva auprès de Yezdedjerd,
celui-ci, par suite de sa méchanceté, ne le regarda pas et
ne le traita pas comme on traite ses enfants. Bahrâm se tint
pendant un an à son service avec grande tristesse. Ensuite,
le César, le roi de Boum , envoya son frère vers Yezdedjerd ,
avec de nombreux présents, pour conclure avec lui un traité
de paix. Yezdedjerd le traita avec distinction, et comme il
allait partir, Bahrâm lui demanda d'obtenir [pour lui] de
son père l'autorisation de retourner auprès du roi des Ara-
bes, parce qu'il s'était habitué à ce pays, et qu'en Perse il
PARTIE II, CIIAPITHE XXI. 113
se trouvail mal à son aise. Yczdedjerd lui «mi accorda Taii-
torisalion, cl Baliiàin retourna auprès de Moundsir et des
Arabes, et resta avec eux.
Quand Yezdedjerd eut été frappé et tué par le cheval , pen-
dant que Bahrâni était auprès de Moundsir dans le pays des
Arabes, les habitants de la Perse se réunirent et dirent : Nous
sommes délivrés de l'oppression de Yezdedjerd ; maintenant, il
lui est resté un fds, qui a grandi parmi les Arabes, qui a pris
leurs habitudes, et qui a la violence, Torgueil et la cruauté de
son père. Si nous le proclamons roi, il viendra et agira envers
nous plus mal que son père. Ils tombèrent tons d'accord de
ne pas donner la royauté à Bahrâm; et ils nommèrent roi un
homme de Tannée, de la famille d'Ardeschir, fils de Bâbek,
nommé Kesra (Kliosrou). Ils le reconnurent comme roi, le
portèrent à Madaïn, le firent monter sur le trône, et le mobed
suprême mit la couronne sur sa tète. Lorsque Bahrâm apprit
que Ton avait agi de cette façon , il en donna avis à Moundsir,
réunit tous les Arabes et leur dit : Vous savez que j'ai le droit
de succéder à mon père sur le trône. Les Perses ont donné
la royauté à un autre. Vous savez aussi combien les rois de
Perse, mes pères, quels qu'ils fussent, et en particulier mon
père, vous ont favorisés. Maintenant ils ont donné le trône à
un autre, parce que j'habite au milieu de vous : vous devez i
présent me prêter votre concours pour reconquérir la royauté.
Moundsir et tous les Arabes le saluèrent du titre de roi et lui
dirent : La domination des Arabes et des Perses t'appartient,
tu es notre maitre, et nous exécuterons tous tes ordres; notre
corps et notre âme et nos biens sont ta rançon. Moundsir les
approuva et ajouta : Je n'aurai pas de repos que je ne t'aie
rendu la couronne. Bahrâm en fut charmé, leur dit des pa-
roles gracieuses et remercia Moundsir.
n. 8
114 CHRONIQUE DE TABARI.
Le lendemain, Moundsir contia à son (ils Norman dix mille
cavaliers arabes, et lui donna ces ordres : Va à Madâïn, vers
les villes où le roi Kesra réside, et envoie vers ces villes des
avant-postes. S'ils ne sortent pas à ta rencontre, ne t'avance
pas; mais s'ils sortent à ta rencontre et qu'ils t'offrent le com-
bat, livre-leur le combat, évite de devenir leur prisonnier,
mais fais-leur des prisonniers et ne manque pas de massacrer
autant de monde que tu pourras. Norman, fils de Moundsir,
arriva avec l'armée arabe devant Madâïn et Ctésiphon , la ré-
sidence du roi , et campa à la frontière du Sawàd. Les Perses
dépéchèrent quelqu'un vers lui pour lui demander pour quelle
raison il était venu. Norman dit : On me l'a ainsi ordonné.
Yezdedjerd avait eu un chef des missions , un homme d'une
grande intelligence, nommé Djewâni, qu'il envoyait partout
où il y avait une mission à remplir. Les Perses résolurent d'un
commun accord de l'envoyer vers Moundsir, sur le littoral,
afin qu'il vit pour quelle raison il avait envoyé Norman. Quand
l'envoyé arriva auprès de Moundsir, celui-ci lui dit : Ce n'est
pas moi qui ai envoyé Norman, c'est le roi Bahràih qui l'a en-
voyé, parce que vous avez donné son royaume et son héri-
tage à un autre, contre tout droit; maintenant il cherche à
reconquérir son droit. Puis il lui dit : Rends-toi auprès de
lui, pour voir ce qu'il dira. Puis il l'envoya, avec quelqu'un
des siens, auprès de Bahrâm. Quand l'ambassadeur vit Bah-
râm, il fut étonné de son extérieur et de ses manières. Bah-
râm avait alors vingt-trois ans. L'ambassadeur en fut dans le
ravissement. Bahrâm causa avec lui , lui fit des reproches et
lui dit : Vous avez méconnu mes droits et donné mon héri-
tage à un autre; vous saviez [cependant] que j'y avais plus de
titres que tout autre. Puis il lui fit de bonnes promesses et
lui dit : Je ne ferai pas attention k votre conduite passée et
PAHTIE II, CHAPITRE \XI. 115
je vous Irailerai bien. Vous avez ou la crainte do Yozdodjord ,
et vous avez cru que mes dispositions étaient comme les
siennes. Cependant, quand je nie suis rendu auprès de lui,
je n'ai pas pu supporter de rester avec lui; je Tai quitté et je
suis venu ici, cl jai fait à Dieu le vœu solennel que, si j'ob-
tiens la royauté, je ne suivrai pas son exenq)le, et qu'en toute
chose où il a fait le mal je ferai le bien, ei que là où il a
exercé Toppression j'exercerai la bienveillance. Aussitôt l'am-
bassadeur le quitta, vint auprès de Moundsir et lui dit: Si
les Perses avaient su combien sont grandes les ({ualités de ce
roi, ils n'auraient jamais établi un autre roi que lui. Moun-
dsir dit : Retourne et dis-leur tout ce que lu as entendu de
la bouche du roi. L'envoyé retourna en Perse, et, trois jours
après, Moundsir avec cent mille Arabes et avec Bahrâm Je
suivirent. Quand iMoundsir et Babrâni et l'armée arrivèrent
à la i)orte de la ville, les anciens des Perses, les mobeds,
les savants et les lettrés sortirent de la ville et allèrent trou-
ver Moundsir. Celui-ci leur dit : Uendez-vous auprès du roi,
pour savoir ce qu'il dit et ce qu'il ordonne. Ils vinrent auprès
de Bahrâm, et Moundsir vint avec eux. Bahrâm dit : J'ai amené
une nombreuse armée, mais non pas pour faire la guerre;
car vous êtes mes frères, mes oncles, mes concitoyens; vous
n'êtes pas des étrangers pour moi, mais des parent.s. J'évite-
rai autant que je pourrai de faire la guerre, et ne verserai le
sang de personne. Je suis venu pour recouvrer mon droit, et
vous savez que j'ai des titres au trône. Demain , réunissez les
Perses, les chefs de l'armée et du peuple, afin que je leur
parle, à eux et à l'homme qui tient [maintenant] le gouver-
nement. Si la royauté lui revient, je la lui abandonnerai;
mais si elle m'appartient, vous m'obéirez. J'aurai une bonne
conduite, et en toute chose on Yezdedjerd a exercé l'oppres-
8.
ttO CHRONIQUE DE TABARI.
sion j'exercerai la bienveillance. Si je ne justifie pas mes litres,
je m'en retournerai. Les hommes furent charmés de son in-
teiligence, et, après avoir entendu ces paroles, ils s'en retour-
nèrent.
Le lendemain , Bahrâm avec Moundsir et l'armée allèrent
camper à la porte de la ville. Tous les Perses sortirent de la
ville, de même que Kesra. On apporta le trdne d'or, et le nio-
bed suprême, celui dans la main duquel était la couronne,
apporta la couronne. Bahram, sans demander la permission
à Kesra, s'assit sur le trône, et fit asseoir à sa droite le
mobed suprême et Moundsir. liCS Perses et Kesra, à qui
ils avaient donné la royauté, s'assirent à ses pieds. Bahram
dit : Que ceux qui savent prendre la parole dans cette
assemblée parlent. Les sages parmi les Perses prirent la pa-
role, les uns après les autres; et quiconque parla commença
par rappeler le mauvais gouvernement de Yezdedjerd, sa mé-
chante nature et sa dureté envers les hommes, le nombre
d'hommes qu'il avait fait mettre à mort, le nombre d'hommes
qui avaient péri sous son gouvernement, et le pays qui était
en ruines. [Puis les orateurs ajoutèrent] : tr Lorsque le peuple
frfut délivré de lui, il se réunit et dit : Nous ne donnerons
f^pas le gouvernement à ses fils, qui suivraient la voie de leur
rrpère. Ils amenèrent un homme également du sang royal, et
(T lui confièrent le gouvernement et la royauté, y* Moundsir dit :
Nous avons entendu vos paroles; il appartient au roi d'y ré-
pondre. Ensuite Bahram dit : Je trouve que vous avez raison
en ce que vous avez dit de la conduite de Yezdedjerd ; car,
pendant la seule année que j'ai passée avec lui, j'ai appris
à connaître ses manières. J'ai pardonné à ses sujets, et j'ai
fait à Dieu le vœu que, si ce royaume m'échoit, je ne sui-
vrai pas la voie de mon père, et qu'en toute chose où il a
PAIITIE II, CHAPITRE XXI. 117
fait le mal je ferai le bien. J'en prends à lëmoin Dieu el les
anges du ciel el de la terre, tous les mobeds et le niobed
suprême, entre les mains duquel est -la couronne. Je veux
occuper pendant un an le trône; si je réalise mes paroles
et que vous soyez satisfaits de ma conduite , ce sera bien ;
sinon, je le quitterai, je rendrai la couronne à ce mobed,
pour qu il la place sur la tête de qui vous voudrez, et vous
serez libres de tout engagement et de toute obéissance en-
vers moi. Quant à ce Kesra, que vous avez nommé roi et à
qui vous avez conféré mes droits, je veux me mesurer avec
lui en fait de vaillance. Vous placerez cette couronne entre
deux lions affamés. S'il s'avance [entre eux] et qu il prenne
la couronne, il l'aura légitimement, et je me retirerai et lui
abandonnerai la couronne et le trône. Si c'est moi qui la
prends^ la royauté m'appartiendra légitimement.. Puis, si vous
acceptez mon engagement, et si après un an mon régime ne
vous convient pas, je vous rendrai mes droits et je me dé-
pouillerai du pouvoir, pour que vous le donniez à qui vous
voudrez. Les bommes restèrent dans l'étonnement de ces pa-
roles, consentirent à ses propositions et se dispersèrent.
Le lendemain, les Perses se réunirent tous. Kesra vint,
et le mobed suprême apporta la couronne. Il y avait un gé-
néral, nommé Boslâm, qui avait la cbarge des lions des
rois de Perse. Le mobed lui ordonna d*ameuer des lions
affamés, non habitués aux hommes, avec des chaînes au
cou, et de les attacher l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté,
et de poser la couronne par terre, au milieu, entre les deux
lions. Bahrâm dit à Kesra : Avance le premier. Kesra dit :
Avance d'abord, toi, puisque tu prétends à la royauté, et tu
veux l'ôter de mes mains. Bahrâm prit une massue très-grande
el s'avança vers les lions. Le mobed suprême dit : Crains Dieu
118 CHRONIQUE DE TABAKl.
et oe te perds pas pour le pouvoir; lais pénitence des péchés
dont Dieu te punira a cet endroit; si ces lions te font périr,
nous serons innocents de ton sang. Baliràui dit : Vous êtes
innocents de mon sang. Puis il s'avança vers les lions, sauta
sur le dos de Tun d'eux et s'y assit. L'autre lion l'attaqua.
Lorsqu'il fut près, Bahràm leva la main, frappa d'une main
le lion sur lequel il était assis, et de l'autre le deuxième lion,
et les tua tous les deux. Leur cervelle jaillit par la bouche
et par le nez; ils tombèrent sur le sol et expirèrent. Ensuite
Babrâm étendit la main, prit la couronne, la plaça sur sa
tête, s'en alla et monta sur le trône, sans demander la per-
mission à personne.
CHAPITRE XXIL
HISTOIRE DU RÈGflE DE BAURAMGOUR.
Le premier qui le salua du titre de roi fut ce kesra qui
tenait le pouvoir. Il dit : 0 roi , le pouvoir l'appartient. Alors
le mobed suprême le salua, ainsi que tous les Perses, (|ui le
reconnurent. Babrâm saisit le pouvoir, resta sur le trône
pendant sept jours, et chaque jour il donnïiit audience au
peuple et lui faisait de bonnes promesses. Ce jour-là , Bahràm
avait vingt-trois ans. Le huitième jour, il renvoya Moundsir
avec son armée, et lui donna d'immenses richesses. Moun-
dsir eut le gouvernement des Arabes, et après lui son iil»
Norman. Bahràm exerçait la justice envers ses sujets, les
laissait venir librement à loi et faire ce qu'ils voulaient. Il
n'imposa aucune obligation à aucun des sujets et des soldats ,
et il passait son temps dans le plaisir et dans la joie, et le
gouvernement chêmnit.
PARTIE II, CHAPITUË \XII. 119
Les rois qui rëgnaicnt autour de ia Perse convoitaient le
royaume de Bahrâm. Au bout de sept ans, le roi des Turcs v
nommé .Khàqân, vint avec une armée de deux cent cin<^
quanle mille Turcs, franchit la frontière de la Perse et y
commit de grands ravages. Quand il s'approcha de la Per-
side, les grands, les mobeds, les savants et les sages, en
grand nombre, allèrent trouver Bahrâm, lui tirent des re-*
proches et dirent : Tu es adonné au plaisir, à la chasse et
aux divertissements, de façon que ton royaume est ruiné. Le
roi des Turcs est venu , s'est emparé des frontières de ton
royaume, massacrant et pillant. Maintenant il faut absolu-
ment; réunir Tarmée et aller au-devant de Tennemi en toute
hâte. Bahrâm leur dit : Dieu est miséricordieux, il ne me
livrera pas aux mains de Tennemi. Et il ne fit pas ce qu'ils
demandaient. Ils sortirent d'auprès de lui et dirent : Cet
homme a perdu la raison, par suite de la peur qu'il a de
l'ennemi qui est venu. Bahrâm continua de se livrer à la
joie et au plaisir. Puis, quand l'armée turque approcha, il
établit son frère Narsi lieutenant de l'armée, et lui-même
partit pour la chasse avec trois cents cavaliers, et se dirigea
vers l'Aderbidjân et TArménie, vers l'occident, et laissa l'en-
nemi à l'orient. Il emmena avec lui tous les faucons, les
panthères de chasse, les chiens et tous les quadrupèdes em-
ployés à la.chasse, et il laissa le gouvernement à son frère.
Les hommes dirent : Il s'est enfui du royaume et abandonne
le pays à l'ennemi. Ensuite ils résolurent d'envoyer un am-
bassadeur vers le Khâqân pour lui dire qu'ils consentaient
à payer tribut, afin qu'il s'en retournât et ne ravageât pas le
royaume. Des espions informèrent le Khâqân que Bahrâm
s'était enfui, qu'il avait abandonné le pouvoir et que les ha-
bitants avaient résolu d'ofl'rir de payer tribut. Le Khâqân
120 CHRONIQUE DE TABARI.
laissa son armée à rcndroil où eite se trouvait, et y resta tran-
quille et en sécurité. Bahrâm, tout eu faisant la chasse, s'a-
vança du cdté de TÂrménie et envoya vers Tarmée du Khâqân
un espion, qui lui en rapporta Tavis suivaut : Le Khâqân
est campé en sécurité et croit que tu as pris la fuite devant
lui. Bahrâm franchit la frontière de TÂrménie, entra dans
la Perside et tomba sur Tarmée du Khâqân pendant la nuit;
le Khâqân fut mis en fuite avec son armée, laissant son
camp avec toutes ses richesses et sa couronne, dans laquelle
étaient fixées plusieurs milliers de perles. Bahrâm saisit tous
ces trésors et les envoya à son frère par cinquante hommes.
Lui-même, avec deux cent cinquante guerriers, poursuivit
Farmce turque et lui tua un grand nombre d'hommes par-
tout où il la rencontra , jusqu'à ce qu'il eût franchi la fron-
tière de T'Irâq et qu'il fût arrivé dans le Khorâsân , aux bords
du Djrhoun.
Lorsque l'armée de Bahrâm eut appris ces événements,
elle alla le rejoindre, et le rencontra aux bords du Djfhoun.
Bahrâm ordonna à l'un de ses plus grands généraux de tra-
verser le Djrhoun avec une armée et d'attaquer les Turcs
dans la Transoxane. Ce général y fit un grand massacre.
Enfin les Turcs se rendirent à discrétion, reconnurent l'au-
torité de Bahrâm et lui envoyèrent des ambassadeurs, avec
ce message : 11 faut qu'il y ait entre notre empire et le tien
une frontière que nous devrons respecter et ne pas fran-
chir. Bahrâm fit construire à l'extrémité de la frontière une
colonne, et s'en retourna et se rendit dans l'^Irâq, dans son
empire. Toutes les peries et toutes les pierres précieuses qui
se trouvaient dans la couronne du Khâqân et dans ses trésors
qu'il avait conquis, il les fit porter dans le temple du feu de
TAderbidjân et les y fit suspendre. Ce temple était le plus
PARTIE II, CHAPITRE XXIK 121
vénëré de U)U8. Bahrâm reprit lui-même le gouvernement
el envoya son frère Narsi avec une armée dans le Khorâsân.
II lui ordonna de résider à Baikh, de surveiller la frontière
des Turcs et de les empocher de franchir le Dji^houn. Il en-
voya [aussi] la femme du Khâqân, la grande Khâtoun, qui
était tombée entre ses mains et qui était sa prisonnière, dans
te temple du feu de rAderbidjâu, pour quelle servit dans
le temple. Il ne garda pour lui rien de tout le butin , des
joyaux et des trésors qu il avait conquis.
Bahrâm fit expédier des lettres dans toutes les villes de
Fempire, annonçant sa victoire sur le Khâqân et le grand
triomphe qu'il avait remporté, avec trois cents hommes, sur
deux cent cinquante mille, de sorte que le bruit s'en ré-
pandit dans le monde. Ensuite il rassembla ses sujets, fit
venir tous les grands [de Tempire], prononça une allocution,
adressa des louanges et des actions de grâces à Dieu , donna
aux honunes de bonnes paroles, et leur dit : Vous pensiez
que j'étais adonné à la chasse et au plaisir, tandis que je
songeais aux affaires de l'empire et que je ne restais pas
oisif. Cependant, je n'ai pas obtenu le gouvernement par votre
vaillance, ni par vos conseils, mais par ma propre vaillance
et par mes propres conseils; et Dieu m'a favorisé, parce qu'il
savait que j'étais propre à cette affaire. J'ai moi-môme assez
de savoir-faire et de vaillance , et je n'ai que faire de votre vail-
lance et de votre savoir-faire. Quand je suis absi>nt, c'est tou-
jours pour songer aux affaires de Tempirc. Vous dites alors : Il
est allé se divertir [à la chasse] ; ou : 11 s'est enfui et il a aban-
donné le trône. C'est ce que j'ai entendu quand je suis arrivé
dans l'Âderbidjân; vous disiez : Il a fui devant l'ennemi; et
vous vouliez envoyer un délégué pour payer tribul [à l'en-
nemi J. Mais je vous excuse, espérant que vous rentrerez dans
122 CHRONIQUE DE TABARl.
Tobëissance. Mais s'il arrive un jour que vous soyez irrévé-
rencieux, la punition que je vous infligerai sera plus sévère
que celle que vous a infligée mon père. Dans les commence-
ments, Yezdedjerd a agi avec bienveillance; quand vous avez
changé et que vous avez montré de Tirrévérence, il a égale-
ment changé. Si je m'absente de nouveau et que vous mon-
triez de l'irrévérence, je vous punirai plus sévèrement que ne
la fait mon père.
Après cela, Bahrâm occupa le trône pendant deux ans.
11 distribua beaucoup d'argent aux pauvres, et donna Tordre
suivant : Voyez combien il reste dans les registres de l'impôt
à exiger des habitants du royaume. On examina : il était dû
soixante et dix millions de dirhems. Bahrâm en fit remise à
ses sujets, et fit brûler les comptes, en reconnaissance de cette
grande victoire que Dieu lui avait accordée. Aux pères de fa-
mille et à tous ceux qui avaient possédé de la fortune et qui
l'avaient perdue il donna des sommes considérables.
Il y avait en Perse un homme nommé Mihr-Narsi, très-
considérable et de grande famille, descendant d'Isfendiâr,
fils de Gouschtasp, de la maison royale. C'était un homme
très-savant, et il n'y avait personne en Perse de plus illustre
que lui : on le considérait cohime un roi et un souverain. On
l'appelait par un surnom Hezârbeiuiè, à cause du grand nom-
bre de serviteurs qu'il avait. Son père avait été le vizir de
Yezdedjerd, et lui-même fut choisi pour vizir par Bahrâm, qui
lui confia toutes les afi*aires. Le peuple en était content. Bah-
râm demeura donc deux ans au milieu du peuple, puis il dit
au vizir : Je désirerais posséder celles des contrées de Tin-
dostan, du pays de Sind et de Tlnde qui entourent mon
empire. Je veux donc me rendre dans l'Indostan, seul, et
inspecter ces contrées, leurs armées et leurs armements, et
PARTIE II, CHAPITRE XXII. 123
je veux voir leur roi; puis je reviendrai. En conséquence, il
confia Tarmée et le gouvernement au vizir, qI se rendit seul ,
avec son cheval et son armure , dans Tlndostan , et vint dans
la résidence du roi. Chaque jour, il allait seul à la chasse, et
tirait et prenait les onagres du désert. Les Indiens ne le
connaissaient pas, mais ils voyaient sa bravoure et admiraient
sa vaillance; car les Indiens ne savent pas tirer de Tare. On
informa le roi qu il était venu de la Perse un cavalier, beau
dévisage et de taille élevée, qui se distinguait par sa grande
bravoure et sa grande force. Le roi le fit appeler auprès de
lui et lui montra de la bienveillance. Bahrâm vit le roi el
séjourna là pendant une année. Or on fut informé dans la
ville que, dans une certaine foret, il y avait un éléphant plus
grand que tous les autres , auquel les éléphants du voisinage
s'étaient réunis. Ils attaquaient et tuaient tous ceux qui ve-
naient de Roum dans Tlnde, de sorte que cette route deve-
nait impraticable pour les hommes. De tous les soldats que
le roi de Tlndostan y envoya aucun n osa les approcher.
Bahrâm dit : Qu'un seul homme vienne avec moi, j'irai seul
combattre cet éléphant. On annonça au roi que ce cavalier
persan voulait aller combattre Téléphant. Le roi envoya avec
lui un de ses hommes, afin qu'il rapportât des renseigne-
ments. Ils partirent. Quand ils furent arrivés dans cette forêt ^
rhomme du roi monta sur un arbre élevé, pour voir ce que
Bahrâm ferait de Téléphaut. Bahrâm s'approcha de l'éléphant,
ajusta une flèche sur son arc et poussa un cri [pour le pro-
voquer]. L'éléphant venant l'attaquer, Bahrâm dirigea entre
les deux yeux de l'animal une flèche qui entra complètement.
Pendant que l'éléphant était occupé de cette flèche, Bahrâm
mit pied à terre, saisit de ses deux mains la trompe de l'élé-
phant, la tira en bas, jusqu'à ce que 1 éléphant tombât sur le
MA CHRONIQUE DE TABARI.
devaDt. Puis Balirâm lui frappa le cou avec son épée, lui
trancha la tête, ia saisit par la trompe, la mit sur son dos,
la porta hors de la forêt et la jeta sur la route. Le peuple le
regarda et fut dans l'admiration. L'envoyé revint et raconta
[tout cela] au roi. Le roi fut très-étonné et fit appeler devant
lui Bahrâm. Il vit en lui un homme de bonnes manières, de
haute stature et d'une grande force. Il lui dit : 0 jeune
homme, qui cs-tu? Bahràm dit : Je suis un hahitant de la
Perse, descendant des grands de la Perse. Le roi de Perse
étant irritiî contre moi, j'ai eu peur et je suis venu dans la
résidence, pour y être en sûreté. Le roi lui témoigna de h
bienveillance, lui donna de grandes sommes d'argent et or-
donna (le l'adjoindre à ses familiers ; et Bahràm fut dans l'en-
tourage du roi à ta chasse, dans les expéditions guerrières,
et partout; et chaque jour le roi vit des preuves de sa bra-
voure, de sorte qu'il en était dans l'admiration.
Or il advint qu'un ennemi, le roi de Chine, avec une nom-
breuse armée, vint attaquer le roi de l'Inde. Celui-ci voulut
lai oITnrde payer tribut. Babràm lui dit : Je te suffirai à moi
seul. Alors le roi de l'Inde réunit l'armée et alla combattre
l'ennemi; et Babràm partit avec lui. Ensuite Babràm alla
seul au-devant de l'euuemi : de chaque coup d'epée il coupa
en deux uu bomme; chaque flèche qu'il lança lit lombcr
quelqu'un, et chaque coup d'épée qu'il porta abattit pue
trompe d'éléphant; de sorte qu'il mit en fuite l'armée enne-
mie et que le roi de l'Inde remporta la victoire. Quand il
fut de retour, il donna à Bahràm sa lille en mariage et de
grandes richesses, et il voulut lui transmettre le gouverne-
ment et le faire reconnaître par le peuple. Bahràm, se fai-
sant connaître, dit au roi : ie sub Bahràm, roi de Perse. La
renommée de Bahràm était venue jusqu'au roi de l'Inde, el
PARTIE II, CHAPITRE XXII. 125
celui-ci avait vu sa bravoure : il eut des appréhensions à son
égard. Bahrâm lui dit : Je n'ai que faire de Fempire; mais
j'ai voulu te voir, et voir tes sujets , tes armements et ton ar-
mée. Maintenant j'ai vu tout cela et j'en ai connaissance, et
je vais retounier dans mon propre royaume; donne-moi les
contrées de ton royaume qui touchent au mien. Le roi de
l'Inde accorda à Bahrâm le pays de Sind , le Mekrân et toute
la contrée voisine de la Perse; il prit pour témoins de celte
cession les grands de son royaume. Ensuite Bahrâm remit
ces contrées à ce roi, en disant : Sois mon lieutenant dans
ces contrées et envoie -moi le tribut. Lui-même prit la fille
du roi et retourna dans son royaume. Après [une absence
de] deux ans, il trouva le pays en sécurité entre les mains
de Narsi.
Ensuite Bahrâm envoya Narsi avec une armée en Roum,
pour faire la conquête des villes de Roum ou forcer le roi de
Roum à lui payer tribut. Narsi avait trois fils, capables et
fort intelligents. Bahrâm en fit ses ministres, et chacun était
à la tète des affaires dans sa spécialité. Le premier s'appelait
Zerâwend; il avait une haute science et était très-savant en
théologie : Bahrâm le nomma mobed suprême, en élevant
son rang. Le nom du second était Bâdjinas; il connaissait le
calcul et la chancellerie : Bahrâm lui donna un rang élevé et
lui attribua la cour des impôts de tout l'empire. Le troisième
s'appelait Asmangân; il était versé danâ l'art militaire et avait
de la bravoure : Bahrâm le nomma général de l'armée. Narsi
partit donc avec l'armée. Le roi de Roum fit la paix avec lui
et consentit à payer tribut. Narsi ramena l'armée en parfait
état vers Bahrâm , qui en fut très-satisfait et le combla de
distinctions. Bahrâm occupait le trône et possédait l'empire
sans être inquiété, ayant imposé un tribut au roi des Turcs,
136 CHRONIQUE DR TABARL
au roi Ae l'Inde et au roi de Rouir. Naraî demniida ù Ttalirilni
t'aulorlsation [de se relirer], en disant : J'ai atteint un ilge
avancé et je suis vieux; maintenant je veux m'adonneràu ser-
vice de Dieu et m'occupcr de l'autre monde. Bahrâin lui ac-
corda l'autorisalion, et Narst se retira dans sa ville, à Arde-
schtr-Khourè , où il s'adonna au culle de Dieu, il fonda quatre
bourgs , et dans chaque bourg un temple du feu , un pour lui
et trois pour ses fils. Dans chaque bourg, il établit quatre
jardins, et dans chaque jardin il planta mille cyprès, mille
oliviers ol mille palmiers, et légua tous ces jardins aux
temples du feu. Cest là qu'il pratiquait le culte de Dieu. Ses
fits étaient en grand bonneur auprès de Bahrâm, qui gouver-
nait ainsi, recevant chaque année le tribut des rois (ci-dessus
nommés), jusqu'à ce qu'il eût régne' pendant vingt-trois ans.
Or, un jour, il était allé à la chasse; il poursuivit un onagre.
Sur sa route se trouvait un puils à (leur de t«rre, qui ne pa-
raissait pas, de sorte que ni lui ni son cheval ne l'aperçurent.
Les pieds du cheval ayant touché le puilii, Bahrâm tomba du
cheval dans le puits. Pi'rsonne n'osa y pénétrer, à cause de
sa profondeur, et Bahrâm périt. On en informa sa mère, qui -
se rendit à l'orifice de ce puits avec des monceaux d'argent,
afin de faire retirer Bahram et de l'ensevelir. Elle y passa
quarante jours, jusqu'à ce qu'on eût retiré toute l'eau qui se
trouvait dans le puits ; mais on ne trouva pas Bahrâm ; alors
elle s'en retourna. Babrâm avait un fils nommé Yczdedjerd,
qui monta sur le trâne après son père. Il pratiqua la justice
et l'équité envers ses sujets et envers l'armée.
PARTIE II, CHAPITRE XXIII. 127
CHAPITRE XXIII.
HISTOIRR DE YEZDEDJRRD, FILS DE BAHRAM.
Ensuite Yezdedjcrd, (ils de Balirâm, monta sur le trône,
s'engagea à bien traiter ses sujets , pratiqua la justice et Téquité
et rendit le monde florissant. Les rois lui payèrent tribut ^
comme à son père. 11 rappela Mihr-Narsi, qui avait été le vizir
de son père et de son grand-père, de sa retraite religieuse, et
en fit son vizir, dont les conseils imprimèrent une marche
heureuse à ses aflaires. Après quelque temps, le roi de Roum
refusa de payer le tribut. Yezdedjerd envoya Mihr-Narsî avec
une armée contre lui, de même qu'avait fait son père, pour
ramener le roi de Roum à la soumission. Yezdedjerd régna
dix-huit ans. On l'appelait d'un surnom le dénient. Il avait
deux fils : Tainé, appelé Firouz; le puîné, Hormuzd. Il avait
envoyé Firouz dans le Seïstân et gardé Hormuzd auprès de
lui. Quand Yezdedjerd mourut, Hormuzd saisit le gouverne-
ment. Firouz, quand il en fut informé, quitta le Seïstân et
se rendit auprès du roi des Heyàtelites (Euthalitcs), nommé
Khouschnewàz, vers le Ghardjistân, le Tokhâristân, Balkh,
le Bedekbschân, etc. 11 lui fit connaître sa condition et lui
dit : Mon frère, plus jeune que moi, s est emparé du trône de
mon père, qui m'appartient de droit, comme à Tainé. Donne-
moi une armée et aide-moi à recouvrer le royaume sur mon
frère. Le roi des Heyàtelites lui accorda un commandement
et lui donna la ville de Tàleqân; il lui prodigua ses faveurs,
mais il ne lui permit pas de faire la guerre à son frère Hor-
muzd. Firouz demeura là. Après plusieurs années, Hormusd
commença h opprimer ses sujets et à exercer l'injustice. Les
128 CHRONIQUE DE TABARI.
habitaiiU de la Perse s'eiifuircnt et se rendirent auprès de
Firouz, à Tâleqân, où ils se réunirent en nombre considé-
rable. Quand le roi des Heyâteiites en fut instruit, il dit :
Dieu n aime pas l'oppression des sujets, et un royaume ne
peut pas subsister par la tyrannie. Ensuite il donna à Firouz
une armée. Firouz partit, combattit son frère Hormuzd et le
tua, ainsi que trois personnes de sa famille. Il s'empara du
gouvernement de Perse, et Tarmée de Perse se soumit à lui.
Puis il renvoya Taimée beyâtelite en son pays, après lavoir
comblée de marques de sa reconnaissance.
Le nom de Heyâtelè est le pluriel de Hattâl, qui, dans la
langue de Bokhara, désigne trun homme fort?). La «r forcer,
dans la langue de Bokhara, se dit hattâl; ce mot a été, dans
la langue arabe, changé eu hattâl.
CHAPITRE XXIV.
HISTOIRE DE FIROUZ, FILS DE TEZDEDJERD.
Quand Firouz , fils de Yezdedjerd , fut monté sur le trône
et qu'il eut saisi les rênes du gouveniement, il se conduisit
avec sagesse et gouverna avec justice. Il régna vingt-sept
ans, ou, selon d'autres, vingt-six ans. On l'appelle en persan
Pîf^uz. Après qu'il eut régné sept ans, la pluie du ciel vint
à manquer en Perse, et il y eut, cette année, dans tout le
royaume, une famine, et les vivres manquèrent. Alors Firouz
envoya dans chaque ville des ordres, afin que l'on prit des
vivres de la main des riches pour les donner aux pauvres. II
écrivit aux chefs de toutes les villes , en leur disant : Donnez
de la nourriture aux pauvres ; n'en transportez pas d*une villç
dans uneautre ; et si dans une ville quelqu'un meurt de faim ,
PARTIE II, CHAPITRE XXIV. 129
je ferai mettre à mort |>our lui un riche. Les hommes ne
laissèrent manquer en aucune façon les pauvres de nourri-
ture; et Firouz tint la main à Tcxécution de ce mode d'ad-
ministration et de ce bien. La famine dura ainsi deux ans :
la pluie ne tomba pas, et la terre ne produisit aucune espèce
de plante. I^a troisième année, Firouz renonça à son revenu
pour tout le royaume et ne prit rien de ses sujets; il distri-
bua toute la fortune qu il possédait aux pauvres, et écrivit à
ses lieutenants d'en faire autant, et il suspendit tout impôt
et toutes contributions; il ordonna aux riches de venir en
aide aux pauvres. Pendant les sept années que dura la fa-
mine, il ne mourut personne de faim dans son royaume,
sauf un seul homme, et Firouz ordonna que, en expiation
de ce malheur, on donnât cent mille dirhems aux pauvres , à
cause [de la mort] de cet homme. Dans les commencements,
Firouz avait été oppresseur et avait fait le mal. Quand cette
famine survint, il se repentit. Alors Dieu agréa son repentir:
les fruits devinrent abondants, la pluie commença à tomber
et les sources à jaillir. A cette époque, la coutume de payer
rimpdt n'existait pas encore; elle ne s'introduisit que sous le
règne de Qobâd, (ils de Firouz, qui lit mesurer les champs;
et, après Qobiid, ce fut Nouschirwân qui exigea du peuple
l'impôt. Nous raconterons dans l'histoire du règne de chacun
d'eux quelle fut l'origine [de cette innovation]. Mais du temps
de Firouz, il existait la coutume que des produits de tout
champ, en fait de grains, de raisin ou de fruits, le roi prenait
une partie, soit un dixième, soit un cinquième ou même
un quart, selon que l'eau était près ou loin, selon la plus
ou moins grande fertilité du sol et selon l'abondance ou le
manque d'eau. Or, dans la troisième année de la stérilité et
de la famine, Firouz renonça aux contributions en nature
n. 9
130 CHRONIQUE DE TABARI.
pour tous ses sujets, qui, par suite, se trouvèrent dans le
bien-être. Dans la quatrième année, le roi, sachant qu'il ne
restait plus rien au peuple, ouvrit ses trésors et y prit tout
ce qu'il y avait en fait d'or, d'argent et de joyaux. Il envoya
des charges d'or et d'argent aux autres rois , aux rois de Roum ,
de l'Inde, au roi des Turcs et au roi d'Âbyssinie; et l'on rap-
porta de tous ces endroits des charges de vivres dans son em-
pire, et il les distribua aux hommes. Cette famine dura sept
ans dans le royaume de Perse, et pendant ces sept années,
il ne mourut dans tout le royaume personne de faim, ni
homme, ni fenmie, ni grand, ni petit, par suit« des bonnes
dispositions que Firouz avait prises. Les rois de l'univers
étaient dans l'admiration de ces bonnes dispositions. La sté-
rilité augmenta d'année en année, et devint telle qu'il n'y
eût plus d'eau dans le Djrhoun et dans le Tigre; toutes les
sources et fontaines, tous les fleuves et les ruisseaux tari-
rent; il ne poussait aucune espèce d'herbe; les bétes de la
plaine et les oiseaux dans l'air périrent; de façon que dans
cet empire il ne resta plus et qu'on ne voyait plus voler aucun
oiseau; il ne resta ni béte fauve, ni reptile. Mais Firouz veilla
sur la vie de ses sujets, leur distribua de la nourriture, et
aucun d'eux ne quitta le pays.
Firouz fut instruit que ses sujets disaient : Ce roi est un
infortuné, et tout ce malheur provient de sa mauvaise fortune;
depuis que le monde existe, il n'y a jamais eu une adversité
pareille. Plus les sujets parlaient ainsi, moins Firouz se lassait
de distribuer des vivres et d'accomplir la bienfaisance et de
donner Taumdne. Enfin Dieu exauça les prières et les suppli-
cations des hommes, et, après sept années entières, il fil tom-
ber de la pluie du ciel; les sources, les fontaines et les fleuves
se remplirent d'eau; des plantes sortirent de la terre, les
PARTIE II, CHAPITRE XXV. 131
arbres pousseront des feuilles, et il parut des fruits. Le monde
rentra dans son état normal et les hommes vécurent dans
Tabondance. Après deux ou trois ans, partout où il y avait
dans Tempire une ville ou un bourg ou un endroit quelconque
qui, pendant les années de la disette, était tombé en ruines
et qui n avait pas pu être reconstruit, on le rétablit; et là où
le propriétaire n'était pas en état de le faire , Firouz le fit de
ses propres ressources, jusqu'à ce que tout son royaume fût
florissant. Firouz fonda dans le royaume trois villes : une sur
le teiTÎtoire de Reï, nommée Râm-Pîrouz; une autre sur le
territoire de Gorgân, nommée Rouschen-PiVouz; et il fonda
une ville dans rAderbidjân, nommée également Ràm-Pîrouz.
Quand ces villes furent terminées, un autre roi monta sur le
trône.
CHAPITRE XXV.
IIISTOIRB DE FIROUZ ET DE KHOUSCUNEWÂZ, ROI DBS HEYATELITSS.
Mo'hammed, fils de Djarir, dit : Lorsque les affaires de
Firouz furent en bonne voie et que le peuple eut confiance
en lui, il advint que le roi des Heyâtelites, dans le Balkh,
le Tokhâristân, le Gbardjistan et dans tout son empire, exer-
çait une grande oppression sur ses sujets. Il se mit à suivre la
coutume du peuple de Lot; et quiconque de ses sujets, entre
les grands ou les petits, avait un fils de belle figure, il le lui
enleva, en fit son esclave et eut commerce avec lui. Alors
beaucoup de personnes quittèrent son royaume, s'enfuirent
auprès de Firouz et se plaignirent de lui. Firouz lui envoya
un messager et lui fit dire : J'ai des obligations envers toi,
mais j'ai des obligations plus grandes envers Dieu. Ces gens
9-
132 CHRONIQUE DE TABAKI.
sont venus auprès de moi pour implorer mon assistance. Re-
nonce à cette mauvaise conduite et à cette tyrannie, sinon
j'enverrai une armée contre toi. Firouz envoya ainsi un ou
deux messagers; mais le roi ne prêta pas attention à ses
paroles. 11 se passa ainsi quatre ans, et les hommes heyâte-
lites furent très-nombreux à la cour de Firouz. Firouz ras-
sembla une armée perse et déclara la guerre au roi des Heyâ-
telites. Quand il arriva près du territoire de Balkh, et qu'il
ne fut séparé des Heyâtelites que par le désert de Merw, que
Ton appelle le disert intérieur, le roi des Heyâtelites convoqua
ses généraux et leur dit : Que faut-il faire? Car notre armée
ne peut pas se mesurer avec Tarmée perse et ne peut pas la
vaincre dans le combat. L'un des généraux, un homme con-
sidéré et âgé, se leva et dit : 0 roi, si tu t'engages envers
moi à bien traiter ma famille et mes enfants après ma mort,
et à leur donner des biens, afin qu'ils soient rièhes, je veux
sacrifier ma vie, faire périr Farmée ennemie et te débarrasser
d'elle. Le roi dit : Comment feras-tu? L'autre répondit : Fais-
moi couper les mains et les pieds et fais-moi jeter sur le bord
du désert, là oi^ Firouz doit passer, pour que lui et son
armée me rencontrent. Je lui dirai que tu m'as mis dans cet
état, je me plaindrai de toi, puis je lui dirai : Je te mon-
trerai un chemin pour parvenir jusqu'à lui, à travers le dé-
sert, afin que tu puisses l'attaquer et le prendre à l'impro-
viste. De cette façon, je l'amènerai, lui et toute son armée,
dans le désert, je les égarerai, et tous périront; et si je péris
avec eux, cela n'importe. Le roi des Heyâtelites lui dit : Si
tu trouves la mort, quel avantage auras-tu, si je triomphe?
L*autre répondit : Je suis un honmie âgé et j'ai vu pendant
longtemps le monde ; je veux le quitter par une action par
laquelle j'y laisserai une trace, et qui fera que ma famille,
PARTIE II, CHAPITRE XXV. 133
•
après moi , ne restera pas dans le besoin. Le roi lui donna de
Targent, lui fit couper les mains el les pieds et le fit jeter
sur la lisière du désert, à Tendroit où Firouz devait passer.
Quand Firouz y arriva avec son armée, on l'avertit qu'il y avait
là un homme à qui on avait coupé les mains et les pieds. Ff-
rouz le fit venir devant lui et l'interrogea sur son état; l'autre
lui dit qui il était. Il y avait auprès de Firouz quelques-uns
de ceux qui étaient venus lui demander son secours. Ils co'tH
naissaient cet homme et dirent : C'est un grand général de
Khouschnewâz. Cet homme raconta : J'ai dit au roi des Heyâ-
telites : N'opprime pas tes sujets; crains Dieu et le roi de
Perse, qui viendra t'attaquer avec une armée et contre lequel
tu ne pourras lutter. Alors il m'a fait traiter ainsi, et m'a fait
jeter sur cette lisière du désert, afin que j'y meure. Firouz
eut pitié de lui et lui dit : Ne t'afflige pas; car je te mènerai
avec moi; je lui ferai la guerre el le tuerai, et puis je te
ramènerai dans ma propre maison. L'homme aux pieds' et
aux mains coupés rendit beaucoup de grâces à Firouz et dit :
0 roi, si Khouschnewâz n'a pas agréé mon conseil, accepte-
le, toi, car je te dois de la reconnaissance pour les bonnes
.
intentions que tu as à mon égard. Tu es séparé de Khousch-
newâz par une distance de vingt jours de route. Quand tu
l'auras atteint, il aura préparé une nombreuse armée, il
engagera la lutte avec toi, et la guerre est une chose risquée;
tu ne sais pas à qui sera la victoire. Je connais dans ce désert
une route non tracée, par laquelle tu pourras l'atteindre en
cinq jours; tu le surprendras et t'empareras de lui, sans
qu'il puisse faire aucune résistance. Il n'y a dans ce chemin
aucune diflicuilé, sauf qu'il faut prendre avec toi de l'eau
pour cinq jours; le sixième jour, tu auras atteint la terre cul-
tivée. Ce conseil plut à Firouz. Il avait avec lui cinquante mille
134 CHRONIQUE DE TABARf.
•
soldais; il leur ordouna de se pourvoir d'eau el de nourri-
ture pour cinq à dix jours environ. I^s hommes Tavertirent,
en lui disant : 0 roi, ce dessein est mauvais, le désert est
qn grand danger. Mais lui ne les écouta pas. Ils lui dirent
encore : Cest un endroit suspect, et il se peut que Khousch-
newàz ait usé de ruse avec nous et qu'il ait envoyé perlide-
meut cet homme ici, pour qu'il nous détourne du droit che-
min, afin que nous périsëions dans le désert Firouz dit : Cela
ne peut pas être; car si Khouschnewâz usait de ruse avec
moi, cet homme n'aurait pas consenti à être estropié des
mains et des pieds à cause de lui; et si nous périssons et que
Khouschnewâz garde son pouvoir, quel avantage en aura cet
homme après être mort? Firouz ne crut à personne, et il
entra avec toute son armée dans ce désert. L'homme le mena
par le chemin le plus long et le plus difficile, dépourvu
d'eau. Il se passa ainsi cinq, six et s(q)t jours. Chaque jour,
il disait : Encore un peu de temps, demain nous arriverons
à l'eau; puis, le lendemain, il disait de même, jusqu'à ce
qu'il se fût passé quinze jours. Leur eau était consommée, les
hommes commencèrent à mourir, et les animaux tombèrent
de soif. Cet homme disait chaque jour : Nous allons arriver.
FJrouz voulut le tuer; mais il se dit : Qu'adviendrait-il de sa
mort? Il ne serait pas bon de le tuer; car, même pour la con-
servation de sa propre vie, il cherchera, n'importe comment,
un moyen de nous faire sortir quelque part; si je le fais tuer,
nous resterons errants dans ce désert. Cet homme les conduisit
donc ainsi; chaque jour, il disait : Nous avons manqué telle
station , c'est pour cela que le chemin est si long, et il s'excu-
sait. A chaque halte, il mourait un grand nombre d'hommes;
après vingt jours, l'homme aux pieds et aux mains coupés
mourut également. Firouz fut désolé et songea à mourir. Il
PARTIE IL, CHAPITRE XXV. 135
rëunit tous les hommes de son armée qui avaient subsisté et
il leur dit : Quoique je n'aie pas suivi votre volonté, ne me
refusez pas votre conseil ; car ce malheur atteint tous; il n'est
pas ainsi que, si je mourais, vous en échapperiez; mais vous
péririez également. Alors ils répondirent: 0 roi, nous avions
bien dit que c'était une ruse , mais tu ne nous as pas suivis ;
maintenant que nous y sommes en{;agés, notre moyen de
salut est que nous marchions en avant; car si nous restons
sur place, la mort n'est point douteuse, et si nous retour-
nons, nous n'échapperons pas non plus à la mort, parce que
nous ne pouvons plus faire tout ce chemin. 11 faut donc mar-
cher en avant, où nous avons également la mort à redouter,
mais en même temps l'espoir du salut, de sortir quelque part
sur la terre cultivée. Si nous mourons, au moins aurons-nous
fait notre possible. Firouz marcha encore trois jours ainsi,
et arriva enfin à la terre cultivée, à la frontière du royaume
de Khouschnewâz. Des cinquante mille hommes qu'il avait
eus avec lui, il en restait moins de mille; les autres étaient tous
morts. Arrivés sur la terre cultivée, ils mangèrent et burent,
et se reposèrent pendant trois jours. Puis ces hommes dirent
à Firouz : 0 roi , il ne nous reste d'autre moyen que de nous
rendre à discrétion à Khouschnewâz; car nous sommes pri-
sonniers dans son pays; il nous prendra, n'importe où nous
puissions nous enfuir, il faut nous rendre à lui; peut-être
nous laissera-t-il la vie. Firouz consentit. Il envoya un mes-
sager à Khouschnewâz, avoua sa faute, en demanda pardoo
et se mit sous sa protection. Khouschnewâz lui fit d^s repro-
ches, en disant : Je fai fait tant de bien; tu es venu, cher-
chant du secours contre ton frère, auprès de moi; je t'ai bien
reçu, je t'ai rendu le pouvoir, je t'ai confié une armée, afin que
tu pusses soumettre ton frère et reprendre la couronne. Or tu
136 CHRONIQUE DE TABARI.
a'as pas été reconuaissaut envers moi el tu m'as attaqué avec
une armée. Des hommes se sont enfuis d'auprès de moi, ils
sont allés te trouver, ils t'ont trompé, et tu as été pris par leurs
paroles et tu as mis de côté la reconnaissance que tu me de-
vais. Mais Dieu t'a frappé : cet homme qui, d'après ce que vous
racontez, t'a amené dans le désert, je ne le connais pas, je
ne sais pas qui il est. C'était peut-être un ange que Dieu avait
envoyé du ciel sous la forme de cet homme, pour qu'il te
frappât à cause de ton ingratitude envers moi. Maintenant
que tu conviens de ta faute, je te pardonne et je t'accorde ma
protection, je t'adopte comme mon (Ils. Je te renverrai dans
ton pays, à cette condition que tu feras avec moi un traité
et que tu t'engageras par serment à ne jamais venir me faire
la guerre, à ne pas envoyer contre moi une armée et à ne
pas t'allier à un de mes ennemis. Je vais faire ériger, à l'en-
droit qui sépare mon royaume du tien, une colonne de pierre.
Je vais t'y conduire, afin que tu jures que jamais, ni toi, ni
aucun des tiens , ne viendrez de ce côté-ci de la colonne , qui
sera la frontière. Mais si tu romps les engagements ou si tu
uses de ruse, ta propre armée se détournera de toi, et Dieu
t'accablera de malédictions, parce que tu auras fait un faux
serment.
Khouschnewâz congédia le messager avec bonté el envoya
à Firouz de la nourriture et beaucoup de cadeaux en fait de
vêtements , de tapis , de vases et d'animaux. 11 lui fit dire :
Reste à l'endroit où tu te trouves; j'y enverrai quelqu'un et
ferai élever à cette frontière une colonne ; on te conduira au
pied de cette colonne, on t*y fera prêter serment, et Ton
prendra ton engagement et ta foi. Quand le messager revint
et rapporta ce message, et que Ftrouz vit les cadeaux, il fut
charme de ce qu'il lui laissait la vie ei qu'il lui accordait sa
PARTIE II, CHAPITRE XXV. 187
proleciion. H consentit à prêter le serment. Le roi des Heyâ-
lelites lit venir des montagnes une pierre, la lit transporter
au déseit, et lit ériger à Textréme frontière une colonne, tout
entière d'une seule pierre, afin quelle durât éternellement.
On y travailla six mois. Fîrouz et ses compagnons y demeu •
rèrent, et, chaque mois, Khouschnewàz lui envoya un nou-
veau cadeau.
Quand la colonne fut terminée, Khouschnewàz délégua
les officiers, les commandants de son armée et des conseil-
lers du Tokhâristân vers Firouz , afin qu ils l'amenassent de-
vant la colonne et lui fissent jurer de ne jamais franchir la
limite de cette colonne, de ne jamais la déplacer ni la dé-
truire. Quand Firouz eut prêté le serment, ils rédigèrent un
acte, prirent tous ces vieillards comme témoins et y insé-
rèrent leur témoignage. Ensuite Khouschnewàz lui fit des
cadeaux et lui donna de grands biens, et Firouz partit.
Firouz sentit de la honte de retourner de là de cette ma-
nière. Ses soldats lui dirent : Ce roi a très-bien agi en Rac-
cordant la vie, ainsi qu'à nous. Mais lui il garda le silence.
11 reprit le gouvernement, et il se passa ainsi trois ou
quatre ans, et ses affaires reprirent leur cours régulier. Puis,
ne pouvant pas supporter la honte plus longtemps , il fit ve-
nir le mobed suprême, lui exposa tout ce qu'il avait sur le
cœur, et lui dit : Je ne peux plus endurer cette ignominie, et
je veux faire marcher une armée contre le roi des Heyâte-
lites. Le mobed suprême lui répondit : 11 ne faut pas rompre
le traité et ton engagement, et te parjurer; Dieu n agrée
pas cela et ne le favorise pas. L'armée ne te secourra pas,
et si tu veux la conduire à commettre l'injustice, elle ne
combattra pas. Firouz dit : Je saurai employer un strata-
gème, pour que je ne sois pas parjure. Le mobed dit: Le
138 CHRONIQUE DE TABARI.
parjure ne devient pas louable par un stratagème. Firoux ne
tint pas compte des paroles du mobed; il rassembla son ar-
mée et lui exposa cette affaire. Les soldats lui donnèrent la
même réponse que le mobed suprême; mais il n'écouta per-
sonne, et fit, pendant une année, des préparatifs de guerre.
Il y avait un homme en grand honneur en Perse, nommé
Souferaï; il descendait de Menoutschehr, et les Perses le te-
naient en grande estime. Il é(ait gouverneur du Seîstàn , et
avait été nommé à ce poste par Firouz. (Tétait un homme
âgé,- intelligent et sûr. Firouz avait mis sa confiance en
lui ; il le rappela du Seîstân , l'institua lieutenant sur tout le
royaume et lui confia la garde de sa maison, de sa famille,
de ses trésors et de toute Tarmée qui y restait , afin qu il con-
duisit les affaires. Firouz avait deux fils, dont Tun s'appelait
Balâsch , et l'autre Qobâd. 11 avait aussi une fille très-belle ,
nommée Firouz-Dokht, douée d'intelligence et de discerne-
ment, qu'il affectionnait particulièrement et qu'il avait l'ha-
bitude de consulter. 11 emmena cette jeune fille avec lui et
laissa ses deux fib sous la garde de Souferaï. Les chefs de
l'armée et le mobed dirent à Firouz : Cette manière d'agir
n'est pas juste ; tu mènes à la guerre une femme , et tu
laisses tes fils à la maison. Firouz n'écouta personne et ne
tint aucun compte de l'avis du mobed. Il emmena donc sa
fille avec lui, ainsi que le mobed, et rassembla une armée de
cent mille hommes et cinq cents éléphants, et marcha vers
la frontière où était érigée la colonne, et là il fit halte. Cette
colonne était de pierre, sur laquelle on avait versé du cuivre
liquide , de façon qu elle devint toute d'une pièce. Firouz dit :
l'ai pris l'engagement de ne jamais dépasser la limite de cette
colonne, et il ne faut pas non plus la détruire : arrachei-la
et étendez-la par terre. Ils firent ainsi , et la colonne tomba
PARTIE II, CHAPITRE XXV. 139
de loute sa longueur sur le sol. Ensuite il fit amener des cha-
riots et placer la colonne sur ces chariots , et y fit atteler des
éléphants qui devaient les trajner, cinquante éléphants, quil
fit. diriger par trois cents hommes, et il dit : Il m'est défendu
par serment de franchir cette colonne; trainez-la devant moi,
afin que je la suive avec toute mon année, et que le serment
ne soit pas rompu. Quelques-uns disent que c^est Bahrâm-
gour qui avait érigé cette colonne entre le Khoràsàn et le
Turkestan.
Quand Firouz exécuta cette ruse, le mohed lui dit : 0 roi,
cette ruse ne sert de rien; tu seras parjure; si ces sortes de
ruses étaient justes, on ne ferait jamais de traité de paix. Fi-
rouz ne tint pas compte des paroles du mobed, et il fit mar-
cher Tarmée derrière la colonne.
Lorsque Khouschnewàz reçut cette nouvelle, il rassembla
son armée et marcha vers la frontière de fialkh et du To-
khàristân, et y établi! un camp. Il savait quil ne pourrait
pas lutter contre Firouz et Farmée perse; alors il fit creuser
un énorme fossé autour de son camp, profond de dix cou-
dées et large de vingt. On le remplit d'eau, on le couvrit
de faibles branches et de terre, et on cacha entièrement le
fossé. Ensuite il fit pratiquer une route étroite, par laquelle
il passa avec son armée, et se tint dans son camp. Quand
Firouz et son armée arrivèrent en vue du camp, et que
Khouschnewàz vit cette armée et la colonne, il eut peur. Le
lendemain, il monta à cheval et se rendit seul hors de son
camp. Il se plaça entre les deux armées, et cria : Je suis le
roi Khouschnewàz; dites à Firouz, roi de Perse, de venir ici
seul, afin que je lui parle; car cette hostilité est en dehors des
deux armées. L'armée perse avait de la répugnance à com-
battre et n'était venue que malgré elle. Les soldats dirent à
UO CHRONIQUE DE TABARl.
FIrouz : Sors, pour voir ce que dira cet homme; il est seul,
va Clément seul. Firouz moota à cheval, sortit tout seul,
et se plaça en face de Khouschoevifàz, et dit : Je suis Firouz .
roi de Perse. Khouschoevifâz le reggria; car il oe Tavait ja-
mais vu, lorsqu'il était venu deux fois à sa cour, et il n'avait
jamais été ensemble avec lui. U vit un homme de belle
figure, un cavalier d'une stature parfaite, qui lui inspira du
respect. U dit : 0 fils, tu es mon enfant, et si tu étais sorti
de mes reins, je n'aurais pas pu agir mieux envers toi que
je n'ai fait jusqu'ici. Deux fois je t'ai donné la vie et t'ai
renvoyé dans ton pays, et deux fois tu n'as pas reconnu ton
obligation envers moi, et tu as montré de l'ingratitude pour
mes bienfaits. Tu as pratiqué la ruse, rompu ton engage-
ment et tu t'es parjuré; Dieu te saisira cette fois-ci, et la ruse
que tu as exécutée avec la colonne ne sert de rien. Mainte-
nant retourne, reviens à la raison et ne t'abuse pas à cause
du grand nombre de tes soldats, qui n'ont pas le même sen-
timent que toi; Dieu ne te donnera pas la victoire. Je sais
que tu as fait cela par honte, les deux fois que tu as quitté
ma cour en paix; car je t'avais donné la vie. Si j'avais voulu,
alors que tu es venu du désert, j'aurais pu te tuer, toi et ton
armée; mais comme tu avouais ta faute, j'agréai tes excuses
et t'accordai la vie. Ce n'était pas là une humiliation. Main-
tenant, tu as rompu le traité, tu t'es parjuré; et moi je te
considère comme mon fils. Et ne sais-tu pas que la honte
vient du parjure? Et ne sais-tu pas que toujours les rois se
quittent l'un l'autre , tantôt eu faisant la paix, tantôt en s'en-
fuyant? Quant à moi, j'ai invoqué Dieu comme témoin contre
toi, et je t'ai donné un conseil; si tu l'acceptes, tu t'en trou-
veras bien. Firouz n'écouta pas sa parole et dit : Il faut ab-
solument combattre. Puis ils s'en retournèrent l'un et l'autre.
PARTIE II, CHAPITRE XXV. 141
Kliouscliuewâz ne voulut pas que ses soldats eussent connais-
sance quil ëtait aile pour chercher la paix, et que Tautre
n'avait pas consenti. Il leur dit : Ce Firouz est venu deux
fois à ma cour, mais je ne Tavais pas vu. Maintenant je l'ai
vu. Je savais que Dieu le ferait périr; j'ai donc demandé la
permission de le voir, avant qu il périsse.
Le lendemain, Firouz rangea son armée en bataille, et
Khouschnewâz fit de même, et ils placèrent leurs armées en
l'ace Tune de Tautre. Khouschnewâz fit fixer au bout d'une
lance le traité de paix que Firouz avait écrit et qu'il avait
donné pour gage de sa personne, alla au milieu entre les
deux armées et dit : 0 hommes de Perse, craignez le Dieu
du ciel et de la terre, que vous avez appelé comme témoin
contre vous dans cet écrit, dans lequel est contenu le traité.
Puis il lut le texte du traité de paix, de façon que tous l'en-
tendissent; ensuite il dit : Je lui avais accordé la vie sauve,
à lui et à ces mille hommes qui étaient veous avec lui du dé-
sert ; j'avais pris ces hommes et Dieu comme témoins contre
lui; il a prêté le serment, et aujourd'hui il pratique une ruse
et se fait parjure; il est hors de doute que Dieu le fera périr
par ma main dans le combat; car jamais un roi des anciens
temps n'a rompu un traité et employé la ruse sans qu'il ait
péri. Quiconque d'entre vous craint Dieu, qu'il quitte l'armée,
je lui donnerai ma protection. Ceux qui ne s'en iront pas et
qui combattront. Dieu les donnera entre mes mains, et ils
ne trouveront pas grâce auprès de moi; leur sang sera versé
légitimement. La moitié de l'armée perse s'en retourna.
Lorsque Firouz vit que ses soldats s'en allaient, il fit halte
à l'endroit oii il se trouvait avec cette partie de l'armée qui
lui restait attachée. Khouschnewâz , voyant cela, fit également
halte; et quand la nuit fut venue, il prit toute son armée et
142 CHRONIQI E DE TABARI.
sortit en dehors du fossé, par le chemin étroit qu il avait fait,
et s'éloigna de ce fossé à la distance d'une parasange, et là il
fit halte. Firouz, ne voyant plus khouschnewâz , pensa qu^il
avait pris la fuite. Il monta à cheval, laissant Tarmée, et par-
tit avec sa suite, pour poursuivre Khouschnewâz. Quand il
arriva au fossé couvert, qu'il ne connaissait pas, il s'y préci-
pita, les branches se rompirent et s'enfoncèrent, et Fîrouz
avec beaucoup de monde tombèrent dans le fossé, et ils pé-
rirent tous. Khouschnewâz revint par le c)iemin étroit vers le
fossé et massacra ou fit prisonniers un grand nombre de sol-
dats perses. Le grand mobed et Ftrouz-Dokht furent égaie-
ment faits prisonniers. Il s'empara de toutes les richesses que
Ffrouz avait avec lui, et tous ses soldats furent tués ou faits
prisonniers et réduits en esclavage. Ensuite Khouschnewâz
retourna au bord du fossé, en fit retirer le cadavre de Firouz
et le fit enterrer. Il trouva au bras de Firouz un amulette
encadré d'or, sur lequel étaient mentionnés tous ses trésors.
Khouschnewâz retira cet écrit du bras, le prit et fit chercher
ces richesses, pour les emporter.
Firouz avait occupé le trône pendant vingt-six ans et cinq
mois.
CHAPITUE XXVI.
HISTOIRE DE Là GUERBE DE SOUFERAÎ CONTRE KHOUSCHNEWAZ.
Lorsque Souferaï fut informé de ce qui était arrivé à Fi-
rouz, il réunit l'armée de Perse et dit : Il faut absolument
aller venger la mort de Ftrouz et délivrer le grand mobed et
Ftrouz-Dokht. L'armée y consentit II laissa les deux fils de
Ftrouz, Qobâd et Balâsch, dans le pays, et abandonna le
gouyemement, et ne le confia à personne, disant : Mon de-
PARTIE II, CHAPITRE XXVI. 143
voir de venger la mort du roi est plus impérieux que celui
de veiller sur le royaume. Il arriva auprès de Khouschnéwâz
avec une armée innombrable. Khouschnéwâz savait qu'il
ne pourrail pas résister; il rassembla son armée et resta en
place, et fit sortir ses avant-postes. Souferaï envoya égale-
ment son avant -garde. Or un cavalier de Khouschnéwâz
s'avança vers Souferaï. Celui-ci lança une flèche contre le
front du cheval, qui tomba et mourut. Souferaï fit prisonnier
rhomme et lui demanda qui il était. Celui-ci répondit qu'il
était de Tavant-garde de Khouschnéwâz. Souferaï lui dit :
Va, et dis à Khouschnéwâz qu'il se tienne prêt pour demain
à ces coups de flèche. Puis il le laissa partir, et retourna vers
son armée. Cet homme alla trouver Khouschnéwâz, à qui on
apporta aussi la tête du cheval et la flèche. Khouschnéwâz,
voyant ce coup de flèche, eut peur : car les Heyâtelites com-
battent avec Tépée; ils ne savent pas tirer de l'arc. Il envoya
un messager à Souferaï et demanda la paix, disant : C'était la
faute de Firouz, qui a voulu employer la ruse, qui a manqué h
son serment et a rompu le traite, de sorte que Dieu l'a frappé.
C'est pour cette raison que l'armée perse s'en est retournée;
car il était évident pour tous qu'il accomplissait l'injustice et
la ruse. L'armée perse dit à Souferaï : Fais la paix. Souferaï fit
la paix, en mettant pour condition que Khouschnéwâz ren-
drait tous les prisonniers perses qui étaient vivants entre se»
mains; qu'il rendrait également le corps de Fîrouz, afin qu'on
le transportât dans sa ville. Khouschnéwâz consentit à tout,
et il rendit aussi tout le butin. Quand il livra le corps de Fi-
rouz, Souferaï dit : Il y avait attaché au bras de Firouz un
écrit encadré d'or; c'était son inventaire, dans lequel étaient
marquées toutes les richesses qu'il possédait, en fait d'or, de
joyaux, de vêtements, de tapis, d'animaux et d'armes, tout ce
\àà CHRONIQUE DE TABAHI.
qu*ii avait avec lui quand il partit avec Tarmëe, et les autreïi
trésors : c'est le compte de sa fortuue, et nous ne connais-
sons pas maintenant Tétat de sa fortune, à moins d'avoir ce
registre. Nous ne retournerons pas avant que tu nous Taies
rendu. Khouschnewâz le lui renvoya. Souferaï dit : Nous ne
partirons pas d'ici que tu n'aies rendu tout ce que tu as pris
dans son camp, même la moindre corde. Khouschnewâz ren-
voya tout cela. On conclut la paix , et Souferaï s'en retourna.
Les Perses lui témoignèrent beaucoup d'estime et voulurent
lui donner la couronne, mais il ne l'accepta pas, disant:
Placez sur le trône l'un des fils de Firouz. Les hommes choi-
sirent Balâsch. Alors Qobâd s'enfuit auprès duKhâqân,pour
lui demander une armée, afin de recouvrer le trdne sur son
frère.
CHAPITRE XXVIL
HISTOIRE DU RÈGNE DE BALASCH, FILS DE fIrOUZ.
Balâsch s'assit sur le trdne et mit la couronne sur sa tête;
il tint une cour pour ses sujets, leur fit un discours et leur
donna les meilleures assurances. 11 nomma Souferaï lieu-
tenant sur tout le royaume, et lui confia toute l'administra-
tion. Il répandit sur tout l'univers la civilisation et la justice,
et ne souffrit point que dans son royaume il y eût un lieu dé-
sert. Quand il y avait quelque part une maison en ruine dont
le propriétaire élait parti, il punissait les chefs de l'endroit,
disant : Pourquoi n'avez-vous pas fait attention à cet homme,
ou : Pourquoi ne m*avez-vou8 pas averti, afin que je lui don-
nasse un secours? Il fonda dans le Sawâd une ville, qu'il
nomma Balâsch-Abâd. Il occupa le trdne pendant quatre ans,
puis il mourut.
PARTIE II, CHAPITRE XXVH. 145
Qobâd était parti pour aller chez le Khâqân, afin d*y cher-
cher le secours d'une armée. Il était accompagné de cinq
personnes des grands de la Perse qui lui étaient attachés.
Le nom de l'un d'eux était Zer-Mihr, fils de Souferaï. En voya-
geant, ils arrivèrent dans un village, sur le territoire de Nischà-
bour, et descendirent dans la maison d'un paysan de ce vil-
lage. Qobâd était fort beau, et toute personne qui le voyait
comprenait que c'était un prince de sang royal. Ce paysan
avait une fille, également fort belle. Qobâd devint amou-
reux de celte jeune fille et ne put se résoudre à quitter
la maison de cet homme. Après qu'il y fut resté trois jours,
Zer-Mihr dit : 0 roi, il faut partir d'ici. Qobâd lui fit part
de son aventure et lui dit : Aujourd'hui je ne me soucie ni
de la royauté, ni du monde, sauf de cette jeune fille. Zer-
Mihr craignit que Qobâd ne restât là, et que son dessein
d'aller chez le Khâqân ne fât abandonné. Quelques-uns di-
sent que cela se passa sur' le territoire d'Ispahân. Zer-Mihr
alla trouver le paysan et la mère de la jeune fille, et leur
dit : Notre chef est un personnage considérable; c'est un
prince royal, et il est en voyage pour une certaine affaire. Il
désire épouser votre fille; donûez-la-lui, pour qu'il reste ici
un certain t«mps et qu'il aille après à son affaire. Quand il
l'aura menée h bien , il reviendra et conduira votre fille dans
sa maison. Les parents de la jeune fille dirent : Qui. est-il,
quelle affaire a-t-il et où veut-il aller? Zer-Mihr répondit:
Je ne peux pas dire son histoire, mais c'est un grand per-
sonnage, supérieur à vous, et vous ne pourriez trouver un
gendre comme lui; quand son affaire sera menée à bien, vous
en conviendrez vous-mêmes. Il les persuada peu à peu,
si bien qu'ils consentirent : ils donnèrent leur fille h Qobâd
en mariage, et la lui remirent. Qobâd donna à la jeune fille
II. 10
146 CHBONIQUK DE tABARF.
une bague dont ie chaton (Uail un rubis rouge, gui, dans la
nuit, brillait comme le soleil, et dont personne ne put ap-
précier la valeur. Qobâd resta là quelque temps; puis il alla
avec Zer-Mihr auprès du Khaqiin. Le père et la mère de la
jeune fille dirent : C'est un roi ou le fils d'un roi; nous aurons
par lui beaucoup de joie quand il reviendra. La jeune fille
mit au jour, après neuf mois, un enfant; ils l'appelèrent
Nouscfairwân, et relevèrent. Qobâd resta quatre ans auprès
du Khâqân, qui, ensuite, lui donna une armée, afin qu'il
rentrât dans son royaume. Quand il passa par ce village, le
père de la jeune fille l'informa de la naissance de son fils,
qu'on avait nommé Nouschirwân. Qobâd en fut charmé; il
86 le fit présenter; l'enfant ressemblait beaucoup à Qobâd.
Le lendemain, Qobâd reçut la nouvelle que Balâsch était
mort, que la Perse se trouvait sans roi et que les habi-
tants l'attendaient. Qobâd en eut une nouvelle joie et dit :
Cette femme et cet enfant m'ont porté bonheur. Il emmena
Tcqfant et sa mère avec lui à Madâïn, et occupa le trône .^ans
combat. Il renvoya l'armée du Khâqân turc avec beaucoup
de présents, et fut en possession tranquille du royaume de
Perse.
CHAPITRE XXVIH.
HISTOIRE DU RÈGNE DR QOBAD, FILS DR FIROUZ.
Après que Qobâd fut monté sur le trdne , il nomma Sou-
feraï lieutenant du royaume et lui ordonna de gouverner avec
justice. Il lui dit : Quoique tu n'aies pas été avec moi, ton fils
a été avec moi , et il a acquis des droits à ma reconnaissance
par les services qu'il m'a rendus pendant mon voyage. J*ai
aussi des obligations envers toi-même; car mon père avait
PARTIE II, CHAPITRE XWHI. 147
Diis sa conliaiice en toi, il t'avait chargé du gouvornement;
eo outre , tu as veogé la mort de mon père et reconquis tout
son bien. Qobâd se démit de toutes les affaires et en chargea
Souferaï, qui en prit la direction. Qobâd fonda plusieurs
villes; aucun roi n'en avait fondé autant que lui. Près des
frontières de la province de Perse et de TAhwàz, il fonda
une ville nommée Awdjân. Dans la Perside il fonda une
ville nommée Kàzeroun. La ville de ^Holwân a été également
fondée par lui. 11 fonda, sur le territoire de Khodân, une
autre ville, nommée Qobàd-Abâd, qu'on appelle aujourd'hui
Qowâdyân. II fonda aussi Termed et une ville mentionnée '
dans le Dictionnaire des villes, nommée Wazm; on l'appelle
aussi Zemm, et on devrait l'appeler Qobâd- Abàd; elle est
située sur les bords du Djrhoun.
Quand Qobâd eut régné pendant cinq ans, Souferaï eut
en main toutes les affaires : les sujets et Tarmée lui étaient*
soumis, et aucune affaire du royaume n'était restée entre les
mains de Qobad. Souferaï lui-même ne lui avait rien laissé
entre les mains. Qobâd ne pouvait s'en consoler; cependant
il ne pouvait pas faire saisir Souferaï, parce que celui-ci
avait toute Tarmée. Alors Qobâd eut recours à une ruse. Il y
avait un homme nommé Schâpour, qui était sipehbed d'un vil-
lage nommé Mihrân. Sipehbed, en Jangue persane, veut dire
(T général d'armée, y* Qobâd appela Schâpour, qui vint du terri-
toire de Reï avec toute son armée. Qobâd le combla d'hon-
neurs, et délibéra avec lui en secret, et se plaignit de Sou-
feraï. Le général dit : J'en délivrerai le roi. Le lendemain,
Souferaï étant chez le roi, le général se présenta et fit au roi
un rapport. Il eut une discussion avec Souferaï, se mit en
colère et l'injuria. Qobâd garda le silence. Alors le général
déploya une corde, la jeta au cou de Souferaï, le traîna de-
10.
148 CHRONIQUE DE TABARÏ.
hors et le mit en prison. Il était jeune, et Souferaï, diant un
homme âgé, ne pouvait lui faire aucune résistance. Le len-
demain, il le tua, et Qobâd on fut délivré. Ensuite le générai
prit lui-même en mains les affaires du royaume et les diri-
gea eu répandant la justice. On a dit qu il avait tué égale-
ment Zer-Mihr, mais cette opinion est erronée. On appelle
aussi le général Miliran; mais Milirân est le nom du village
dont il était gouverneur.
Qobâd rassembla une armée de cent mille hommes et
marcha contre le roi des Khazars. Il nomma le sipehbed gé-
néral en chef. Il fit la gueiTe, fut victorieux, pilla et mas-
sacra, et revint avec un énorme butin. 11 fonda, à la frontière
de rArménie, une ville nommée Amid; puis il rentra dans sa
résidence et exerça Téquité et la justice. Il avait dix fils, parmi
lesquels il aimait le plus Nouschirwân, qui était le plus ins-
truit et le plus intelligent et doué d'un parfait bon sens, d'une
grande pénétration et de bonnes manières.
CHAPITRE XXIX.
■
HISTOIRE DE HAZDAK.
Après que Qobâd eut régné douze ans, il vint auprès de
lui un homme nommé Mazdak, du pays de Khorâsân, de la
ville de Nischâbour. Il se prétendit prophète, mais il n'établit
pas une religion nouvelle, si ce n'est précisément la religion
mazdéenne et la doctrine qui permettait d'avoir commerce
avec sa mère et sa sœur : il avait donc la religion des Perses,
sauf qu'il abolit le mariage et la propriété, disant: Le Dieu
de l'univers a fait «m partage égal entre les hommes; il n'a
pas donné h l'un plus qu'à l'autre. Il faut. faire en sorte que
PARTIE II, CHAPITRE XXIX. 149
chacun ait en égal partage les femmes et les biens. Celui qui
possède des biens ne pourra pas dire : Je ne veux rien donner
k Tautre. De même en ce qui concerne les femmes : toutes
les femmes sont communes; la femme de celui-ci appar-
tient à celui-là, et la femme de celui-là appartient à celui-ci;
celui qui la désire peut la prendre. Cette doctrine plut aux
jeunes gens, aux débauchés et à la populace, et beaucoup
Tadoptèrent. Qobâd en fut informé; il fit appeler Mazdak
et rinterrogea sur sa religion. Qobâd aimait beaucoup les
femmes : cette doctrine lui plut également; il Tadopta, et
il protégea Mazdak et ses adhérents. Enfin cette doctrine
se répandit. Ceux qui ne possédaient rien prirent le bien
des autres, ainsi que les femmes, qu'ils gardèrent aussi long-
temps qu'ils voulurent et qu'ils renvoyèrent ensuite. Les mo-
beds et les chefs du peuple dirent à Qobâd : Cette religion
est fausse. Mais il n'agréa pas leur avis; il soutint les adhé-
rents de Mazdak , et cette secte s'accrut tous les jours, tandis
que les autres habitants avaient à en souffrir. Ils allèrent
trouver le gi*and mobed et lui dirent: Ces hommes sont fort
nombreux, et personne ne peut les contenir; le roi lui-
même en fait partie. Le grand mobed dit: Je ne vois pas
d'autre moyen pour nous que de déposer le roi et de mettre
à sa place un autre qui saura réprimer ces hommes. Les
autres dirent: Il n'y a pas d'autre reniiède. Ils se rendirent
auprès de Qobâd, prirent la couronne de dessus sa tête, le
firent descendre du trône, le mirent eu prison et le firent
surveiller par un général avec sa troupe.
Qobâd avait un frère, nommé Djâmâsp. Les Perses le firent
monter sur le trône, et placèrent la couronne sur sa tête.
Puis ils s'emparèrent de Mazdak, pour le mettre à mort;
mais ses sectateurs se rassemblèrent et le délivrèrent. L'ar-
150 CHRONIQUE DE TABARl.
mëe dit: A moins de tuer Qobàd, les choses ne seront pas
dans un meilleur état. Qobâd avait une sœur qui n avait pas
sa pareille, en fait de beauté, dans tout le royaume de Perse.
Qobâd avait eu d'elle un fils. Cette femme, ayant été informée
[des propos de Tarmée concernant Qobâd], se rendit dans la
prison, pour le voir. Le gardien de la prison devint amou-
reux d'elle et lui dit : Si tu t'abandonnes à moi et que tu
m'accordes tes faveurs, je te ferai voir Qobâd. La femme lui
promit de lui accorder ses faveurs, et il la fit pénétrer auprès
de Qobâd, quelle informa que les hommes se proposaient
de le tuer. Qohâd dit: Que puis-je faire? Sa sœur lui dit:
Je suis venue pour t'aider. Elle passa cette nuit avec Qobâd,
envoya quelqu'un chercher des lits et des couvertures pour
la nuit, et demanda au gardien la permission de rester. Ce-
luinri , pensant qu'elle voulait rester à cause de la promesse
qu'elle lui avait faite, donna la permission. On apporta les
lits, et Qobâd se coucha. Quand la nuit fut un peu avancée,
le gardien envoya une personne pour appeler la fenmie. Celle-
ci lui dit : Je suis toujours dans les mêmes dispositions,
comme je t'ai dit; mais je suis dans mon état impur; je
deviendrai pure cette nuit, et demain je passerai la nuit
avec toi. Les Perses n'avaient pas commerce avec les: femmes
quand elles étaient dans cet état. Le gardien ajouta foi à
ses paroles; ils causèrent quelque temps ensemble, puis In
femme alla se coucher avec Qobâd. Quand le jour parut, elle
cacha Qobâd au milieu des lits, les donna à un esclave ro-
•
buste et lui dit de les emporter a la maison ; elle-même h;
suivit. Le gardien lui demanda ce que Teaciave portait sur la
tête. Elle lui dit.: Ce sont les bardes de nuif, sur lesquelles
j'ai dormi cette nuit. Qobâd m'a dit de les emporter à la
maison, parce qu^il ne veut pas que les effets d'une femme
PARTIE il, CHAPITRE XXIX. 151
.impure reslent dans son habitalion. Je les remporte; je me
purifierai aujourd'hui et je reviendrai la nuit. Le gardien la
laissa partir. Elle emporta donc Qobâd, qui resta caché avec
sa sœur, et personne ne sut ce qu'il était devenu. Quand les
soldats apprirent sa fuite, ils tuèrent le g9rdien et se mirent
à la recherche de Qobâd; mais ils ne le découvrirent pas.
Qobâd resta caché pendant un an. Mazdak le vit dans sa re-
traite et lui dit: Mes adhérents sont devenus très-nombreux;
Tarmée ne saura leur résister; je les assemblerai tous, afin
qu'ils te fassent sortir et qu'ils combattent l'armée. Qobâd
dit : Tes sectateurs sont tous des gens de la populace, qui
ne peuvent pas lutter contre les soldats ; il me faut une ar-
mée pour les réduire. Il reconduisit, et lui-même resta caché
jusqu'à ce qu'il sût qu'on ne le recherchait plus. Ensuite il
sortit de sa retraite et partit. Quelques-uns prétendent que
c'est lors de ce voyage qu'il épousa la mère de Nouschirwàn.
Il se rendit auprès du roi des Turcs. Lorsque Qobâd partit,
tout l'empire obéissait à Djâmâsp. Mais il était jeune et né
savait pas exercer la justice, et les hommes s'étaient habitués
à la justice de Qobâd, et il leur vint le désir de le ravoir.
Qobâd resta cinq ans auprès du roi des Turcs, qui, au bout
de ce temps, lui donna trente mille hommes. Alors il revint ;
les hommçs le désirèrent, lui remirent le gouvernement et
lui firent des excuses. Qobâd agréa leurs excuses, pardonna
à Djâmâsp et réoccupn le trône. Djâmâsp avait gouverné six
ans. Qobâd régna avec justice, et personne ne fut puni de
mort par lui. il ne Soutint plus, comme par le passé, les
sectateurs de Mazdak, quoiqu'il leur adhérât en secret. Son
règne dura quarante -trois ans, y compris les six ans du gou-
vernement de son frère Djâmâsp. Quand sa fin approcha,
avant de mourir il nomma Nouscbirwân son successeur, et
152 CHRONIQUE DE TABARI.
lui en délivra le diplôme; car Nouscliirwân était le plus
parfait, le mieux élevé et le plus sage de ses fils. Après la
mort de Qobâd, Nouschirwân s assit sur le trône, exerça la
justice, établit Tirnpôt sur le peuple, et triompha des en-
nemis.
CHAPITRE XXX.
ÉTABLISSEMENT DR LMHPÔT DU TEMPS DE QOBAD ET DE NOUSCHIRWAN.
Avant Qobâd Timpôt n^existait pas sur la terre, sauf que
Ton payait le dixième, ou le cinquième, ou le quart, ou, dans
certains endroits, le vingtième [des produits du sol], en pro-
portion de Tétat de culture du pays et de la plus ou moins
grande distance de Teau. Or Qobâd ordonna que Ton mesu-
rât tout le royaume, afin d'établir Timpôt et d'abolir la levée
du cinquième, du quart et du dixième. Quand le mesurage
fuit commencé, Qobâd mourut, en ordonnant par son testa-
ment à Nouschirwân d'achever le mesurage et de délivrer
les hommes du lourd impôt de la dime et du cinquième.
Cette ordonnance de Qobâd avait une cause, que Mo^hammed
ben-Djarîr n'a pas rapportée et que je vais dire :
Un jour, Qobâd, étant monté à cheval, passa par un bourg
du Sawâd, accompagné du grand mobed et de ses vizirs; il
resta seul en arrière de la chasse. C'était à l'époque des ven-
danges. 11 arriva sur le sommet d'une montagne et regarda la
vallée. 11 y vit un village, et ses yeux tombèrent, au milieu
des vignes, sur une vigne fort belle, auprès de laquelle il vit
une femme qui faisait cuire du pain dans un four, et devant
elle un petit garçon d'à peu près trois ans. Tout d*un coup,
cet enfant entra dans le jardin, prit une grappe de raisin et
PARTIE II, CHAPITRE XXX. 153
voulut la manger. La femme frappa fenfani, lui enleva la
grappe el la rattacha à la vigne. Qobâd fut étonné de TavariGe
de celte femme; il descendit de la montagne, se rendit dans
celle vigne et demanda à la femme : A qui appartient cette
vigne? Elle répondit que c'était à elle. Il lui demanda ensuite à
qui était le petit garçon. Elle lui dit que c'était le sien. Alors
il dit : Pourquoi donc lui as-tu enlevé la grappe de raisin, et
pourquoi Tas-lu frappé, en refusant à ton propre fils une
grappe de mince valeur? La femme répondit: Nous n'avons
pas la libre disposition de notre bien, car le roi y a une
part, et, avant que quelqu'un vienne de la part du roi en
défalquer ce qui lui revient, nous n osons pas y mettre la
main. Qobâd dit : Est-ce loi seule qui agis ainsi, ou tous?
La femme répondit : Non, cela se passe ainsi dans tout le
royaume de Qobâd. Qobâd eut grande pitié de ses sujets. Il
retourna sur la montagne et y attenjdit que sa suite et le grand
mobed vinssent le rejoindre. Alors il raconta ce qui s'était
passé et dit : Je ne veux pas qu'un homme n'ose toucher à
sou bien de peur de moi , et que l'on plante et élève un arbre
vers lequel on n'ose étendre la main, à cause de la part qui
m'en revient. Cherchez un moyen par lequel je puisse lever
mon revenu sur les sujets, de façon qu'ils fassent de leurs
biens l'usage qu'il leur plaira. Le grand mobed et les vizirs
dirent : Ce moyen est de faire mesurer les terres de tout le
royaume, ainsi que les vignes, pour en connaître le nombre
de charrues , et de faire compter le nombre des arbres frui-
tiers. Ensuite on imposera chaque charrue d'un dirhem, ou
de deux, ou de trois, plus ou moins, en raison de la fertilité
du sol, de l'éloignemenl du terrain et de la distance de l'eau,
de telle sorte que chacun pourra faire ce qu'il voudra. Ton
revenu sera l'argent, que l'on exigera quand on voudra. Qobâd
154 CHRONIQUE DE TABARl.
dit : Faites ainsi. 11 rentra dans sa résidence et lit exécuter le
mesurage du royaume tout entier. Cela se passa vers la Gn
de sa vie. Comme il était vieux et qu ii sentit approcher sa
fin avant que ce mesurage fât terminé , il recommanda par
testament à Nouschirwân de l'achever et d'établir cet impôt;
ce que Nouschirwân accomplit. Nous rapportons dans l'his-
toire de Nouschirwân de quelle façon il établit cet impôt,
après la mort de Qobâd.
CHAPITRE XXXI.
RELATION DR LA MORT DE QOBAD.
Dans rhisloire de Nouschirwân nous rapportons comment
Qobâd mourut. Mo^hammed ben-Djarir dit qu il fut tué par
les Arabes. La cause de sa mort fut qu il s'était livré à la
dévotion, qu'il ne versait pas de sang et qu'il ne faisait la
guerre à personne. C'est Mazdak qui l'avait amené dans cette
voie. Alors il ne fut plus respecté par personne, et comme on
était sâr de n'élrc pas combattu par lui, tous les rois firent
des tentatives sur son empire. Le roi des Arabes était sou
vassal ; c'était Norman, fils de Moundsii', qui résidait à ^Hira.
En Syrie, il y avait un roi, nommé ^Hârith, fils d'^Amrou,
fils de ^Hodjr, le Kindien, vassal des Tobba^ qui régnaient
dans le Yemen. Ce 'Hârith vint de la Syrie à Koufa et à
^Hlra, tua Norman et s'empara du gouvernement des Arabes.
Qobâd dépécha quelqu'un vers lui avec ce message : Tu t'es
emparé de ce royaume sans mon aveu. Cependant je veux te
le conférer; mais il faut que tu aies une entrevue avec moi,
afin que je t'impose les mêmes conditions que j'ai imposées
à Norman, que je le fasse connaitre les limites dy pays des
PARTIE II, CHAPITRE XXXI. 155
AitUbes cl de ton gouvernement^ que les Arabes ne devront
pas franchir. ^Hâritii vint et se rencontra avec Qobàd à ia
frontière du Sawâd de Tlrâq, à proximité de Madâïn, et ils y
eurent une conférence ensemble. Qobâd dit à un esclave : Ap-
porte-nous quelque douceur à manger, afin que nous soyons
commensaux. L'esclave apporta un plat de dattes et le plaça
devant eux. Le côté du plat qui était tourné vers Qobad con-
tenait des dattes dont les noyaux avaient été enlevés et rem-
placés par des amandes, tandis que les dattes du côté de
^Hârith étaient avec leurs noyaux. Qobâd, prenant ces dattes
et les mettant dans sa bouche, ne crachait aucun noyau,
et ^Hârilh, en mangeant, rejetait les noyaux. Qobâd lui dit:
Qu'est-ce que tu rejettes de ta bouche? ^Hârith dit : Il ny
a que les chameaux, chez nous, qui mangent les noyaux de
dattes; moi, je suis un homme et non un chameau. Qobâd
fut confondu de honte. Lorsqu'ils eurent fini de manger
les dattes, Qobâd traça à ^Hârith la frontière du pays des
Arabes, qui devait s'étendre du désert jusqu'à Koufa et jus-
qu'à TEuphrate; de l'autre cdté serait le Sawâd de PIrâq;
il ne serait permis à aucun Arabe de passer de ce côté-ci de
TEuphrale. ^Hârith accepta , puis ils se séparèrent.
Or ^Hârith ne respecta pas les dispositions de Qobâd et ne
contint pas les Arabes, qui passèrent de ce côté-ci de l'Eu-
phrate et ravagèrent les villes du Sawâd. Quand Qobâd en fut
informé, il envoya un message à ^Hârith et lui fit dire : Tu
n'as pas veillé à la limite que je t'ai tracée. ^Hârith répondit :
(^e sont des maraudeurs arabes qui courent jour et nuit de
tous côtés, cl que je ne peux pas surveiller, à moins d'avoir
le revenu cl la force nécessaires pour les contenir. Alors Qo-
bâd donna à'Hârilh six grands bourgs du Sawâd, situés sur
le bord de l'Euplirale. Après les avoir reçus, *Hârilh surveilla
ISe CHRONIQUE DE TABARl.
lea Arabes et ae les laissa plus franchir l'Euphrate et i)énéti-er
en Perse.
Après quelque temps, 'Hârith envoya un messager auTobba'
du Yemcu et lui fît dire : Ce roi de Pei^e est très-faible et
point redoutable; j'ai agi avec lui de telle et tetie façon. Si
tu veux venir du Yemen avec une armée , tu pourras t'empa-
rer de ce royaume de Perse, Le Tobba' rassembla une grande
armée et vint aux bords de l'Euphrate, oii il Ht halte. H éta-
blit sa résidence à 'Hîra; mais il ne put rcsier là, k cause du
grand nombre de ses soldats. Il se rendit alors dans un bourg
du territoire de Koufa, nommé Nadjaf, dériva un bras de
l'Euphrate et le lit passer à 'Hfra et à Nadjaf, et il s'y éta-
blit. Le Tobba' avait un neveu nommé Schamar, qu'il envoya ,
avec trois cent mille bomines, au-devnot de Qobâd, qui fut
mis en furie et qui se réfugia à Reï. Schamar le poursuivit,
l'atteignît à Heï et le tiïa. Quand il eut informé par une
lettre le Tobba' de cet événement, celui-ci lui ordonna de
marcher avec son armée vei's le Khorâsân , d'en faire la con-
quête et de prendre pos.session de ce pays, car il le lui des-
tinait; de franchir le Djfhonn, d'envahir le Turkestàn et de
s'emparer de la Chine. Le Tobba' avait aussi un fds, nommé
'Hassan, qu'il envoya également en Chine, avec trois cent
vingt mille cavaliers, parla voie de mer. Il le Qt marcher
de l'']ràq dans l''Omân et lui dit : Dans t"Omân embarque-
toi pour la Chine; celui de vous deux, de loi el de Schamar,
qui y arrivera le premier l'aura en partage. 11 avait un autre
neveu, nommé YaTar, qu'il envoya avec cent mille cavaliers
dans le pays de Roum, en lui disant : Chaque viHe que tu
prendras sera ajoutée à ton territoire. Ya'far partit et fit la
conquête d'un grand nombre de villes; il parvint jusqu'à
Gonstantînopte et se rendit maître de tout Ifl royaume de
PARTIE II, CHAPITRE XXXI. 157
Uouin. ^Hassan s'embarqua dans l'^Omân pour la Chine el
eu Gt la conquête.
Schamar, de son cdté, franchit le Djfhoun et marcha sur
Samarcande, ville qui était défendue par une forteresse très-
solide, dans laquelle s^était renfermé le roi. Schamar as-
siégea la forteresse pendant un an sans obtenir le moindre
avantage. Enfin, une nuit, il fit lui-même le tour de la for-
teresse, fit prisonnier Tun des gardiens des portes de la
forteresse et Femmena dans son camp. Il lui dit : Le roi de
cette ville , quel homme est-ce pour faire preuve de tant de
valeur et d'intelligence que, depuis un an, j'emploie tous
les moyens et ne peux réussir à prendre la forteresse? Cet
homme répondit: Ce roi n'a aucune espèce d'intelligence,
il est complètement abruti, et ne s'occupe d'autre chose que
de boire du vin et de s'amuser, et, jour et nuit, il est ivre;
mais il a une fille, et c'est elle qui prend toutes les mesures
et a la direction de la forteresse et de l'armée. Schamar pensa
en lui-même que des mesures exécutées par des femmes
étaient faciles à déjouer; puis il dit : Cette fille a-t-elle un
époux? L'autre dit que non. Alors Schamar donna à l'homme
un cadeau et lui dit : J'ai besoin de toi pour que tu portes
un message à cette jeune fille de ma part. L'autre y consen-
tit. Schamar apporta une boite d'or, la remplit de perles,
de rubis et d'émeraudes , et dit : Donne cela à la jeune fille
et dis-lui de ma part : Je suis venu du Yemen pour te re-
chercher; je n'ai que faire de ce pays, car tout le Khorâsân
et toute la Perse sont à moi ; il faut que tu sois ma femme.
Dis -lui encore que j'ai avec moi quatre mille de ces boites
d'or, que je lui enverrai; que je laisserai cette ville à son père,
quand celte affaire sera terminée, et, si j'ai d'elle un fils, il
aura le gouvernement de la Perse el de la Chine. Je com-
158 CHRONIQUE DE TABARI.
mencerai par lui envoyer |)ciidant la nuit ces boites, ensuite je
la chercbcrai. L'homme retourna la même nuit à Samarcando
et rendit compte de tout à la jeune fille. Celle-ci futvsatisfaite ,
renvoya sur-le-champ Thomme avec son consenfement, et Ton
convint que, la nuit suivante, les boites seraient envoyées et
introduites dans la ville, en secret. Samarcande avait quatre
portes, et la jeune fille fit savoir quelle porte elle ferait
ouvrir.
Le lendemain, Schamar fil apporter quatre mille boites,
et dans chaque boite il plaça deux hommes tout armés. Quand
la nuit fut .venue, il fit charger chaque botte sur un âne sous
la conduite d'un homme armé; il fit -entrer ainsi un corps
de douze mille hommes dans Samarcande. H leur dit : Je
ferai poster Tarmée entière tout autour de la forteresse.
Quand vous serez dans la ville, ouvrez le dessus des boites,
sortez et sonnez les clochettes dont vous êtes munis, pour m'a-
vertir, et ouvrez les portes de la forteresse, afin que j'y entre.
Au milieu de la nuit, l'envoyé de la jeune fille vint pour
ouvrir la porte de la ville et pour laisser entrer les boites.
Schamar les fit placer sur les ânes et se mit à la tète de ses
troupes. Arrivés à rintérieur de la forteresse, ces hommes
sortirent des boites, sonnèrent les clochettes et ouvrirent les
portes de la forteresse. Schamar avec ses soldats se jeta dans
la ville; ils mirent l'épée à la main et commencèrent un
massacre qui dura. jusqu'au jour, de sorte que le sang cou-
lait comme un fleuve. Schamar fit tuer le roi et fit sa fille
prisonnière. Il y resta un an.
Dans le Dictionnaire des villes il est dit que Samarcande,
a celte époque , était appelée Chine ^ et qu'elle était habitée par
les Chinois, qui y ont inventé le papier. Schamar donna à la
ville son nom, et Tappela Sehamarhand, en langue persane;
PARTIE II, CHAPITRE XXXII. 159
kaml, cil turc, veut dire (t ville ;^ enfin, transcrit en arabe, ie
nom est Samarqand,
Ensuite Schamar fit marcher ses troupes vers le Turkes-
((in, passa dans le Tibet et se rendit en Chine. Il y trouva
'Hassan, qui y était arrivé trois ans auparavant et qui s'était
emparé du pays. Ils y demeurèrent encore quelque temps
tous les deux, ensuite ils retournèrent vers Toccident, dans
le Yemen. On dit que, quand ils rentrèrent dans le Yemen»
le Tobba^ y était également déjà rentré. Voici comment la re-
traite du Tobba^ eut lieu. Lorsqu'il eut envoyé Schamar à Reï
et que celui-ci eut tué Qobâd et marcha sur Samarcande, et
qu'il eut envoyé son fils par mer en Chine, et Ya^far dans ie
pays de Roum, il voulut prendre pour lui-même le royaume
de Perse, et se mettre à la place de Qobâd. Les habitants de
la Perse se réunirent et mirent sur le trâne Nouschirwân.
Celui-ci, avec l'armée perse, attaqua le Tobba\ qui se retira
dans le Yemen. 'Hàrith ben-*Amrou retourna en Syrie, et
Nouschirv^ân fit venir Moundsir, fils de Norman al-Akbar,
à qui il confia le gouvernement des Arabes. L'empire tout
entier obéissait à Nouschirwân , qui chassa tous les ennemis
du voisinage.
CHAPITRE XXXn.
RÈGNE DE NOUSCHIRWÂN , FILS DR QOBAD.
Or Nouschirwân s'assit sur le trdne, plaça la couronne
sur sa tête et exerça la justice. Déjti du temps de son père,
les hommes avaient remarqué sa sagacité et son aptitude,
et, quand il arriva au trône, ils en furent remplis de joie.
La première chose qu'il ordonna fut de mettre à mort les
adhérents de Mazdak. Tous les biens qui étaient entre leur»
160 CHRONIQUE DR TABARI.
mains furent i^cndus à leurs propriétaires, et tout ce qui
n*avait point de propriétaire fut donné aux pauvres; et toutes
les femmes qui étaient avec eux furent également rendues à
leurs époux. Il dit aux pauvres : Travaillez , et ne mendiez
pas. A tous ceux qui éUiient bien constitués il ordonna de
cultiver la terre; et à tous ceux qui étaient infirmes ou aveu-
gles il donna des secours de sa bourse, disant : Je ne veux
pas qu'il y ait dans mon pays un pauvre. Il prescrivit en-
core aux cultivateurs de ne laisser aucune partie du sol sans
culture, et il donna de la semence de ses magasins à ceux
qui n'en avaient pas; partout où il y avait une terre non
cultivée, il ordonna d'en entreprendre la culture. 11 fit ma-
rier toutes les femmes qui ne l'étaient pas et qui devaient
l'être; celles qui étaient pauvres reçurent des secours de sa
bourse. Il fit aussi marier les hommes et les fit établir à ses
frais. Ensuite Nouschirwân tourna ses regards vers l'armée,
et donna aux soldats leur solde et leur distribua des provi-
sions. Il fit réparer les pyrées, fit des largesses aux prêtres,
et y plaça des gens sages et expérimentés. Enfin il rétablit
la vertu, la confiance, les aiïaires de la religion et les affaires
du monde. Il ordonna ainsi les affaires de son royaume pen-
dant cinq ans. 11 fit copier tous les écrits provenant d'Arde-
schir, fils de Râbek, ses bonnes maximes, ses recommanda-
tions et ses dernières volontés.
Après ce temps, Nouschirwân fit marcher son armt'e contre
Antioche de Syrie, qui était sous la domination du roi de
Roum. Il prit la ville et la désola. Puis il dit : Cette ville
est fort belle; et il ordonna de prendre le plan de la ville et
de ses édifices. Ensuite il fit construire dans son royaume
une ville en tout point semblable, près de Madâin, et l'ap-
pela Raumia. Il y transféra tous les habitants d' Antioche; les
PARTIE II, CHAPITRE XXXII. \6\
places et les rues de Roumia étaient construites d'une façon
si belle et si parfaite, que ceux qui y arrivaient d'Antioche
crurent que c'était cette ville elle-même, et chacun entra et
s'établit dans [sa] maison, comme s'il était à Antioche.
Ensuite Nouschirwân alla attaquer Héraclius, le roi de
Roum, fit la conquête du pays et attaqua et prit Alexandrie.
Le roi de Roum s'enfuit à Constantinople, envoya à Nou-
schirwân un messager et offrit de lui payer tribut. Alors
Nouschirwân évacua le pays de Roum et se dirigea contre
les Khazars, en massacra un grand nombre, pilla et saccagea
leur pays, en punition des actes qu'ils avaient commis en
Perse, du temps de son père. De là il se rendit dans le
Yemen, le long de la côte, vint à ^Aden, au bord de la mer,
et fit également dans le Yemen un grand massacre, de sorte
que le roi de ce pays se soumit à lui et consentit à payer
tribut.
Nouschirwân revint à Madâïn et trouva son royaume dans
le plus grand ordre. Après qu'il eut mené à bonne fin toutes
ses affaires, le désir lui vint d'aller à Ralkh et de tuer le roi
des Heyâtelites, celui qui avait fait périr Firouz, et de faire la
conquête du Tokhâristân et du Ghordjistân. Le territoire de
Balkh touchait au pays des Turcs, et le roi des Heyâtelites et
le roi des Turcs vivaient en amitié et en paix. Nouschirwân
envoya donc d'abord un messager au Khâqân , pour deman-
der sa fille en mariage. Il fit de grands frais pour faire amener
la jeune fille et conclut un traité avec le Khâqân. Après un
intervalle d'un an, il lui écrivit une lettre, et ijii demanda le
secours d'une armée contre le roi des Heyâtelites. Le Khâqân
dirigea du Turkestân une forte armée contre Balkh, et Nou-
schirwân y fit également marcher la sienne, de sorte qu'ils
prirent les troupes heyâtelites entre deux feux. Nouschirwân
II. 1 1
J62 CHRONIQUE DE TABARI.
tua le roi des Ileyàtelites, pilla ses trésors et ravagea sou pays.
De là il se rendit dans le Turkestân et dans le Ferghâuè, et
retourna ensuite dans son pays. Il resta sur le trône quarante-
huit ans. 11 donna le gouvernement des Arabes à Moundsir,
fils de No'nian al-Akbar, et le fit résider à ^HJra, où il régna
pendant sept ans. Ensuite il institua son fils Moundsir, fils de
Moundsir, fils de Norman , nommé Ben Mâ-es-Semâ, parce que
sa mère s'appelait Mâ-es-Semâ. Moundsir fut attaqué par deux
ennemis, par Tun du côté de Toricnt, par l'autre à loccident.
Il leur fit la guerre et remporta la victoire. Il prit le nom
de Dsoul-Çamaïriy et les Arabes l'appelaient ainsi. Quand
il mourut, son fils ^Amrou, fils de Moundsir, fut investi par
Nouschirwâu du gouvernement des Arabes. La mère d'^Am-
rou s'appelait Hind : c'est pour cela qu'il était nommé par les
Arabes ^Amrou ben-Hind. Après sa mort, son frère Norman,
fils de Moundsir, reçut le gouvernement des Arabes. Tous ces
rois arabes, vassaux des rois de Perse, résidaient à* ^Hlra, et
leur domination s'étendait de ^Hira jusqu'à Mossoul et la Mé-
sopotamie, une partie de la Syrie et du désert, jusqu'au ter-
ritoire de Ba'hraïn. Le 'Hedjâz , la Mecque et la ville de Médine ,
ainsi que tout le territoire jusqu'au Yemen, ne faisaient pas
partie des possessions des rois arabes, ni de celles de Nou-
schirwâu; ces contrées n'appartenaient à aucun roi, jusqu'au
moment oh Nouschirwàn s'en empara. Nous rapporterons com-
ment cet événement eut lieu , de quelle façon le gouvernement
du Yemen passa des rois ^himyarites aux Abyssins; comment
Saïf-Dsou-Yezen se rendit auprès de Nouschirwàn, pour lui
demander le secours d*une année , et comment il prit posses-
sion du gouvernement du Yemen avant que les déiéguén de
Nouschirwàn y vinssent. Avant cette époque, le Yemen était
gouverné par les rois *hîmy«rites, qui sont les mômes que les
PARTIE II, CHAPITRE XXXII. 1«3
•
Tohba^; car chacun de leurs rois ëlail appelé Tobba". Quant
à la Mecque , dont le territoire s'appelait Tihâma , et à Mëdine ,
dont le teiritoire s'appelait ^Hedjâz, ces contrées n'avaient
point de roi ; leurs habitants témoignaient du respect à Nor-
man, ie roi des Arabes; mais ils ne lui payaient aucune rede-
vance et n'acceptaient aucun gouverneur. [A cette époque,]
la Mecque avait pour chef ^Abdou'l-Mottalib, el Médine était
en la possession des deux grandes tribus Aous et Khazradj ,
qui donnaient un chef à la ville. Quant aux Arabes du désert,
chaque tribu avait un chef particulier. Tous les habitants du
Ycmen et du ^Hedjâz étaient idolâtres. Les villes de la Mecque
et de Médine ne furent inquiétées par aucun des rois voisins,
ni par les rois de Syrie, ni par ceux du Yemen, ni par les
rois d'Abyssinie, ni par ceux de ^Hira, ni parles rois de Perse;
car leurs habitants, ainsi que ceux du désert, étaient pauvres
et avaient peu de ressources. Us se rendaient, pour faire le
commerce, en Syrie et en Abyssinie, et rapportaient de ces
pays des provisions. Ils assuraient chaque roi en particulier
de leur amitié, et les rois leur faisaient des cadeaux. De temps
en temps, quand il y avait dans le Yemen un roi Miimyarite
puissant à la tète d'une nombreuse armée, qui venait aux
confins du ^Hedjâz, ils l'assuraient de leur soumission et al-
laient avec lui dans le pays de Roum et en Syrie. Aucun roi
ne venait les attaquer dans leur pays.
Dans la vingtième année du règne de NouschirwAn , il na-
quit à ^Abdou'l-Mottalib un fils, qu il nomma ^Abdallah, qui
fut père de notre Prophète. Quand 'Abdallah eut vingt-deux
ans, notre Prophète naquit de lui, dans la quarante-deuxième
année du règne de Nouschirwân. Ce fut dans la même année
que le roi Abraha l'Abyssin amena l'éléphant et une armée
pour détruire la Ka'ba. 'Abbâs, fils d'Abdou'I-Mottalib, avait
1 1
164 CHRONIQUE DE TABARI.
•
alors deux ans, et ^Hamza, (ils d'^Abdou'I-Mottalib, naquil dans
Ja première année de Tère de rÉIëphanl. Nous allons rappor-
ter maintenant les causes qui amenèrent Abraha et Téiëphant
à la Mekke, et comment le Yemen passa des mains des rois
^himyarites aux Abyssins, ce qui eut lieu du temps d*Ar-
dewân, avant Tépoque de Nouschirwân; car, de son temps,
les Abyssins possédaient déjà le royaume du Yemen, qu'ils
avaient conquis sur les rois ^himyarites , les Tobba^
CHAPITRE XXXIII.
LR TOBBA^ FAIT L'N PELERINAGE À LA KA^BA ET LA PAIT COUVRIR,
Ce récit est nécessaire pour faire connaître de quelle
façon le Yemen passa des mains des ^Himyarites aux rois
abyssins et pour quelle cause les Abyssins, qui étaient dans
le Yemen, vinrent attaquer le temple de la Ka^ba avec Télé-
phant. Or il y avait dans le Yemen un roi 'himyarite, nommé
As^ad, appelé Tobba* le Dernier, parce que, après lui, il n'y
eut pas d'autre Tobba% et que le gouvernement du Yemen
lui échappa. Il avait réuni dans le Yemen une forte armée,
et se proposait de faire au dehors une expédition et d'at-
taquer la Perse, pour se faire redouter des rois de Boum, de
Syrie et de Perse, et pour soumettre l'Arabie et le ^Hedjàz,
comme avaient fait les Tobba^ antérieurs. Il sortit donc du
Yemen , à la tête de sa nombreuse armée, et se dirigea vers le
^Hedjâz. Il était adonné à l'idolâtrie, de même que toute l'Ara-
bie, le ^Hedjâz, la Mecque et Médine; seulement, dans le voi-
sinage de la Mecque et de Médine, il y avait des Juifs, dont les
ancêtres étaient venus s'établir dans le ^Hedjâz , lors de leur fuite
devant Nabuchodoiiosor. Ils y avaient fondé quelques bourgs,
PARTIE II, CHAPITRE XXXIII. 165
comme Khaïbar, Fadak, Qoraïzha , Wàdri-Qora , Nazhir et Yan*
bou^ qui étaient tous en la possession des Juifs, qui suivaient
la religion de Moïse. En dehors de ceux-ci , il n y avait per-
sonne dans toutes ces contrées qui adorât Dieu. A cette époque,
le judaïsme était tombé, et c'était la religion de Jésus, la foi
de FEvangile, qui dominait, mais seulement dans la terre de
Roum et vers TOrient : tous les autres pays étaient plongés
dans ridolàtrie. Cette expédition du Tobba^ eut lieu longtemps
avant Qobàd, le père de Nouschirwân, et longtemps avant
les rois de Perse [de la dynastie des Sassanides] et avant Dja-
dsima al-Abrasch. Quand le Tobba^ arriva sur le territoire da
^Hedjâz, et qu'il passa près de la Mecque , et qu'il vit que cé^
tait une ville située au milieu des montagnes, sans eau et sans
arbres, il ne l'attaqua point. Quand il arriva à Médine, il vit
une ville charmante, avec de nombreux jardins, des palmiers
et d'autres arbres. Le chef de la ville était un homme de la
famille des Beni-Naddjâr, de la tribu de Khazradj, nommé
^Amrou, fils d'AUZhoUa. Le Tobba^ fut charmé de Médine,
et il y établit son fils comme gouverneur. Lui-même continua
sa marche vers la Syrie. Quand il fut sur le sol de la Syrie,
loin de Médine, les habitants de cette ville tuèrent son fils.
Quand le Tobba^ reçut cette nouvelle en Syrie, il prit la réso-
lution de détruire la ville, lors de son retour, et d'en tuer
tous les habitants. Il porta ses armes dans tous les pays qu'il
pouvait atteindre, puis il s'en retourna, et établit son camp
autour de Médine. Les habitants fortifièrent la ville. Un sol-
dat de Farmée du Tobba^ pénétra dans l'enclos d'un habitant^
monta sur un palmier et cueillit àes dattes. Le propriétaire
de l'enclos tua le soldat et le jeta dans un puits. Le TobbaS
informé de ce fait, conduisit, le lendemain, son armée au
combat. Pendant un mois, il combattit contre les habitants,
166 CHRONIQUE DE TABARI.
sans résultat. La lutte recommençait chaque jour et durait
jusqu'à la nuit; alors ils rentraient dans leur camp. La nuit,
les habitants de Médiiie ouvraient les portes de la ville et
envoyaient à Yarmée ennemie des charges de dattes. Après
un mois, les soldats dirent au Tobba^ : Combien de temps
lutterons-nous contre des hommes qui nous combattent pen-
dant le jour et qui nous traitent en hôtes pendant la nuit?
'Le Tobba^ dit : Ces hommes sont très-généreux envers nous.
H n'était plus aussi ardent à leur faire la guerre.
Alors deux hommes d'entre les docteurs juifs se présentèrent
devant le Tobba^ et lui dirent : 0 roi , tu ne peux pas détruire
cette ville. Il demanda : Pourquoi? Us répondirent : Parce
qu'il surgira d'entre les Qoraïschites un prophète nommé
Mo^hammed, sur le territoire de la Mecque; les Qoraïschites
le chasseront de la ville; il viendra à Médine, y séjournera et
il y aura sa maison et sa famille. C'est en son honneur que
Dieu garde la ville; nous l'avons ainsi trouvé dans le Penta-
teuque. Le roi dit : Qu'est-ce que le Pentateuque? Ils répon-
dirent : C'est le livre de Dieu que Moïse a reçu du ciel. En-
suite ils exposèrent au Tobba* la religion de Moïse. Cette
religion lui plut, et il adopta le judaïsme, en cessant d'adorer
les idoles. Il engagea toutes ses troupes à embrasser le ju-
daïsme; ce qu elles firent. Puis il dit à ces deux Juifs : Il faut
que vous veniez avec moi dans le pays de Yemen, afin de
convertir tout le pays à cette religion. Ils consentirent à l'ac-
compagner, et il les combla de marques de bienveillance et de
cadeaux. Il leur dit : Pourquoi n appelei-vous pas les gens de
Médine k cette religion? 0s répondirent : Ces hommes croi-
ront par Mahomet.
Le roi rassembla ses troupes et se dirigea vers le Yemeu ,
en emmenant avec lui ces deux docteur». Quand ii arriva à
PARTIE H, CHAPITRE XXXIIL t67
la Mecque, les Arabes hodsaïlites voulurent le faire périr, parce
qu ils ne pouvaient pas lui résister par la force. Ils vinrent
auprès de lui et lui dirent : 0 roi , si tu désires avoir d'énormes
richesses, des joyaux , de Tor et de l'argent , les habitants de la
Mecque eu possèdent plus que qui que ce soit au monde ; détruis
la ville et la Ka^ba el fais tuer les habitants; de cette manière
tu en seras le maître. Ils voulurent par leur discours renga-
ger à entreprendre cette action, afin qu'il périt. Le Tobba'
fit appeler les docteurs juifs et leur soumit les paroles des
Hodsaïlites. Les docteurs dirent : 0 roi, ceux-là veulent te
faire périr par là; car ce temple est un temple de Dieu, qui
ne permet à personne de s'en emparer. Ne suis pas leurs pa*
rôles; entre dans la Mecque; accomplis les processions autour
du temple; rase-toi la tête, et témoigne au temple ton respect;
ensuite éloigne-toi d'ici. Le roi suivit leur conseil. Il fit ame-
ner les Hodsaïlites et leur fit couper les mains et les pieds.
Lui, ainsi que son armée, entra dans la ville, fit la proces-
sion autour du temple, se rasa la tête et offrit des sacrifices.
Puis il donna ordre d'enlever les idoles qui étaient dans le
temple et de le purifier, et il le fit couvrir d'étoffes, kxani
lui, on n'avait jamais fait couvrir le temple d'étoffes; c'est
lui qui a inauguré cette coutume.
Le Tobba^ partit de là avec les docteurs juifs, et se dirige
vers le Yemen. Les habitants se réunirent et lui dirent : Nous
ne te permettons pas de rentrer dans le Yemen ; car tu as re-
noncé au culte des idoles. Le Tobba' était hors d'état de lutter
contre le pays tout entier. Il y avait dans le Yemen un feu qui
servait d'arbitre dans les différends des hommes. Il se trou-
vait dans une montagne sur le territoire de Çan^à, dans une
grande caverne. Chaque fois que deux personnes avaient une
contestation et qu'il n'était [mlh possible de discerner le vrai
168 CURONIQLE DE TABARi.
du faux, le roi eoToyait les deoi adfersaiires avec ses gens
à cette caf erne. Us se tenaient la , le feu sortait de la caverne
et dévorait relui qui avait tort; la partie lésëe n'en recevait
aucun mal. Ensuite le feu rentrait dans la caverne, et personne
ne savait d'où il venait ni ou il dbparaissait. Le roi dit aux
Yéménites : Allons vider notre différend aupràs du feu; si
vous avez raison, nous accepterons votre croyance; si la vérité
est avec nous, vous embrasserez notre religion. Les habitants
y consentirent Le roi fit appeler les docteurs juifs et leur fit
part de celte affaire. Ils se déclarèrent satisfaits. Alors les
Yéménites portèrent toutes leurs idoles a Tentrée de cette ca-
verne, et le roi s'v rendit avec toute son armée. Les docteurs
suspendirent à leur cou le livre de la Loi, s'assirent k l'entrée
de la caverne et se mirent à réciter la Loi. Une flamme comme
ou n'en avait jamais vu sui^t, se précipita sur les idoles et
les dévora; le feu dura depuis le matin jusqu'au milieu du
jour, et la fumée s'éleva dans Tair, de sorte que l'univers fut
obscurci. T^orsque la flamme se retira, toutes les idoles étaient
consumées, ainsi que ceux des hommes qui s'étaient trouvés
au milieu d'elles; les docteurs juifs sortirent de la fumée
sains et saufs avec leurs livres. Alors les habitants du Yeroen
embrassèrent le judaïsme; ridolâtrie disparut et le judaïsme
se répandit.
I^s Yéménites avaient un temple d'idoles d'où sortait une
voix qui conversait avec eux et qui donnait réponse à tout ce
qu'ils deoiandaieiil; cependant on n'y voyait personne. Le roi
fit part aux docteurs juifs des particularités de ce temple.
Ceux-ci dirent : C'est un div qui les ^are. Ils se rendirent
à la porte du temple et récitèrent la Loi pendant longtemps.
Le roi les avait accompagnés liojs de la ville. Après qud-
que temps, ils virent se précipiter hors du temple un chien
PARTIE H, CHAPITRE XXXIV. 169
noir, qui poussa des hurlemeuts et disparut sous terre. Les
Juifs dirent : Voilà le div qui avait parlé aux hommes. Ensqile
le roi fit détruire ce temple. Tout le Yemen embrassa le ju-
daïsme, et le roi y persévéra jusqu'à sa mort. Le nom de ce
roi était As^ad, son surnom Abou-Karib, et son titre Tobba^;
il fut Tun des rois ^himyarites. Dans la langue ^himyarite, \è
Tobba^ était appelé Tibhân^ ce que les Arabes prononcent
Tobba^. On appelle aussi As^ad TobbaMe Dernier: aucun roi
^himyarite n a eu un aussi long règne que lui, si ce n'est son
fils ^Hassan , que les Arabes appellent Tobba^ le Jeune. Ce fui
donc As^ad qui introduisit dans le Yemen le judaïsme, que
tous les habitants embrassèrent. Il laissa trois fils : ^Hassan,
^Amrou et Zor^a, tous les trois en bas âge et incapables de ré-
gner. Alors surgit un homme de Béni -Lakhm, nommé Rabfa,
fils de Naçr, qui s'empara de la couronne du Yemen. Il pro-
fessait également le judaïsme et le pays se soumit à lui. Ce
fut ce roi qui eut un songe dont il demanda l'interprétation
à Satf h et à Schiqq.
CHAPITRE XXXIV.
RÈGNE DB BABrA, PILS DE NAÇB, LE LAKHMITB, BOI DU YEHBIf.
Kabfa, fils de Naçr, occupa le trône; il professait aussi le
judaïsme. Les enfants du Tobba^ précédent étaient encore jeu-
ues« et Rabf a avait également des fils. Après plusieurs années
de règne , il arriva que le roi eut un songe. Il fit appeler tous
les docteurs, interprètes de songes et devins {kdhin). Un deYÎn
est un homme qui prédit l'avenir, qui fput revenir les objets
volés, qui sait répondre à toutes les questions que l'on veut
lui adresser et qui connaît d'avance la demande ; qui peut ra-
conter un songe qu'une personne a eu , avant que celle-ci l'ait
170 CHRONIQUE DE TABARI.
raconte, et qui en donne Texplication; et si un homme a
disparu, il connaît Tendroit où il se trouve. Un homme qui
réunit toutes ces facultés est appelé par les Arabes kâhin. Il y
avait des devins qui prétendaient recevoir leurs communica-
tions d'un péri , de même que les possédés , hommes et femmes ,
disent que c*est un péri qui vient leur dire les choses qu'ils
doivent communiquer aux hommes. Il y avait un grand nombre
de ces gens dans le Yemen ; mais parmi eux se distinguaient
deux hommes, Satf h et Schiqq, tous les deux possédés et de-
vins. Quand Rabf a eut son songe, il réunit tous les devins et
leur dit : Racontez-moi le songe que j'ai eu. Ils répondirent :
Il n*y a que Satfh et Schiqq qui puissent le faire. Alors il en>
voya chercher ces deux hommes. Satf h arriva le premier, et
le roi lui dit : Raconte-moi le songe que j'ai eu et donne-m'en
Texplicalion. Satf h dit : Tu as vu un nuage duquel -est tombé
sur la terre un charbon , qui s'est enflammé, et le feu a dévoré
et réduit en cendres tous les habitants du Yemen. Le roi dit :
Tu dis vrai; c'est ce que j'ai vu. Maintenant donne-m'en l'ex-
plication. SatiMi reprit : Il viendra un roi de TAbyssinie qui
s'emparera du royaume du Yemen, en soumettra les habitante
et abolira la religion juive; le Yemen sera annexé à l'Abys-
sinie, et les Abyssins y domineront. Le roi dit : 0 Sairh,
qu'arrivera -t-il après? L'autre dit : Après cela viendra un
homme, nommé Saïfben-Dsou-Yezen, qui enlèvera le pou-
voir aux Abyssins, puis il sera tué. Il surgira dans l'Arabie
un prophète qui établira une religion nouvelle, que tous les
habitants du Yemen embrasseront et qui durera jusqu'au
jour de la résurrection. Le lendemain, l'autre devin, nommé
Schiqq, arriva; le roi l'interrogea sur son songe, et l'autre
lui donna exactement la même interprétation que Satj^h , sans
en différer d'un seul mot.
PARTIE II, CHAPITRE XXXV. 171
Le roi , dans ses appréhensions , envoya ses fils hors du Ye-
men , dans le pays de TMrâq, auprès du roi de Perse, et adressa
une lettre à Schâpour, fils de ^Hazâd. Cela se passait avant
répoque d'ArdeschIr. Cest de ces fils de Babf a, fils de Naçr,
que descendait ^Adi, fils de Rabfa, qui fut enlevé par Dja*
dsima al-Abrasch , dont il épousa la sœur, et qui engendra avee
elle ^Amrou , fils d'^Adi. Après Djadsima, le gouvernement des
Arabes avait passé aux mains de ces princes, comme nous
Tavons rapporté plus haut. Tous ces rois /Amrou , fils d*^Adl,
et ses descendants, Imroul-Qaïs aUKindi, et Moundsir, et
Norman, et tous les autres descendants d'^Amrou, fils d'^Adi,
tiraient leur origine des fils de Rabfa, fils de Naçr, les Lakh-
mites, que celui-ci avait envoyés à *Hira, par suite du songe
qui lui avait été interprété par Satrh.
Rabi^a,fils de Naçr, régna encore un certain nombre d'années
dans le Yemen ; puis il mourut, tandis que ses fils demeurèrent
à ^Hira; aucun d'eux n était resté dans le Yemen. Les habitants
se concertèrent et ramenèrent les trois fils du Tobba* As^ad,
qui avaient grandi : ^Hassan , ^Anirou et Zor^a. L'ainé, ^Hassan ,
lut uommé roi, et il occupa le trône. Plus tard, il fut tué par
son frère ^Amrou , qui s'empara du trdne, et Zor^a lui succMa.
Nous allons raconter l'histoire de chacun d'eux.
CHAPITRE XXXV.
RBONR DE ^HASSAN BT DE SES PRERES.
Après que 'Hassan fut monté sur le trâne, il fut acclamé
par l'armée et en possession incontestée du pouvoir, de même
que sou père. Il prit le titre deTobba", et on l'appelait Tobba^
le Jeune. Après cinq ans de règne, il voulut faire une expédi-
172 CHRONIQUE DE TABARI.
tion hors dn Yemen, sur les territoires de 1* Arabie, du ^Hed-
jâz et de la Syrie, comme avaient fait les autres Tobba* et
aussi son père. Les habitants du Yemen et les troupes lui di-
rent : Il ne faut pas entreprendre d'expëdition, car les expédi-
tions qu'ont faites les rois du Yemen au dehors n^ont pas été
heureuses. Hassan ne tint pas compte de leur observation;
il fit marcher son armée hors du pays et emmena avec lui son
frère ^Amrou, tandis qu'il laissait dans le Yemen, à cause
de sa grande jeunesse, son autre frère, nommé Zor^a. ^Hassan
envahit la Syrie. Mais ses soldats étaient très-mécontents de
cette expédition, et ils craignaient qu*il ne leur arrivât quel-
que accident du fait des rois de Syrie, de Roum ou de Perse.
Quand ils arrivèrent sur le territoire de la Mésopotamie , entre
Mossoul et la Mésopotamie [proprement dite], dans le voisi-
nage de la Syrie, tous les soldats de ^Hassan vinrent trouver
son frère ^Amrou et lui dirent : Tue ton frère ^Hassan , nous
te donnerons la couronne et nous te reconnaîtrons comme
roi, puis nous retournerons dans le Yemen. ^Amrou, d'après
ces paroles, tua son frère; Tarmée tout entière le reconnut
comme roi , et il retourna dans le Yemen , où il fut dans la
possession incontestée du pouvoir. Mais , quoi qu il pât faire ,
il ne trouvait pas de sommeil ; le sommeil le fuyait jour et nuit.
Dans cette peine, il fil venir les médecins; mais aucun remède
que quelqu'un connaissait et qu'il employait ne lui servit.
Alors il appela auprès de lui les devins, les savants et les Juifs
qui se trouvaient dans le Yemen,* et les interrogea [sur son
état]. Ils lui répondirent unanimement : C'est là le châtiment
de Dieu, parce que tu as tué ton frère innocent et que tu lui
as enlevé la couronne par le crime. ^Hassan fit mettre à mort
tous ceux des soldats et des officiers de son armée qui l'avaient
poussé à tuer son frère. Mais cela ne servit de rien : il ne put
I7â CHRONÎQUE DE TABARî.
belvëdère, Zor^a y fut introduit, et les gardiens en fermèrent
ia porte. Le roi voulut se jeter sur lui; mais Zor^a dit : O roi ,
ne me déshonore pas et ëpargne-moi seul de tous les jeunes,
gens du royaume, car je suis de famille royale; mon père
el mes frères ont été rois, et moi j'ai plus de droits sur le
trône que toi-même; je te Tai abandonné; toi, h ton tour,
laisse-moi ma personne et fais-moi grâce. Le roi ne se rendit ^
pas à ses supplications et dit : Fais ce que je désire, ou j^ap-
pdle le gardien 9 afin qu il te coupe la tète et la suspende à
ce belvédère. Alors Zor^a tira son couteau , Tenfonça dans le
ventre du roi et le tua, lui trancha la tète et la main droite,
mit le cure-dent dans cette main et plaça la tête à la fenêtre.
Lorsque les gardiens aperçurent la tête et le cure-dent, ils
pensèrent que le roi avait accompli son action, comme il
avait fait avec les autres jeunes gens, et ils ouvrirent la porte
du belvédère. Zor^a en descendit et sortit Ensuite, quand
loi gardiens entrèrent et trouvèrent le roi dans cet état, ils
reconnurent que c'était Zor^a qui avait commis le meurtre. Ils
descendirent et avertirent Farmée et le peuple. Les habitants
étaient dans la joie; ils allèrent trouver Zor'a et lui dirent :
Tu es le plus digne d'occuper le trône; car tu es de la maison
royale, et tu nous as délivrés de ce misérable. Une grande foule
accourut; Zor^a fut proclamé et on l'investit du gouvernement
du Yemen.ll monta sur le trône, et l'armée le reconnut. Il pro-
fessa le judaïsme, et on lui donna le surnom de Dsou-Nowâs.
Il fut le plus respecté de tous les rois du Yemen. H prit le
nom de Yousouf et régna un grand nombre d'années, réunis-
saut dans sa main le pouvoir du Yemen* et de ^Uimyar, qui
passa ensuite aux Abyssins. Ce fut lui qui fit une expédi-
tion contre Nadjrân, dont les habitants étaient tous chré-
tiens et suivaient ia religion de Jésus. Il vint les appeler au
PARTIE II, €HAP1TRE \XXV1. 175
judaïsme ; mais ils refusèrent. Dsou-Nowâs fit creuser dans ia
terre une longue excavation , comme un fossé, y fit allumer
un feu et y fit précipiter tous ceux qui ne voulurent pas em-
brasser le judaïsme. Ce fossé est appelé en arabe Okhdaud; il
eu est question dans le Coran en ces termes : ft Périssent les
gens du fossé rempli d'un feu constamment entretenu Ii) (Sur.
LxxxY, vers. 5-6.) INadjrân est une ville située entre Mossoul
et le Yemen, dont les habitants étaient chrétiens, tandis que
tous ceux qui demeuraient autour d'elle étaient idolâtres*
Maintenant il faut faire connaître pour quelle raison Dsou-
Nowâs vint à Nadjrân, et comment il arriva que les habitants
de cette ville, seuls entre tous les Arabes, furent chrétiens.
CHAPITRE XXXVl.
HISTOIRE DE LA CONVERSION DES IIARITANTS DE NADJrIn
AU CHRISTIANISME.
Les habitants de Nadjrân étaient tous Arabes, des Béni-
ThaMab. Tandis que tous les Arabes qui les entouraient étaient
idolâtres, ils étaient chrétiens; mais primitivement ib avaient
été également idolâtres. Voici comment ils étaient devenus
chrétiens. Ils avaient en dehors de la ville un arbre, un grand
palmier. Une fois, chaque année, ils célébraient une fête, et,
ce jour-là, tout le peuple se réunissait autour de cet arbre;
on le couvrait de brocart, on plaçait toutes les idoles sous
Tarbre, on faisait des processions autour et des invocations.
Un div se tenant dans Tarbre parlait aux hommes. En-
suite ils offraient à Tarbre des sacrifices, et rentraient. Or un
homme du pays dé Syrie, descendant des disciples de Jésus,
nommé Flmioun (Euphémion), vint en Arabie. Il trouva ce
176 CHRONIQUE DE TABARL
pays plongé dans fidoiitrîe, et n'osa pas professer sa religion ,
craignant qe'Qs ne le fissent périr. 11 loyageait donc de ville
en ville, gagnant sa fie; cbaqiie soir il recevait le prii de son
trafail, en achetait de la noorritnre et mangeait; ensuite il
se mettait à loaer Dieu et à prier. Quand les kommes s'aper-
cevaient qa il n'adorait pas les idoles, il qoittait son séjour
et se rendait ailleurs, sur le territoire de MossooL de la Mé-
sopotamie, du Sawâd ou de Plràq. Un jour, comme il mar-
chait seul, il (ut rencontré par des brigands, qui lui dirent :
Tu es [sans doute] un esclave, et tu Tes enfui d'auprès de
ton maître. Ils le firent captif, le conduisirent à Nadjran et
le vendirent. Il était donc aux ordres de rhomme qui favail
acheté; mais, le soir, il entrait dans une chambre et passait
toute la nuit en prières, tenant la porte de la chambre fermée.
Son maître, Tavant vu faire ainsi une nuit ou deux, voulut
savoir ce qu il faisait dans la chambre. Il y entra donc vers mi-
nuit et vit la chambre éclairée par une lumière. Il pensait que
Fimioun avait un flambeau; regardant de plus près et voyant
qu'il n'en avait pas, il fut épouvanté. Le lendemain, il appela
Fimioun et lui dit : Je t'ai vu hier soir quand tu priais; toute
la chambre était éclairée, et tu récitais quelque chose; quelle
religion as-tu? L'autre répondit : Je professe la religion de
Jésus, fils de Marie, et c'était l'Evangile, le livre de Dieu, que
je récitais. L'homme dit : Cette religion est-elle supérieure
à la nôtre? Fimioun répondit : Assurément, ma religion est
supérieure à la vdtre; car celle-ci est fausse, ces idoles et cet
arbre ne sont pas des dieux. Cet homme, le maître de Fi-
mioun , fit part de cette histoire à ses concitoyens. Ceux-ci
firent venir Fimioun et le questionnèrent II leur exposa la
religion de Jésus, et elle leur plut Us lui dirent : Qui nous
garantit que ta religion est la vraie et la ndtre fausse? L'autre
PARTIE II, CHAPITRE XXXVI. 177
(lil : Je vais invoquer luou Dieu,aCn qu'il détruise cet arbre.
Us promirent que, si cela avait lieu, ils embrasseraient sa
•
religion. Fimioun sortit de la ville et se rendit auprès de Tar-
bre; il se plaça au pied de Tarbre et pria. Dieu, devant les
yeux de tout le peuple, donna ordre au vent, Tarbre fut arra-
ché et complètement déraciné. Alors les habitants brisèrent
leurs idoles et embrassèrent la religion de Jésus; Thomme qui
avait acheté Fimioun lui rendit la liberté. Tous les habitants
de Nadjrân furent donc chrétiens et apprirent TÉvangiie.
Fimioun y restait, leur enseignant TËvangile, et les hommes
lui envoyaient leurs enfants pour l'apprendre. Voilà comment
les habitants de Nadjrân, seuls parmi les Arabes, devinrent
chrétiens.
Il y avait à Nadjrân un chef nommé Thâmir, à qui naquit
un Cls, qu'il nomma ^Abdallah. Quand celui-ci fut grand, son
père l'envoya à Fimioun, afin qu'il lui enseignât l'Evangile.
L'enfant fut pendant plusieurs années son écolier. Fimioun
connaissait le grand nom de Dieu, et tout ce qu'il demandait
à Dieu, il l'obtenait. Quand on lui apportait un malade,
Fimioun demandait le secours de Dieu, et le malade était
guéri par la puissance de ce nom. ^Abdallah , fils de Thâmir,
demanda à Fimioun avec beaucoup d'instances de lui ap-
prendre ce nom; mais Fimioun ne voulut pas et dit : Ce nom
est l'un des noms de Dieu et se trouve dans l'Evangile; mais
je crains de te l'apprendre, de peur que tu ne puisses le
supporter; car lu n'es encore qu'un enfant, et tu pourrais
adresser à Dieu une demande inconvenante, et par là périr.
^Abdallah, désespérant d'obtenir quelque chose de Fimioun,
s'enferma dans sa chambre, et songea à un moyen pour arri-
ver par lui-même à la connaissance de ce nom. Il avait en-
tendu dire à Fimioun que, si l'on jelait le grand nom de Dieu
II. ta
178 CHRONIQUE DE TABAHÏ.
dans le feu, il ne brillerait pas. ^Abdallah (ira de ri!ivangile
tous les noms de Dieu qui s'y trouvaient, les écrivit ensemble;
•
ensuite il écrivit chaque nom sur un morceau de bois, et les
jeta au l'eu. Tous les morceaux de bois brûlèrent, excepté celui
sur lequel était écrit le grand nom de Dieu. De cette façon
^Abdallah en eut connaissance. li alla trouver Fimioun et lui
dit ce qu'il avait l'ail. Celui-ci lui dit: 0 mon enfant, mainte-
nant que lu Tas trouvé, prends garde de ne pas te perdre, en
invoquant Dieu par ce nom dans une intention criminelle
ou pour une chose inconvenante , que Dieu désapprouve.
Lorsque Ftmioun mourut, ^Abdallah prit sa place à Nadj-
rân, et maintint la religion de Jésus. Quand on lui amenait
un malade ou un aveugle, il invoquait Dieu par ce nom, et
le malade était guéri. Le christianisme prit racine à Nadjrân
et s'y établit si solidement, qu'il n'y eut plus personne qui
ne fût chrétien; quiconque entrait dans la ville embrassait le
christianisme ou était mis à mort. Or un des juifs du Yemen
vint à Nadjran avec ses deux fils. Les habitants les saisirent
et leur dirent : Embrassez le christianisme, ou nous vous
tuerons tous les trois. Les deux fils refusèrent, et furent tués;
le père embrassa le christianisme, et on lui laissa la vie; en-
suite il termina les affaires de commerce pour lesquelles il
élait venu , et rentra dans le Yemen , oii il reprit le judaïsme.
Il alla trouver le roi Dsou-Nowâs et lui raconta tout ce qui
concernait les habitants de Nadjrân et le sort de ses propres
fils. Dsou-Nowâs entra dans une grande colère, et jura solen-
nellement sur le Penlateuque et la religion de Moïse de con-
duire une armée à Nadjràn , d'en détruire les églises, de briser
les croix et de faire brûler tous ceux qui ne voudraient pas
abandonner le christianisme et se convertir i la religion juive.
Il sortit du Yemen avec cinquante mille hommes, et se dirigea
PARTIE II, CHAPITRE XXXVII. 179
vers Nadjràii, en emporlant avec lui le Penlaleiiquc. Et là il
fit creuser pour les habilanU de cette ville un fossc^ et les fit
brûler. C'est ce roi Dsou-Nowâs et les juifs du Yemen qui
sont appelés geiis du fossé dans le Coran, où Dieu les a mau-
dits en ces termes : tr Périssent les gens du fossé !i> etc. c'est-
à-dire maudits soient ces hommes du fossé, qui vinrent,
creusèrent une fosse, s'assirent au bord et précipitèrent le
peuple dans le feu.
CHAPITRE XXXVII.
HISTOIRE DBS GENS Dr FOSSÉ.
Arrivé sur le territoire de Nadjràn avec sa nombreuse
armée, le roi Dsou-Nowâs y fit détruire toutes les églises, et
les croix furent abattues et brûlées; ensuite il invita les ha-
bitants à embrasser le judaïsme; mais ceux-ci refusèrent.
^Abdallah , fils de Thâmir, fut également engagé à professer la
religion juive , et il s'y refusa également. Le roi le fit porter
sur le sommet d'une montagne e( précipiter en bas. ^\bdallah
se releva sain et sauf; son coips n'avait point souffert. II se
présenta devant le roi et l'appela au christianisme. Le roi tenait
dans sa main un bâton; il en frappa 'Abdallah sur la tête et
la brisa; le sang coula, et 'Abdallah mourut et fut enterré.
Ensuite, Dsou-Nowâs fit creuser un énorme fossé, long
comme un abime, de la profondeur d'une lance, et très-
large, le fit remplir de matières combustibles et y fit mettre
le feu. Il fit venir les habitants un à un, et fit jeter dans ce
feu tous ceux qui ne voulurent pas embrasser le judaïsme.
Environ vingt mille hommes furent tués de cette manière; les
autres s'enfuirent. Le roi fit détruire tout ce qui était encore
ig.
IhO CIIBONKilR DK TABUîf.
resié del)Out dans la ville; il fil brûler les rroiv el les Kvaii-
giles; ensuite il retourna dans le Yemen.
Il arriva, du temps d'^Omar ben-ai-Khatlâk, lorsqu'il ap-
pela les gens de Nadjrân, qui étaient chrétiens, à Tislaniisme,
que ceux-ci ne voulurent pas l'accepter. Mais ils s'engagè-
rent à payer une capitation double de celle que payaient
les musulmans. ^Omar leur accorda la paix et envoya un
agent îi Nadjràn pour recevoir celte contribution. Celui-ci
adressa n 'Omar une lettre dans laqueiie il lui raconte le fait
suivant: Un paysan de Nadjran, creusant une fosse, y a
trouvé le cadavre d'un homme en parfait état de conserva-
tion , la main posée sur la tête. Chaque fois que ce paysan
soulevait cette main en l'éloignant de la tête, il voyait an-
dessous une blessure dont il coulait du sang; et quand il re-
plaçait la main, le sang cessait de couler. Les hommes en
furent étonnés et ne savaient ce que c'était. 'Omar ne le sut.
pas non plus et interrogea 'AU ben-Abou-Tâlib. Celui-ci dit :
C'est 'Abdallah , fils de Thamir, que le roi du Yemen, Yousouf
Dsou-Nowâs, l'Homme du Fossé, a tué en le frappant avec
le bâton et lui brisant la tête; son sang s'est répandu par la
blessure. Yousouf le fit enterrer en cet endroit. C'est le Pro-
phète qui l'avait ainsi raconté à 'Ali. 'Omar ordonna de lais-
ser la main de cet homme posée sur sa télé, de le remettre
en terre et d'ériger au-dessus de lui un monument, afin que
personne n'ouvrit plus sa tombe. Ils firent ainsi.
Après avoir massacré et brûlé tout ce peuple, le roi You-
souf retourna de Nadjrân dans le Yemen. Le pays tomba
entre les mains des Abyssins, qui vinrent s'emparer du Ye-
men, comme nous allons le rapporter.
PARTIE II, CHAPITRE XXXVIll 181
CHAPITRE XXXVIII.
HISTOIRE DE LA CONQUETE DU ROYAUME DU YEMEN PAR LES ROIS
D'ABYSSINIE.
Voici comment le royaume du Yemen tomba des mains de
Dsou-Nowàs et des 'Himyarites en général :
Yousouf retourna de Nadjràn dans le Yemen. Un des
chrétiens de cette ville, nommé Dous, avait sauvé sa vie en
s'enfuyant sur un cheval qui était nommé ThaMab, à cause
de la grande rapidité de sa course : c'est pour cela que, dans
les chroniques, cet homme est appelé Dous Dsou-Tlio^labàn,
étant désigné par le nom du cheval sur lequel il s'est enfui.
Après le départ de Dsou-Nowâs, Dous rentra dans Nadjrân et
ht sortir de leur retraite les hommes qui étaient restés en vie,
et leur dit : Reconstruisez vos églises et rétablissez le culte
chrétien; moi, je n'aurai pas de repos avant d'avoir obtenu
vengeance. Il monta sur son cheval et alla trouver le César,
qui était chrétien, en prenant avec lui un Evangile à demi
brûlé, qui lui appartenait. Le roi de Perse, à cette époque,
était Nouschirwân, qui s'occupait à régler les alFaires de son
pays et qui était adorateur du feu. Quand on lui rapporta
que le roi du Yemen était venu à Nadjrân et avait brûlé les
chrétiens, il ne s'en soucia pas. Dous Dsou-ThoMaban vint
donc auprès de l'empereur, lui ht le récit de Nadjrân et mit
devant ses yeux l'Evangile détérioré par le l'eu. L'empereur fut
très-afRigé, pleura et dit : Si tu étais venu plus tôt, quand
il n'était pas encore rentré dans le Yemen, je serais allé lui
l'aire la guerre et aurais vengé la religion chrétienne; mais
maintenant qu il est de retour dans le Yemen, je suis séparé
182 CHRONIQUE DK TABARI.
de liîi par uuo (rop jjrande dislance , par le désert, le *Hedjàz cl
l'Arabie, où la marche d'une armée est très-difficile. Mais le
roi d'Abyssinie en est plus rapproché, et il est chrétien; je te
donnerai une lettre pour lui, afin qu'il t'accorde une armée
et que vous preniez vengeance. L'empereur écrivit donc au
Nedjâschi, le roi d'Abyssinie, et envoya vers lui Dous Dsou-
ThoMabân avec son Évangile qui avait souffert du feu. Dous
vint en Abyssinie, remit au Nedjàschî la lettre du César, lui
présenta le livre détérioré et lui rapporta le récit des gens de
Nadjrân. Le roi versa des larmes. II fit convoquer les habi-
tants de l'Abyssinie, et tous pleurèrent et s'affligèrent sur le
sort de la religion chrétienne; il» résolurent d'attaquer Dsou-
Nowâs avec une nombreuse armée, et d'agir avçc les juifs
d'une plus rude façon que ceux-ci n*avaient fait avec les chré-
tiens.
Le Nedjâschi passa son armée en revue, et fit marcher
soixante et dix mille hommes sur le Yemen. Il choisit parmi
ses généraux un homme nommé Aryât, qu'il plaça à la tète de
cette armée. Dous Dsou-ThoMabân l'accompagna. II y a entre
l'Abyssinie et le Yemen une mer très-vaste. Le Yemen ren-
ferme un grand nombre de villes et est le plus beau pays du
monde, car il est en même temps montagneux et plat, terre
ferme et pays riverain; il y a des villes qui sont situées sur
le sommet d'une montagne, d'autres dans les vallées, d'autres
dans l'intérieur des terres et d*autres sur le bord de la mer;
certaines villes ont une température assez chaude; d'autres,
une température assez froide. Parmi les villes de la côte se
trouvent *Aden et *Hadhramaut. L'armée abyssine traversa
la mer et débarqua à *Hadhramaul-
Quand Dsou-Nov^âs en fut informé, il envoya des messa-
gers aux rois de toutes les villes du Yemen et couvoiiua les
PARTIE II, CHAPITRE XXXVIII. 18J
ariuées; il leur Cl dire : L'euuemi qui vienl nous allaquer est
très-lbrl; nous ne sommes pas en élat de nous mesurer avec
lui et de le combattre. Il faut le perdre par une ruse. Que
chacun de vous reste dans sa ville avec ses troupes; je ferai
en sorte que Tennemi envoie dans chaque ville une partie
de ses troupes, et alors que chacun de vous tombe avec son
armée sur ces hommes qui y viendront, et qu'il les fasse
périr. Les rois consentirent, et les troupes du Yemen restèrent
tranquilles; Dsou-Nowàs demeura avec environ cinq mille
hommes à Çan'a. Ensuite Dsou-Nowâs fit faire cent mille clés,
et lorsque le chef de Tarmée abyssine, Âryàt, débarqua à
^Hadhramaut, Dsou-Nowâs lui adressa une lettre dans la-
quelle il lui disait : Je ne veux pas lutter contre toi , car je sais
que le \edjâschi ne nourrit pas d'hostilité envers moi; si le
roi le désire, je lui enverrai les clés de tous mes trésors, et
je me rendrai moi-même auprès de toi avec les quelques
hommes qui sont avec moi; je n'ai pas rassemblé d'armée,
afin que tu saches que je ne veux pas te combattre. Je me
rendrai auprès de toi, je te remettrai ces clés et le royaume.
Si tu l-ordonnes, je ferai ma soumission à toi, ou si tu
veux, je me rendrai auprès du Nedjâschi. Aryât répondit:
Je ne peux rien faire par moi-même, sans Tautorisation du
Nedjâschi. Il resta donc à ^Hadhramaut, écrivit au Nedjâschi
et lui rendit compte de cette proposition, eu lui envoyant
la lettre de Dsou-Nowâs. Le Nedjâschi, après avoir lu ces
lettres, fut très-content et écrivit à Aryât de recevoir les tré-
soi*s et de les envoyer a la cour. Aryât envoya une lettre à
Yousouf, lui disant : Le Nedjâschi ordonne que tu te rendes
auprès de moi et me livres les trésors. Dsou-Nowâs partit de
Çan'â, chargea les clés sur des ânes et vint à ^Hadhramaut,
auprès d Aryât, qu'il conduisit, lui et son armée, à Ça n'a, et
184 CHRONIQUE DE TABARL
lui remit toutes les richesses qui se trouvaient dans cette ville,
en lui disant : Les autres trésors sont dans les autres villes;
envoie dans chaque ville un officier avec quelques troupes, à
qui je remettrai la clé du trésor de la ville; quil aille en
prendre possession. Aryât fit ainsi. Lorsque l'armée abyssine
fut ainsi dispersée, Dsou-Nowâs envoya dans chaque ville
Tordre de tuer les troupes abyssines : elles furent toutes mas-
sacrées.
Quand Aryàt en lut informé, il en eut une grande dou-
leur. Il quitta Çan^à, se rendit à ^Hadhramaut, s'embarqua
et vint rendre compte au Nedjâschî. Celui-ci fut très-cour-
roucé; il arma cent mille hommes, cavaliers et fantassins,
et mit à leur télé un officier nommé Abraha ben-aç-Cebà*h ,
surnommé Abou-Yaksoum; il était de la famille des rois
d'Abyssinie; on l'appelle aussi Abraha al-Aschram, nom qui
désigne en arabe quelqu'un qui a le nez coupé. Il eut le nez
coupé dans la guerre du Yemen, comme nous le rapporte-
rons plus loin.
Abraha vint donc avec cent mille hommes dans le Yemen.
Lorsqu'il débarqua à ^Iladhramaut, Dsou-Nowâs reconnut
qu'il ne pourrait pas lui résister et que son armée ne l'aide-
rait pas. Il avait un cheval qui savait nager; il monta en toute
hâte sur ce cheval et le poussa dans la mer; le cheval nagea
pendant quelque temps, ensuite il se noya. Abraha vint dans
la ville de Çan^â, saisit les rênes du gouvernement et auto-
risa l'armée abyssine à tuer dans chaque ville du Yemen
autant de personnes que les Yéménites avaient tué des leurs.
Le sang coula à flots dans chaque ville. Abraha soumit les
habitants du Yemen, s'empara de la couronne, proclama le
christianisme et construisit des églises. Il engagea le peuple
ù abandonner la religion juive et à embrasser le christia-
PARTIE II, CHAPITRE XXXVIII. 185
nisme; quiconque refusait de le faire ou de payer la capita*
tion eut la tête tranchée.
Or le Nedjâschi pensa qu'Abraha lui enverrait une partie
des trésors du Yemen. Abraha n'en fit rien , et Ton disait au
Nedjàschi : 11 s'est révolté contre toi et s'est emparé du
royaume du Yemen pour son propre compte. Le Nedjàscht
lui adressa une lettre et l'appela auprès de lui. Abralia ré-
pondit : Je suis l'esclave du roi, et j'ai conquis ce royaume
pour lui avec beaucoup de peine et en versant beaucoup
de sang. Si je m'absente d'ici, ce pays sera perdu pour
nous ; il faut que le roi envoie ici une armée et quelqu'un à
qui je puisse remettre le gouvernement, ensuite j'irai me
présenter devant lui. Le Nedjischi envoya Aryât, le même
général qu'il avait envoyé le premier dans le Yemen, avec
quatre mille hommes, pour prendre le gouvernement du
Yemen, avant ordonné à Abraha de venir à sa cour. Lors-
que Aryât vint dans le Yemen, Abraha alla à sa rencontre et
lui dit : Pour quelle affaire es-tu venu? L'autre dit : Le roi
m'a ordonné de prendre de tes mains l'armée et le gouverne-
ment et de t'envoyer à sa cour. L'autre dit : Et si je ne te les
remets pas, que feras-tu? Aryât répondit : Alors nous te
combattrons, moi et mes troupes, jusqu'au dernier homme.
Abraha lui dit : A quoi servirait de tuer les soldats? Viens
combattre seul avec moi ; celui de nous deux qui sera vain-
queur prendra le gouvernement. Aryât consenîit, et ils con-
vinrent d'un jour et d'un lieu où ils combattraient seuls.
Abraha avait un serviteur abyssin très-brave, nommé Gha-
noud. Les Abyssins combattent tous avec la lance. Le jour
du combat convenu, Abraha dit à son esclave : Quand je
serai au niomenl de le combattre, tiens toi en embuscade,
puis élance-toi subitement sur lui, frappe-le de ta lance et
l86 CHRONIQUE DE TABARI.
lue-lc. Ensuite Abraha et Aryâl commencèrent la lutte, eu
présence des deux armées, et Fesclave se tint caché derrière
Aryât. Quand ils furent en train de luller, l'esclave fra|)pa
subitement Aryât d'un coup de lance; mais, avant qu'il l'al-
leignit, Aryât dirigea sa lance sur la' tète d' Abraha , qui était
couverte d'un heaume de fer. La lance traversa le heaume,
toucha la figure d'Abraha et enleva une partie de son nez.
C'est depuis ce jour qu'on l'appela Abraha al-Asckram (le
Balafré). L'esclave frappa donc Aryât, le démonta et le tua.
Quant aux soldats d'Aryât, les uns furent tués, d'autres se
jetèrenldans la mer et se noyèrent, quelques-uns s'enfuirent
auprès du Nedjâschi. Abraha se saisit du gouvernement. Il
avait promis à l'esclave que, s'il tuait Aryât, il lui accorderait
tout ce qu'il lui demanderait. Quand Abraha fut installé sur
le trône , Fesclave lui rappela sa promesse. Abraha lui de-
manda ce qu'il désirait. L'esclave dit : Ordonne qu'aucune
jeune fille ne soit conduite dans la maison de son époux
avant de m'avoir été amenée, pour que je lui oie sa virginité.
Abraha dit : C'est une vilaine chose; fais une autre demande.
L'esclave dit : Je n'ai pas d'autre désir que celui-là. Alors
Abraha donna l'ordre que l'on fit ainsi qu'il l'avait dit. Pen-
dant un an, aucune jeune fille du Yemen ne fut remise à
son époux avant d'avoir été conduite à cet esclave. Au bout de
ce temps, un homme vint et tua l'esclave; les habitants du
Yemen craignirent le ressentiment d'Abraha. Mais celui-ci
les convoqua et leur dit : La mort de cet esclave a été Irès-
désirable pour moi; mais je ne pouvais pas manquer à ma
parole, et je savais que vous le tueriez vous-mêmes. Les
hommes furent très- contents de ces paroles d'Abraha et le
prirent eu affection.
Quand le roi d'Abyssinie fut informé de la mort d'Aryât,
PARTIE II, CIIAPITIIE XWVIII. 187
il jura par Dieu, par JiFsus, TEvangite et la croix, qu'il u'au-
raii pas de repos qu il n edt versé le sang d'Abraha sur la
lerrc, et quil neiU foulé le sol de la ville dans laquelle il
se trouvait; ensuite il se mit à rassembler une armée. A ceUe
nouvelle, Abraha sentit qull devait succomber, que Farmée
abyssine ne ferait pas la guerre à son roi , auquel elle était
attachée, et que lui-même n aurait pas de secours à espérer
des habitants du Yemen. Il envoya donc un messager au roi
pour lui présenter se» excuses, et lui fit dire : Je suis l'es-
clave du roi, de même que le fut Aryat. Mais celui-ci n'exé-
cuta pas mes ordres. Je lui avais dit de prendre patience, afin
que je lui confiasse Tarmée et le gouvernement; il n attendit
pas, et il ne m'accorda pas le temps nécessaire. Ensuite il
imagina un guet apens : il m'appela à une conférence et jeta
sa lance contre moi pour me luer. Alors mon esclave le
frappa d'un coup de lance, et Aryàt fut tué. Si donc deux
esclaves du roi combattent l'un contre l'autre et que Dieu
fasse périr l'un des deux, il ne faut pas que le roi se dérange.
Je suis son esclave comme je l'ai été; toujours, quand tu l'or-
donneras, j'irai; mais je crains que le royaume du Yemen
ne soit perdu et qu'il soit impossible de le reprendre; il
faudra beaucoup de troupes et beaucoup d'argent pour faire
de nouveau la guerre; mais moi je suis aux ordres du roi.
Il présenta ainsi sa justification. Le Nedjàschi savait qu'il
lui faudrait beaucoup d'argent pour transporter des troupes
dans le Yemen, et, craignant les dangers de la mer, il agréa
cette justification. 11 envoya à Abraba un messager et lui fil
dire : J'ai juré de verser ton sang sur la terre et de fouler le
sol de ton pays. Abraha se coupa une veine et fit couler le
sang dans une fiole; puis il remplit une bourse de terre, et
envoya les deux objets au Nedjàschi', avec ce message : Voilà
188 CHRONrQlE DE TABARI
mon sang, verse-le sur la terre; el voilà la tern* de mou pa)s,
mets-la sous ton pied, aCa que ton sermeut soit accompli.
Le Nedjâschi fut content, se dégagea de son serment et fui
^lisfait d Abraha : il lui laissa le royaume du Yemen. Abraha
établit le christianisme dans le Yemen. Ce fut lui qui amena
une armée et des éléphants à la Mecque, pour y détruire le
temple de la Ka'^ba. Dieu le fit périr; il Ta mentionné dans
le Coran eu ces termes : rr As-tu vu comment ton Seigneur a
agi avec les hommes de l'éléphantiD (Sur. cv, vers, i.)
CHAPITRE XXXIX.
lilSTOIRB DE L'EXPKDIT105 D'ABRAHA CO?ITRR LA Ka'bA.
l/originc de cet événement fut celle-ci : Lorsque Abraha fut
rentré en grâce auprès du Nedjâschi, et que celui-ci Teut
confirmé dans le gouvernement du Yemen, il fut très- heu-
reux, il en rendit grâces à Dieu, donna des aumônes aux
))auvres et fit construire des églises dans chaque ville du
Yemen. Il fit élever à Çan'â, au nom du Nedjâschi, une église
qui n'avait pas sa pareille sur toute la terre eu grandeur, en
beauté et en ornements. On mit quatre ans à la terminer.
Abraha la nomma Qalis. Sa réputation se répandit dans le
monde entier. Abraha adressa une lettre au Nedjâschi, dans
la({uelle il lui disait : J'ai fait construire pour le roi une église
comme le monde n'en possède pas , par reconnaissance de ce
que Dieu ma rendu la grâce du roi. Il lui envoya en même
temps le plan de 1 église. On y vint de Roum, de la Syrie et
de tous les pays oit il y avait des chrétiens, et Ton voyait là
quelque chose qu on n'avait jamais vu ni entendu, et chacun
y fit de riches offrandes. La nouvelle en vint aussi au César
PARTIE H, CHAPITRE XXXIX. 189
•
(h' Houm, (|iii y envoya éjjalement des présents, de i'albàtre
el des éloffes de Rouni. 11 écrivit au Nedjàschl une lettre ainsi
conçue : Ton lieutenant a fait dans le Yemen une chose
comme on nen a jamais fait; la gloire en revient à toi; il n'y
a nulle part dans le monde un édifice pareil et une église pa-
reille. Le roi d'Abyssinie en fut charmé et adressa à Abralia
une lettre pleine de compliments el d'éloges. Abraha écrivit au
roi : Les Arabes ont à la Mecque un temple quils appellent
lemple de Dieu; ils y vont en pèlerinage, et font des proces-
sions autour de ce lemple. L'église que j\ii fait construire est
cent mille fois supérieure en beauté à ce temple. Je veux or-
donner aux habitants du Yemen de faire des pèlerinages^ el
des processions journalières à cette église, d'y adorer Dieu .
et de lui adresser en ce lieu leurs prières. Je veux ordon-
ner aux Arabes de se rendre ici, au lieu de faire leur pèle-
rinage à leur temple. Cela sera à l'éternelle gloire du roi.
Le Nedjàschi en fut content. Alors Abraha proclama dans le
Yemen que chrétiens el juifs devaient venir prier dans celle
église, y faire des processions et des pèlerinages. Deux frères
arabes, de la IriLu de Solaïm, élaient venus auprès d'Abraha.
L'ainé s'appelait Mo'hammed ihn-Khozà'a al-Dsikràni; le nom.
de Taulre était Qaïs ibn-Khozâ'a. C'étaient des chefs arabes;
ils avaient été réduits par les Arabes et ils s'étaient trouvés
embarrassés dans le 'Iledjâz, le Tihama et à la Mecque, et
étaient venus auprès d'Abraha avec une partie de leur tribu.
Celui-ci les avait bien reçus, et ils demeuraient là. Lorsque
Abraha résolut d'inviter les Arabes à faire leurs pèlerinages
à l'église, et de les détourner du temple de la Ka'ba, il mon-
tra beaucoup d'amitié à Mo'hauuned, lui donna le gouverne-
ment des Arabes du désert el du 41edjàz, el la souveraineté
de la Mecque; il mit une couronne sur sa lele el l'envoya h la
190 CHRONIOÏIE DE TABARI.
Merqiie, en lui recommandant do forcer les Arabes à faire
leurs pèlerinages à Tëglise , de les persuader que cette <?glisn
ëlait plus belle que la Ka^ba, plus illustre et plus pure; qu'ils
avaient dans leur temple des idoles, et qu'ils le souillaient, et
que jamais cette église n'avait été souillée. Mo^hammed partit
avec son frère Qaïs et les gens de sa tribu. La nouvelle s'en ré-
pandit h la Mecque. La souveraineté delà Mecque appartenait
aux Qoraïschites et aux différentes branches de cette famille,
de la tribu des Kinâna. Le chef des Qoraïschites et de la
Mecque était alors ^Abdou'l-Motlalib. Quand Mo^hammed ar-
riva sur le territoire de la tribu des Kinâna, ceux-ci postèrent
sur son chemin un homme nommé *Orwa, fils d'^yâdh, qui
Je tua d'un coup de lance. Son frère Qaïs se réfugia auprès
d'Abraha, dans le Yemen, et lui fit part de cet événement.
Abraha dit : Me faut-il donc envoyer quelque autre pour les
engager à venir ici? J'irai moi-même et détruirai leur temple;
alors ils seront embarrassés, et ils viendront, s'ils veulent;
ou ils ne viendront pas; puis je tuerai tous les Kinâniens.
Abraha rassembla une armée de cinquante mille hommes
dan$ le Yemen, et se disposa à marcher sur la Mecque.
Les Arabes du désert, informés de son dessein, envoyè-
rent un homme de la tribu des Kinâna pour se rendre dans
le Yemen et voir l'église qu'Abraha avait fait construire.
Cet homme parlit; quand il y arriva, les gardiens le recon-
nurent comme étranger, et, sachant qu'il n'était pas chré-
tien, ils lui demandèrent ce qu'il voulait. Il dit : Nous avons
appris que le roi a fait élever ipi une église , et qu'il veut nous
engager à y venir en pèlerinage ; mes compatriotes m'ont en-
voyé ici pour la voir, et je viens pour examiner ce temple,
savoir comment il est, et pour leur en rendre compte, afin
qu'ils y viennent en pèlerinage. On informa de ce fait Abraha,
PARTIE II, CHAPITRE XXXiX. 191
({ui donna ordre de conduire cet homme, de lui montrer toute
réalise et de Fy introduire. Cet homme y vit des choses qu'il
n'avait jamais vues auparavant, en fait de peintures et de
pierreries, qui y élaient suspendues. Il demeura tout étonné,
se mit à prier et à pleurer; il demanda la permission d*y
rester la nuit pour prier. On lui en accorda la permission, et
il y passa toute la nuit en prières. Au matin, il remplit ses
mains d'ordures et les porta sur Tautel de l'église, puis il
sortit, demanda la permission d'aller faire ses ablutions et
s'enfuit. Quand on vint à l'église pour la prière, on vil cet
état de choses. On avertit Abraha de ce qu'avait fait cet
homme , que les Arabes eux-mêmes avaient envoyé dans ce
but. Abraha jura qu'il partirait et ne retournerait [>as avant
d'avoir détruit la Ka^ba, et que, après l'avoir détruite, il la
ferait profaner par des souillures.
Le Nedjâschi avait un éléphant qu'on appelait Ma^hmoud,
et qu'on n'avait jamais emmené dans une guerre sans rem-
porter la victoire, et qui n'était jamais revenu d'aucun en-
droit si ce n'est en triomphe; il était très-grand, plus grand
qu'aucun autre éléphant de l'Abyssinie. Abraha avait avec lui
dans le Yemen treize de ces éléphants abyssins; il écrivit une
lettre au Nedjàscht, lui raconta l'attentat des Arabes, tout ce
qui s'était passé , lui Gtpart de son entreprise et lui demanda
l'éléphant Ma'hmoud. Le roi le lui envoya, et Abraha fil
réunir une armée nombreuse, et partit du Yemen avec les
éléphants. L'armée arriva sur le territoire du 'Hedjâz. Il y
avait parmi les Arabes un homme, nommé Dsou-Nafar, qui
était si brave, qu'il se jetait à lui seul sur mille cavaliers. Les
Arabes lui prêtaient obéissance. Il était de la race des *Hi-
myarites, qui avaient eu le gouvernement du Yemen avant
les Abyssins, et il entretenait de l'amitié avec 'Abdou'I-Mot-
19'i CHROMQLE DE TABARl.
lalib. Dsou-iSafar rassembla les Arabes et se jeta ao-deTant
d'Abraba avec dix mille hommes. Abraba ie mit en fuite et
tua un grand nombre dWrabes; il lit prisonnier Dsou-Nafar
et donna ordre de le mettre à mort. Dsou-.Nafar lui demanda
grâce, disant : Ne me fais pas tuer, tu n'en tireras aucun
avantage; garde-moi avec toi, a6n que je te serve; tu as
appris ma réputation et mon courage; il se peut que je
t aide à accomplir ton dessein et que tu sois content de moi.
Abraba lui fit grâce, Temmena avec lui et le fit garder par
les troupes; puis il s*avança. Un bomme nommé Nofaîl, fib
de 'Habib, était chef des Beni-Khath'am. Les Beni-khath'am
étaient deux tribus, dont Tune s'appelait Schahràn, et Tautre
Nâhis, et qui avaient ensemble cinquante mille hommes. No-
faîl en choisit dix mille combattants et attaqua Abraha, qui
les mil en fuite. Nofaîl fut également fait prisonnier et de-
manda grâce, en disant : 0 roi, accorde-moi la vie sauve;
car tu connais mon influence parmi les Arabes; derrière moi
sont cinquante mille tentes ; en nrépargnant, tu reçois le gage
d'obéissance de tous ces hommes. H te faut, pour aller à la
Mecque, un guide; car, dans ce pays des Arabes, une armée
ne peut pas s'avancer sans guide ; je te guiderai. Abraha l'épar-
gna également, et le retint prisonnier avec Dsou-Nafar; ensuite
il continua sa marche. Quand les Arabes apprirent l'issue
de ces deux batailles, ils eurent des appréhensions, et aucun
d'eux n'osa plus l'attaquer. Abraha arriva h TcàïF, qui était
sous le pouvoir des Beni-Thaqîf, dont le chef était Maç'oud,
fils de Mo^atlib ie ThaqiTite. Celui-ci et, à sa suite, les habitants
de Tâïf vinrent faire leur soumission à Abraha, qui les reçut
en grâce et leur demanda un guide , pour s'avancer jusqu'à
la Mecque. Ils lui donnèrent un homme nommé Abou-Righâl,
et Abraha fit avancer son année sur la Mecque. Les habitants
PARTIE II, CHAPITRE XXXIX. 193
•
de celte ville furent dans la crainte; ils allèrent trouver
^Abdoul-Motlalib, pour connaître son avis. ^Abdoul-Mottalib
dit : Nous ne sommes pas de force à résister à ces liommes;
quand Abraha s^approcliera , nous nous en irons tous, avec
nos femmes et nos enfants , «dans les montagnes. Abraha sait
à quoi s'en tenir en ce qui concerne ce temple^ dont le maî-
tre est plus puissant que nous et, selon sa volonté, en éloi-
gnera cet ennemi ou le lui abandonnera. Abraba quitta Tâïf
et vint camper à une station nommée Moghammes , éloignée
de deux stations de la Mecque. Abou-Rigbâl mourut à cet
endroit, où se trouve son tombeau. Encore aujourd'bui, tous
ceux qui y passent le maudissent et jettent des pierres conti^e
son tombeau, qui est devenu une montagne, par le grand
nombre de pierres amassées.
Delà station de Moghammes, Abraba envoya un des offi-
ciers abyssins, nommé Aswad, fils de Maqçoud, avec cinq
mille hommes, et lui recommanda de ne pas entrer dans la
Mecque, mais de saisir autour de la ville tous les animaux des
habitants, bœufs, moutons, chevaux et chameaux, et de faire
prisonniers tous les hommes qu il rencontrerait. L'officier alla
et prit tout le bétail et tous les pâtres de la Mecque qu'il
trouva sur son chemin; parmi les animaux, il y avait deux
cents chameaux appartenant à ^\bdou I-Mottalib. Abraha lit
demander aux prisonniers ce que les habitants de la Mecque
se proposaient de faire. Les pâtres répondirent: Les hommes
sont d'accord d'abandonner la ville au roi, afin qu'il en fasse
ce qu'il voudra, et leur chef ^Abdou'l-Mottalib leur a recom-
mandé de ne pas combattre. Abraha envoya a la Mecque un
homme Ml imy a ri te, qui était avec lui, l'un des rois du Yemen,
nommé ^Honâta, et lui donna pour instruction de dire aux
Mecquois : Je ne veux pas attenter ù votre vie; je suis venu
194 CIIHONfQUK DE TABAIU.
pour d 1*1 ru ire ce temple, comme j'ai juré de le faire; soyez
tranquilles pour votre vie et pour vos biens. Abraha recom-
manda aussi h son envoyé de lui amener le chef des habitants,
qu'il voulait voir. 'Honata vint dans la ville, transmit aux ha-
bitants le message d'Abralia etamena^Abdoul-Mottalib auprès
<lu roi. Ils arrivèrent quand le jour avait baissé; on avertit
Abraha que Ton amenait le chef de la Mecque; mais ils ne
purent pas voir Abraha cette nuit. On fit demeurer *Abdou'l-
Mottalib avec Dsou-Nafar et Nofaïl, les deux chefs arabes qui
avaient combattu. Dsou-Nafar et *Abdoul-Mottalib étaient
amis. ^Abdou'l-Mottalib dit à Dsou-Nafar : Ne peux-tu me ren-
dre aucun service? L'autre répondit : Quel service pouirais-je
rendre, moi qui suis prisonnier et enchaîné, et qui m'at-
tends à chaque instant à être mis à mort? Cependant le gar-
dien qui prend soin du grand éléphant et qui est le chambel-
lan d' Abraha, et qui se nomme Onaïs, est un brave homme
et mon ami; je lui dirai de représenter au roi ta position. *Ab-
doul-Mottalib était le premier de tous les Arabes; car les
principaux d'entre les Arabes étiiient les Qoraïschites, et il était
le chef des Qoraïschites. Il n'y avait pas d'homme plus géné-
reux que lui dans toute l'Arabie. Sa libéralité était telle qu'elle
triomphait du vent du nord : quand le vent du nord soufflait,
il tuait un chameau et en donnait la chair à manger aux
hommes; si, le lendemain, le venl soufflait encore, il tuait
encore un chameau ; et si, pendant cent jours, le venl souf-
flait, il tuait chaque jour un chameau et en donnait la chair
aux hommes; et il faisait jeter tous les intestins des chameaux
dans les montagnes, pour servir de pâture aux bétes sauvages ;
et il faisait détacher les os pour les jeter è manger aux chiens.
On l'avait surnommé rrle nourrisseur des hommes et des
bétes.-») Dsou-Nafar parla la même nuit à Onaïs, le cham-
1»\RÏIE II, CHAPITRE XXXIX. * 195
bcllan, et lui fil Télogo d'^Abdoiri-Mottalib, et lui demanda
de faire coiinailre au roi sa position, sa dignilé et sa situation
actuelle. Le lendemain, Onaïs en informa le roi, qui décida
de donner à ^Âbdou 1-Moltalib une audience. Quand Abraha
donnait audience à Tarmée et au peuple, il ëtait assis sur
un trône, n'ayant personne à coté de lui, à cause de son rang.
Abraha ne voulut pas faire asseoir ^Abdoul-Mottalib sur le
trône, en présence de Parmée abyssine, qui aurait pu dire que
le roi le craignait; mais il voulut le traiter avec plus de dis-
tinction que les autres hommes, et ne pas le faire asseoir à
ses pieds, pour ne pas faire tort à sa dignité. II descendit donc
de son trône, s assit sur un tapis, sur la terre, et donna au-
dience aux troupes et à *Abdou'l-Mottalib. Quand celui-ci
entra, Abraha le fil asseoir à côté de lui. ^Abdoul-Mottalib
était un homme d'une taille élevée, d'un extérieur imposant
et très-beau; il plut à Abraha, qui ordonna à l'interprète de
lui parler; et quand il entendit aussi qu'il s'exprimait avec
éloquence, l'idée lui vint de lui abandonner la Ka^ba et de
s'en retourner. Il dit à ^Abdou'I-Moltalib : Fais-moi une de-
mande. Il pensa qu'^Abdou'l-Mottalib demanderait grâce pour
le temple. Mais celui-ci dit : On m'a pris deux cents chameaux;
que le roi ordonne de me les rendre. Abraha dit : Je regrette
de m'être trompé à ton égard ; je croyais ton esprit plus élevé.
Je suis venu pour détruire ce temple de la Ka^ba, qui est l'ob-
jet de ton culte et de celui de tous les Arabes; tu aurais dû
me demander de m'en retourner et de ne pas le détruire. Je te
l'aurais accordé et j'aurais ramené l'armée. Ce temple serait
resté, jusqu'au jour de la résurrection, l'objet de ton culte et
de celui de tes descendants. Mais tu n'as été préoccupé que
de deux cents chameaux; est-ce là une grande aiïaire? Si
j'avais abandonné mon dessein sur ta demande, je t'aurais
1% • CHRONIQUE DE TABARI.
donné cent fois ia valeur de ces chameaux. Tu m'as àié la
bonne opinion que gavais de loi. ^Alidoui-MoUaiib dit : Je
suis le propriétaire de ces chameaux; il faut que je fasse des
démarches pour les recouvrer. Ce temple a un maître plus
puissant que moi, qui, s'il veut le préserver de ton attaque,
saura le faire. Abraha donna ordre de restituer les chameaux
à 'Abdou 1-Moltalib, qui les ramena et rentra à la Mecque. Il
dit aux habitants de prendre le chemin de la montagne, en
abandonnant la ville et leurs maisons; et lui-même, avec sa
famille et ses chameaux , se retira dans la montagne. La ville
fut ainsi complètement abandonnée par les habitante.
Abraha arriva a la porte de la Mecque. Le lendemain, il fit
avancer Téléphant Ma'hmoud. On avertit Abraha qu'il n'y
avait plus personne dans la ville. Il ordonna de faire entrer
les éléphants qui devaient détruire la Ka^ba, pour s'en re-
tourner ensuite. On conduisit le grand éléphant dans l'en-
ceinte sacrée; arrivé là, l'éléphant s'arrêta et ne voulut plus
avancer d'un seul pas. Malgré les coups qu'ils lui donnèrent,
il n'avança pas son pied; on le frappa sur la tête avec des
bâtons de bois et de fer; tout fut en vain. Les autres éléphants
s'arrêtèrent également. Alors Dieu envoya une espèce d'oi-
seaux ressemblant h l'hirondelle, à celle qu'on appelle pères-
tak, qui volèrent au bord de la mer, où chacun prit dans ses
serres et dans son bec quelques grains de sable; ensuite ils
s'envolèrent dans la direction de la Mecque et se tinrent au-
dessus dos troupes abyssines. On raconte que Dieu fit sortir
de l'enfer une vapeur par laquelle le sable dans les serres et
ie bec des oiseaux se changea en pierres, que les oiseaux
laissèrent tomber sur les soldais. Chaque soldat fut frappé
d*une pierre à la tête, et aussitôt le feu entra dans son corps,
la chair se détacha des os, et le corps entier ne devint qu'une
I
PARTIE II, CHAPITRE XXXIX. 197
plaie. ChacuQ u eut souci que de sa personne. Après avoir
jeté toutes les pierres, les oiseaux s'envolèrent. Le corps de
tout homme atteint par une de ces pierres fut couvert de
pustules. Quant à Téléphant, on avait beau le frapper, il
n'avançait pas; quand on lui tournait la tète vers le Yenicn
ou vers Torient, il marchait; si on le tournait vers le sanc-
tuaire, il ne marchait pas. Alors toute rannée revint sur ses
(las, et on ramena les éléphants. Tous ceux qui avaient été
atteints par les pierres eurent cette éruption, qui s'étendait
sur tout le corps; la peau et la chair se détachèrent. Arrivés
dans le Yemen, ils moururent,
Dsou-Nafar et Nofaïl, qui étaient prisonniers entre les
mains d'Abraha, s'enfuirent, se rendirent dans la montagne
de Tihàma et avertirent de ce qui s'était passé ^Abdou'1-Mot-
taiib et les gens de la Mecque. Ceux-ci rentrèrent dans la ville,
et, depuis lors, ils témoignèrent à ^Abdou'l-Mottalib plus de
respect qu'auparavant, disant : C'est lui qui est le maitre du
temple de Dieu, qui, à cause de lui, en a éloigné l'ennemi.
Voilà le récit tel qu'il se trouve rapporté dans cet ouvrage
et auquel se rapporte cette surate du Coran : (t N'as-tu pas vu
comment ton Seigneur a traité l'homme de l'éléphant??) etc.
Mais dans les commentaires il est dit que les troupes abys-
/?ines, frappées par les pierres, périrent au même instant,
et que leurs effets devinrent le butin de& habitants de la
Mecque. J'ai lu dans les commentaires ce qui suit, qui ne
se trouve pas dans l'ouvrage de Mo'hammed ben-Djarir
Tal)ari : Le roi qui vint attaquer la Mecque avec l'armée
abyssine, et qui y périt, fut le Nedjàschi lui-même, nommé
Aswad ben-Maqçour.. Dans la langue abyssine, Nedjàschi
veut dire (t grand roi.r» Le Nedjàschi était venu avec son ar-
mée, et Abraha était son lieutenant dans le Yemeu. Le ipotif
198 CHHONIQUK DE TAJJAKI.
de celle exi>édilioii u'étail pas qii'Abraha aurait iiivile les
Arabes à se rendre en pèlerinage à Téglise. Le motif fut le
suivant : Quand Abraha eut élevé cette église de Çan^â, il
se trouva que c'était )e plus bel édifice du monde. L'église
n'était pas dans la ville elle-même, mais en dehors de la
ville, dans la plaine. Abraha ordonna que tous les chrétiens
y fissent des pèlerinages et des processions. La réputation de
cette église parvint jusqu'au roi de Roum, qui y envoya éga-
lement beaucoup de personnes en pèlerinage. Le Nedjâschi
en fut très^beureux, et ordonna aux chrétiens d'Abyssinie
d'aller aussi là pour le pèlerinage et les processions. Le bruit
de ces faits se répandit dans le monde entier, et de tous les
lieux où il y avait des disciples de Jésus, ii venait tous les ans
à Çan^à eu pèlerinage des personnes qui y exécutaient des
processions et faisaient des offrandes, de même que les Arabes
au temple de la Mecque. Abraha et tous les chrétiens de Çan^à
allaient chaque jour prier à l'église, et la nuit on y mettait
des gardiens et des inspecteurs. Cela se passa ainsi pendant
plusieurs années. Or, un jour, une caravane arabe vint pour
le commerce dans le Yemen. Ces Arabes avaient avec eux un
grand nombre de chameaux ; ils firent halle aux portes de Çan^â ,
derrière l'église; les chameliers, tous réunis près du mur de
l'église, y portèrent une grande quantité de bois et allumèrent
du feu. Vers minuit ils chi^rgèrent les chameaux et partirent,
laissant près du mur beaucoup de bois enflammé. Alors le vent
porta les flammes sur l'enceinte de l'église et dans l'église elle-
même; les bois et les peintures enduites d'huile prirent feu et
forent consumés. Les hommes sortirent de la ville, mais, mal-
gré tous leurs efforts, ils ne purent se rendre maîtres du feu :
le matin, toute l'église était brûlée. Abraha envoya des cava-
liers pour poursuivre les gens de la caravane, qui furent rame-
PAKTIE II, CHAPITRE XXXIX. 199
nés. Abraha leur dit : Vous avez fail cela de propos délibéré,
vous avez été envoyés pour cela. H les lit tous mettre à mort et
lit briller leurs chameaux et leurs biens. Loi^que cette nouvelle
arriva au Ncdjàschi, il en eut un grand chagrin, et juraquii
détruirait le temple de la Mecque. Il amena dans le Yemeu
son armée et Téléphant nommé Ma^hmoud, et Abraha, avec
toutes les troupes abyssines qu il avait, se joignit à lui. Quand
ils arrivèrent près de la Mecque, ^Abdo'u'l-Mottalib se pré-
senta devant eux pour réclamer ses chameaux; les Mecquois
évacuèrent la ville, et le roi vint camper aux portes de la
ville. Il y avait un chef de Tâïf, des Beni-Thaqif, nommé
Mas^oud; c'était un homme âgé, devenu aveugle, doué d'une
haute intelligence et d'une grande expérience. 11 était lié
d'amitié avec ^Abdou'l-xMottalib ; chaque fois qu'il venait à la
Mecque, il descendait dans la maison d"Abdou'l- Mottalib.
Lorsque les Mecquois se furent retirés dans les monlagnes
du Tihâma, de 'llira, de Thabir et d'^Arafa, il ne resta per-
sonne dans la ville, excepté 'Abdou'l-Motlalib et Mas^oud.
^Abdou'l-Mottalib dit à ce dernier : Tous les habilanls ont
quitté la ville; je suis resté à cause de toi; décide-toi sur ce
que tu veux faire. Si tu veux aller avec moi dans ces mon-
tagnes, je t'y conduirai; si (u veux retourner chez loi, je te
ferai monter sur un chameau, et enverrai quelqu'un avec loi.
Mas^oud répondit : Moi aussi je veux me rendre avec toi sur
le sommet de cette montagne, pour voir ce que Dieu fera de
ces ennemis. Je crois que Dieu oe leur abandonnera pas la
maison qu'Abraham, son ami, avait construite par son ordre.
J'ai vu et entendu que beaucoup de rois et de Tobba^ ont eu
de mauvais desseins contre ce temple; mais Dieu les en a
éloignés. Us allèrent donc tous Ip3 deux au haut du mont
Bou-Qabis, au pied duquel se trouvait le camp abyssin; et
200 CHRONIQUE DE TABARI.
ils entendaient les voix des hommes qui étaient en bas. Ce
fut le matin qa ils. se rendirent à la montagne. Pendant H
nuit, les Abyssins étaient arrivés^ pour y camper ce joar et la
nuit suivante, entrer le lendemain dans la ville et détruire
le temple. Ils savaient qu'il n'était resté personne dans la ville.
Au sommet de la montagne, Mas^oud dit à ^Abdoul-Motlalib :
Fais un don de cent de tes chameaux au temple, en disant:
Si Dieu préserve le 'temple de l'ennemi, je fais offrande au
temple de cent chameaux. Ensuite fais sortir ces chameaux
du territoire de la ville vers le camp des ennemis, afin que
ceux-ci tuent ces chanfieaux destinés à l'offrande, et Dieu sera
irrité contre eux. ^Abdou'I-Mottalib alla choisir cent de ses
chameaux, qui n'étaient pas éloignés de cet endroit, et les
consacra par un vœu au temple ; puis il les poussa dans la
direction des Abyssins. Les chameaux prirent leur course
et tombèrent entre les mains des Abyssins, qui les tuèrent.
^Abdou'l-Mottalib vit tout cela du haut de la montagne et en
informa Mas^oud. Celui-ci lui dit : Observe demain comment
Dieu les traitera. Le lendemain , Mas^oud dit : Regarde tout
autour de la Mecque, vers le ciel, qu'est-ce que tu y vois?
L'autre dit : Je ne vois rien, si ce n'est de petits oiseaux,
qui volent dans l'air. Mas^oud dit encore : Regarde si ce sont
des oiseaux de la Mecque ou de Médine, et de quel côté ils se
dirigent. ^Abdou'l-Mottalib répondit : Je ne connais pas ces
oiseaux ; ce ne sont pas des oiseaux du ^Hedjâz , ni de la Syrie ,
ni du Yemen: dans aucun pays où je suis allé je n'ai vu des
oiseaux de cette espèce; ce sont des oiseaux étrangers. Ils se
dirigent du côté de la mer et s'abattent sur le rivage. L'autre
dit : Observe-les , et regarde où ils vont se diriger de là. Après
un certain temps, ^Abdou'l-Motlalib dit : Les oiseaux s'en-
volent du bord de la mer et se dirigent vers le camp. Mas^oud
PARTIE II, CHAPITRE XXXIX. 201
«
dit : Ce ue sont pas des oiseaux, c'est Tarinëe de Dieu. Regarde
où ils vont et ce qu ils feront. Quand le soleil devint jaune ,
^Abdou'l-Mottalib dit : Les oiseaux tournent au-dessus du
camp. Ensuite la nuit tomba, et ils restèrent tous les deux
ainsi sur le sommet de la montagne, n entendant aucun bruit
venant soit des oiseaux, soit des hommes, soit des bétes.
Lorsque le soleil fut monte, Mas^oud dit : Prends-moi la
main pour descendre dans le camp, car Tarmc^e de Dieu a
accompli hier son œuvre. ^Âbdou'l-Motlalib le prit par la
main et ils allèrent au camp. Là ils trouvèrent tous les hommes
morts sur place, de même que les chevaux, les éléphants et
les bétes de somme. A la tête de chaque homme il y avait
une boule d'argile, comme on en fait en tournant de la glaise;
chaque boule ressemblait à une crotte de mouton, et sur
chaque boule était écrit le nom de Thomme frappé. Ils virent
aussi Abraha étendu roide morL ^Abdoul-Mottalib voulut se
rendre dans la montagne pour prévenir les Mecquois ; mais
Mas^oud lui dit : Ne te hâte pas; rendons-nous riches d'abord,
toi et moi; car, si les Mecquois arrivent, il ne nous laisse-
ront rien; va chercher dans le camp deux bêches. *Abdoul-
Mottalib fit ainsi, et chacun d'eux en prit une, et creusa
une fosse, en travaillant toute la journée. Quand la nuit
vint, ils restèrent à cet endroit. Le lendemain, Mas^oud dit :
Maintenant remplis les doux fosses de toutes ces richesses,
couvre-les de terre et aplanis le sol , pour que personne n'en
ait connaissance. ^Abdou'l-Mottalib fit ainsi. Mas^oud dit en-
suite : Je veux la fosse que tu as creusée pour toi. ^Abdou'l-
Mottalib consentit. Mas^oud dit : Maintenant va, et invite les
Mecquois ù descendre des montagnes. ^Abdou'l-Mottalib monta
sur un chameau, se rendit dans les montagnes de la Mecque
et avertit les Mecquois, qui rentrèrent tous et enlevèrent tous
202 CHRONIQUE DE TABARI.
les biens qui se trouvaient dans le canip ; tous devinrent
riches. Le septième jour, ^Abdou'i-Mottalib et Mas^oud vin-
rent retirer les richesses cachées dans les fosses. L'opulence
d'^Abdou'I-Motlalib provient de ce fait, ainsi que celle de
Mas^oud de Tàïf. Ensuite une terrible pluie tomba du ciel, un
torrent se précipita de la montagne, enleva toutes les impu-
retés qui se trouvaient en cet endroit et les porta à la mer; le
territoire de la Mecque fut ainsi purifié et lavé des souillures.
Après ces événements, tous les Arabes témoignèrent une
grande déférence à ^Abdou'l-Mottalib et aux habitants de la
Mecque, et ils les considérèrent comme leurs supérieurs, di-
sant : Ils sont les habitants de la ville sainte et les gardiens
du sanctuaire. Quand une caravane de cent ou de mille cha-
meaux sortait de la Mecque, on attachait au cou de chaque
chameau une branche d'arbre avec une corde de laine; par-
tout où elle passait, dans le désert, en Syrie, dans le Yemen
ou en Abyssinie, elle était à Tabri des attaques des voleurs et
des maraudeurs.
Abraha avait dans le Yemen deux fils, Tainé nommé Yak-
soum, Tautre Masrouq. Quand il était parti, il avait établi
Yaksoum son lieutenant et lui avait confié Tannée et le gouver-
nement. Lorsqu'on apprit la mort d' Abraha, Yaksoum monta
sur le trône, et Tannée abyssine le reconnut. Après lui régna
Masrouq, et ensuite vint Saïf ben-Dsou-Yezen. Depuis l'in-
vasion du Yemen par Aryât jusqu'au moment où Masrouq et
les Abyssins perdirent le royaume, il se passa soixante et
douze ans. Pendant tout cet espace de temps, le pays appar-
tint aux Abyssins. Il y eut quatre rois abyssins : AryAt»
Abraha, Yaksoum et Masrouq. Abraha vécut du temps de
Nouscbirwân.
PARTIE LI, CHAPITRE XL. i03
CHAPITRE XL.
HiSTOlfiB DU RÈGNE DR YAKSOUM , FILS D'ABRAHA, DANS LE YEUEN.
Lorsque Yaksoum, Gis d'Abraha, fut monte sur le trdne,
il fit opprimer le Yemen par les Abyssins, comme avait fait
Abraha. Ils s'emparèrent des femmes, des enfants et des biens.
Du temps d'Abraha, il y avait dans le Yemen un homme,
descendant des rois ^himyariles, des anciens Tobba' , qui avait
perdu sa fortune et qui se résignait en silence. Le nom de
cet homme était Al-Iyâdh, surnommé Abou- Mourra, dit
Dsou-Yezen. Comme il était de la famille des anciens rois y
on lui témoignait du respect. 11 avait une femme do la fa-*
mille d'^Alqama, fils d'Akil al-Morâri, qui avait été roi du
Yemen pendant de longues années. Il n'y avait pas dans
tout le Yemen de plus belle femme qu elle ; elle était très-
intelligente et fort inslruite, comme c'est ordinairement le
cas des princes et des membres de leur famille. Elle avait
un fils de Dsou-Yezen, âgé de deux ans, nommé Ma^di Ka-
rib, surnommé >Saïf. Abraha, ayant entendu parler de celte
femme, fit venir Dsou-Yezen et lui dit : Si tu ne m'aban-
donnes pas cette femme, je te ferai mettre à mort. Dsou-
Yezen, par crainte de la mort, lui laissa la femme. Abraha
l'épousa et la tint, elle et son jeune fils, dans sa maison avec
sa famille, et éleva cet enfant comme son propre fils, de sorte
(|ue, quand Saïf fut grand , il pensa qu'Abraha était son père.
Les deux fils d' Abraha, Yaksoum et Masrouq, lui sont nés de
cette femme.
Lorsque Dsou-Yezen fut séparé de sa femme, il ne put
demeurer plus longtemps dans le Yemen, h cause de la
204 CIIROMQUE DE TABARI.
honte qu'il rcssculail; il prit tout ce qu il possédait et partit.
Il se rendit dans le pays de Boum, à la cour du César, et lui
fit le récit de l'oppression que souffraient les habitants du
Yenien de la part des Abyssins. Il lui fit connaître son ori-
Ijine, lui disant qu'il descendait des 'Hiinyarites, de tel Tobba%
qui avait été roi du Yemen pendant plusieurs années; puis il
demanda au César une armée pour reconquérir le Yemen, en
s'en{;ageant à élre son tributaire, de façon que le pays de
Iloum et le pays du Yemen seraient Tun et Tautre soumis au
César. Celui-ci répondit : Abraha est de notre religion; nous
ne faisons pas la guerre à nos coreligionnaires. Si tu as à te
plaindre d'un tort, je veux te donner une lettre; peut-être que,
par déférence pour moi, Abraha te fera justice. Usou-Yezen
dit : Le tort dont j'ai à me plaindre ne peut pas être redressé
par ta letlre. El il partit pour se rendre auprès de Nouschir-
wan, le roi de Perse. Il arriva à 4Iira, où résidait Norman,
Itls de Moundsir, roi des Arabes et vassal de Nouschirwân.
Dsou-Yezen se rendit auprès de lui et lui (il connaître son
origine. Norman connaissait ses aïeux, car il était lui-même
de la race des 41imyarites, par Habita , fils de Naçr le Lakh-
mite. Quelques-uns disent que le roi des Arabes était alors
'Amrou, fils de Hind, également vassal de Nouschirwân et
descendant également des ^Himyarites. Ce roi fit a Dsou-
Yezcn un bon accueil et lui demanda d'abord de ses nou-
velles. Dsou-Yezen lui fit le récit de ce qui lui était arrivé,
comment il était allé à la cour du César, comment il en était
parti, désespérant de rien obtenir de lui, et comment main-
tenant il allait se rendre à la cour de Nouschirwân, pour lui
demander du secours. Le roi des Arabes lui dit : Je vais une
fois par an u la cour de Nouschirwân, où je passe un mois ou
deux, pour lui rendre mes hommages; ensuite je m'en re-
PARTIE 11, CHAPITRE XL. 205
tourne. Reste ici auprès de moi jusqu'à IN^poque de mou dé-
part, je l'emmènerai avec moi. Dsou-Yezen resta donc à la cour
du roi des Arabes. Lorsque le moment du départ du roi fut
arrivé, Dsou-Yezen alla avec lui à la cour de Nouschirwân. Le
roi des Arabes se présenta devant le roi de Perse et lui rendit
les hommages accoutumés. Il laissa passer quelque temps sans
lui parler de Dsou-Yezen ; enfin, quand , d'après la coutume , le
roi de Perse mit de côté le cérémonial et que Ton commença à
boire et à manger, à aller à la chasse et à jouer à la raquette,
alors le roi des Arabes dit à Dsou-Yezen : Demain je parlerai
de toi à Nouschirwân, je lui exposerai ta situation, ton rang
et ton origine, et lui demanderai une audience pour toi ; je ne
pourrai pas plaider pour toi et raconter ce qui t'est arrivé et
dans quelle intention tu es venu; mais si le roi te montre
de la bienveillance et te parle, raconte-lui ton aventure cl
implore son assistance.
Le lendemain, le roi des Arabes se rendit à la cour, et
Nouschirwân le fit asseoir en face du Irone. Lorsqu'il fut en
conversation avec lui, le roi des Arabes lui parla de Dsou-
Yezen, de son rang et de sa situation, et dit : Cet homme est
venu avec moi à la cour. Nouschirwân donna ordre de l'in-
troduire. Nouschirwân était assis sur un trône d'or, dont les
quatre pieds étaient des rubis et qui était couvert d'un tapis
de brocart. La couronne était couverte d'émeraudes, de rubis
et de perles, et si lourde, qu'il ne pouvait pas la tenir sur sa
tête. Elle était suspendue au plafond de l'appartement, au-
dessus du trône, par une chaîne d'or si mince, qu'on ne la
voyait pas, à moins d'être tout près du trône. Quand on re-
gardait de loin, on croyait que la couronne, malgré son poids,
reposait sur sa tête. Quand Nouschirwân quittait le trône, la
couronne restait toujours suspendue, et on la couvrait d'une
•JOO CIIROMOTE DE TABARI.
t'ioiïe do brocart, pour quo la poussière lï'y pénétrai point.
Celle coutume avait été élfiblie par Nouschirwân, et demeura
A0U8 Kon règne et sous celui de ses descendants; elle n'existait
pas sous le règne de ses ancêtres. Lorsque Dsou-Yezen entra
et (pnl vit cette couronne, cette splendeur, ce trône et celte
majesté, il fut saisi d'étonnement, ses sens Tabandonnèrent ,
il s'évanouit et tomba. Le roi des Arabes dit : Relevez-le, car
c'est la majesté du roi qui Ta troublé et qui Ta fait évanouir.
On le releva et on le fil s'approcher de Nouschirwân. Le roi
des Arabes, assis devant Nouschirwân (excepté eux deux,
aucun autre n'était assis), lit asseoir Dsou-Yezen au-dessus
de lui. Nouschirwân sut alors que c'était un grand personnage
et l'interrogea sur ses affaires et sur le but pour lequel il était
venu. Dsou-Yezen se leva de son siège, s'avança au milieu de
l'assemblée et se mit à genoux. Il raconta sa situation et dit:
Je suis un homme dans la famille duquel était la royauté
du Yemen. Elle est tombée des mains de mes frères; les
Abyssins sont venus et se sont emparés du pays et de nos
biens; ils nous ont réduits à la misère et ont exercé contre les
habitants des vexations nombreuses. Nous supportons cet état
de misère depuis cinquante ans; mais il est arrivé à un tel
degré, que nous ne pouvons plus l'endurer. Il nous est arrivé
des choses dont j'ai honle de parler dans l'assemblée royale ;
si le roi savait ce qui nous est arrivé, il est certain que, par
l'effet de sa bonté, il viendrait à notre secours et nous déli-
vrerait de ces criminels, quand même nous ne le lui deman-
derions pas. Aujourd'hui, je suis venu à cette cour pour me
mettre sous la protection du roi et poiir implorer son assis-
tance. Que le roi daigne réaliser mon espoir en envoyant avec
moi une armée, afin que je réduise l'ennemi et en délivre
les habitants; le pays des Arabes sera joint à la Perse, et ton
IMBTIK 11, CHAPITRE XL. "201
empire sVHendra jusqu'à rexlréme Occident; moi vi lous les
membres de la famille ^himyarile, nous serons les esclaves,
et le secours que tu m'auras prêté sera pour nous comme une
aumône. Ce discours plut à Nouschirwân et lui toucha le cœur;
ses yeux se remplirent de larmes. Dsou-Yezen avait une barbe
blanche, car il était très-vieux. Nouschirwân lui dit : 0 vieil-
lard , lu as fort bien parlé et tu m'as touché le cœur ; je sais
la violence que tu as soufferte, et c'est la douleur qui t'a
inspiré tes paroles. Cependant la justice et la bonne politique
exigent qu'un roi veille d'abord sur son propre pays et qu'en-
suite il en recherche un autre. Ton pays est très-éloigné du
nôtre, et séparé de lui par le désert et le MIedjàz ; de l'autre
côté, est la mer avec ses dangers; et envoyer les troupes dans
le désert serait risquer leur vie. Voici mon royaume qui est
devant toi; reste ici et détache ton cœur de cet autre pays;
tout ce que je possède en fait de pouvoir et de biens, prends-
en la part. Ensuite Nouschirwân le fit revêtir d'une belle robe
et lui fit donner dix mille dirhems. Dsou-Yezcn prit la bourse
de dirhems, sortit dû palais et les dispersa sur la voie, et les
hommes les recueillirent. Quand il arriva à sa demeure, il ne
lui restait rien. On en informa Nouschirwân, qui dit: Il faut,
que ce soit un prince pour avoir le cœur si haut placé. Le
lendemain, Nouschirwân donnant audience publique, Dsou-
Yezen s'y rendit. Le roi lui dit : 0 vieillard, les hommes
ne font pas des dons des rois ce que tu as fait hier de ces
dirhems, en les dédaignant et les dispersant, de façon à n'en
plus avoir quand lu es rentré chez toi. Dsou-Yezen dit : 0
roi, j'ai agi ainsi pour rendre grâce à Dieii de ce qu'il m'a
fa il voir la face du roi et de ce qu'il m'a accordé de te parler.
Dans l'endroit d'où je viens, le sol est tout d'or et d'argent;
dans ce pays, il y a peu de montagnes qui ne renferment des
:>08 CHRONIQUE DE TABARI.
minoK (l'or vi clos mines (Fai^cnt. En quittant la cour du roi
sans obtenir de lui aide et assistance, si je n'emporte pas ses
cadeaux, mes regrets et ma douleur seront moindres. Le cœur
de Nouscliirwân fut touché et il dit : Ne f éloigne pas, preods
patience, afin que j'avise sur ce que tu demandes, et que je
puisse te faire partir conformément à ton désir. Il lui fit des
présents et le tint en grand honneur. Dsou-Yezen demeura
dix ans à la cour de Nouschirwân , et il y mourut.
Saïf, fils de Dsou-Yezen, grandit auprès d'Abraha, avec
les fils de ce dernier, qui le considérait comme l'un de ses
propres fils, et Saïf croyait être le fils d'Abraha. Lorsque
celui-ci périt et que Yaksoum monta sur le trône, Saïf occupait
auprès de lui le mc^me rang que Masrouq. Yaksoum régna
quatre ans, puis il mourut. Masrouq, qui lui succéda, montra
du mépris pour Saïf. Un jour, qu'ils s'étaient pris de querelle,
Masrouq, dans la discussion, dit à Saïf : Malédiction sur toi
et sur celui qui t'a engendré! Saïf, bouillonnant de colère,
entra dans l'appartement de sa mère et lui dit : Qui est mon
père? Sa mère répondit : Abraha, le père de Yaksoum et de
Masrouq; je n'ai pas eu d'autre mari que lui. Saïf répliqua :
Tu mens; car Masrouq m'a jeté une malédiction, à moi et à
mon père, et personne ne maudit son père; s'il ne savait pas
quelque chose sur ma naissance, il n'aurait pas parlé ainsi.
Ensuite il tira son épée et dit : Dis-moi la vérité, dis qui était
mon père, sinon je m'enfonce à l'instant cette épée dans le
ventre, de façon qu'elle sorte par le dos. Sa mère se mil à
pleurer, lui enleva l'épée des mains, et lui dit le nom de son
père, lui raconta son propre enlèvement par Abraha, le dé-
part et le séjour de son père à la cour de Nouschirwân , et sa
mort. Ayant entendu cela, Saïf salua sa mère, prit son épée
et un cheval et quitta le Yenien. Il voulait se rendre à la cour
PARTIE II, CHAPITRE XL. . 209
(le Kesra, mais, »q rappelant la morl de son père à cette
cour, il alla à la cour du (^^sar. La il dit au César qui il était
et quelle était son origine, et lui raconta l'oppression et les
actes de cruauté que les habitants du Yemen avaient à souffrir
de la part des Abyssins; puis il lui demanda du secours.
Le César dit : Ce sont mes coreligionnaires, je ne fais pas
la guerre contre eux; si tu veux, je te donnerai une lettre,
pour que, si tu as essuyé quelque tort, ou le répare. Ton père
est déjà venu, et je lui ai donné la même réponse. Saïf ré-
pliqua : Si j'avais su que mon père avait quitté ta cour avec
une déception, je n'y serais pas venu. Il se rendit de là à la
cour de Kesra, disant : Si auprès de lui je ne trouve pas
d'assistance, je me placerai sur la tombe de mon père et j'y
moun*ai. Arrivé à la résidence de Nouscbirwân , il y resta un
an sans pouvoir trouver accès auprès du roi. Chaque jour il
allait au palais , les portiers et les gardiens le connaissaient
et chacun savait qu'il était le fils de Dsou-Yezen, le Yéménite ;
mais personne n'osait parler de lui devant Nouschirwàn. Au
bout d'un an, un jour, Kesra, étant monté à cheval, sortait
du palais; Saïf se précipita au-devant de lui et dit : Salut à
toi, d roi juste et puissant, de la part d'un prince méprisé et
misérable, qui, espérant en toi, a passé déjà un an à ta cour.
Kesra le regarda et fit avancer son cheval, et personne n'osa
lui en parler. Quand il rentra , Saïf l'aborda de nouveau et
lui adressa les mêmes paroles, et ajouta : La renommée de ta
justice est répandue dans le monde entier; j'ai un héritage à
réclamer de toi, daigne me rendre justice. Kesra rentra dans
le palais, descendit de cheval, fit appeler Saïf, et lui dit :
0 jeune homme , quel est l'héritage que tu as à réclamer de
moi ? L'autre répondit : Je suis le fils de ce vieillard yemenite
qui est venu à ta cour, et qui a imploré ton assistance contre
210 CHRONIQUE DE TABARI.
ses ennemis. Tu la lui as promise, et, dans cel espoir, il esl
resté dix ans dans celle résidence, el il y est mort, sans voir
réalisées les espérances que In lui avais données : il me les
a légnées; daigne accomplir ta promesse pour moi. Nouscliir
wàn eut pitié de lui et lui dit : 0 Gis, lu dis vrai ; j'aviserai sur
Ion affaire, prends patience. Ensuite il lui fit donner dix mille
dirliems. Saïf, de miïme qu'avait fait son père, les dispersa
sur la voie, et, quand il rentra dans sa maison, il ne lui en
restait rien. Le lendemain, Kesra lui dit : Pourquoi as-tu dis-
perse Targentsur la voie? Saïf lui répondit: 0 roi, dans la ville
et dans le pays d'oii je viens , le sol est couvert de dirliems; j'ai
répandu cet argent sur la voie pour montrer que, si le roi me
prête assistance et que je rentre dans mon royaume , je cou-
frirai celle ville d'argent. Kesra dit : Je reconnais que lu es le
Gis de ce vieillard ; car ton père a fait la môme chose, et quand
je lui en fis des reproches, il me donna la même réponse. Pa-
tiente jusqu'à ce que j'aie arrangé Ion affaire selon ton désir.
Le lendemain, Kesra réunit les généraux, les conseillers et
les mobeds, et leur dit : Je ne peux pas me soustraire à la né-
cessité de préler aide à ce jeune homme; cependant je ne peux
pas aventurer l'armée dans le désert. Qu'en pensez-vous? Dites-
moi voire opinion : y a-t-il quelqu'un dans l'armée qui me
fasse abandon de sa personne el qui veuille aller? Tous ceux
de l'armée se turent. Puis le grand mobed dit : J'ai à cet égard
une idée, que j'exprimerai, si le roi l'ordonne. Le roi dit :
Parle. Le mobed dit : H y a dans les prisons du roi une foule
de gens condamnés à mort. Envoie ceux-là : s'ils périssent,
tu seras délivré d'eux; et s'ils remportent la victoire, tu auras
un royaume el tu leur accorderas leur grâce. Ce conseil plut à
Nouschirwàn , el il approuva le mobed. On examina le registre
des prisons, el on y trouva huit cenls personnes condamnées
I
PARTIE II, CHAPITRE XL. 211
a morl. Nouschirwàn les fit sortir de prison et les envoya à la
côte ; pour que leur voyage fût plus facile, il fit préparer huit
vaisseaux, et monter dans chaque vaisseau cent hommes. Il y
avait dans son armée un homme nommé Wahraz, un vieillard
de quatre-vingts ans, qui était le plus habile archer de toute
la Perse. Dans sa jeunesse il était considéré par Nouschirwàn
comme égal en valeur à mille cavaliers, et quand le roi l'en-
voyait quelque part, il disait qu'il avait expédié mille cavaliers.
Mais alors il était devenu faible et impuissant, et ses sourcils
étaient tombés sur ses yeux. Nouschirwàn le fit venir et le
plaça à la tête de ces huit cents hommes, qui étaient tous
archers. Il leur fit donner des armes et tout ce qui leur était
nécessaire, des bétes de somme, des vêtements et de Targent.
Nouschirwàn fit partir avec eux Saïf. Quand ils furent au
large, deux des vaisseaux échouèrent, et deux cents hommes
furent noyés. Les autres arrivèrent enfin h ^Aden, située au
bord de la mer, où ils débarquèrent.
Lorsque Masrouq en fut informé, il y envoya des espions;
il fut fort étonné quand il apprit que ces troupes étaient en
si petit nombre, et il les méprisa. C'est pour cela que Ton
a dit rrquil ne faut pas mépriser un petit ennemi.?) Ensuite
Masrouq envoya un messager à Wahraz et lui fit dire : Tu es
dans une illusion ; ce garçon t'a trompé ainsi que le roi de
Perse. Mais tu es un homme vieux; si tu ne savais pas ma
force et la force de mon armée, apprends à la connaître main-
tenant, et ne viens pas ici avec cette poignée de troupes, que
je suis honteux de combattre. Si tu veux t'en retourner, je
l'enverrai des vivres et des provisions, et te laisserai partir
en paix ; ou si tu veux rester avec moi , je te traiterai mieux que
n'a fait le roi de Perse. Wahraz lui fit répondre : Accorde-moi
un mois pour y réfléchir. U agit ainsi , pour faire reposer ses
*>i*i <;iiromqIjE i)k tabari.
tn>ii|M>s (*l puiir ooiii|iléter son arineiiienl; mais il a\ait lin-
leiitioii (lo ooiiibatUv. Masrouq lui fit dire : Tu as raison, ce»t
là la parole duii vieillard. Il lui accorda donc im mois, et lui
rn>oya du fourrage et des provisions. Wahraz ne les accepta
pas, et lui lit dire : Si je décide de le combattre, je ne pourrais
plus lo faire après avoir mangé ton pain; si je m'en retourne
<ui si je fais la paix avec loi, alors je les accepterai.
Ensuite Waliraz dit à Saïf : Quelle force peux-tu me pr^
ter? Saïf dil : Tous les 'Himyariles qui existent dans le Yemen
et tous les membres de la famille royale me sont dëroués; ce
sont des bommes vaillants et de bons cavaliers, montés sur
(les cbevaux arabes. Je les rassemblerai tous, et je combattrai
avec toi , côte à cdle ; nous vaincrons ou nous mourrons en-
semble. W aliraz dil : Ton aiTangement est bon. Alors Saïf
envoya un messager à tous les ^llimyarites qui existaient et
les appela aupi-ès de lui. Il vint cinq mille hommes. Au bout
d'un mois, Masrouq envoya un messager à Wabraz pour lui
demander quelle décision il avait prise. Wahraz lui fit ré-
pondre qu*il avait résolu la guerre.
Masrouq avait uik fds, auquel il dit : 0 fils, je suis honteux
d'aller attaquer cette poignée d'hommes; prends dix mille
hommes et livre-leur le combat. Si tu es victorieux , fais mettre
à mort tout ce qu'il y a de Yéménites [dans l'armée ennemie],
et fais prisonniers les Perses. Wahraz avait également un
fils, qu'il envoya avec les archers perses. Avant cette époque,
on n'avait jamais vu dans le Yemen tirer de l'arc. Quand les
deux armées furent en présence, les Perses envoyèrent une
grêle de flèches : les Abyssins eurent peur et reculèrent. Beau-
coup d'entre eux furent tués ; le fils de Masrouq fut égale-
ment atteint par une flèche et tué. L'armée de Wahraz ne
perdit pas un seul homme, parce que les Abyssins ne coni-
PARTIE 11, CHAPITRE XL. Jia
balleiit quavec Tépée el la laiice. Le fils de Waliiaz con-
duisit ses troupes à la jmursuite des fuyards; sou cheval le
porta au milieu des troupes abyssines, qui Tentoureieiil el
le tuèrent. Masrouq el Wahraz furent également affligés de
la mort de leurs fils. Wahraz mil le feu à ses vaisseaux el
les fit brûler, ainsi que tous les effets de Tarmée et loules les
provisions, sauf ce qui était nécessaire pour la nourriture d'un
jour; il réunit ses six cents hoinukes perses et leur dit: J'ai
l'ait brûler les vaisseaux, afin que vous sachiez que vous n'avez
plus de moyen de retour; j'ai fait brûler les effets, pour que,
si nous sommes vaincus, rien de ce que nous avons ne tombe
entre les mains de Tennemi; et j'ai fait brûler les provisions,
afin que vous sachiez qu'il ne nous reste à manger que pour
un jour. Si vous combattez, vous aurez de la nourriture en
quantité et vous trouverez le bien-êti'e; si vous ne voulez pas
combattre, je ne veux pas tomber entre les mains de l'en-
nemi, mais je m'enfoncerai Tépée dans le corps, pour mourir
de ma propre main , el vous verrez ce que vous deviendrez après
ma mort. Les soldats s'engagèrent solennellement et par ser
ment à combattre aussi longtemps que leurs âmes tiendraient
à leurs corps.
Le lendemain, Masrouq arriva avec cenl mille hojnmes de
troupes abyssines. Wahraz ordonna à ses compagnons d'ar-
mes de consommer les vivres qui leur restaient, de se placer
en ordre de bataille cl de bander leurs arcs. Wahraz tendit
son arc, qui était tel qu'il ne pouvait être tendu par une autre
personne, et demanda un bandeau, avec lequel il se couvrit
les sourcils, car ses yeux étaient devenus fiûbles. Puis il
dit : Montrez-moi Masrouq. On lui dit : Il est monté sur un
élépbanl, il porte la couronne, sur le devant de laquelle est
fixé un rubis rouge, qui brille comme le soleil. Wahraz vit le
2\à CHRONIQUE DE TABARl.
rubis de loin cl dit : Attendez; Fëléphant est une monture
distinguée, une monture royale; dans quelque temps , il en
descendra. On lui dit : Il est descendu de Téléphant, il a
monté un cheval et a sur la tête la couronne d'or. Wahraz
répliqua : Le cheval également est une digne monture, mon-
ture de roi. Ensuite on lui dit : Il est monté sur un mulet.
Wahraz dit : Le mulet est le fds de Tâne, et Tâne est la
monture des femmes. Maintenant donnez-moi mon arc. Il
saisit Tare, ajusta la flèche et dit : Tenez-moi la poignée de
Tare avec la main en face du rubis. Quand j'aurai décoché la
flèche, si Tannée ne bouge pas^ vous saurez que le coup à
manqué; alors vous me donnerez vite une autre flèche. Mais si
les soldats se remuent et entourent Masrouq, vous saurez que
la flèche Ta frappé et qu ils sont occupés autour de lui ; alors
tirez vous-mêmes tous à la fois et couvrez-les d'une grêle de
flèches. On ajusta donc la main de Wahraz visant le rubis,
et il tira. La flèche frappa juste le rubis, le brisa en deux
moitiés, pénétra dans la couronne et sortit par la tête de
Masrouq. Celui-ci tomba du mulet sur le sol, les troupes
s'ébranlèrent et l'entourèrent. Les soldats perses les couvri-
rent d'une grêle de flèches et en tuèrent un grand nombre.
L'armée abvssine fut mise en fuite. Saïf dit à Wahraz : Dans
l'armée abyssine il y a beaucoup de mes parents, des Arabes
et des membres de la famille royale, qui ont suivi Masrouq
par nécessité. Donne Tordre que ceux-là soient épargnés et
que Ton tue seulement les Abyssins. Wahraz ordonna de ne
tuer que les noirs et les Abyssins. Ce jour-là le massacre fut
tel, que pas un seul Abyssin n'échappa et que le sang coula
comme un fleuve.
Le lendemain, Wahraz prit toute sou armée et fit son
enhée dans Çan'â, la ville qui était la résidence de Masrouq.
PARTIE II, CilAlMTRE XL. 215
»
Il s y élaLlil, suisil les réncs du {rouverneaieiit, et Saïl' se tint
devant lui. Wahraz fit mettre à mort tous ceux des Abyssins
qu il y trouva. Ensuite il écrivit à Nouschirwân une lettre,
|)ar laquelle il lui annonçait sa victoire. Nouschirwân lui n^-
pondit : Remets le gouvernement du Yemen à Saïf , et reviens.
Wahraz plaça SaiT sur le trône et lui mit la couronne sur la
t4ite; et Saïf donna h Wohraz tant de richesses, qu'il en fut
confondu; il en envoya également à Nouschirwân, par Fen-
tremise de Wahraz, qui s'embarqua et s'en retourna.
Saiï résidait à Çan'â. Il avait un palais qu'on appelait
Ghoumdân, et qui avait été construit par les rois ^himyariles
et les Tobba% et les ancêtres de Saïf en avaient fait leur rési-
dence. Au haut de ce palais, il y avait un pavillon. Il n'y avait
pas dans je monde entier un édifice pareil. Saïf s'établit
dans ce pavillon, dans le palais de Ghoumdân, en possession
incontestée du royaume entier. Il fit mettre à mort tous les
Abyssins qu'il rencontrait, et les troupes arabes, *himyarites
et yemeniles obéissaient à ses ordres. Quelques-uns des Abys-
sins qui avaient sauvé leur vie et les jeunes gens dont les
pères avaient été tués furent réduits en esclavage par les
^Himyarites. Saïf, quand il sortait à cheval, se faisait précéder
par ses esclaves, portant des lances, comme c'était la cou-
tume abyssine; il ne leur imposa aucune autre charge que
celle de former sa garde et de marcher devant lui. Il composa
sa cour de l'armée arabe et ^himyarite, et envoya dans chaque
ville du Yemen un gouverneur et lieutenant, même dans le
^lledjaz, le désert et le territoire des Arabes.
Les Arabes de toutes les contrées se rendirent auprès de
Saïf pour le féliciter; il eut la main ouverte et combla les
hounnes de faveurs et de présents; aucun de tous ceux qui
se présentèrent devant lui ne s'en alla sans avoir reçu un
216 CHRONIQUE DE TABAHl.
cadeau. ^Abdou'l-Mottalib, avec les principaux Qoraïscliites,
vinl de la Mecque pour le féliciter. SalT était en possession
incontestée du royaume, puissant et en paix; il répandait la
justice et faisait exécuter les lois; tous les habitants de race
yemenite se reposaient sur lui. Chaque jour, des poètes
venaient de tous les côtés, lui apportant des poésies pour
le féliciter. Un poète nommé Omayya, fils d'Abou'ç-Çalt, de
la tribu de Thaqif, Ta loué dans une pièce de vers dont
Mo^hammed ben-Djarir na rapporté que deux ou trois vers,
et que nous allons donner en entier :
Ceux-là réussiront daos leurs desseins qui ressemblent au fils de Dsou-
Tezen. Il aborda la mer pour préparer la perte de ses ennemis.
Il alla trouver Hcraclius; car ils sY-laient emparés des demeures de ses
compatriotes; mais il n^obtint de lui rien de ce qu'il sollicitait.
Ensoile, après un grand nombre d'années, il se rend auprès de Kesra,
après de longues pérégrinations.
Enfin il revient, amenant des braves qu'il poussa tant que, par ma vie!
tu aurais allongé tes pas.
Par Dieu! voilà une troupe de braves, dont lu ne trouverais pas les pareils
parmi les bommcs.
Forts, de condition supérieure, resplendissants, chefs, lions, élevés, dans
leur jeunesse, dans les forêts marécageuses.
Qui est pareil à Kesra, le roi des rois, à qui des rois sont soumis; ou
pareil à Wabraz, le jour du combat, dédaigneux?
Ils tirent de leurs arcs des flèches nombreuses comme des épis; ils lancent
avec un bruit formidable les projectiles.
Tu as déchaîné ces lions sur les chiens noirs, et, au milieu du jour, les
cadavres de leurs fugitifs couvraient le sol.
Amuse-toi à boire, la couronne sur la télé, appuyé sur le lit, au haut du
Ghoumdân, qui est ta demeure.
Réjouis-toi bien longtemps; car ils sont morts maintenant, et livre-toi à
un sommeil paisible, enveloppé dans ton manteau.
Voilà ce qui convient aux braves, et non dpux coupes do lail, qui, mélo
Rver de l'eau , gp transforme bientôt en urine.
PARTIE II, CHAPITRE XLI. 217
Le poêle veut dire par ces vers : Ce que lu as fait constitue
la mémoire glorieuse qui resle des grandes actions des rois
dans le souvenir des hommes. Tu as recouvré le trône perdu,
depuis soixante el dix ans , par tes pères. Celui-là sera vraiment
roi qui sera comme toi, et non comme celui qui reste en
place, recueillant Thérilage de ses pères et qui vit à son aise,
dans Toisiveté, et qui jouil et qui meurl et perd le pouvoir,
comme ce fut le cas de Masrouq, fils d'Âbraha. En effet, il
faut qu'un roi se montre vaillant el qu'il laisse après lui une
bonne renommée; il faut qu'il jouisse de hauts faits et non
de bien-être.
Maintenant nous allons raconter Thistoire du règne de
Saïf, fils de Yezen.
CHAPITRE XLI.
HISTOIRE DL REGNE DE SAÏF, FILS DE DSOU-YEZEN , DANS LE YEMEN«
Saïf étant sur le trône, il ne restait dans le Yemen au-
cun Abyssin, excepté quelques-uns dont les pères avaient été
tués, qui avaient été réduits en esclavage et qui, armés de
piques, marchaient devant le roi. Il n'y avait qu'un seul vieil*
lard, faible et décrépit; tous les autres étaient des jeunes gar-
çons qui n'étaient pas encore en état de porter les armes.
Des années se passèrent ainsi sur le gouvernement de Sak'f ,
qui envoya a Nouschirwân un ambassadeur avec de riches
présenta et entretenait toujours de bons rapports avec lui.
Il traitait avec bonté les Abyssins qui formaient sa garde et
qui étaient jour cl nuit à son service, et se reposait entière-
ment sur eux.
Un jour, il étail allé a la chasse, ot ces Abyssins avec leurs
218 CHRONIQUE DE TABARl.
piques marchaient devaul lui. La chasse terminée, il Taisait
courir son cheval, seul; sa suite était restée en arrière, les
Abyssins [seulement] marchaient à côté de son cheval. Quand
ils furent éloignés de la suite, ils entourèrent Saïf et le tuè-
rent, et dispersèrent toute sa suite. De tous côtés, les Abys-
sins reparurent et tuèrent un grand nombre d*^Himyarites,
des habitants yemenites et des parents de Saïf. Quelques-
uns prétendent que le règne de Saïf avait duré un an; mais
d'autres disent qu il avait eu une durée de sept ans. Après sa
mort , il se passa un certain temps sans que personne occu-
pât le trône, et Ton ne reconnut Tautorité de personne.
Nouscbirv^ân, irrité à la nouvelle de ces événements, en-
voya de nouveau Wahraz dans le Yemen avec quatre mille
hommes, et lui ordonna de mettre à mort tous les Abyssins
qui se trouvaiejit dans le Yemen, grands et petits, hommes
et femmes; de tuer également les femmes enceintes, tous ceux
qui avaient les cheveuK crépus et ceux [d entre les Yéménites]
qui portaient de raiïeclion aux Abyssins ou qui avaient de
rinclination pour eux. Wahraz vint dans le Yemen et fit
ainsi. 11 écrivit à Nouschirwân : J'ai exécuté tout ce que tu as
ordonné, et j'ai purifié le Yemen des Abyssins et de leur
race. Nouschirwân lui adressa une lettre de félicitations, lui
disant : Tu as bien faiL 11 lui confia le royaume du Yemen.
Wahraz y resta quatre ans, puis il mourut II avait un fils
nommé Merzebân, à qui Nouschirwân conféra la royauté du
Yemen, et qui, jusqu'au moment de la mort de Nouschirwân ,
lui envoyait chaque année un tribut Après plusieurs années
Merzebân mourut également, laissant un fils nommé Sab-
'hân, à qui Hormuzd, fils de Nouschirwân , confia le royaume^
Il mourut après avoir gouverné plusieurs années, et laissa un
fils, nomuké Khour-Khosrou. Hormuzd l'investit de la royauté
PARTIE II, CHAPITRE XLII. 219
(lu Yemen; mais, quelques années après, il fui irrité contre
lui cl envoya quelqu'un dans le Yemen pour le faire enchatner
et le ramener en Perse. On le ramena dans une litière, et
Hormuzd voulut le faire mettre à mort. Un des grands de
la Perse avait un vêtement qu un jour Nouschirwân lui avait
donné comme une robe d'honneur. Cet homme apporta ce
vêtement et le jeta sur la tête de Khour-Khosrou. Hormuzd
répargna par respect pour ce vêtement. Il envoya dans le
Yemen un autre homme, nommé Bâdsân, qui fut roi du
Yemen jusqu'à Tavénement de notre Prophète, et qui vécut
durant toute la carrière ^u Prophète. Les habitants du Yemen
se convertirent à Tislam, et le Prophète y envoya Mo^àd, fils
de Djabal, pour y gouverner et recevoir leurs impôts.
Tous les événements que nous venons de rapporter, depuis
Ihistoire de Téléphant jusqu'à l'histoire de Masrouq, se pas-
sèrent du temps de Nouschirwân, dont le règne dura qua-
rante-huit ans. L'ère de rÉléphant commença alors qu'il s'était
écoulé quarante-deux ans du règne de Nouschirwân, ou, d'a-
près d'autres, trente-deux ans. Notre Prophète est né dans
l'année de l'Eléphant, pendant le règne de Nouschirwân, et
il a commencé sa prédication sous le règne d'Hormuzd, fils
(le Nouschirwân.
CHAPITRE XLII.
HISTOIRE DC RÈGNE ET DE LA GRANDEUR DR NOUSCHIRWAN.
Nouschirwân , après avoir placé Saïf , fils de Dsou-Yezeu ,
sur le trône, et après être ainsi devenu maître du Yemen,
voulut également acquérir la Syrie, afin que le Yemen fût
relié à l'Iraq. 11 y avait dans Roum un roi nommé Justiuien.
Nouschirwân dirigea une armée contre Roum. Le roi de Roum
220 CHRONIQUE DE TABAIU.
envoya vers lui uu ambassadeur el demanda ia paix. Nouschir-
wân conclut la paix, en mettant pour conditions que Roum,
la Syrie et Tlràq lui appartiendraient; une partie de T^Irâq,
le ^Hedjâz et le désert appartenaient déjà à Nouschirwân. En-
suite le roi de Koum lui envoya des présents.
Le roi de Koum avait dans la Syrie un vassal, nommé Dja-
bala, fils d'Aïham, de la famille des Gbassânides, qui avaient
possédé anciennement le royaume de Syrie. Nouscbirwân avait
donné le commandement des Arabes à Moundsir, et Tavaif
fait résider à 'Hira. Moundsir avait le gouvernement de la
Mésopotamie, de ^Hira, de Mossoul, du ^Hedjâz, duTiliâma,
de r^Irâq, de Tàïf et de T^Omân; et Fempire de Nouschirwân
s'étendait depuis T^Irâq jusqu'au Yemen, sans interruption,
du côté du désert et du ^Hedjâz. Cet état de cboses dura pen-
dant deux ans. Ensuite Djabala, gouverneur de Syrie, mou-
rut, et le roi de Roum lui donna pour successeur son fils
Khâlid fils de Djabala. Khâlid, avec une nombreuse troupe,
fit des invasions sur le territoire de Djezira, le territoire de
Moundsir, y fit périr beaucoup de monde et emporta un riche
butin. Moundsir informa de ces faits Nouschirwân, en lui
demandant Tautorisation de faire la guerre au gouverneur de
la Syrie. Nouschirwân écrivit au roi de Roum en ces termes:
Ton commissaire de Syrie a fait des invasions sur mon ter-
ritoire; je suis certain que cela s'est passé d'après tes ordres;
ordonne qu'il rende à Moundsir les biens enlevés et qu'il
paye l'amende pour les hommes tués ; sinon je cesse d'obser-
ver la paix, et prépare-toi à la guerre. Le roi de Roum ne
tint aucun compte de cette lettre. Nouschirwân, de sa per-
sonne, sortit de T^Irâq avec cent mille hommes, et Moun-
dsir, avec cinquante mille hommes, se joignit à lui à Mossoul.
Ils se dirigèrent vers la Syrie, et prirent les villes de Damas,
PARTIE II, CHAPITRE XLII. 221
de Ho'lià (Édesse), Manbedj (Hiérapolis), César(Çe, Alep,
Antioche, Apamée et Émesse, villes de Syrie, faisant partie
de l'empire de Koum. Ils les d(5truisirent toutes et y firent un
riche butin. Le roi de Koum envoya un messager avec des
présents pour conclure la paix, et fit dire : Je n'ai pas mé-
prisé (a lettre, mais j'avais l'intention d'appeler à ma cour
Khâlid, (Ils de Djabala, qui a agi à mon insu, de le punir et
de le forcer à rendre le butin et les prisonniers, et à payer
l'amende pour les hommes tués. Mais tu m'as prévenu. Nou-
sqhirwân répondit : Je ne conclus la paix qu'à la condition
que les villes de Syrie et de Koum que j'ai prises resteront
en ma possession ; quant aux villes de Koum qui sont restées
à l'abri de mes attaques, je te les céderai pour une grande
somme d'argent. Le roi de Koum consentit, et abandonna
les villes de Syrie qui étaient entre les mains de Nouschir-
wân , et il racheta les autres en envoyant des sommes im-
menses. Nouschirwân retourna à Madâïn , dans l'Iraq. Il avait
donc la Syrie, Mossoul, la Mésopotamie, le désert, le *Hed-
jâz, le Yemen, Tâïf, Ba^hraïn, le Yemâma et T'Omân, l'in-
térieur des terres et la câte. Jamais aucun roi de Perse n'avait
possédé une telle étendue de territoire.
Ensuite Nouschirwân désira posséder également une cer-
taine partie de l'Indostan. Il fit marcher une nombreuse armée ,
ayant à sa tête un général renommé, vers l'Indostan, vers
Serândib , la ville où résidait le roi de ce pays. Nouschirwân
envoya cette armée dans POmân, en lui ordonnant de se
rendre de là par voie de mer à Serândib, pour attaquer le
roi de l'Inde. Celui-ci envoya un messager à Nouschirwân
avec des propositions de paix; il lui abandonna les contrées
voisines de T^Omân qui avaient déjà été cédées à la Perse
du temps de Bahrâmgour. Nouschirwân relira son armée de
^jtf. . Jl î ••'?*'. . *•.. i
' *^*A^^A^s^ ' ! 4M>«AI Ml* >• il ilimiMM Ji l'-i
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"tHHf^i^é^t'l iléi mtihU'êM ntàt* ll$|$^pùi ne lui pa» trop loud
|///M^ |i; ftttt^fH^httti) il mêfHHHê dit tuémis le* arbre». Il avait
nuhtmii^* du mttfimvi Um U*ni'it vhunua année et de prëlever
I Uh^iOl oMi iiiliiii i|M< Mumii t'Mliiy^H^H, labourées elensemen-
itUi*i. ni du lit» |iM)Ml I iui|{Mi' |Miiji' iiflluM (|ui étaient en friche,
il tistiW mdmimH miimI iIh lulliviu' lim lorroH en friche, afin
»|MM I lHM|Mii iMiMitii lu MiMiilirit iloN huTON culUvécH augmentât.
II •Miill iMiMMiniMit h liiUii lUi^Miloi lo uit»Nura|[e des (erres
<I«IM' I IhIi| immI» il un |IMl In llMM
PARTIE II, CIIAI»ÏTRE XLIII. 223
CHAPITRE XLIII.
COMMENT NOUSGHIRWÀN ÉTABLIT L'IHPÔT RT RENDIT LA JUSTICE.
Lorsque Nouschirwân fut sur le trdne, occiîpé à rendre son
empire florissant, et que son gouvernement fut fermement
établi depuis Torient jusqu'à Toccident, et qu'il chercha à
répandre la justice, la bonne administration et la culture, il
ordonna de reprendre le mesurage des terres ordonné par
Qobàd et de le terminer, afin d'établir Timpôt d'après l'étendue
des terres cultivées et des terres en friche. Il savait qu'il n'y
avait rien de plus juste et de plus profitable pour les sujets
que cette mesure. On acheva le mesurage, et l'on inscrivit
dans un registre toutes les terres cultivées de Plrâq et de la
Persidc, avec le nombre des charrues; et chaque charrue,
mesurée à la coudée, fut imposée d'un dirhem et d'une me-
sure de ses produits. Zohaïr ben-Abou-Solma , faisant l'éloge
de Nouschirwân , a dit à ce sujet :
On vous impose ce qui n'est pas imposé aux gens des villes dans TlrÂq,
en fait de boisseaux et de dirhems.
On mit également un impôt sur tous les arbres fruitiers
et sur les oliviers^ ainsi que sur chaque arpent de vignes la
redevance convenue. On imposa une capitation à tous les ha-
bitants étrangers à la religion du pays, aux juifs et aux chré-
tiens; les propriétaires d'immeubles furent également tenus
de payer une contribution personnelle, plus ou moins forte,
selon qu'ils étaient plus riches ou plus pauvres, depuis six
ilirhems jusque huit, douze, vingt-quatre et quarante-huit
dirhems. On n'exigea rion des femmes, des enfants et des
"l'ih CHRONIQUE DE TABARl.
vieillards au-dessus de cinquante ans. On dressa un tableau
de rimpôt pour chaque village, chaque ville el chaque pro-
vince, dans lequel élaienl consignés toutes les charrues, de
même que tous les arbres, et, pour la capitation, le nom de
chaque individu.
Ensuite Nouschirwân envoya un messager à tous ceu\
qui, dans Tlrâq et la Perside, étaient les principaux de leur
classe, aux propriétaires d'immeubles, aux généraux de l'ar-
mée, aux guerriers et aux principaux scribes, pour les ap-
peler à une réunion, à un jour donné, afin de leur présenter
les tableaux et d'établir l'impôt. Ils arrivèrent tous le jour
fixé, et Nouschirwân fit venir le grand mobed et les ministres,
s'assit sur le trône, mit la couronne sur sa tête, et tint une
cour publique pour tout le peuple; il lit asseoir ceux qui
avaient le droit d'être assis, et les autres, suivant la coutume,
restèrent debout. Ensuite Nouschirwân leur fit une allocu-
tion, adressant longuement des louanges à Dieu, faisant
l'éloge des anciens rois, ses aïeux, en mentionnant leur jus-
tice et leur bonne administration, et il dit : Comme Dieu
m'a favorisé plus que mes ancêtres, en ce qu'il a augmenté
mon empire, il est aussi nécessaire que la justice et la bonne
administration aient un développement plus grand que de leur
temps. Puis il ajouta : En considérant l'état du peuple et
l'état du royaume, j'ai acquis la conviction que le roi ne peut
pas se soustraire à la nécessité d'avoir son trésor, contenant
de l'argent, qui le mette à même de défendre ses sujets
contre les ennemis, de sorte que, si un ennemi l'attaque pour
s'emparer du pays et pour subjuguer les habitants, il puisse
envoyer une armée contre cet ennemi, pour le repousser
du royaume et pour préserver les habitants de ses atteintes.
Mais une armée ne peut pas être entretenue sans argent.
PARTIE II, CHAPITRE XLIII. 225
et col ai-genl, il faut le tirer des sujets. Si, au iiioiiieiU où
rarmée a besoin d'argent, on en exige des sujets subite-
ment, cela leur est une charge et ils en sont molestés. Il faut
donc l'exiger annuellement, le placer et le conserver dans le
trésor, afin qu'il existe au moment où Ton en aura besoin.
J'ai considéré que les contributions qu'on lève tous les ans
sur les sujets, et que Ton verse dans le trésor, ne sont pas.
réparties selon la justice. Déjà mes aïeux, avant moi, ont
voulu rétablir la juste proportion à cet égard, mais ils n'en
ont pas trouvé le temps : ils étaient avant tout occupés à raf-
fermir l'empire, et ils ont quitté ce monde avant d'arriver à
cet acte de justice. Mais Dieu m'a accordé un empire ferme-
ment établi et l'espace de vie nécessaire pour accomplir la
justice et l'équité. J'ai donc fait mesurer toutes les terres et
établi un impôt juste et équitable : sur chaque charrue de
terre cultivée un dirhem et une njesure de ses produits, soit de
froment, soit d'orge ou de blé; et, sur chaque arbre, une rede-
vance convenue. J'ai également imposé une redevance conve-
nue à tous les hommes étrangers à notre religion qui habitent *
notre pays et qui jouissent, eux, leurs familles et leurs biens,
de notre protection. J'ai fait dresser des tableaux de ces
impôts, que je veux vous faire connaître et que je veux rendre
obligatoires pour vous. Je veux choisir pour chaque ville un
lieutenant, un homme de confiance et sans reproche, et lui
ordonnerai de ne point commettre de tort, et de lever l'impôt
annuel en trois fois , tous les quatre nnois un tiers , afin que
le peuple le supporte plus facilement. Que vous en semble et
qu'en dites-vous? Le peuple resta silencieux, et personne ne
répondit. Après deux heures, Nouschirwân reprit la parole
et dit : Donnez-moi une réponse; car je veux introduire cet
impôt avec votre consentement, afin qu'il soit établi selon \a
II. *^
t2ù CIIROiNIQlK DE TABARl.
justice et ré{;ulièremeiil. Aloi*s so lova un homme qui u\'(ait
pas des gens marquants el que pei'sonne ne connaissait, qui
dit : 0 roi, rinq)dl est une chose durable et qui reste tou-
jours, tandis que Thomme est périssable; demain telle terre
pourra être inculte, mais elle reste frappée de Timpot. Nou-
schirwàn répliqua : Ne dis pas de hètises; tu ne sais pas ce
que tu dis. N'as- lu pas entendu que j'ai dit que je ferai
mesurer chaque terre tous les ans, que je ferai exempter de
rimpot celles qui seront incultes, et que, quand un homme
aura perdu sa terre, je ferai libérer sou nom de l'imposition?
Puis il dit : De quelle classe es-tu? Cet homme répondit :
De la classe des scribes. Le roi dit : Les scribes sont pré-
somptueux. Et il ordonna de le frapper sur la tète avec sou
encrier et de le tuer. Il y avait dans l'assemblée un grand
nombre de scribes, qui avaient tous apporté leur encrier.
Chacun frappa cet homme sur la tête avec son encrier, el ils
le tuèrent. Ensuite ils s'écrièrent tous : 0 roi, nous n'avons
pas de part à ces paroles; la dis|)Osition que le roi a prise
est bonne. Tous les assistants répétèrent : Le roi accomplit
la justice et Téquité; le roi a bien fait. Alors Nouschirwàn
fit apporter les tableaux et leur en fit faire la lecture. Tous les
approuvèrent el les acceptèrent. Ensuite il envoya dans toutes
les villes des agents qui recueillaient chaque année l'argent
el le versaient dans le trésor. Cette disposition se maintint
en Perse sous tous les règnes, jusqu'à l'époque oii le royaume
de Perse cessa d'exister, du temps d'^Omar, fils d'Al-Khal-
lab. Quand ^Omar eut conquis l'^lrâq et que les habitants eu-
rent accepté l'islamisme, il ne trouva aucune institution plus
juste que celle de cet impôt et du mesurage des terres, et il
la laissa subsister : elle s'est maintenue dans l'Mrâq jusqu'à
ce jour.
PARTIE II. CHAPITHK XLIV. 227
CHAPITRE XLIV.
/
ORGANISATION DR l/ARMRK.
Lorsque Nouschirwân eut bien terminé l'affaire de Tiinpôt,
il se dit en lui-même : Maintenant que cette affaire, qui con-
cerne lout te royaume, est terminée, il faut régler Temploi
de rimpôl, et, de même que je sais comment il entre dans
le trésor, il faut que je sache comment il en sort. L'argent
qui sort du trésor royal va à Tarméc; mais il y a du désordre
dans le payement de Tarmée; il faut le réformer également.
Alors il fit venir un liomme d'entre les grands scribes, âgé
et descendant d'une famille qui exerçait depuis un grand
nombre d'années les fonctions de scribe. Cet homme s'ap-
pelait Bàbek, fils de Airwân. Nouschirwân lui parla ainsi :
Le payement de l'armée se fait sans règle ; on donne de l'ar-
gent à ceux qui n'y ont aucun droit, et ceux qui ont un droit
légitime d'y prétendre en sont privés. Je veux réformer cet
abus. Je vais te confier les rôles d'inspection et de payement ;
tu donneras l'argent a ceux qui doivent le recevoir «t autant
qu'ils doivent en recevoir. Il y a dans l'armée des personnes
dont la solde ne doit se monter qu'à cent dirhems et qui en
reçoivent mille. Il y en a qui , n'ayant pas de cheval, reçoivent
cependant la solde d'un cavalier; d'autres qui ne savent pas
tirer de l'arc et qui reçoivent la solde des archers; tel qui ne
sait pas se servir de l'épée est payé comme un fantassin, et
tel autre qui n'a pas d'armure reçoit la solde des cuirassiers.
Tout cela est un préjudice pour moi; et, de même que je
ne fais pas tort au peuple, ni à l'armée, il ne faut pas qu'ils
me fassent tort. Je t'ai donc choisi pour le charger de celte
i;)
228 CIIRONIOIIE DK TABARl.
affaire, pour niollro tout à fart entre tes mains l'argent de la
solde, alin (jue tu en disposes souverainement. Je vais faire
préparer une grande place devant mon palais pour une revue;
c'est là que tu dois passer les troupes en revue. Assis sur un
siège élevé, fais défiler devant toi les soldats et fais-toi pré-
senter leurs chevaux, et inscris chaque homme sur le rôle,
que tu garderas. Exige que chaque homme se présente com-
plètement armé, avec une cotte de mailles et, par-dessus, la
cuirasse, allant jusqu'aux genoux; le casque sur la tête, avec
la chaîne, et des brassards de fer aux deux bras. Le cheval
doit être couvert d'une cotte. Chaque homme doit avoir une
lance, une épée, un bouclier et une ceinture au milieu du
corps, à laquelle sera fixée une massue de fer, qui pendra
du devant de la selle; derrière la selle sera le carquois, qui
contiendra cent soixante flèches de bois; du côté gauche sera
l'étui, contenant deux arcs, dont chacun doit être muni d'une
corde; il y aura deux autres cordes de rechange, afin que, si,
pendant le combat, la corde se brise, elle puisse être rempla-
cée. Ordonne que ces deux cordes soient attachées à l'arçon
de la selle et pendent par derrière, afin que tu puisses voir
que l'homme a son armement complet. Puis, quand tu auras
trouvé que l'homme a son armement complet, inscris-le, afin
que, chaque fois que tu l'inspecteras, pour lui payer la solde,
s'il lui manque un des objets de son armement, tu le refuses
et lui retiennes la solde. Après avoir examiné l'armement, fais
avancer l'homme dans Tarène devant toi, qu'il manie le che-
val, qu'il en descende tout armé et qu'il remonte sur lui, afin
que tu voies s^il est cavalier ou non , et à quel degré il sait l'art
de l'équitation. Puis ordonne-lui de détacher toutes les pièces
de son armement, pour voir s'il sait le faire. Alors, ^ raison de
son habileté et de sa force, fixe la solde de chaque homme.
PARTIE 11, CHAPITRE XLIV. 229
depuis ceul jusqu'à quatre luille dirhcius : ne lixe pas aux
l'antassins moins de cent dirhems, et aux cavaliers, quels que
soient leur appareil guerrier et le parfait état de leur arme-
ment, plus de quatre mille dirhems.
Nouscbirwân, ayant investi Bâbek de ces fonctions, lui
donna une robe d'honneur. 11 lit construire sur Tarène, de-
vant son palais, un grand pavillon pour Tinspection; il y fit
mettre un tapis brodé et un siège d'honneur de brocart brodé,
il dit à Bâbek : Prends-y place et passe Tarmée en revue.
Puis il fit proclamer par un héraut que toute l'armée eât à
se présenter devant Bâbek, quand et chaque fois qu'il l'or-
donnerait, et que la solde qu'il fixerait à chaque soldat serait
approuvée par le roi.
Le lendemain , Bâbek vint se placer sur son siège et fit
proclamer par un héraut : Quiconque veut recevoir la solde
du roi et que son nom soit enregistré dans les rôles se pré-
sentera au bureau avec son cheval et son armement com-
plet, comme s'il partait pour la guerre. J'exige de chaque
homme tel et tel armement. Que chaque homme prenne les
armes qu'il sait manier. Je vous accorde trois jours de temps,
afin que celui qui n'a pas son armement se le procure, et que
celui dont l'armement n'est pas complet' le complète, et que
chacun le produise le quatrième jour à la revue. Le quatrième
jour, Bâbek prit place sur le lieu de la revue, et loute l'ar-
mée s'y réunit. Il dit aux troupes : Rentrez, car celui qui
devait venir n'est pas venu. Les soldats se retirèrent. On en
informa Nouschirwân, qui apprit [en même temps] que les
chefs de l'armée n'étaient pas venus, taudis que Bâbek devait
les inscrire en tête des rôles. Le lendemain, les troupes arri-
vèrent, et Bâbek leur dit de même : Rentrez, car celui qui
devait venir n'est pas venu. Elles se relirèrent, et on en aver-
*i30 CHRONIQUE DK TABARI.
lit le roi, qui ue savait pas de qui Bâbek voulait parier. En-
suile Bâbek fit proclamer : Que demain toute Tarmée vienne
à la revue; que celui qui est investi de la royauté, qui tient la
couronne et le trône, se présente également; son nom doit être
placé en tête des rôles ; il faut que la solde qu'il reçoit du trésor
soit publiquement fixée; il fait partie de cette armée. Le roi,
averti , comprit alors qui Bâbek avait voulu désigner et dit :
C'est là une extrême régularité. Le lendemain, Nouschirwân
mit son casque sur sa télé et se couvrit de tout Tarmement,
tel qu'il avait été ordonné, mais il oublia les deux cordes de
Tare que chacun devait avoir pendues derrière soi. Il monta
à cheval et sortit sur la place de la revue, se présentant de-
vant Bâbek. Toutes les troupes y étaient réunies. Quand il
s'avança vers le pavillon, Bâbek se leva et lui dit : 0 maitre de
la couronne, du trône et du pouvoir, tourne ton cheval pour
que je t'examine. Il le regarda et ne vit pas les deux cordes.
Alors il dit : Quoique tu aies la souveraineté et le comman-
dement, à ce tribunal tu n'as pas de privilège, et je ne souf-
fre pas qu'il y ait un défaut à ton armement. Nouschirwân
dit : Quel défaut y vois-tu? Regarde. Puis' il se rappela les
deux cordes, les fit apporter de son palais et se les suspendit
sur le dos. Alors Bâbek inscrivit sur les rôles : Nouschirwân,
maflre de la couronne. Ensuite il dit : 0 maître de la cou-
ronne, je n'inscris personne, quelque grand, vaillant et bien
armé qu'il soit, pour plus de quatre mille dirhems; tu dis-
poses du pouvoir royal , lu as le trône sous toi et la couronne
est sur ta télé; il faut que le roi ait un préciput; de combien
veux-tu que je t'avantage? Nouschirwân dit : D'autant que lu
le jugeras convenable. Bâbek dit : Je t'accorde un dirhem de
plus» afin que le droit du roi soit satisfait et que le trésor u'aît
pas de donnnage. Nouschirwân dit : J'y consens. Bâbek Tins-
PARTIE II, CHAPITRE XLIV. 231
crivil donc pour quatre mille et un dirhems, et Nouscliirwân
rentra dans son palais. Les soldats commencèrent à redouter
Bâbek, disant : Puisqu'il ne ménage pas le roi, il ne ména-
gera personne, et comme il n'assigne pas au roi plus de
(|uatre mille et un dirhems, il n'avantagera personne. Bâbek
se mit à inspecter les troupes et à fixer à chacun la solde
selon qu'il le jugeait capable.
Le lendemain, il alla trouver Nouschirwân, qui était assis
sur son trône, la couronne sur la tète. Il baisa la terre de-
vaut lui et dit : U roi, je t'ai soumis à un examen si sévère
aiin que personne ne s'attendit à l'indulgence de ma part
pour un défaut dans l'armement; et je ne t'ai assigné qu'un
dirhem de plus, afin que personne ne s'attendit à recevoir
plus de quatre mille dirhems. Nouschirwân dit : J'ai apprécié
ton avis et suis content de ton procédé ;«i;ontinue de la même
façon de fixer la solde des troupes selon le mérite de cha-
cun; je te donne cette charge à vie. Il le combla de marques
de distinction et lui fit donner une robe d'honneur. Bâbek
sortit et termina la revue de l'armée. Les affaires de Nou-
schirwân, en ce qui concerne Tannée, les revenus et les dé-
penses, étaient ainsi en parfait état, et sa justice envers ses
sujets et envers l'armée était complète.
Dans la même année, des chacals parurent en Perse, de
ceux qu'on appelle en arabe ibn-awd, et qui n'avaient jamais
existé en Perse. Ils existaient dans le Turkestân , et c'est de
là qu'ils venaient en Perse, dans Tlrâq. Dans chaque village
et dans chaque ville, leurs cris terribles se faisaient entendre
pendant la nuit, et k lendemain les hommes ne voyaient rien;
ils avaient peur, pensant que ces cris étaient produits par un diw
qui était venu sur la terre. Nouschirwân eut également des ap-
préhensions; il fil venir le grand mobed et lui dit : Qu'est-ce
232 CHRONIQUE DE TABARI.
que ces cris ciifoii entend sur la terre, pendant la nuit, sans
que Ton voie ce qui les produit? Le mobed n^pondit : J'ai lu
dans certains livres que, quand le roi commet Tinjustice et
exerce l'oppression, il sort du ciel et également de la terre
un bruit tout comme les hommes l'entendent, sans rien voir.
Mais je ne sais rien en fait de justice envers les sujets et l'ar-
mée que le roi n'ait accompli , et j'ignore pour quelle cause
ce bruit se fait entendre. Cependant je pense que les fonc-
tionnaires de l'impôt font du tort aux citoyens et qu'ils eu
exigent plus que le roi n'a ordonné. Nouschirwân dit : Que
faut-il donc faire? L'autre répondit : Il y a dans chaque ville
un mobed et un docteur, des hommes sûrs et honorables. Il
faut écrire h ces hommes et leur envoyer les rôles de l'impôt,
aGn que, dans chaque ville, le mobed puisse, au moyen de
ces rôles, surveiller la gestion des receveurs et les empêcher
de prendre plus qu'il ne faut. Nouschirwân fil ainsi. Dans la
suite, les hommes établirent des pièges et prirent les cha-
cals; ils les portèrent à Nouschirwân, qui dit : Il est étonnant
qu'un être si faible ait une voix si terrible. Après cela , on ne
craignit plus les cris des chacals.
Nouschirwân régna en paix. Pendant son règne, notre Pro-
phète vit le jour; on dit que ce fut au bout de la quaran-
tième année de son règne, d'après d'autres, au bout de la
quarante-deuxième année; mais on est d'accord qu'il naquit
dans l'année de l'Eléphant. Le règne de Nouschirwân dura
quarante-huit ans.
PAUTIE 11, CHAPITRE \LV. 233
CHAPITRE XLV.
NAISSANCE DU PROPHETE.
Le Prophète a dit : vie suis ne du leuips du roi ^Adil
(Juste),?) qui est Nouschirwân. Ce fut dans Tannëe même
de rÉléphant, de Texpédition d'Abraha contre la Mecque,
que le Prophète vit le jour, le lundi, lé douzième jour du
mois rabi^a premier. Sa mère était Amina, fille de Wahb,
fils d'^Abdou'I-^Ozza , de la tribu de Zohra ; et son père était
'Abdallah , fils d^' Abdou 1-Mottalib , fils de Hâschim , fils d^' Abd-
Manâf. Quelques-uns disent que son père mourut pendant
que le Prophète était encore au sein de sa mère; d'autres
prétendent que Mo'hammed avait alors deux ans. Il y a, à
côté de la mosquée de la Mecque , une maison , qu'on appelle
aujourd'hui maison (Tlbn-Yousouf, qui appartenait à la mère
du Prophète. C'est dans cette maison qu'il naquit et demeura
jusqu'à ce qu'il reçût sa mission et aussi longtemps qu'il resta
à la Mecque. Quand il partit pour Médine, ^Aqil, fils d'Abou-
Tàlib, occupa cette maison sans l'aveu du Prophète, et la
vendit plus tard à un homme des Qoraïschites pour vingt di-
nars. A ce propos, le Prophète a prononcé une parole qui
est devenue proverbiale parmi les Arabes. Lorsque *Aqîl em-
brassa l'islamisme et vint à Médine, il dit au Prophète qu'il
avait vendu cette maison. Le Prophète en fut très-fâché «t
garda le silence. Lors de la prise de la Mecque, quand le Pro-
phète fit sou entrée dans la ville avec une nombreuse armée
oX qu'il fut près de la ville, il dit a ^\bbàs, fils d'^Abdou'l-
Mottalib : 0 mon oncle, dans quelle maison de la Mecque
descendrai-je? *Abbâs répondit : 0 Prophète de Dieu, dans
23A CHRONIQUE DE TABARi.
la maison où tu es né. Le Prophète dit : tr Est-ce que 'Aqii
lira laisse une maison ?7) Cette parole a été reçue parmi les
proverbes arabes. Quelques-uns disent que le Prophète, en
quittant la Mecque, rendit à ^Âqil la maison , qui resta dans la
famillede ce dernier jusqu à Tépoque de ^Haddjâdj , lils de You-
souf. Lorsque celui-ci assiégea ^Abdallah , fils de Zobaïr, dans
la ville de la Mecque, quil prit la ville et le tua, et quil fut
investi par ^ Abdou'l-Melik , fils de Merwân, de la souveraineté
du ^Hedjâz, de la Mecque et de Médinc, il y laissa son frère
MoMiammed, fils de Yousouf, comme son lieutenant et re-
tourna dans r^Irâq. Mo^hammed acheta cette maison des des-
cendants d'^Aqil et l'annexa à la mosquée. Cela resta ainsi
jusqu'au temps de Haroun ar-Raschid. Quand Haroun arriva
au califat, sa mère, Khaïzerâni, envoya de l'argent à la
Mecque pour faire restaurer la mosquée et Toruer, et elle or-
donna de détacher de la mosquée la maison d'Ibn-Yousouf.
A présent, cette maison est restée adossée à la mosquée;
on l'appelle maison d'ibn-ïousouf.
La mère du Prophète a raconté que, quand elle le portait
dans son sein et que, au bout de neuf mois, le temps de sa
délivrance approchait, elle vit, dans un songe, un ange des-
cendre du ciel, qui lui dit : Celui que tu portes dans ton sein
est le plus grand de tous les hommes et la plus noble de
toutes les créatures; quand tu en seras délivrée, donne- lui
le nom de Mo^hammed, et prononce ces mots : trj'ai recours
pour lui au Dieu unique contre la mauvaise influence de
tout envieux.^ Elle fit part de ce songe à ^Abdou'I-Mottalib.
Ensuite, dans la nuit où le Prophète vint au monde, sa mère
regarda et vit qu'il jaillissait de lui une lumière rayonnant
jusque vers la Syrie, et elle vil tous les palais de ce pays; el
la lumière sortant de lui rayonnait aussi vers le ciel et at-
PARTIE II, CHAPITRE XLV. 235
feignait les étoiles. Le lendemain, elle fit appeler 'Abdou I-
Moltalil) et lui raconta ce qu'elle avait vu. ^Abdou'l-Mottalib
donna à Tenfant le nom de MoMiammed.
Une autre tradition rapporte que, au moment de la nais-
sance du Prophète, toutes les idoles qui se trouvaient dans
la ville de la Mecque et dans le temple de la Ka^ba furent ren-
versées et tombèrent sur la face; et le feu des mages de tous
les pyrées, dans TArabie et dans la Perse, s'éteignit dans
cette nuit. Dans la même nuit, Nouscbirwân vit en songe les
tours de son palais renversées. Le grand mobed eut un songe
dans lequel il vit comment de grands chameaux vigoureux
luttèrent contre de petits chameaux arabes en petit nombre,
comment ils furent mis en fuite, comment les chameaux
arabes passèrent le Tigre, pénétrèrent dans la Perse et s'y
répandirent. Le malin, le mobed se leva et ne dit le songe
à personne; mais son cœur fut très-affligé. Le lendemain,
on reçut de la Perside la nouvelle que le principal feu s'était
éteint dans le pyrée, dans la même nuit que Nouschirwân
avait eu ce songe. Il y avait mille ans que ce feu ne s'était
éteint. Nouschirwân fut stupéfait et dit: C'est là une grave
nouvelle; il faut en avertir le peuple. Il réunit ses ministres,
les principaux officiers et les mobeds, leur raconta le songe
et leur fit lecture de la lettre qui était arrivée de la province
de Perse. Le mobed dit : Moi aussi j'ai eu, dans la même
nuit, un songe, dans lequel j'ai vu des chameaux. Et il ra-
conta son songe et ajouta : Un grand événement se passe
parmi les Arabes. Il viendra de là quelqu'un qui subjuguera
la Perse et qui triomphera de sa souveraineté et de sa reli-
gion. 11 nous faut quelqu'un des Arabes, connaissant leurs
traditions et leurs écrits, que nous puissions interroger à cet
égard. Nouschirwân écrivit aussitôt une lettre à No'màn, fils
236 CHRONIQUK DE TABAKI.
de Mouiidsir, lui disant : Envoie- moi un Arabe savant et
âgé, a6n que nous lui demandions quelque chose touchant
les traditions arabes.
Il y avait à *Hira un chrétien nommé *Abdou'l-Mesf h, fils
d'*Amrou le Ghassânide, descendant des rois de Syrie. Cet
homme avait déjà vécu trois cent soixante ans; il était très-
versé dans les anciennes traditions et avait lu beaucoup de
livres. Salfh, le devin du pays du Yemen, était son oncle, et
c'est de lui qu'il avait appris Tart de la divination. Norman,
fils de Moundsir, Tenvoya vers Nouschirwân et lui 6t dire :
C'est là rhomme le plus savant parmi les Arabes et le plus
chargé d'années. Nouschirwân lui raconta son songe et celui
du mobed et lui en demanda l'explication, ainsi que de la
cessation du feu des pyrées. *Abdou'l-Mesfh dit: Il surgira
parmi les Arabes quelqu'un qui portera la ruine et le mal-
heur en Perse. Je vais me rendre auprès de mon oncle Satf h ,
le devin du Yemen et de la Syrie, qui est le plus savant
homme de toute la terre ; je lui demanderai avis et viendrai
en informer le roi. Il se rendit donc en Syrie auprès de Salfh,
qui demeurait dans une ville située entre la Syrie et le Ye-
men. Quand il arriva auprès de lui, il le trouva au moment
d'expirer. Il lui dit : Je viens pour l'adresser une question.
Satfh dit : Tu ne viens pas de ton propre mouvement, mais
le roi de Perse l'a envoyé; Nouschirwân a eu tel songe, de
même son mobed; et le feu des pyrées s'est éteinl. 11 t'a fait
chercher et t'a demandé l'explication de ces faits, et tu ne
l'as pas sue; alors il t'a envoyé vers moi. Dis-lui : Il viendra
d'entre les Arabes un prophète dont le pouvoir et la religion
régneront en Perse ; la souveraineté de la Perse passera à son
peuple après sa mort; il y aura encore quatorze rois en
Perse, puis leur pouvoir cessera, et le pouvoir et la religion
PARTIE II, CHAPITRE \LV. 237
dt» ce prophète apparaîtront dans leur pays; le lemps est
arrivé où ce prophète doit naître, où il est déjà né. *Abdou'l-
Mcsfh retourna auprès de Kesra. En chemin, il récita en
hii-ménie une pièce de vers très-belle, dont on ne sait que
([uelques vers. Il dil :
Appréte-toi, loi qui es prompt et résolu! La peur et la prëoccupatiou oc
t'atteignent pas.
Si le royaume est perdu pour les enfants de Sâsân , c^est que la fortune
consiste en changements.
Dans leur demeure leurs attaques effrayent les lions féroces;
Eux , habitants du château , Mihrân et ses frères , et les Hormuzd , et Sclià-
pour et Scbâpour.
Les hommes sont enfants d'un même père; mais lorsqu'ib savent que quel-
qu'un est diminué, alors il est méprisé et abandonné par eux.
Ils sont ûls d'une même mère, quant à leur naissance; mais quelques-ims
sont favorisés par la Providence.
Le bien et le mal se trouvent rattachés ensemble ; mais le bien est à suivre,
le mal à éviter.
Quand ^Abdou l-Mesfh arriva auprès de Kesra et lui ren-
dit la réponse de Satf h , Kesra fut rassuré et dit : L'essentiel
est que rien n'arrivera de mon temps; jusqu'à ce que qua-
torze rois aient régné après moi , il pourra se passer beau-
coup de choses.
Le Prophète naquit, comme nous l'avons dit, dans la nuit
du lundi. Le lendemain, 'Abdou'l-Mottalib lui donna le nom
de Mo^hammed; car son père ^Abdallah était mort depuis
quatre mois, pendant que Mo^hammed était encore dans le
sein de sa mère. 'Abdou'l-Mottalib reporta l'affection qu'il
avait eue pour son Gis sur le Prophète. Les principaux habi-
tants delà Mecque avaient la coutume de donner leurs peliL«(
enfants en nourrice en dehors de la ville, pour les y faire éle-
238 CHRONIQliK DE TABARI.
ver, parce que l'air de la Mecque est pestilentiel , surtout en
été. Dans les montagnes du désert et du ^Hedjàz, à deux jour-
nées de la Mecque, demeuraient les Ben{-Sa*d-Len-Bekr-ben-
'Hawâzin-bçn-Mançour, des gens pauvres. Chaque année, à
l'époque du printemps, ils venaient à la Mecque, emportaient
les nourrissons qu'on leur confiait, les élevaient jusqu'à ce
qu'ils fussent grands et les rapportaient ensuite à leurs pa-
rents. Par l'air et le séjour dans leur pays, les enfants grandis-
saient el devenaient forts et apprenaient à bien parler l'arabe;
car la langue des Benî-Sa'd est la plus pure de toute l'Arabie.
Notre Prophète a dit : rrJe suis le plus éloquent des Arabes
et des Perses; je suis né de la tribu de Qoraïsch et j'ai ét^
élevé parmi les Benî-SaM.-^ ^Abdou'l-Mottalib attendit donc
que les femmes des Beni-SaM vinssent, pour leur confier
Mo^hammed. Mais il y avait encore quatre mois jusqu'à l'é-
poque de leur arrivée. Il avait chez lui une nourrice, nommée
Masrou^h, qui avait allaité ses fils, et qui, à cette époque,
venait d'accoucher. ^Abdou'l-Mottalib confia le Prophète à
cette femme, pour qu'elle le nouiTÎt pendant ces quatre mois.
Enfin les nourrices de Benî-SaM vinrent à la Mecque, avec
leurs enfants et leurs maris, pour prendre des nourrissons.
Cette année, la tribu des Benî-SaM, les foins ayanl manqué,
était dans une grande misère, et les femmes vinrent en plus
grand nombre.
Il y avait parmi elles une femme nommée ^Halîma, fille
d'Abou-Dsouwaïb, appelé ^4bdallah ben-al-^Hârith. Son mari
s'appelait *Hârith, fils d'^Abdou'l-^Ozza , fils de Rifà'a, el
était également des Benî^aM. Cette famille, composée du
mari, de la femme, d'un fils et de deux filles, était très-
pauvre. Il leur était né un autre fils vers l'époque où les
femmes de la tribu se rendaient à la Mecque avec leurs maris
PARTIE H, CHAPITRET XLV. 239
pour chercher des nourrissons. Alors ^Hah^ma dit à son mari :
Mène-moi à la Mecque, peut-êlre trouverai-je aussi un nour-
risson à élever, afin que noire position devienne meilleure,
'llârith avait une chamelle, qui lui donnait du lait, mais
en très-petite quantité, parce quelle était épuisée à cause
du manque de foin. Il possédait aussi une ânesse, faible et
petite , et quelques moutons. Il laissa ses moutons et ses deux
filles, nommées Tune Onaïsa, Tautre Djodsâma , sous la garde
de son fils aine, ^Abdallah, fit monter sa femme avec son
petit enfant sur Tânesse, et monta lui-même sur la chamelle;
ils partirent ainsi pour la Mecque, en compagnie des autres
femmes qui s*y rendaient. Ils n'avaient rien à manger en
route; ^Hârith se mita traire la chamelle, ei, pendant toute
la nuit, il ne put en tirer qu'une petite quantité de lait,
car elle était épuisée de faim. Il en prit un peu lui-même et
en donna un peu à sa femme, qui but et en donna à son
enfant. ^Hàrith et ^Halîma, sur la chamelle et Tànesse, res-
tèrent en route en arrière de leurs compagnons de voyage, à
cause de Tépuisement de leurs bêtes. Quand les femmes furent
arrivées à la Mecque, elles prirent chacune un nourrisson ; mais
aucune de celles à qui on présenta le Prophète ne voulut le
prendre, disant que c'était un orphelin, n'ayant plus de père,
et que la nourrice recevait du père différentes gratifica-
tions en dehors du salaire: donc elles ne l'acceptèrent pas,
et n'eurent pas confiance dans les bonnes paroles et les pro^
messes que leur fit ^Abdou'l-Mottalib. Celui-ci le présenta
aussi à 'Halima, qui le refusa également, disant : J'ai assez de
ma propre pauvreté, je n'ai pas besoin d'y ajouter un enfant
orphelin. Toutes ces femmes des Benî-SaM avaient trouvé
des nourrissons, excepté ^Halima. Les femmes se disposèrent
à s'en retourner; alors ^Halima dit : Je serai honteuse de voya-
2à0 CHRONIQUE DE TABARI.
ger avec ces femmes, qui toutes ont trouvé des enfants, moi
n'en ayant pas trouvé; je vais aller prendre cet enfant orphe-
lin, pour l'emporter; au moins, je n'aurai pas à avoir honte
devant les autres femmes. ^Halima, avec son mari, vint donc
auprès d"Abdou1-Mottalib, reçut le Prophète des mains de sa
mère et l'emporta. Le lendemain , ils partirent. *Halîma monta
sur l'ânesse , ayant le Prophète devant elle. L'ânesse marcha
rapidement et joyeusement et devança toute la caravane. Les
autres femmes dirent à ^Halîma : Qu'as-tu donc fait à cette
ânesse pour qu'elle marche si bien et qu'elle soit devenue
si vigoureuse? Le soir, quand on fit halte, ^Halîma trouva
ses deux seins pleins de lait, sans qu'elle eût rien mangé.
Elle donna le sein droit au Prophète et le sein gauche à son
fils, et les deux enfants furent rassasiés, au grand étonne-
ment de ^Haltma. Le mari se mit à traire la chamelle et en
tira tant de lait, que les deux enfants, le mari et la femme
en burent, et qu'il en resta. Le mari dit à ^Halîma : Cet
enfant nous a porté bonheur.
Quand ils furent revenus dans leur demeure, la bénédiction
attachéeauProphèteserépanditsureux. Chaque soir, leurs mou-
tons rentraient avec du lait, taudis que ceux des autres avaient
les pis secs. Les hommes dirent à leurs bergers : Faites paftre
les moutons là où paissent les moutons de ^Halima. I^s bergers
répliquèrent : Nous les faisons paître au même endroit ; mais
partout où les moutons de Mtalîma mettent leur bouche, il
apparaît de l'herbe, qu'ils paissent. Le Prophète grandissait
autant en un jour qu'un autre enfant en un mois, et en un
mois qu'un autre en un an. Quand il eut deux ans , ^Uaiima
le sevra, et la mère du Prophète envoya quelqu'un pour lui
rapporter l'enfant. ^Halîma fut très-affligéc , à cause de la
bénédiction et de la bonne fortune attachées au Prophète, qui
PARTIE H, CHAPITRE \LV. 241
sVlaienI répandues sur sa maison. Elle (irit reniant, le mena
à sa mère cl la pria de le lui laisser encore, en disant : Sa
bénédiction et sa bonne fortune se sont répandues sur ma
maison , et nous Taimons beaucoup. L'air de la Mecque est
malsain; je crains qu'il ne tombe malade. Elle la supplia et
pleura tant, que la mère du Prophète le lui laissa. ^Halfma
le reprit et le ramena chez elle.
Le Pro|)hète avait de cette nourrice un frère de lait. Un
jour, celui-ci alla faire paftre les moulons sur la montagne;
MoMiammed et d'autres petits garçons allèrent avec lui. Là,
après quelque tenq)s, quand la journée fut avancée, il se
passa un événement qu'on rapporte de deux manières. Les
uns prétendent que Mo^hammed était éveillé; d'autres, qu'il
dormait. Trois hommes velus de blanc descendirent du ciel ,
s'approchèrent de MoMiammed , le saisirent et le couchèrent
sur le côté, lui ouvrirent le venlre, en retirèrent lout le con-
tenu et y chcîrchèrent quelque chose. Son frère de lait et les
autres enfants, voyant cela, s'enfuirent et vinrent en criant
auprès de 'Halima, et lui dirent : Viens, on a tué MoMiammed.
'Halîma et son mari coururent sur la montagne, pour aller
trouver Mo^hammed. Lorsqu'ils furent en sa présence, ils
s'aperçurent que sa mine était altérée; ils le prirent, l'em-
A
brassèrent sur la léte et sur les yeux et lui dirent : 0 Mo'ham-
med, que t'est-il arrivé? Il répondit : Trois hommes, avec un
bassin et une cuvette d'or, sont venus, m'ont ouvert le
ventre, ont pris tous mes intestins et les ont lavés dans ce
bassin, puis ils les ont remis dans le corps, me disant : Tu
es né pur, maintenant tu es plus pur. Ensuite l'un d'eux a
plongé sa main dans mon corps, en a arraché le cœur, la
ouvert par le milieu et en a enlevé le sang noir, disant : (Test
la part de Satan, qui est dans tous les hommes; mais je l'ai
M . if)
242 CHRONIQUE DE TABAKL
ciilovoc (le ton sein. Knsuile il m'a remis le cœur à sa place.
L'un d'eux avait un anneau, avec lequel il m'a marqué, el le
troisième a plonjjë sa main dans mon corps, et tout a étd remis
en ordre. *Halîma prit Mo^hammed et le ramena à la maison.
Le mari de ^Haîîma dit à sa femme : Je crains que cet en-
fant n'ait eu quelque accès d<?moniaque; viens, que nous le
menions auprès d'un tel, devin très-habile , qui demeure dans
telle tribu; nous lui raconterons son histoire. S'il doit devenir
possédé, nous le rendrons à sa mère. Le lendemain, 'Halima
etsonmari se rendirent auprès du devin, emmenant Mo^ham-
med avec eux. ^Halima lui dit : Voilà un enfant que j'ai pris
à la Mecque, des Benî-Qoraïsch , et que j'ai élevé; maintenant
les dîws le tourmentent, comme s'il devait devenir un pos-
sédé; vois ce qui en est. Ce devin était idolâtre, ayant la
religion des Arabes. Il dit : Quel signe de possédé vois-lu en
lui ? ^Halfma lui raconta son aventure. Le devin répliqua :
Fais approcher l'enfant, pour que je l'entende lui-même,
car il doit mieux savoir son histoire. Ils firent approcher
Mo'hammed du devin, qui l'interrogea sur la manière dont
tout s'était passé, et Mo'hammed lui raconta ce qu'il avait vu.
Quand l'enfant eut terminé son récit, le devin se leva, prit
Mo^liammed sur sa poitrine et cria à haute voix : Arabes, ce-
lui-ci est votre ennemi et l'ennemi de votre religion et de vos
dieux; il changera votre religion et renversera vos idoles. Les
hommes de la tribu se rassemblèrent, et le devin leur dit :
Tuez -le et coupez-le en deux. 'Ilalîma se précipita sur lui,
lui arracha l'enfant et lui dit : Tu es beaucoup plus possédé
que cet enfant. Ensuite elle ramena Mo^bammcd à la maison.
Le lendemain, son mari lui dit : Viens , rendons cet enfant
en bon élut h sa mère, avant qu'il périsse entre nos mains;
car je lui vois beaucoup d'ennemis. Le jour suivant , ^Haltma
PAUTIK II, CHAPITHK XLV. s 2hZ
1*1 son mari raiDciièiT^nt Mo'hamined à sa mère, 'iialima lui
dil : Voici ton lils, (|iii a grandi, maintenant c'est à toi h le
{Tarder. La mère du Prophète répliqua : Tn avais montré tant
d'empressement à le ifarder; quVsl-il donc arrivé? L'autre ré-
|K)ndi( : Il n'est rien arrivé, mais les grands enfantai sont mieux
auprès de leurs mères. La mère du Prophèfe insista vivement
et lui dit : Il faut absolument que lu me racontes ce qui fest
arrivé et ce que tu as vu, et pourquoi tu me le ramènes. Après
beaucoup de pourparlers, MIalima lui raconta l'aventure,
ainsi que les paroles du devin. La mère du Pro|)hète dit : Ne
crains rien; personne ne pourra Iner mon fils, ef aucun dfw
ne pourra rapprocher. Quand je l'ai porté dans mon sein, j'ai
vu en songe quelqu'un qui m'a dit : Ces! le meilleur et le
|)lus grand de tous les hommes; quand il viendra au monde,
donne-lui le nom de Mo'hammed. El quand je fus délivrée,
je vis jaillir de lui une lumière qui rayonnait jusqu'aux étoiles
el jusqu'à la terre de Syrie, et je vis les palais de Syrie; puis
je regardai, l'enfant était couché sur le dos, tenant son doigt
élevé vers le ciel. La mère du Prophète reprit son enfant, el
'Maiima s'en alla.
La mère du Prophète avait à Médine des oncles et des
tantes des lîenî-Naddjàr. A Médine était /Pgalemenl la tombe
du père du Prophète, 'Abdallah, fils d"Abdou'l-Mottalib, qui,
au retour d'un voyage de commerce en Syrie, était tombé
malade à Médine et v était mort; il avait été enterré au ci-
melière de Médine, qu'on appelle Dâr-al-Nàbigha , et qui se
trouve à droite de la route, quand on vient du Khorâsân :
c'était au cinquième mois de la grossesse d' Amina. MoMiammed
était resté trois ans parmi les Beni'-SaM, et fut ensuite rendu
à sa mère, (|ui le garda jusqu'à l'âge de cinq ans. Alors elle
demanda à 'Abdoul-Mottalib la permission de se rendre à
2H CHRONÎQUK DE TABARI.
Mëdiiie pour voir ses oncles, leur présenter son lils, et pour
visiter la tombe de son père ^Abdallah. ^Vbdoul-Modalib y
consentit. Elle se rendit donc avec son 6Is à Médine. (Vêlai!
là le premier voyage du Propbète, qui resta a Médine avec sa
mère pendant un an, jusqu'à sa sixième année. Ensuile elbï
le ramena. Il y a, entre la Mecque et Médine, une slalion ap-
pelée Al-AbwàjOii Amina tomba malade et mourut. MoMiam-
med, resté seul, fut ramené par ses compagnons de voyage
auprès d'*Abdou1-Motlalib, (jui le garda jusqu'à ce qu'il eill
atteint Tàge de huit ans. Alors "Abdoul-Moflulib mourut,
laissant les fonctions de chef de la Mecque à Abou-Tàlib,
nommé aussi *Abdou'l-Manâf; il lui confia Mo^hammed. Abou-
Tâlib lui prodigua ses soins. Après un an, il se disposa à faire
un voyage en Syrie pour le commerce. Mo'bammed , ayant alors
neuf ans, le pria de le prendre avec lui ; mais Abou-Tâlib
n'y consentit pas, disant: Tu es encore un enfant. Et il le
confia aux soins de son frère "Abbâs. Lorsque Abou-Tâlib fut
sur le point de monter sur le chameau et qu'il prit congé des
gens, Mo^hammed se tint devant lui, pleura beaucoup et dit :
0 mon oncle, prends- moi avec toi. Le cœur d'Abou-Tâlib fut
touché, il le prit et l'emmena avec lui.
CHAPITRE XLVL
HISTOIRE DU MOINE BA^HÎrÀ.
Or ils arrivèrent près de Bassore, qui est la première ville
du territoire de Syrie. H y a aux portes de la ville un cou-
vent où résidait un moine nommé Ba^hirâ , qui avait lu les
anciens écrits et y avait trouvé la description du Prophète. Il
y avait près de là une station où s'arrêtaient toutes les cara-
PARTIK 11, CIIAPITRK XLVI. 245
vaiies qui y passaient. La caravane d'Abou-Tàlib y arriva pen-
dant la nuit. Quand le jour fut venu, laissant brouter les cha-
meaux, les gens se mirent à dormir. Mo^hammed était assis
et gardait leurs elTets. Lorsque le soleil devint plus chaud, un
nuage ayant la forme d'un grand bouclier vint ombrager la
tête du Prophète. Voyant cela, le moine ouvrit la porte du
couvent et en sortit; les gens de la caravane se réveillèrent.
Ba'hirà prit Mo^hammed sur son cœur et l'interrogea sur sa
position, sur son père, sa mère et sou grand-père. Mo^ham-
med lui raconta tout, ainsi que Thisloire des anges qui lui
avaient ouvert le corps, exactement comme cela sétiiit passé.
Ba^hirâ lui demanda ce qu'il voyait la nuit en songe, et
MoMiammedle lui dit. Tout cela s'accordait avec ce que Ba^hîra
avait trouvé dans les livres. Ensuite il regarda entre ses deux
épaules et y aperçut le sceau de la prophétie. Alors il dit si
Abou-Tâlib : Cet enfant que l'est-il ? L'autre répondit : C'est
mon fils. Bajhirâ dit : II est impossible que son père soit
vivant. Abou-Tàlib dit alors : C'est mon neveu. BaMiirà de*
manda : Uii le mènes-tu? L'autre dit : En Syrie. Ba^hirà dit :
Celui-ci est le meilleur de tous les hommes de la terre et le
Prophète de Dieu. Sa description se trouve dans tous les écrits
de l'ancien temps, ainsi que son nom et sa condition. J'ai
maintenant soixante et dix ans, et il y a bien longtemps que
j'attends sa venue comme prophète. Je te conjure par Dieu
de ne pas le conduire en Syrie, de peur que les juifs ou les
chrétiens ne le voient et ne le l'enlèvent. Ils ne pourront pas
le tuer, parce que personne ne peut enfreindre la décision
de Dieu ; mais il se peut qu'ils l'estropient des mains ou des
pieds ou du corps. Renvoie -le chez lui à la Mecque. Abou-
Bekr aç-Çiddi(|, qui était présent, dit à Abou-Tàlib: Ren-
voie-le à la maison, pour éviter ces dangers. Abou-Talib le
240 CHRONIQUE DE TAHARI.
renvoya sous la garde de Fun de ses esclaves, et Aboii-Bekr
envoya avec lui Belâl. Une tradition rapporte qu'Abou-Tâlib
retourna lui-même, renonçant à son voyaffe.
A ràjje de vingt-cinq ans, le Prophète (épousa Khadîdja,
qui était àfféc de quarante ans.
Maintenant je reviens à l'histoire des rois de Perse, el je
vais rapporfer le règne d'Hormuzd, fds de Nouschirwàn, el
des autres rois. Je» donnerai ensnite la généalogie du Pro-
phète.
CHAPITHK XLVIL
HISTOIRE Dl RÈGNK DUIORMLZD, FILS UK NOL.SCIIIRWÂN,
Lors de la naissance du Prophète, Nouschirwàn vivait en
core ; il mourut huit ans après. La couronne échut à son fils
Ilormuzd, dont la mère était la fille du Khàqàn des Turcs.
Lorsque Nouschirwàn demanda en mariage la Khàtoun, lîile
du Khàqtln, il lui envoya un messager. Le Khàqàn avait dix
filles, dont Tune était née de la grande Khàtoun, les autres
d'autres femmes. La grande Khàtoun était fille d'un des
rois turcs. Quand Tenvoyé de Nouschirwàn arriva, le Khàqàn
lui présenta ses dix filles; toutes étaient parées, sauf la fille
de la Khàtoun. Mais fenvoyé choisit celle-ci, en disant que,
si Nouschirwàn avait un fils, au moins il aurait une noble
origine; et il l'emmena. Nouschirwàn eut d'elle son fils Hor-
niuzd, qu'il fit élever avec soin et rendre apte à la couronne,
cl il le désigna pour lui succéder. Quand Nouschirwàn mou-
rut, Hormuzd monta sur le trdnc et se mit en possession du
gouvernement. Sa justice était telle qu'elle surpassait celle de
Nouschirwàn, et tout lui allait h souhait dans le royaume de
PARTIE II, CHAPITRE XLVII. 247
Perse/ Il protégeait les Faibles et contenait les oppresseurs,
de Caron à ce que le puissant et le faible fussent égaux et
(pie l'un n'osîil pas opprimer l'autre. Le monde fut rempli de
sa justice.
Cliaque année, Hormuzd se rendait avec sa suite de Plrâq
à DJnwer et à Nehàwend, pour y passer Tété. Quand il partait,
il faisait annoncer aux personnes de sa suite la défense de
laisser entrer aucun cheval dans les champs. Il avait chargé Tun
de ses principaux oflicicrs de l'exécution de cette défense, et
faisait punir (|uiconque n'y obéissait pas, afin que personne
n'eût ri souffrir du passage de son cortège. Or, une certaine
année, lors de son voyage, une bêle de somme de son fils
Parwiz entra dans un champ. Le propriétaire saisit le che-
val et l'amena a roOicier. Celui-ci n'osa rien faire, craignant
Parwîz. Alors le propriétaire du champ alla avertir Hor-
muzd, qui ordonna a l'oificier de faire couper au cheval la
(|ueue, la crinière et les oreilles, et de faire dédommager
le propriétaire par Parwîz. Celui-ci pria l'ollicier d'épar-
gner le cheval , disant : Je plaiderai ma cause devant Hor-
muzd. L'officier sursit à l'exécution des ordres du roi, et
tous les grands qui se trouvaient dans la suite du roi et
qui avaient de l'influence prièrent Hormuzd d'accorder la
grâce; mais ce fut en vain. Hormuzd fit couper au cheval la
queue, la crinière et les oreilles, et destitua l'ollicier, parce
qu'il avait hésitt^ à exécuter ses ordi-es, par respect pour son
fils.
Un autre jour, Hormuzd, se trouvant également en voyage,
accompagné de sa suite, un des principaux ofliciers s'appro-
cha d'une vigne, dont les ceps s'élevaient par-dessus le mur
d'enclos. C'était à l'époque des vendanges, et quantité de
grappes pendaient aux ceps. L'officier détacha une grappe de
248 ClIKOMQLf: DE TABAIU.
raisin (>t la mangea sur lo dos de son cheval. Lorsqu'on fit
lialle, le propriétaire de la vigne alla trouver l*oflicier et lui
dit : Tu in as causé un dommage, j'irai en informer Hor*
nmzd. L'oflicier lui oiïrit de I or, mais Taulre ne voulut pas
l'accepter; il lui offrit tout l'or et rar{[ent et lout ce qu'il
avait sur lui; mais le propriétaire n'accepta rien et dit quil
irait informer le roi. L'officier lui dit : Attends que mes eflet«
soient déchargés; je possède une ceinture brodée de perles,
(pie je te donnerai, l'^l il la lui donna; alors Iv propriétaire
fut satisfait.
On rapporte que les mobeds lirent au roi le rapport sui-
Nant : H y a parmi nous un grand nombre de juifs et de
(hrétiens; il faut les éloigner de iiolic [mys^. Ilormuzd ré-
pliqua : Il n'y a pas moyen d'éviter dans un pays la diver-
sité, et il convient que, dans un grand empire, il y ait des
lionmies de différentes conditions.
Jamais il n'y avail eu en Perse un roi aussi juste qu'Hor-
inuzd. Il avait seulement le défaut de rabaisser les grands,
sans égard pour leurs droits, et d'élever les pauvres et les
misérables au rang des grands, sous prétexte que ceux-là
n'opprimeraient pas les faibles. Quiconque faisait tort à un
faible était puni par Hormuzd; on dit qu'il fit mettre à mort
treize mille hommes des grands de la Perse pour ce motif.
Alors les chefs militaires qui gardaient les frontières se las-
sèrent; Tennemi s'empara des frontières , et l'empire commença
à décliner. Les frontières tout autour du pays devinrent la
proie des ennemis, et l'armée fut repoussée. Il vint du Tur-
kestan un roi, nommé Sawè-Schàh,quifut l'oncle d'Hormuzd
et qui avait succédé sur le trône au khàqàn, qui était mort. Il
franchit le Dji^houn avec trois cent mille hommes et vint h
Baikh , mit en fuite l'armée d'Honnuxd et s'empara du Kho-
PAnTIE 11, CHAPITRE XLVII. 249
ràsiin, tie ïàleqàn, du territoire de Uéràt et de Uiulegliis.
Le roi de Rouiii, avec cent mille hommes, s'avança de Toc-
cident et prit la Syrie; le roi des Kbazars s'empara des
conlréesS du côté de l'Arménie. Un Arabe, nommé 'Abbàs le
Borgne, et un autre, nommé 'Amrou al-Azraq, attaquèrent
les contrées de la Perside et les ravagèrent. Hormuzd, rési-
dant à Madâïn, au milieu de tiuil d'ennemis, réunit ses prin-
ripaux olHciers et les grands du royaume, et leur demanda
conseil. Chacun émit une opinion. Le roi ayant demandé
également l'avis du grand mobed, celui-ci dit : De tous ces
ennemis, le plus redoutable est le roi des Turcs; les autres
ne sont pas des ennemis sérieux. Quant au roi de Roum, il
revendique son droit, le territoire que Nouschirwàn lui a en-
levé injustement. Si tu le lui rends, il fera la paix avec toi.
Quant aux Arabes qui sont venus du désert, ce sont des gens
pauvres, poussés en ce lieu par la misère. Envoie-leur des
provisions, et ils s'en retourneront. En ce qui concerne les
Khazars, ce sont des maraudeurs, qui sont venus pour piller;
maintenant qu'ils se sont emparés d'un riche butin , écris à
(es lieutenants de tomber tous sur eux, et, de peur de perdre
leur butin, ils s'enfuiront. Mais pour les Turcs, qui sont
l'ennemi le plus sérieux, tu dois les combattre toi-même
avec ton armée , ou envoyer contre eux un général de valeur.
Hormuzd, approuvant ce conseil, fil comme le mobed l'avait
dit. Il envoya des ambassadeurs au César, et, pour conclure la
paix, il lui restitua toutes les villes que Nouschirwàn lui avait
enlevées. En conséquence, le roi de Roum s'en retourna.
Fuis Hormuzd écrivit à ses lieutenants dans l'Arménie et dans
l'Aderbidjan de chasser les Khazars de ces contrées. Il en-
voya dans h» désert des provisions et de l'argent par l'interr
niédiaire d'un honiuK* nommé Haudsa, fils d'Ali , de la tribu
250 chroniquf: de tabari.
de ^HaniTa, issu des princes du BaMiraïn et du Yemâma, et
très-considéré parmi les Arabes. On l'appelait Haudsa à la
Couronne, et voici pourquoi :
Lorsque Nouschirwân eut établi Wahraz dans le Yemen
comme vice-roi , après la mort de Saïf , fils de Dsou-Yezen ,
Wahraz lui envoyait chaque année le tribut du Yemen. Or,
une fois , cet envoi étant arrivé au territoire des Benî-Temîm ,
près du Yemâma et du Ba'hraïn, les Benî-Temim vinrent,
pillèrent ces trésors et dépouillèrent ceux qui les portaient.
Le chef de la caravane, ayant entendu dire que, dans le
Ba^hraïn, il y avait un chef nommé Haudsa, qui n'était pas
roi, mais prince du pays, et qui était fort riche, se rendit
auprès de lui. Haudsa le reçut bien, lui fit des gracieusetés
et des présents, et donna à tous ses compagnons des vête-
ments. Arrivés auprès de Nouschirwân , ces hommes lui firent
réloge de Haudsa, et îSouschirwàn lui écrivit une lettre par
laquelle il le remercia et l'invita avenir à sa cour. Haudsa s'y
rendit, fut reçu par Nouschirwân avec distinction et comblé
d'honneurs et de grâces. Nouschirwân lui remit une lettre
pour un homme qui était son lieutenant dans le Yemâma et
dans le Ba'hraïn, nommé Azâdrouï, et .que les Arabes du
BaMiraïn surnommaient A/otifca^Wr (le Bourreau), parce qu'il
faisait saisir les voleurs et leur faisait couper les mains et les
pieds, ce que les Arabes n'avaient jamais vu auparavant.
Dans cette lettre, Nouschirwân lui ordonna d'attaquer les
Beni-Temîm et de leur reprendre les trésors dont ils s'étaient
emparés; il ordonna à Haudsa de prêter secours h son lieu-
tenant, avec les hommes du Ba^hraïn. Haudsa quitta la cour
de Nouschirwân, comblé d'honneurs et de richesses, et se
rendit auprès du Mouka^bir, qui lui dit : Il faut châtier les
Benî-Temîm. Haudsa répliqua : I^es Benî-Temîm sont nom-
PARTIE II, CHAPITRE XLVII. 251
breux; nous ne pourrons pas leur tenir tête dans le combat.
Mais tous les an^ ils viennent, grands et petits, à Tc^poque
on les dattes sont mûres, dans le Ba^brain, pour acheter
des provisions, qu'ils emportent dans le désert. Ils ne peu-
vent pas se dispenser de venir. Patiente donc jusqu'à cette
époque; alors lu les saisiras tous et tu les mettras en prison,
afin de leur faire rendre sans combat ni peine les trésors
volés. Le Mouka^bir, dans une lettre, exposa cette situation
à IVouschirwân et lui (it part de Topinion de Haudsa. Nou-
scliirwan approuva ce conseil et répondit au Mouka^bir d'en
tenir compte, parce qu'il était bon. Us attendirent donc l'épo-
que de la récolte des dattes, et lorsque les BentTemim
arrivèrent dans le Ba'hraïn, le Mouka^bir les saisit tous,
les mit en prison et en tua un grand nombre. Ils rendirent
tous les objets volés et les envoyèrent, par l'intermédiaire
de Haudsa, à Nouschirwân. Celui- ci ^ très -satisfait, fit à
Haudsa de nombreux cadeaux, et lui donna des robes d'hon-
neur et un diadème monté d'or, de pierres précieuses, de
rubis et de perles, pour le mettre sur son front, et il le ren-
voya dans le Ba^hraïn, dont il laissa le gouvernement au
Mouka^bir. Les habitants du Ba^hraïn, qui n'avaient jamais
vu un diadème, pensèrent que c'était la couronne du roi do
Perse que celui-ci avait donnée à Haudsa, qu'ils appelèrent
pour cette raison Haudsa à la Couronne, Il existe quantité de
pièces de vers sur ce sujet. Haudsa demeura dans le Ba^hraïn,
enlouré de respect, jusqu'à la mort de Nouschirwân. Quand
Hormuzd monta sur le trône, il se rendit à sa cour et y resta
à son service. Lorsijue les Arabes du BaMiraïn vinrent ravager
les frontières du royaume, Hormuzd leur envoya des provi-
sions en grande quantité: des grains, de la farine, des dattes,
(les raisins et de l'argent, par Pinlermédiaire de Haudsa,
252 CHIiOMQUK DE TABAHL
à qui il prodigua des honneurs, et il lui donna le gouverne-
ment du Ba^hraïn. Haudsa partit et fil rentrer les Arabes dans
le Ba^hraïn, et le cœur d'Hormuzd fut délivré de ce souci,
ainsi qu'il fut délivré des deux autres ennemis, le roi de
Roum et les Khazars.
Ensuite Hormuzd convoqua les principaux officiers de
Tarmée, les mobeds et les conseillers, et leur dit : Dieu a favo-
risé nos affaires et éloigné do nous tous nos ennemis; il n'est
resté que Tannée de Sàwè-Schâh, qui s'est avancée dans le
cœur du pays. Qui pensez-vous qu'il convienne d'envoyer
contre elle? Tous furent unanimes que, pour cette affaire,
il n'y avait personne plus apte que Bahrâm-Tschoubîn.
Bahrâm était iils de Bahrâm, fils de ^Hasis, et tirait son
origine de Guerguin. 11 était né à Reï, d'une famille de princes
et de sipehbeds. Il était le plus vaillant homme de son temps^
de couleur foncée , de haute stature et sec : c'est pour cela qu'on
l'avait surnommé Tschoubin. Quelques-uns disent que son sur-
nom était Schoubîn, et non pas Tschoubin. Le nom de Schou-
bîn lui était venu de ce que, dans sa jeunesse, ayant pris paM
à un combat, il avait, aux portes de Reï, asséné à un homme
un coup qui le fendit en deux depuis la tôtc jusqu'aux arçons
de la selle; les hommes vinrent pour le regarder, et l'un dit
à l'autre : Va voir (schew-bîn) ce coup; ensuite ils donnèrent
à Bahrâm ce surnom. Le nom de Schoubîn est plus exact que
Tschoubîn. 11 n'y a que deux rois de Perse qui portèrent des
surnoms pour leur vaillance et leur courage: l'un est Bahrâm-
gour, et l'autre, Bahrâm -Tschoubin. Nouschirwân avait fait
venir Bahram-Tschoubin de Reï et lui avait confié le gouverne-
ment de l'Arménie et del'Aderbîdjân. Il l'avait nommé sipch-
bed et merzebân de Reï, et avait ajouté à son goiivernemcnl
le Djebâl, le Djordjân et le Taberistân, et il l'avait envoyé
PARTIE l[, CHAPITRE XLVIII. 253
(iaiis rArniéiiie. Quand llorniuzd était monte sur le trône, il
avait laissé à Bahràni le mémo commandement.
Donc, quand les hommes dirent à Hormuzd qu'il n'y avait
que Bahrâm-Tschoubin qui pût conduire celte guerre, Hor-
muzd répliqua : Pour aujourd'hui, retirez-vous, afin que
j'avise. Le lendemain, il les convoqua de nouveau. Tous pro-
noncèrent le nom de Bahràm el dirent : Il n'y a que lui que
Ton puisse envoyer.
CHAPITRE XLVIII.
HISTOIRE DE BAllRÀM-TSCIIOUBIN ET DE SES COMBATS.
Mo'hammed ben-DjanV n'a pas donné Thisloire de Bah-
ràm-Tschoubîn en entier. Je l'ai trouvée plus complète dans
le livre de l'histoire de Perse. Je vais la rapporter d'après ce
livre.
Lorsque, le lendemain, Hormuzd réunit les hommes elleur
demanda leur avis sur celui qu'il fallait envoyer contre les
Turcs, tous prononcèrent le nom de Bahrâm-Tschoubîn,
homme brave et chevaleresque. Or il se leva un homme au
milieu de l'assemblée, nommé SaMinân, l'un des hauts fonc-
tionnaires, qui dit : Que le roi ait longue vie! Le roi connait
sans doute mon père Mihroustâd et les fonctions qu'il a
remplies auprès de Mouschirwân. Maintenant il est vieux, il
reste à la maison et ne peut pas venir te rendre ses hom-
mages, parce qu'il est trop faible. Hormuzd répliqua : Je con-
nais bien ton père ; j'ai des obligations envers lui ; car c'est
lui qui fut envoyé par Nouschirwân auprès du Khâqân, mon
grand-père, pour lui amener ma mère. Sa'hnân dit: J'ai
raconté hier à mon père que le roi Hormuzd a convoqué les
254 CllliONIoUK UK TABARI.
grands, cl qu'il cherclh» quelqu'un qu il puisse envoyer contre
le roi des Turcs. Mon père m'a dit : Je sais à cet égard quel-
que chose que je communiquerai au roi, s'il me fait appeler
et m'interroge. Sur l'ordre d'Hormuzd , on alla le chercher
pour l'introduire au milieu de cette assemblée. Mai^, comme
il était très-faible et ne pouvait pas monter à cheval, on l'ap-
porta dans une litière. Hormuzd le traita avec honneur, le fit
asseoir et lui dit : Tu as de grands droits à ma reconnaissance;
c'est par ta diligence que ma mère fut amenée auprès de No.u-
schirwàn ; il est juste que je te demande conseil dans les cir-
constances qui sont survenues dans le royaume. Tu vois ce
(|ui m'arrive de la part de mes oncles et de mes parents;
après la mort du Khâqân , son fds a amené une année dans
mon royaume, sans égard pour ce qu'il me doit, mettant de
côté toute considération pour ma personne et pour notre pa-
renté. Maintenant il me faut quelqu'un pour l'envoyer contre
lui à la tète d'une armée. Que sais-tu à cet égard? Mihroustâd
(lit : Que le roi ait longue vie! Lorsque Nouschirwàn m'envoya
auprès du Khâqân, accompagné de hauts fonctionnaires et
d'ofliciers supérieurs, au nombre de cinquante, il lui écrivit
de me présenter toutes ses filles, afin que je pusse choisir
Tune d'elles. Le jour de mon arrivée, le Khâqân me donna
audience et me traita avec distinction et bienveillance. Le
lendemain, il me présenta toutes ses filles; sauf la fille de la
Khâtoun, qui était dans ses habita; ordinaires et malpropres,
afin qu'elle parût laide à mes yeux, toutes les autres, nées
des autres femmes du Khâqân , étaient parées. Mais je voyais
que celle-là était assise sur le trône roval, à côté de la Khâ-
toun , tandis que les autres se tenaient debout devant moi
et me furent ainsi présentées par le Khâqân, qui me dit :
Choisis celle que tu voudras. Alors je choisis ta mère, la fille
PAHTIE II, CHAIMTRK XLVlll. 255
(le la Kliatoiiii, parce (jirello lui ressemblait, (jiiand celle-ci
vil (|ue j'avais choisi sa fille, elle fut fres-afflipc^e et sa figure
(^xpriuia le niécontcntemcnl, et elle me dit : Les autres sont
plus belles que celle-ci. Je répliquai : Si vous voulez faire réus-
sir ma négociation , je demande que vous m'accordiez cette
jeune fille. Le Khàqan insista auprès de la Khatoun, et
elle finit par consentir à la donner, et ils l'accordèrent ainsi
comme femme à Nouschirwân, en la mettant entre mes mains
avec des richesses incalculables. Le Khâqan avait un astro-
logue qui était le plus savant homme de son temps. Quand
je me disposai à partir avec la jeune fdle, le Khâqân le lit
appeler et lui dit : Vois quel sera le sort de cette jeune fille
auprès de Nouschirwân , à qui nous l'envoyons. L'astrologue
(lit : Il sortira d'elle un fils qui , arrivé à l'àge mûr, ne sera ni
grand ni petit; il aura de grands yeux et les sourcils joints;
il montera sur le trône de Perse après Nouschirwân. Ensuite
l'astrologue ajouta : Ce roi qui sortira de celle jeune fille sera
attaqué par une nombreuse armée venue du Turkestân , qui
ravagera son pays. Alors il enverra une armée contre elle,
sous la conduite d'un des grands de la Perse, homme de sang
royal , nommé, de même que son père, Rahrâm. Ce sera un
homme de haute stature, maigre, de teint foncé, ayant les
sourcils joints. Il viendra avec un petit nombre de troupes
et fera périr toute l'armée turque dans le Turkestân, et trou-
vera également la mort dans le Turkestân. Le grand mobed
dit: 0 roi, l'homme qui vient d'être décrit esl Bahrâm-
Tschoubîn , dont le père s'appelle Bahrâm , et qui est ton lieu-
tenant sur les frontières de l'Arménie. Après avoir fait son
récit, Mihroustàd, qu'on appelle aussi Mihrân-Selâd , expira
dans sa litière. Hormuzd fut fort étonné, et le grand mobed
dit : C'est comme un avis (V»leste , que Dieu ait laissé cet
2b(j CHUOjilQUK DE TABAIU.
homme vivre jusqu'à ce (|u il feiU l'ait coiiiiaitre ces paroles,
et qu'il Tait l'ait mourir ensuite.
Hormuzd envoya immédiatement chercher Bahram, qui se
mit aussitôt en route. Lorsqu'il fut arrivé, Hormuzd le traita
avec distinction et lui dit : Sache que le Khâqân , mon grand-
père, est mort, et que son (ils est monté sur le trône; il est
mon oncle, mais il m'a renié et a amené une armée et s'est
emparé de Balkh. Il me faut quelqu'un qui s'y rende pour le
chasser de là, au besoin, par la guerre. Mon choix est tombé
sur toi, à cause de ton origine et de la bravoure que lu as
déployée au service de Mouschirwân , et des grandes actions
que tu as accomplies sous son règne. Bahram répliqua : Je
suis l'esclave du roi, exécutant ses volontés, l'une de ses
épées; partout où il m'enverra, je ferai le sacriiice de ma vie.
Cette réponse plut à Hormuzd, qui ordonna de garder Bahrâni
ce jour-là. Le lendemain , il lui (it dire de paraître devant lui
à cheval et armé comme pour la guerre. Lorsque Bahram $4*
présenta ainsi sur l'arène où se trouvait Hormuzd , entouré
de l'armée, celui-ci le regarda et vit sa grande taille; il fut
très-satisfait et le traita avec honneur. Le jour suivant, il le
lit appeler et lui dit : Je te donne In libre disposition de mou
trésor et de mon armée; prends autant d'argent et d'hommes
que tu voudras; et chaque ville que tu conquerras esta toi. Bah-
ram sortit de l'audience plein de joie, et le lendemain il ras-
sembla toute l'armée et en choisit douze mille hommes braves
et propres à la gueire, ni trop jeunes, ni trop vieux, âgés
d'environ quarante ans; il leur distribua des équipements,
des armes, des chevaux, desbétes de somme et autres choses
semblables. On en informa Hormuzd, qui le fit appeler et lui
dit : L'ennemi que tu vas combattre a trois cent mille hom-
mes, comment veux-tu l'attaquer avec douze mille hommes?
PARTIR M, CHAPITRE XLVIII. 257
Ualirâm répondit : 0 roi, une armée nombreuse n est qu'une
lourde charge. Quatre mille hommes forment la plus petite
armde, et douze mille, la plus nombreuse. Roustem a fait ta
{(uerre du Mâzenderân avec douze mille hommes, et Isfendiâr
a attaqué avec douze mille hommes Heft-Khàn et Diz-Rouïn.
Il énuméra ainsi plusieurs rois de Perse qui avaient entre-
pris de grandes guerres avec douze mille hommes, et ii ter-
mina en disant : En effet, le succès dans la guerre ne dépend
pas [du nombre] des hommes, mais de la fortune. Hormuzd
lui dit : Mais pourquoi as-tu choisi des hommes d'un certain
âge et non des hommes jeunes? Bahrâm répondit: Parce
que le succès dans la guerre dépend du zèle des soldats;
des jeunes gens n'ont ni zèle, ni discernement, ni expé-
rience; ils ne connaissent pas les règles de la guerre et ne
savent pas prendre une résolution. Les hommes d'un âge
mûr, au contraire, ont et \o zèle et l'expérience. Le roi Hor-
muzd l'approuva également en cela, et ordonna qu'on choisit
un. jour pour le départ de Bahrâm et de l'armée.
Le roi Hormuzd avait un astrologue très-habile en son art,
et qui était en même temps devin. Il l'envoya à la suite de
Bahrâm , lui disant : Va , suis le cortège de Bahrâm , observe-le
dans une de ses actions, tires- en un présage, et viens me le
dire. L'astrologue fit ainsi. On appelle, en pehlvi, cette con-
sultation marghewd. Bahrâm rencontra un homme, un mar-
chand, complètement nu, ayant sur la tète, pour le porter
plus facilement, un baquet plein de têtes de moutons. Bah-
râm prit la pique d'un lancier, allongea la main, enleva deux
de ces têtes de moutons à la pointe de la lance, qu'il retira
ensuite, la tenant droite. L'une des deux têtes retomba dans
le baquet, l'autre resta fixée sur la pointe de la pique, et
Bahrâm continua ainsi son chemin. L'augure revint et apprit
11. 17
258 CHRONÎQUK DE TABARI.
celte aven lu ro à Ilorimizd. Celui-ci lui denian(]a ce que sigui-
fiail ce présage. L'aulre dit : Les deux têtes signifient deux
rois sur qui Bahrâm mettra la main; il tuera Tun, el il lais-
sera Tautre s'en aller et rentrer dans son royaume. La nudité
de cet homme signifie que Bahrâm cessera de l'obéir et se
révoltera contre loi. Hormuzd fut effrayé et ne dormit pas
cette nuit. Le lendemain , il écrivit à Bahrâm une lettre ainsi
conçue : J'avais à te dire quelque chose, mais je fài oublié.
Laisse farmée à f endroit où elle se trouve et reviens seul,
afin que je te fasse celte communication verbalement; tu
repartiras immédiatement après. Cette lettre parvint à Bah-
râm , à la première station. Hormuzd voulait rappeler Bahrâm
pour mettre un iiutre général à la tête de l'expédition. Bah-
râm répondit par une lettre , dans laquelle il s'exprima ainsi :
L'affaire dont le roi m'a chargé ne permet pas que je revienne;
je ne veux pas que le roi me voie avant que j'aie exterminé
ses ennemis; qu'il me fasse connaître ses ordres par lettre,
je les exécuterai. Ensuite il quitta ses quartiers et continua sa
marche. Hormuzd fil appeler, le lendemain , le grand mobed
et lui fit part du présage, de sa lettre el de la réponse de
Bahrâm, el il ajouta : Qu'y a-l-il à faire, car je n'ai plus le
pouvoir de changer celle affaire? Le mobed répondit : J'ai vu
Bahrâm sérieusement soumis au roi et prél à combattre les
ennemis; les présages sont tantôt vrais, tantdl faux; ne le
rappelle pas, car Dieu lui donnera aide contre les ennemis,
à cause de toi. Le mobed le tranquillisa ainsi au sujet de
Bahrâm.
Bahrâm se dirigea de i'^Irâq vers TAhwâz. Une femme
vint te trouver sur la route, dans une station, et lui dît : Un
cavalier m'a pris un panier de foin; et elle en fournit les
preuves. Bahrâm fit trancher la tète à ce cavalier. Lorsque
PARTIE 11, CHAPITRK XLVlll. 'i59
Hormuzd apprit cette action, il fut très-satisfail de la justice
de Bahràm.
A répoque où Sàwè-Schàh s'était avancé sur le territoire
de Balkli, Hormuzd, craignant que Tarmée turque ne parvint
rapidement jusqu'à lui, avait envoyé contre Sâwè-Schâh un
|)etit détachement sous la conduite d'un général nommé
Hormuz-Kliarràd-Barzin , homme plein de ruse, de dissi-
mulation et d'imposture. Il lui avait enjoint d'arrêter Sâwè-
Schàh par la ruse, juH(|u'à ce que Bahrâm arrivât à Hérât;
(le lui dire (|ue te roi de Perse voulait faire la paix avec lui,
envoyer un ambassadeur et se soumettre à lui pay<*r tribut.
Son but était d'empêcher Sâwè-Schâh d'avancer au delà
de Baikh, et de mettre le pays h l'abri du pillage et de la
dévastation, jusqu'à ce que son armée fût prête. Horniuz-
Kharrâd-Barzin alla, et, en trompant Sâwè-Schâh de cette
façon, il le maintint à Balkh pendant une année, jusqu'à ce
que Hormuzd eût préparé son armée et qu'il envoyât Bah-
râm-Tschoubin.
Bahrâm se dirigea sur Balkh, non par le chemin ordi-
naire, mais en se rendant de l'Ahwâz en Taïlesân, de là par
le Kouhistân à Hérât, de Hérât en Khotlân, puis à Balkh,
aOn de surprendre Sâwè-Schâh. Lorsque celui-ci apprit l'ar-
rivée de Bahrâm, il envoya quelqu'un vers Hormuz-Kharrâd-
Barzin, pour se plaindre de ce qu'il l'avait trompé par une
ruse; mais celui-ci avait quitté son campement et s'était
enfui, allant rejoindre Bahrâm, qui lit halte à la station
la plus rapprochée de Balkh. Le roi des Turcs fit venir le
gouverneur du Khorâsân et le chargea d'aller reconnaître
l'année de Bahrâm, le nombre et la qualité des soldats, leur
armement, et quel était leur général. Le gouverneur du Kho-
râsân partit avec dix cavaliers. Arrivé auprès du camp de
17.
2C0 CHRONIQUE DE TABARI.
Bnliràni, qui s'élail avancé avoc cinq (1^ ses cavaliers, il lui
dit : Qui es-tu? Bahiàm répondit : Je suis le serviteur de ce
roi qui a amené cette armée et (|ui m'a ordonné de prépa-
rer le lieu du combat. L'autre dit : De quelle force est cette
armée? Baliràm répondit : Quelque chose comme dix mille
hommes. L'autre dit : Conmient veut -il combattre trois cent
mille hommes? Rahràm répliqua : Il l'ordonne ainsi. Le gou-
verneur du Khoràs«4n s'en retourna et donna ces renseigne-
ments à Sàwè-Schàh. Le lendemain, Hormuz-Kharrâd-Barzin
vint trouver Bahrâm et lui dit : 0 général, ne livre pas le com-
bat à ces Turcs avec la poignée de soldats que tu as avec toi;
la paix vaut toujours mieux; tâchons de nous entendre et de
conclure la paix. Bahrâm lui répondit par des injures et lui
dit : Tais-toi; que la langue te soit arrachée; le village dont
tu sors ne produit rien que des pécheurs; qu'as-tu à faire
avec la guerre? Va et pèche des poissons! Il y avait dans
larmée de Bahrâm un scribe nommé Bouzourg-Debîr, que
Bahrâm avait demandé à Hormuzd, et qui lui dit : Ne te
hâte pas de livrer le combat à ces ennemis. Bahrâm lui ré-
pliqua: TaivS-toi, pour que la mère ne soit pas privée de toi.
Ce qu'il te faut, c'est la plume et l'encrier; tu n'as rien à faire
avec la guerre. Le lendemain, Sâwè-Schâh envoya son chef
des négociations vers Bahrâm et lui fit dire : Si tu veux passer
à mon service, je le donnerai le commandement du royaume
de Perse et le nommerai mon lieutenant dans toute la Perse.
Bahrâm répondit : Va lui dire que les serviteurs du roi ne
le quittent pas pour aller dans un autre endroit, si ce n'est
par ses ordres. Lejoursuivant, Sâwè-Schâh envoya de nouveau
quelqu'un vers Bahrâm et lui fit dire : Le roi de Perse m'avait
envoyé un homme nommé Hormuz-Kharrâd-Barzîn, qui est
resté depuis un an en face de moi, qui m'a sollicite et a de-
PARTIE 11, CHAPITRE XLVill. 261
manche la paix. Fais, toi aussi, la paix, ou attends que j'envoie
un messager pour savoir quel est le dessein du roi de Perse.
Bahràin répondit: Celui-là s'est inoqué de toi; mais moi
je ne serai pas content avant que ton jour décline, afin que
je prenne ta tête et Fenvoie au roi de Perse. Sa wè-Schâh
entra en colère, fit battre le tambour et rassembler son armée
autour de lui. Il passa toute la journée, jusqu'au soir, à
disposer son armée, inspecta la place de cbaque troupe et
résolut (le livrer bataille le lendemain. Bahram, dans cette
nuit, disposa également ses troupes, et en examina lui-même
toutes les parties, le centre et les deux ailes. A la pointe du
jour, il fut pris de sommeil et s'endormit sur son cheval.
Il rêva qu'il combattait contre les Turcs et qu'il élait mis
en fuite. S'étant réveillé quand le jour fut tout à fait venu,
il ne raconta à personne le songe qu'il avait eu, pour ne
pas décourager les soldats. Lorsque le soleil se leva, les deux
armées se trouvèrent en présence. Bahram, avant de com-
mencer le combat, se transporta de sa personne dans chaque
division, encouragea les soldais et leur dit : Que chacun au-
jourd'hui fasse son devoir, pour sa subsistance, son nom et
son honneur; ne me faites pas honte et vendez cher votre
vie; car il y a loin d'ici à votre patrie, et si vous prenez la
fuite, aucun de vous n'échappera à l'épée de l'ennemi ni ne
reviendra dans sa famille. Bahram leur fit de tels divscours
et plaça un oflicier avec cinq ccnis cavaliers derrière l'armée,
en lui ordonnant de charger quiconque voudrait s'enfuir.
Le roi des Turcs se rendit sur une hauteur et s'assit sur
un trône d'or, entouré de quarante mille hommes, qu'il avait
choisis pour rester auprès de lui; il envoya au combat deux
cent soixante mille hommes, et ordonna au général en chef
de disposer devant lui les troupes dans l'ordre (\y bataille
26'J CHRONIQUK l)K TABARI.
où elles devaient combaltre. Sàwè-Schâh avait amené deux
cents éléphants de guerre et cent lions sauvages, qu'il fit pla-
cer devant les rangs. Bahram, apercevant ces éléphants et
ces lions, donna Tordre à ses soldais de faire pleuvoir, tous
en même temps, une grêle de traita sur ces animaux, et leur
recommanda de viser les éléphants aux yeux. Les soldats firent
ainsi, et les éléphants, effrayés par les traits, tournèrent le
dos. Alors Bahrâm fit lancer par les artificiers du feu sur les
éléphants et les lions, qui se jetèrent en rugissant sur leur
propre armée et écrasèreni sous leurs pieds environ trente
mille hommes, en leur communiquant les flammes par les>
quelles ils étaient consumés. Lorsque Bahrâm vit que les
rangs des Turcs étaient rompus et que les troupes s'ébran-
laient, il fit une charge générale. Les Turcs se mirent à fuir, et
se replièrent vers l'endroit oii se trouvait Sâwè-Schâh. Celui-ci ,
voyant cela, demanda un cheval. Son écuyer lui dit : Veux-tu
un cheval pour fuir, ou un autre? Sâwè-Schâh se mit à rire et
dit : Un cheval pour fuir. Au moment oij il descendait du
trône, Bahrâm arriva, et, le voyant sur le trône et avec la
couronne, il sut que c'était le roi; il ajusta et 6t partir une
flèche, qui pénétra dans la poitrine du roi et sortit par le
dos; le roi tomba en bas du trône. Alors toute l'armée turque
prit la fuite, poursuivie par Bahrâm, qui fit un grand nombre
de prisonniers. A la tombée do la nuit, Bahrâm vint dans le
camp turc, fit saisir les trésors et les effets, le trône d'or, la
m
couronne du roi et des richesses dont la grande quantité n'est
connue que de Dieu seul. Il fit transporter tout ce butin et
les prisonniers dans son propre camp, et y resta cette nuit.
Le lendemain matin, Bahrâm passa en revue toutes ses
troupes; il ne manquait personne, sauf un officier d'un rang
élevé, nommé Bahrâm-Seyâouschân , qui était son neveu,
PARTIE 11, CHAPITRE XLVIII. 263
ayant (épousé la fille de sa sœur, et qu'il avait en {;raudc alTec-
tioii. Ne le voyant pas, il fut très-effrayé, pensant qu'il avait
été tué. Il donna Tordre de le rechercher sur le champ de ba-
taille parmi les morts. Après une heure, Bahrâm-Seyâouschân
arriva avec un prisonnier turc ayant une petite barbe rousse
et des yeux gris. Babrâm fut très-heureux de voir son neveu
et lui demanda quel était le prisonnier qu'il amenait. L'autre
lui dit : C'est un homme que j'ai voulu tuer; il m'a dit : Menez-
n)oi auprès de votre roi , je sais quelque chose qui pourra lui
être utile. Babrâm lui dit : Quelle est la chose que tu sais?
Dis-la, pour te sauver de la mort. Le prisonnier répondit : Je
suis un sorcier, le plus babile de tout le Turkeslân. Quand
j'accompagne un roi dans une campagne, je fais voir en
songe à l'ennemi qu'il sera mis en fuite, et par là je le décou-
rage; la preuve en est que je t'ai fait voir, hier matin, eu
songe que ton armée serait mise en fuite. Babrâm pensa en
lui-même : Un homme intelligent n'acceptera pas ses paroles
et n'y croira pas. Puis il lui dit : Quel mal ai-je eu de ton
songe, et quel avantage en est-il résulté pour ton armée? En-
suite il donna l'ordre de le mettre à mort.
Babrâm resta un mois à Balkb. Il fit réunir tout le butin
qu'il avait fait sur les Turcs, fit expédier à Hormuzd ce qu'il
voulait lui envoyer et distribua aux soldats ce qui leur reve-
nait. Ensuite il fut informé qu'un fils du roi des Turcs, resté
dans leTurke^tân, rassemblait une armée, et que les troupes
([ui avaient été mises en fuite s'étaient jointes h lui, et qu'il
s'avançait avec une armée de cinq cent mille hommes contre
Babrâm, pour venger la mort de son père.
26A
(:hiu)MQ[JK ok ïabai;i
CHAPITKE XLIX.
COMBAT nr FILS DF SÂWÈ-SCIIAH AVKC BAIlRAM-TSCIIOLBix.
L'auteur dit : Bahràiii resta au même endroit juBqu*à ce
que le fils du roi des Turcs filt arrivé avec une armée de cinq
cent mille hommes. Lorsque cette armée fut aax portes de
Baikh, il fit sortir son armée du camp. Il se porta sur une
hauteur pour examiner l'armée turque. Quand il redescendit,
il dit à ses soldats : Les troupes turques sont en nombre
considérable, mais elles nm\{ pas de courage; il n'y a rien à
craindre d'elles. Le lendemain, les deux armées étant ran-
gées en ordre de bataille, Bahrâm fit une charge générale,
et toute l'armée turque fut mise en fuite. Seulement, le fils
du roi des Turcs, avec sept mille hommes de ses familiers,
tint pied et continua le combat jusqu'à la nuit. Alors il alla
se renfermer dans une forteresse qui se trouvait à proximité.
Bahrâm, avec son armée, vint assiéger cette forteresse. Le
lendemain, le fils du roi des Turcs fit demander à Bahrâm
à se rendre à lui avec la vie sauve. Bahrâm lui accorda la
vie, stipulant qu'il l'enverrait avec les autres prisonniers à
Hormuzd. Le prince turc en fut content, disant : Hormuzd et
moi nous sommes cousins; si je n'ai pas tenu compte de ce
que je lui devais, lui il tiendra compte de ce qu'il me doit.
Le directeur des postes de l'armée d'Hormuzd partit pour
aller informer Hormuzd et lui porter une lettre de Bahrâm.
Hormuzd fut très-heureux, rendit grâces k Dieu, et, envoyant
un messager h Bahrâm, il lui fit dire : Fais comme tu en as
l'intention. Le lendemain, après avoir reçu ce message, Bah-
râm envoya le fils du roi des Turcs, avec six mille prisonniers
PARTIE 11, CHAPITRE XLIX. 265
appartonaut à de grandes familles turques , vers Hormuzd, sous
la conduite d'un homme nommé Merdânschâh, avec un dé-
tachement de deux mille cinq cents hommes. Il lui expédia
en même temps tout le butin qu'il avait fait en or, en argent
et en pierres précieuses, le trône d'or, la couronne et les autres
effets, les armes et les tapis. On dit qu'il y avait deux cent
cinquante généraux prisonniers, et deux cent cinquante-six
charges de chameaux d'or et de pierres précieuses.
Lorsque le fils du roi des Turcs arriva près de Madâïn,
Hormuzd monta à cheval et alla à sa rencontre, par égard
pour la parenté qui le liait à lui, étant son cousin. Quand
Hormuzd fut en vue, Merdânschâh fit mettre pied a terre à
toutes ses troupes , qui allèrent au-devant du roi et baisèrent
la terre; il fit aussi descendre le fils du roi des Turcs. Hor-
muzd, le voyant, descendit également de cheval et lui adressa
les questions d'usage. Ensuite Hormuzd remonta à cheval , et le
prince turc voulut également reprendre son cheval , mais Mer-
dânschâh l'en empêcha , le prit par la main et te conduisit ainsi
jusqu'à la porle du palais. Hormuzd le Gt loger, lui et tous
ses compagnons, dans de belles maisons, et les y entretint
pendant quarante jours, jusqu'à ce qu'ils fussent remis de la
fatigue du voyage. Il le traita avec distinction, conclut avec
lui un traité d'alliance et de paix, lui rendit la souveraineté
du Turkestân et lui donna de belles robes d'honneur et de
nombreux cadeaux. Ensuite il le fit partir avec Merdânschâh
pour se rendre auprès de Bahrâm , auquel il ordonna par lettre
de le renvoyer en paix dans le Turkestân, et de rester jusqu'à
nouvel ordre à fendroit on il se trouvait.
2()f) CHRONIQUE DE TABARl.
CHAPITRE L.
IIISTOIRK De LA REVOLTE DE BAIIRAM-TSCIIOIIBIN.
Lorsque Hormuzd confia à Merdânschâh le soin de rame-
ner le fils du roi des Turcs auprès de Bahrâm, afin qu^îl le
renvoyât dans le Turkeslân, Merdânschâh lui dit : Je tiens
encore le butin que j'ai apporté; que le roi ordonne qu^on le
prenne. Hormuzd se le fit présenter et en fut très -satisfait,
car il lui semblait fort considérable. Il regarda ses ministres
et dit : Voyez -vous le caractère de Bahrâm, qui m'envoie
tant de choses? Il y avait là un ministre, le principal d'entre
eux, nommé Yezdànbekhsch , qui dit : 0 roi, certainement
c'est beaucoup, mais ce nest qu'une bouchée d'un grand
festin; vois combien était grand ce festin, quand une bou-
chée forme une telle quantité. Cette parole fit impression sur
Hormuzd, qui fut courroucé contre Bahrâm. Il remit à Mer-
dânschâh, pour les porter à Bahrâm, une chaîne, une boît^
à fuseaux et du coton, et lui écrivit une lettre ainsi conçue :
Tu as été déloyal; tu m'as envoyé ce que tu avais de trop; tu
as été ingrat. Mets cette chaîne à ton cou, en punitioi^ de
ta tromperie, et prends ce fuseau et ce coton, comme font les
femmes, car le vol et la tromperie sont affaires de femmes;
tu es pire qu'une femme. Bahrâm, ayant lu celte lettre et
vu ces objets, fut stupéfait. Le lendemain, il mit la chaine
h son cou, prit devant lui le fuseau et le colon, et donna
audience publique à toute son armée. Lorsque les soldats le
virent dans cet état, ils demandèrent ce que cela signifiait.
Bahrâm leur dit : Voilà la récompense de ce que j'ai fait pour
Hormuzd; voilà la robe d'honneur qu'il m'envoie. Les soldats
PARTIE 11, CHAPITRE L. 267
turent irrités contre Hormuzd et dirent : Si telle est ta ré-
compense, la nàtre sera encore pire; nous sommes dëgoAtës
de lui. Balirâm leur dit : Ne parlez pas ainsi; ce n'est pas sa
faute, mais c'est le fait du vizir nommé Yezdânbekhsch , qui
est jaloux de moi; il ne vous en adviendra aucun mal. Ils ré-
pliquèrent : Nous sommes las et d'Hormuzd et du vizir; et si
tu n'es pas avec nous, nous serons aussi las de toi. Bahrâm se
joignit à eux et tous se révoltèrent contre Hormuzd. Bahrâm
Ht faire douze mille couteaux à la pointe recourbée, qu'il
envoya à Hormuzd, pour lui apprendre que ces' douze mille
hommes s'étaient révoltés contre lui. Hormuzd fit briser ces
couteaux et les renvoya à Bahrâm. Celui-ci dit aux soldats :
Hormuzd veut dire par là qu'il fera couper vos têtes, comme
il a fait avec les couteaux. Les troupes en conçurent une haine
plus grande contre Hormuzd.
Un jour, Bahrâm alla a la chasse, en compagnie d'Hormuz-
Kharrâd-Barzin, de Bouzourg-Debir et d'un certain nombre
de «ses amis. Bahrâm poursuivait un onagre, qui se réfugia
dans un grand parc. Tous entrèrent après lui. Après avoir
parcouru le parc, ils vinrent dans une vallée couverte de
jardins, d'eaux courantes et de maisons de plaisance. An
loin, on voyait un château, vers lequel Bahrâm et ses amis
se dirigèrent. Ils mirent pied à terre, et Bahrâm, disant
aux autres d'attendre à la porte son retour et laissant son
cheval entre leurs mains, entra dans le château. Après quel-
que temps, un esclave en sortit, prit leurs chevaux et leur
donna à manger; ensuite il revint et apporta à manger aux
hommes, et, après qu'ils curent mangé, il leur apporta à
boire. Comme Bahrâm tardait à revenir, Merdânschâh entra
dans le château et trouva Bahrâm assis et en conversation
avec une jeune fille telle (ju'il n'en a>ail jamais vu de plus
368 CUROMQIE U£ TABARI.
belle, ui paruii Ie> remmes libres, ni parmi les esclaves. Bah-
ràm lui dit : Attends que je sorte. Merdâuschàh s'en retourna
et attendit. Après un certain temps, Bahràm sortit, et la
jeune lille Taccompagna jusqu'à la porte du château , et tou»
les amis de Bahràm la virent Bahrim monta à cheval, el la
jeune lille rentra au château. Le lendemain, Hormuz-khar-
ràd-Barzùi et Bouzourg-Debir s'enfuirent tous les deux
d'auprès de Bahraiu, allèrent trouver Hormuzd et lui racon-
tèrent Taventure de cette jeune fille. Hormuid, ayant fait
appeler le grand mobed. lui raconta cette histoire et lui en
demanda lexplicatiou. Le mobed dit : Cette jeune fille est
une des p^^ris, qui est devenue amoureuse de Bahràm. Partout
où Bahràm a à livn^ une bataille, elle vient avec ses compa-
gnons, se place devant les rangs des ennemis et les met en
fuite.
Hormuzd avait un fils nommé Parwii, qu'il avait désigné
comme son successeur au trône. Bahràm et toute son armée
s'étant révoltés à Balkh contre Hormuzd, et étant venus de
Baikh à Reï, Hormuzd avait l'intention d'envoyer Parwiz
a\ec une armée contre Bahràm. Celui-ci, en élant averti,
voulut semer l'inimitié entre Hommzd et Parwiz. Il ordonna
à ses soldats de proclamer Parwiz, de dire que Parwiz était
leur roi et qu'ils ne voulaient plus d'Hormuzd. Il instruisit
un homme, Tun des principaux officiers, inconnu et étranger
h son armée, à venir le trouver et a lui dire : Je suis envoyé
par Parwiz; il l'ordonne de lui prêter hommage, toi et tes
troupes, et de vous déclarer contre Hormuzd. Parwiz igiio-
rail ces faits. Chaque jour, au moment où Bahràm donnait
audience publique, on criait à sa porte : Où est fenvoyé de
Kesra-Parwîz? Qu'on l'introduise.
■Bahràm lit frapper à Roï cent mille dirhems au nom de
PARTIE II, CHAPITRE L. 269
Parwîz et à son elligie. Du temps des rois do Perse, on
avait coutume de meltrc sur le dirhem Tefligie du roi, tandis
qu'à présent on met, d'un côlé, le nom de Dieu et celui
du Prophète; de l'autre, le nom du calife ou du gouverneur
de la ville. Du temps des Perses, les deux faces du dirhem
portaient l'image du roi: d'un côté, le roi sur son trône et
avec la couronne; de l'autre, le roi à cheval, tenant une
lance dans sa main. Ces dirhems, avec l'eflBgie de Parwiz
sur les deux côtés, furent remis par Bahrâm à des mar-
chands, auxquels il ordonna de les porter à Madâïn, la rési-
dence d'Hormuzd, et d'en acheter différents objets et mar-
chandises. Lorsque les habitants de Madâïn virent sur ces
dirhems l'effigie de Parwiz et non celle d'Hormuzd, ils en
avertirent le roi, qui fit appeler les marchands et leur de-
manda d'oii ils avaient apporté cet argent. Ils répondirent :
Nous l'avons apporté de Reï; c'est Bahrâm qui nous a
donné ces dirhems, qu'il fait frapper à Reï; il dit que Kesra,
c'est-à-dire Parwiz, l'a ainsi ordonné. Le roi Hormuzd dit:
Allez, vous êtes innocents. Il fit appeler Parwîz et lui dit : Tu
veux l'emparer de la couronne de mon vivant; tu as fait dire
à Bahrâm de faire frapper de la monnaie à ton etiigie et de
te proclamer roi. Parwiz baisa la terre et répliqua : 6 roi,
c'est là un stratagème et une ruse de Bahrâm, qui est un
homme plein de ruses et d'impostures; il veut par là indis-
poser le roi contre moi. Hormuzd dit : Cela peut être. Mais
il ne se fiait pas à Parwiz. Celui-ci, craignant son père,
s'enfuit pendant la nuit et gagna l'Aderbidjâu. Quand Hor-
muzd en fut averti, il vit son soupçon à l'égard de Parwiz
•confirmé. Parwiz avait deux oncles, l'un nommé Bendouï,
l'autre, Bostâm. Hormuzd les fit saisir et mettre en prison,
en leur disant : C'est vous qui avez fait que Parwîz s'est ré-
"210 CHRO>IIQlJË DE TABAHI.
voilé contre moi; maintenant dites où il se trouve. Ils répon-
dirent qu'ils rignoraient. Arrivé dans TAderbMjân, Parwîz
s'était rendu dans un temple du feu, où il s'adonnait au ser-
vice religieux. Personne ne fy connaissait ni no savait qu'il
était fils d'Hormuzd.
Lorsque Bahrâm apprit la fuite de Parwiz, il reconnut que
sa ruse avait réussi; car il avait craint que Parwîz ne vînt
l'attaquer, que ses soldats n'inclinassent vers Parwîz et ne
voulussent pas combattre contre lui; car il avait dit lui-même
à ses troupes que la souveraineté était h Parwîz. Maintenant
que Parwîz s'était enfui et que la ruse avait réussi , Bahrâm
était tranquille. Il réunit les troupes et leur dit : Hormuzd,
ayant appris que nous nous sommes révoltés contre lui et que
nous avons reconnu Parwîz, l'a fait mettre à mort. Tous les
soldats furent Irès-irrités contre Hormuzd et dirent à Bahrâm :
Que faut-il faire? Bahrâm répliqua : Nous allons marcher
contre Hormuzd, l'attaquer et le tuer; il a un jeune tîls,
nommé Schehryâr, que nous placerons sur le trône. Les sol-
dats y consentirent.
Bahrâm quitta Beï et se dirigea sur Madâïn. Hormuzd, a
cette nouvelle , fut consterné. Il reconnut qu'il avait eu tort
contre Bahrâm et qu'il avait agi avec précipitation. Il réunit
l'armée et le peuple, et fit venir le grand mobed et leur dit :
Bahrâm et son armée en révolte marchent contre nous. Qu'y
a-t-il à faire? Tous se turent; puis legrand mobed dit : Quel
est l'avis du roi? H répondit : Je sais que j'ai agi h l'égard
de Bahrâm avec précipitation, et que j'ai eu tort; il n'a pas
mérité ce que j'ai fait, à l'instigation de Yezdânbekhsch , qui,
le jour où l'on m'a présenté le butin , m'a excité contre lui.*
Maintenant je crois devoir envoyer Yezdânbekhsch vers Bah-
râm et lui faire dire : C'est celui-là qui m'a excité contre toi.
PARTIE II, CHAPITRE L. 271
je le l'envoie; lu peux le tuer ou lui pardonner, conune tu
voudras. Bahrâm est un homme généreux; quand il verra
Yezdânbekhsch lui faire ses excuses, il les acceptera, lui
pardonnera, et, en recevant mon message, il rentrera dans
Tobéissance. Le grand mobed dit : Ce plan est bon. Tous l'ap-
prouvèrent. Flormuzd fit appeler Yezdânbekhsch au milieu
de rassemblée et lui exposa son avis. Yezdânbekhsch dit :
Que le roi ait longue vie! Ma vie est la rançon du roi; j'irai
et je solliciterai Bahrâm; s'il me pardonne, ce sera bien;
et s'il me punit et me tue, ce sera pour le bien du roi;
que mon âme et mon corps soient ta rançon du roi! Hor-
muzd le remercia et le combla d'éloges; il lui ordonna de
partir sans emmener personne et d'emporter seulement une
lettre du roi. Yezdânbekhsch se retira et fit ses préparatifs
de voyage.
Yezdânbekhsch avait un cousin détenu dans la prison du
roi pour une faute qu'il avait commise. Lorsque cet homme
apprit dans la prison que Yezdânbekhsch allait partir, il lui
écrivit un billet ainsi conçu : Tu pars, mais mon cœur est
avec toi; personne ne t'est plus attacbé que moi et plus sin-
cère. Demande pour moi au roi la permission de l'accompa-
gner, afin que, dans la vie et dans la mort, je reste avec toi.
Yezdânbekhsch écrivit un billet au roi et lui fit cette demande,
et Hormuzd lui accorda cet homme, qui partit avec lui. Lors-
qu'ils arrivèrent à Hamadân et qu'ils s'y arrêtèrent, Bahrâm,
qui avait établi son camp aux portes de Reï, eut connaissance
de leur voyage. Il fut très-content et se proposa d'agréer les
excuses de Yezdânbekhsch , de lui donner des présents et de
faire la paix avec Hormuzd.
Yezdânbekhsch dit au propriétaire de la maison dans
laquelle il était descendu : S'il y a dans votre ville quelque
272 ClIBONIQUE DE TABAllI.
(ievin ou un possédé, faites-ie chercher. Le propriétaire lui
dit qu'il n y avait qu'une femme possédée. On la fit venir,
et Yezdânbckhsch resta seul avec elle. Il lui demanda quelle
serait pour lui Tissue de ce voyage et comment agirait avec
lui te roi auprès duquel il se rendait. La femme lui dit : Pour-
quoi crains-tu ce roi? Tu as ta mort avec toi. Cette femme
parlait encore, lorsque le cousin de Yezdânbekhsch entra dans
Tappartement. La femme dit tout bas à Yezdânbekhsch, de
manière que son cousin ne Fentendit pas : Tu périras par la
main de celui-ci. Lors de la naissance de Yezdânbekhsch , les
astrologues avaient tiré son horoscope et avaient déclaré que
sa perte serait causée par une parole qui lui aurait échappé
en présence du roi, et qu'il mourrait de la main de son cou-
sin. Lorsque la femme lui parla ainsi, il se rappela les
paroles des astrologues, et il lui dit : Tu dis vrai. La femme
se leva et sortit. Son cousin ayant pris place, Yezdânbekhsch
lui dit : Il m'est survenu une affaire relative au roi, que, en
dehors de lui et de moi , personne ne doit savoir. 11 faut que
je lui écrive une lettre à cet égard, et je ne me lie qu'à toi
pour la porter. Tu es venu avec moi dans l'intention de m'as-
sister de ta personne dans le cas où j'en aurais besoin. Il faut
(jue tu portes cette lettre, que tu la remettes au roi en mains
propres , et que tu en rapportes la réponse et me la donnes
de façon à ce que Bahrâm ne le voie pas. Si tu me rejoins et
que je sois en vie, je te récompenserai. L'autre répliqua: Je
suis à tes ordres; et il fit ses préparatifs de départ pour le
lendemain. Yezdânbekhsch écrivit une lettre au roi Hormuzd
en ces termes : L'homme que j'avais demandé au roi , je le
renvoie avec cette lettre ; il faut que le roi te fasse immédia-
tement mettre a mort; car c'est un méchant homme, qu'il faut
tuer. Il cacheta la lettre et la remit à son cousin , qui la prit
PARTIE II, CHAPITRE L. 278
et sortit, en pensant en lui-même : Est-ce que j'irai trouver
Hormuzd, qui m'a retenu en prison tant d^annëes? El lui
porterai-je une lettre, ne sachant pas comment tourneront
ces aiïaires? Il ouvrit la lettre et la tut. Il revint plein de
colère, entra dans la maison, saisit une ëpée et alla trouver
Yezdânbekhsch. Celui-ci, le voyant tenant une épée, lui dit :
0 mon cousin, n*agis pas avec précipitation à mon égard,
avant que je faie parlé. Mais l'autre, ne prêtant aucune at-
tention à ses paroles , le frappa de son épée et le tua ; il se
rendit ensuite auprès de Bahràm, k Reï, et jeta devant lui la
tête de Yezdânbekhsch, en lui disant : Voici la lête de Yez-
dânbekhsch, ce scélérat qui avait excité Hormuzd contre toi.
Il était venu maintenant pour te tromper et te faire périr.
J'étais parti avec lui de Madâïn , j'ai attendu un moment pro-
pice et je l'ai tué par attachement pour toi , et je t'apporte sa
Icte. Bahrâm en fut très-aflligé, abandonna Tidée de paix et
dit : 0 bâtard! scélérat que tu es d*avoir tué un vizir si dis-
tingué, envoyé de la part du roi pour négocier la paix et pré-
senter des excuses ! Aussitôt il le fit mettre à mort.
Lorsque la nouvelle de la mort de Yezdânbekhsch fut
connue à Madâïn, tous les ministres, scribes, fonctionnaires
ot mobeds furent très-affligés, car il avait été le premier
d'entre eux, par son rang, sa science et son autorité. Tous
blâmèrent Hormuzd, en disant : Pour une parole qu'il avait
prononcée à titre de conseil, fallait-il l'envoyer auprès de
l'ennemi, pour qu'il pérît en route de la main de ce chien
d'homme? Ils se concertèrent tous ensemble, disant : Jus-
ques à quand aurons-nous à supporter la tyrannie de ce re-
jeton de Turc et sa rage de verser le sang? Tous les cœurs
s'enflammèrent contre Hormuzd. Bendouï et Bostâm, les
oncles de Parwîz, détenus dans la prison, eurent ronnais-
II. i8
iZk «lliRM^l*^! L L»C T%i%iL
More d^^ cH éf roeiiteoL Beadooi fil parrenir aoi chftk de
ï^rmt^ k nesàagi^ saifant : Combieo de leBi|» eocorv sap-
porterez-fooâ »a UTanoîe? Dépoàes-Ie H ôla-lai la soQTe-
rainelé ; faite» f enir 900 fils de FAderbidjaD et piaccs-le sur
le Iràoe. Nooà deux, bous foos (aiscos notre soumisâioii el
ooas Dou» eogageoQS pour Parvix aa bien et à la justice.
Ces paroles ploreot aoi hommes . qui les approuTèrenl et
fiièreot ao jour où ils se réuoiraient. Le jour coofenu, tous
les soldats se rassemblèreot, brisèreot les portes de la prisoD
et en fireot sortir Beudouî et Bostàm. Ensuite ils se portè-
rent fers le palais d'Hormuid, y entrèrent, enleièrent la cou-
ronne de dessus sa tète, le précipitèrent do trône et lui cre-
vèrent les veux. Le lendemain , ils envovèrent la couronne
par Bendoaî à Pamiz. qui se trouvait dans FAderbidjân,
dans le grand pyrée, et le rappelèrent pour occuper le
trône. Parmiz, dans le p\rée, se livrait à la dévotion. Bendouï
y entra et plaça la couroune sur sa tète. Cette nouvelle sVtant
répandue dans l'Aderbidjàn, tous les habitants vinrent saluer
Pam^ iz ; te lendemain , on le porta à Madâïn , et on le fit monter
sur le trône.
CHAPITRE LL
PARWiz BT BAHRÀV-TSCHOUBÎK.
Lorsque Parwiz s'assit sur le trône et mit la couronne sur
sa tète, le peuple vint le féliciter. Il répondit aux hommes
avec bonté, les harangua et leur promit la justice; ensuite
ils se dispersèrent. Parwiz descendit du trône, se rendit au-
près de son père , à pied , baisa la terre devant lui , et lui ex-
prima, en pleurant, ses regrets de ce qui lui était arrivé. II lui
dit, en affirmant ses paroles par des serments : J*ai été dans
PARTIE II, CHAPITRE Ll. 275
rignorance des choses qui te sont arrivëcs, ainsi que de l'ar-
gent que Bahrâm avait fait frapper; je n*en savais rien et
je ne Tavais pas ordonne. C'est Bahrâm qui a agi ainsi, pour
me séparer de toi. Je n'ai pas approuvé et n'ai pas voulu les
attentats des hommes contre toi. Mais si je n'avais pas ac-
cepté le pouvoir, les hommes l'auraient enlevé à notre fa-
mille, et il aurait été perdu pour tes enfants. Hormuzd agréa
ses excuses et dit : Je savais que tu n'étais pas complice de
Bahrâm dans ce qu'il a fait, et que tu n'avais pas approuvé
les entreprises de mes sujets; et tu as bien fait d'accep-
ler le pouvoir; je suis du même avis que toi. Cependant, ce
que je te demande, c'est que tu me fasses justice de ces
hommes qui m'ont précipité du trdne, en méconnaissant mon
autorité , et qui m'ont crevé les yeux; et que tu le leur fasses
expier dans leurs corps et dans leurs âmes. Parwîz répliqua :
.l'exécuterai tes ordres; mais je ne peux pas agir contre eux
iinmédiati^ment , pour que les hommes ne conçoivent pas de
frayeur et d'inimitié contre moi, puisque Bahrâm est à mes
trousses et cherche à s'emparer du pouvoir. Il faut attendre;
aussitôt que j'en aurai fini avec lui, que j'en serai débarrassé
et que je serai en possession incontestée du royaume, je te
ferai justice. Hormuzd fut très-content, et le remercia.
Bahrâm, apprenant que les hommes avaient crevé les yeux
à Hormuzd et qu'ils avaient donné le pouvoir à Parwîz, aban-
donna l'idée qu'il avait eue de faire la paix avec Hormuzd
et de rentrer sous son obéissance. Il conçut de la haine pour
Parwtz et le soupçonna d'être l'auteur de tout le mal que l'on
avait fait à Hormuzd. Il se proposa d'attaquer Parwtz, de lui
enlever le pouvoir, de le rendre à Hormuzd et de se mettre à
son service. Il réunit ses soldats et leur annonça ce qui était
arrivé à Hormuzd. Les soldats furent saisis de pitié et versèrent
18.
t>70 CHRONIQLE DE iVBAlil.
(tes larmes. Ruliraiu, lui aussi, pleura el dit: Soldais, si Hor-
muzd a mal agi envers nous , il Ta fait de bonne foi. A notre
dëparl, il nous a comblé de richesses. Le mal quil nous a
fait ne provenait pas de lui, n\^is de Yezdânbekhsch , qu'il
avait enfin envoyé vers nous pour nous faire des excuses.
Nous lui devons donc de la reconnaissance; nous devons at-
taquer Parwîz, qui est un criminel et fauteur de tout ce qui
est arrivé à Hormuzd. Nous allons Tattaquer, lui enlever la
couronne et la rendre a Hormuzd. Les soldats répliquèrent :
C'est à toi d'orflonner, et ce que tu as résolu est bien. Ils
s'engagèrent Ions envers lui et firent leurs préparatifs. Bah-
râm fit quitter à farmée ses quartiers des environs de Reï
et la fit marcher sur Madàïn. Parwiz, averti que Bahrâm
approchait pour venger Homiuzd et pour lui rendre la sou-
veraineté, rassembla une armée el alla à la rencontre de
Bahram, qui fit halle sur les hauteurs de ^Holwân. Les deux
armées se rencontrèrent dans la plaine de^Holwân , et chacune
y établit son camp. Le lendemain, Parwiz sortit seul du mi-
lieu de ses troupes , se dirigea avec Bendouï et Bostâni vei-s le
camp de Bahrâm, se plaça vis-à-vis du camp et s'écria : Dites
à Bahrâm de sortir seul, afin que je lui parle. Bahram sorlit
à cheval, sans armes , avec Merdânschâh et Bahràm-Seyâou-
schan. Lorsqu'ils furent en face fun de Tautre, Parwiz dît :
0 Bahram, sipehbed du Khoràsân, général des armées des
rois, je sais combien tu m'es attaché, et je sais quels griefs tu
as contre ma famille; Hormuzd, n'ayant pas reconnu tes ser-
vices, a été puni par Dieu et a perdu la couronne. Si tu veux
rentrer sous mon obéissance, je te donnerai le rang de frère,
et je reconnaîtrai tes droits. Bahrâm répli(|ua : Qui es -tu
pour m'assigner un rang élevé? L'autre dit : Je suis Kesra-
Parwîz. Bahrâm dit : Tu mens! Car si tu étais le fils d'Hor-
PARTIE 11, CHAPITRE U. 277
iiiuzd, tu n'aurais pas accompli ces attentats contre ton p(>rc,
et tu n'aurais pas poussé les gens à lui crever les yeux et à le
précipiter du trône, et tu ne te serais pas emparé du pouvoir.
Jamais un fils n'a agi envers son père comme tu l'as fait. Parwîz
entra en colère et dit : Les hommes savent que je n'ai pas fait
cela. Tu ne veux probablement que chercher un prétexte; tu
le sais bien ; vois ce que tu veux faire. Bahrâm dit : Je veux
venger Hormuzd de toi, de Bendouï et de Bostâm, et de
lous ceux qui l'ont offensé; je veux lui rendre le pouvoir,
auquel il a droit, et je serai son serviteur. Parwiz répliqua :
0 scélérat! est-ce ton affaire de donner ou d'ôter le pouvoir?
Es-tu de la famille royale? Où donc était jusqu'à présent cette
tendresse pour Hormuzd que tu montres maintenant, quand
tu t'es révolté contre lui, en lui refusant ton obéissance?
Bahrâm dit : 0 bâtard! c'est toi qui es cause de ma défection,
car lu as été jaloux de moi et lui as dit du mal de moi; tu
l'as empêché de reconnaître mes services. Mais h présent je
reconnais son droit, et je veux le délivrer de ton oppression,
t'enlever le pouvoir et le lui rendre. Parwiz répliqua : Quelle
générosité, ô scélérat! A ces mots, ils se séparèrent.
Le lendemain, les deux armées étant en présence l'une de
l'autre, Bahrâm sorlit des rangs de son armée et dit aux sol-
dats de Parwîz : N'avez-vous pas honte, o guerriers de Perse,
et ne craignez-vous pas Dieu, d'avoir précipité du trône votre
roi Hormuzd , malgré sa bonne conduite et sa justice , de lui
avoir enlevé la royauté et de vous être déshonorés dans toute
la Perse, de sorte que tous les hommes de la terre vous mau-
dissent? Jamais, avant vous, un roi n'a été traité par ses sujets
et par son armée comme Hormuzd l'a été par vous. Mainte-
nant je demande aide à Dieu. Les soldats dirent : Bahrâm a
raison; ce que nous avons fait n'est jamais arrivé. Ensuite toute
278 CHRONIQUE DE TABARI."
Tarmée de Parwîz, devenue furieuse , déserta. Parwiz fut cous-
terne; il ne resta avec lui que dix hommes et Bendouï, Bos-
tâm, Hormuz-Kharrâd-Barzin et Bouzourg-Debîr. Ceux-ci
lui dirent : 0 Parwîz, pourquoi restes-tu? Tu ne peux pas
lutter contre toute cette armée, et tu vois que tes soldats t'ont
abandonné. Parwîz s'en retourna, et se dirigea vers Madâîn.
Bahrâm, seul, marcha derrière lui. Arrivé au pont, Parwîz, se
retournant et voyant que Bahrâm le suivait, ajusta une flèche
sur son arc ; mais, remarquant que Bahrâm était complètement
couvert par son armure, il se dit qu*il ne servirait de rien de
tirer sur lui. En regardant, il vit que le cheval de Bahrâm
était découvert au poitrail; il lança le trait sur cet endroit
du cheval, qui tomba à la renverse. Bahrâm s'en dégagea;
mais, n'ayant pas de cheval de rechange, il attendit qu'on lui
en amenât un , et Parwîz pendant ce temps gagna de l'avance.
Bahrâm lui cria : Tu verras, ô bâtard !
Parwiz rentra à Madâîn et dit à son père : Toute mon ar-
mée a passé à Bahrâm, je suis resté seul avec dix hommes;
j'ai été obligé de revenir. Mais il ne lui dit pas que Bahrâm
voulait le replacer sur le trône. Ensuite il dit : Mon père , où
irai-je pour chercher du secours? Dois-je me rendre auprès
de Norman ou ailleurs ? Son père répondit : Les Arabes
sont des gens pauvres, et Norman n'a pas à te donner de l'ar-
gent et une armée. Les Arabes sont des maraudeurs et ne
se soucient pas de l'empire. Rends-toi auprès du César, le
roi de Roum, qui a de l'argent, des troupes et des armes.
11 te prêtera aide et te fera recouvrer la royauté. Je suis en
bonnes relations avec lui , car je lui ai rendu le royaume de
Syrie et ai conclu avec lui un traité de paix. Il te traitera
comme il faut. Parwîz, ayant pris congé de son père, le quitta.
Il dit k ses oncles : Nous, allons nous rendre auprès du César,
PARTIE 11, CHAPITRE Ll. 279
comme le veut mon père. Il partit, emmenant avec lui ses
oncles et les dix hommes qui lui étaient restés. A une petite
distance de Madâïn , ses deux oncles s'arrêtèrent et dirent
entre eux : Nous n'avons pas bien fait. Bahrâui va entrer
dans Madâïn; il placera Hormuzd sur le trône, et lui-même
exercera le pouvoir ; il nous fera poursuivre par ses troupes
et nous fera saisir, et, s'il ne nous atteint pas, Hormuzd fera
demander au César de nous livrer. II faut que nous fassions
disparaître Hormuzd de la terre. Ils dirent à Parwîz : Conti-
nue ton chemin, nous allons retourner dans la ville pour
une certaine aifaire ; nous allons terminer ce qui doit être
fait, prendre congé de nos familles, et nous te suivrons. Ils
ne lui dirent pas ce qu'ils voulaient accomplir. Parwiz pensa
qu'ils voulaient l'abandonner et aller rejoindre Bahrâm. Il
poussa son cheval en avant et s'éloigna avec ses dix compa-
gnons, le cœur irrité contre ses oncles. Ceux-ci rentrèrent
dans la ville et se rendirent au palais. Ils trouvèrent les femmes
et les jeunes filles pleurant et se lamentant à cause du départ
de Parwîz, et tout le monde occupé. Ils dirent : Nous avons
à parler seuls au roi; nous lui apportons un message de la
part de Parwiz. Ils entrèrent donc , et personne dans le châ-
teau, à cause du trouble et de la tristesse, ne fit attention à
eux. Ils lièrent les mains à Hormuzd, lui jetèrent une bande
autour du cou et l'étranglèrent. Ensuite ils sortirent, mon-
tèrent à cheval et allèrent rejoindre Parwîz, qui fut charmé
de les voir. Ils lui dirent : Nous sommes allés chercher dans
nos maisons l'argent nécessaire pour le voyage, et nous avons
pris congé de nos familles. Ils ne lui dirent pas qu'ils avaient
tué Hormuzd.
Parwîz et ses amis continuèrent leur route en toute hâte,
et arrivèrent après trois jours à la frontière de TMrâq. Ils mar-
380 CHRONIQUE DE TABARl.
chèrent jour et nuit et atteignirent enfin le territoire de Syrie,
où ils furent en sûretë. Ils aperçurent de loin un ermitage
vers lequel ils se dirigèrent, et y descendirent. L'anachorète,
sans les connaître, leur donna un morceau de gros pain sec,
qu'ils mangèrent en le trempant dans deTeau. Parwtz, n'ayant
pas reposé depuis trois jours, fut pris de sommeil, mit sa
tête sur le sein de Beudouï et s'endormit; les autres se mirent
aussi à dormir.
Lorsque Bahrâm , arrive à Madâïn , apprit la mort d'Hor-
muzd , il reconnut que ses plans étaient renversés. Il s'informa
de quel côté Parwiz s'était enfui, et, ayant su qu'il s'était di-
rigé du côté de la Syrie pour se rendre auprès du César, il fit
venir Bahrâm-Seyàouschân , lui confia quatre mille hommes
et lui dit : Va à la poursuite de Parwiz, en faisant courir les
chevaux à toute bride; là où lu le rencontreras, saisis -le et
ramène-le, lui et ses compagnons. La domination de Bahrâm
à Madâïn dura un an.
Parwiz et ses amis étaient endormis dans l'ermitage; l'a-
nachorète vint les réveiller, disant : Levez-vous, il arrive une
armée. Ils demandèrent où elle était. L'anachorète dit : Je
l'aperçois à deux parasanges d'ici. Ils furent paralysés par
la frayeur, sachant bien que ces troupes venaient h leur re-
cherche , et ils se préparèrent à la mort. Parwîz dit : Qu'allons-
nous faire? Emettez un avis; car l'homme intelligent, quel-
que grande que soit sa terreur, ne perd pas la faculté de la
résolution et de l'action. Bendouï dit : Je sais une ruse par
laquelle je pourrai te sauver, en m'exposant à ta mort moi-
même. Parwiz dit : 0 mon oncle, peut-être ne seras-tu pas
tué; car la vie est entre les mains de Dieu. Mais si tu es
tué en me sauvant, tu auras acquis par là une gloire éter-
nelle, et si tu es sauvé, tu en auras encore plus d'honneur.
PARTIE 11, CHAPITRE Ll. 281
Bcndouï dit : Dépouilie-loi de tous tes vêtements et donne-
les-moi ; monte à cheval et pars avec tes compagnons, et laisse-
moi entre les mains des soldats. Parwiz déposa ses habits
royaux, les donna à Bendouï, et partit avec Bostam et les
autres amis. Bendouï se revêtit des habits de Parv^iz et dit au
moine : Si tu me trahis , je te tuerai. Le moine répliqua :
Fais ce que tu voudras, je ne dirai rien. Bendouï, revêtu
des habits de Parwiz, ayant sur la tête le diadème avec les
pierres précieuses, monta sur le toit de Termitage et y resta
jusqu'à ce que Tarmée approchât. Les soldats, le voyant
avec des vêtements brodés d'or et les pierres précieuses qui
brillaient au soleil, ne doutèrent point que ce ne fût le roi,
et ils entourèrent l'ermitage. Alors Bendouï descendit du
toit, mit ses propres habits, revint sur le toit et cria à l'ar-
mée : Je suis Bendouï; dites à votre chef d'approcher d'ici,
afin que je lui communique un message de la part de Kesra,
qui l'a ainsi ordonné. Bahrâm-Seyâouschân sortit des rangs
de son armée et s'approcha de l'ermitage. Bendouï le salua, et
le salua de la part de Parwiz, disant : Kesra te salue et te fait
dire : Loué soit Dieu de ce que c'est toi qui es venu après
nous! Bahrâm le reconnut, le salua et dit : Je suis l'esclave
de Parwiz. Bendouï dit : Parwiz te fait dire : 11 y a aujour-
d'hui trois jours que je suis à cheval et dans l'affliction. Je
sais qu'il me faudra certainement aller avec toi et me confier
à la décision de Dieu. Si tu le juges convenable, arrête-toi un
jour, jusqu'au soir, afin que nous nous reposions , et que toi
et tes hommes vous preniez également du repos. Quand la
nuit tombera, nous partirons. Seyâouschân répondit: Certai-
nement; et c'est là la moindre faveur que le roi Parwiz puisse
me demander; je suis son serviteur. Lorsque le soleil baissa,
Bendouï vint à l'enceinte de l'ermitage, appela Bahrâm et
282 CHRONIQUE DE TABARI.
lui dit : Pàrwiz te fait dire : Tu m'as montré de la bienveil-
lance aujourd'hui, en m'accordant un délai jusqu'à la nuit
tombante; il faut que tu m'accordes encore cette nuit, que
nous partions au matin. Bahrâm consentit. Il fit demeurer
ses troupes autour de l'ermitage, et, au point du jour, il les
rassembla , et cria à Bendouï : Il faut partir. Bendouï dit : Il
va venir. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que le soleil fût com-
plètement levé. Bendouï voulait tarder jusqu'au milieu du
jour, mais Bahrâm devint pressant. Alors Bendouï ouvrit la
porte , sortit et dit : Me voilà seul ; Parwtz est parti dès hier, il
est en pleine fuite ; j'ai voulu vous retarder d'un jour et d'une
nuit, afin qu'il pât prendre l'avance. Maintenant, à moins de
marcher avec les nuages et le vent , vous ne l'atteindrez pas.
Faites ce que vous voudrez. Bahrâm - Seyâouschân fut con-
fondu; il fit saisir Bendouï et l'amena auprès de Bahrâm,
qui lui dit : Scélérat, n'était-ce point assez d'avoir tué le roi
Hormuzd? Devais-tu encore faire échapper d'entre mes mains
ce bâtard? Je te ferai mourir devant tout le peuple, afin que
tu lui serves d'exemple. Mais j'attendrai jusqu'à ce que j'aie
pris aussi Bostâm et Parwiz , et alors je vous ferai mettre à
mort tous ensemble. Il confia Bendouï à Bahrâm - Seyâou-
schân, en lui recommandant de le tenir étroitement enfermé
jusqu'à ce que Dieu lui eût amené les autres.
Bahrâm-Seyâouschân conduisit lui-même Bendouï dans sa
propre maison et l'y tint enfermé. Il le traitait bien, le faisait
demeurer pendant le jour dans son appartement, et passait
les nuits à boire et à causer avec lui jusqu'au matin, dans
l'espoir qu'un jour Parwiz reviendrait et lui ferait du bîeo.
Or il se passa ainsi plusieurs mois, Bahrâm tenant tou-
jours le pouvoir. Il existait un jeune fils d'Hormuid» nommé
Schehryâr. Bahrâm ne se fit pas proclamer roi; il disait :
PARTIE II, CHAPITRE Ll. 283
Je garde la souveraineté à Schebryâr, fils d^Hormuzd ; quand
il sera grand, je la lui remettrai. Après trois ou quatre mois,
une nuit, Bahrâm-Seyâouschân et Bendouï étant à boire et
à causer, Bendouï dit : Je suis certain que le pouvoir de Bah-
râm n'est pas solidement établi et qu'il ne lui restera pas,
car il exerce la tyrannie; il s'est emparé du gouvernement
par la violence, et Dieu lui demandera justice pour Parwîz.
Bahrâm-Seyâouschân répliqua : Je te crois comme toi, Dieu
le punira, et si Dieu me donne la force, j'espère accomplir
cette punition. Bendouï dit : Que comptes-tu faire? L'autre
répondit : J'ai l'intention, un jour que je serai dans l'arène,
sous prétexte déjouera la raquette, quand Babrâm sortira
du palais, de le tuer, de ramener Parwîz et de le placer sur
le trône. Bendouï dit : Mais quand veux-tu le faire? Seyâou-
schân répondit : A li'importe quel moment, quand j'en trou-
verai Je moyen. Bendouï dit: Ce moment est demain. L'autre
répliqua : Tu as raison. Ils convinrent donc d'agir le lende-
main. Ce jour, Bahrâm-Seyâouschân se leva , mit sa cotte de
mailles et, par-dessus, le pourpoint du jeu, et prit la raquette
pour aller sur l'arène. Bendouï lui dit : Si tu veux exécu-
ter ce dessein, délivre-moi d'abord de mes liens, et donne-
moi un cheval et des armes, afin que, s'il t'arrive quelque
chose, je puisse te secourir. Babrâm fit ainsi, monta à che-
val et partit, tandis qup Bendouï resta dans la maison. La
nièce de Babrâm -Tschoubi'n, qui était la femme de Bah-
râm-Seyâouschân, envoya une personne à son oncle et lui
fit dire : Mon mari a revêtu aujourd'hui l'habit du jeu de
raquette et est parli avec la raquette, mais il porte, par-
dessous le pourpoint, une cotte de mailles. Je ne sais pas ce
que cela signifie ; garde-loi de lui. Babrâm-TschouMn eut
des appréhensions; il pensa que Bahrâm-Seyâouschân avait
284 CHRONIQUE DE TABARI.
conjurd avec toute Tarinéc pour le tuer. Il monta à cheval,
prit la raquette et se tint h un bout de Farène, frappant
l(Ç|îèrement sur le dos tous ceux qui passaient près de lui.
Comme il ne trouva personne avec une cotte de mailles, il
reconnut que Bahràm-Seyâouschân avait formé son plan à lui
seul. Il tint son épée prête, et lorsque Bahrâm-Seyâouschân
vint auprès de lui, quil le toucha avec la raquette et enten-
dit le son de la cotte de mailles, il lui dit : Fils de courtisane,
pourquoi as-tu, dans Tarène et pour le jeu de raquette, une
cotte de mailles? Il le frappa avec Tépée et lui trancha la i^\e.
Bendouï, à cette nouvelle, monta à cheval et partit, se diri-
geant vers TAderbidjân. Lorsque, le lendemain, Bahrâm fit
chercher Bendouï, on lui dit qu'il s'ëtait enfui. Il regretta
beaucoup de ne Tavoir pas tud.
Le lendemain, Bahràm apprit que Ton disait dans Tar-
mée qu'il n'avait pas le droit de conserver le pouvoir. Il
fit rassembler toutes les troupes; on plaça des coussins de
brocart les uns sur les autres et il s'y assit, afin que tous
pussent le voir; il occupa le trône royal, la couronne sur la
tête. Il harangua l'assemblée, adressa des louanges à Dieu,
pria pour Nouschirwân et tous les rois, puis il dit : Vous
n'avez jamais entendu, ô hommes, que quelqu'un ait agi
envers son père comme a (ait Parwiz, qui , pour la possession
du monde, a tué son père; mais Dieu lui a ôté le pouvoir
et le punira dans l'autre monde. Jamais homme n'a traité
quelqu'un avec autant de bonté que j'en ai eu pour Bahrâm-
Seyâouschân, qui m'a trahi et a cherché h me tuer; mais Dieu
l'a fait périr par ma main. Je ne veux pas, à hommes, ce
royaume pour moi-même, mais je veux pour roi Schehryâr.
Quant à Parwiz, qui a tué son père, il n'a pas de part au
royaume de son père et n'a pas de droits â l'héritage. L'as-
PARTIE II, CHAPITRE LI. 285
semblée devint tumultueuse; les uns s'écrièrent : Nous accep-
tons Rahrâm comme roi jusqu'à la majorité de Schekryâr.
D'autres dirent : Parwîz a plus de droits au trône, car il est
innocent du meurtre, il ne Ta ni ordonné ni désiré. Bahrâm,
voyant qu'ils étaient divisés, dit : Faites silence, je vais dire
une parole selon la justice. Tous se turent, et Bahrâm dit :
Ce royaume appartient à Schehryàr; je le lui transmettrai
quand il sera grand ; je ne reconnais pas le droit de Parwfe
au trône de son père, et je ne le lui donnerai point. Vous
autres qui êtes attachés à Parwîz, je ne vous ferai pas mettre
à mort et je ne vous combattrai pas; je vous excuse. Mais
quiconque lui est attaché et n'accepte pas le gouvernement
de Schehryàr, qu'il quitte le royaume en paix et qu'il aille oii
il voudra. Je vous accorde un délai de trois jours. Si, après
trois jours, je trouve un de ces opposants dans le pays, je le
ferai mettre à mort sans faute. Sur ces [)aroles, les hommes
se dispersèrent. Le troisième jour, vingt mille hommes des
adversaires de Bahrâm sortirent de Madâïn et se dirigèrent
vers TAderbidjân, auprès de Bendouï, qui leur dit : Parwîz
est allé auprès du roi de Roum ; j'attends d'un moment a
l'autre qu'il revienne avec une armée pour attaquer Bahrâm.
Restez ici et attendez. Les troupes demeurèrent.
Bahrâm, ayant saisi le pouvoir, régnait sans contesta-
tion. Il envoya des lieutenants dans les provinces. Il s'asseyait
sur le trône d'or, mettait la couronne sur sa tête et donnait
audience au peuple. Il gardait Schehryàr dans son apparte-
ment, ne voulant pas le faire voir au peuple avant qu'il fût
grand. Bahrâm ne s'intitulait pas roi ; il écrivait aux fonc-
tionnaires en ces termes : Moi Bahrâm, fils de Bahrâm, fils
de ^Hasfs, gardien de l'empire. Il recevait les impôts, payait
les traitements et administrait tout le royaume, en respec-
i86 CHROIQIE DE TABARI.
tant les lois. Personne ne put Tatteindre , jusqu'au jour où
Pamii reTint de Roum et Tatfaqua.
CHAPITRE LU.
PARWÎZ ET LE CÉSiR DE lOrV. IL 1AVÈ5K CÏIB AIM^B À «ADAÎ^.
Lorsque Pamiz, ayant donne ses habits à Bendouî, fut
sorti de Femiitage. lui. son oncle Bostâm et ses dix compa-
gnons coururent pendant trois jours et trois nuits. Alors,
harassés de fatigue et de faim . ils arrivèrent à un parc sur les
bords de FEuphrate. Parwiz dit à ses amis : Entrei dans ce
parc . peut-être trourerei-vous quelque gibier; nous ayons tous
faim. Ils se dispersèrent dans le parc, leurs arcs tendus: mais,
malgré leurs courses, ils ne trouvèrent rien, et sortirent affa-
més et épuisés. Ils virent passer sur la route un Arabe monté
sur un chameau. Parwiz Tappela et lui demanda d'oà il était.
L'Arabe lui dit qu'il était de ta tribu de Taj-y. Parwii, con-
naissant la langue arabe et ayant lu les généalogies arabes,
lui dit : De quelle branche des Beni-Tayy es-tu? L*Arabe dit :
Des Beni-^Hanzhala. Quel est ton nom? lui demanda Parwiz.
L'Arabe répondit : lyâs, fils de QaWça. Cétait un homme
considérable, Tun des principaux de la tribu. Parwtz lui dit :
Je connais ton nom. L'Arabe dit : Qui es-tu ? Je suis Parwîi,
répondit l'autre, fils d'Hormuzd. lyàs descendit de sa mon-
ture, baisa la terre devant lui et dit : 0 roi, quet'est-il anÎTé?
Parwiz dit : L'un de mes généraux s'est révolté contre moi et
je suis en fuite devant loi; maiotenant, moi et mes compa-
gnons nous sommes affamés plus que nous ne pooiFons le dire;
donne-nous aujourd'hui l'hospitalité. lyâs dit : Certaineoient;
vous me faites honneur; venez avec moi dans la tribo. Parwtz
PARTIE II, CHAPITRE LU. 287
dit : Ta tribu où est-elle? Elle est près d'ici , répondit [yàs, qui
se mit en route , suivi de Parwîz et de ses compagnons. Arrives
sur le territoire des Benî-Tayy, ils trouvèrent une puissante
tribu, dont les principaux membres les reçurent, en les faisant
descendre chez eux et en prenant leurs chevaux, à qui ils don-
nèrent de la paille. Parwiz dit : Nous craignons que quelqu'un
ne vienne à notre poursuite. lyâslui dit: Aussi longtemps que
tu seras dans cette tribu , sois tranquille. Parwîz sourit et dit :
0 Arabe, si quelqu'un venait à notre poursuite, comment ta
tribu pourrait-elle résister? Donne-nous vite quelque chose
à manger, que nous parlions. lyâs remplit un vase de lait
frais, le leur présenta avec des dattes et dit : Mangez , en atten-
dant que le pain soit prêt. Ils en mangèrent un peu. Ensuite
lyâs fit fermenter de la pâte de farine et la fit cuire , comme font
les chameliers et les bergers dans les champs , en creusant un
trou dans le sol, le remplissant de feu, et en mettant la pâte
au milieu du feu, jusqu'à ce qu'elle soit cuite. Puis il fit tuer
et rôtir un agneau , et leur présenta ce pain et cette viande.
Ils mangèrent et furent rassasiés; ensuite ils se mirent à
dormir jusqu'au soir. Alors ils voulurent partir, mais lyâs
dit : n y a d'ici aux confins du désert trois journées de route.
Il vous faut nécessairement de la nourriture pour trois jours,
un guide qui vous conduise en dehors du désert, et des mon-
tures fraîches, car les vôtres sont fatiguées*. Parwîz dit : Qui
nous donnera ces provisions et ces montures? lyâs répondit :
C'est moi qui vous les donnerai. Couchez ici cette nuit, demain
matin j'aurai tout préparé. Ils firent ainsi. lyâs fit tuer et
rôtir trois moutons et cuire sur le charbon trois grands pains;
on amena douze dromadaires; sur dix de ces animaux il fit
monter Parwîz et ses compagnons, en monta un lui-même,
et sur un autre il fit placer les provisions et monter un esclave.
288 CHROiNIQUE DE TABARI.
et il partit ainsi avec eux. Chaque jour de route il leur donna
un pain et un. mouton. Le troisième jour, ils arrivèrent à la
terre cultivée, montèrent sur leurs chevaux et rendirent les
chameaux a lyâs. Parwiz lui dit : Tu m'as fait éprouver ta
bonté et tu m'as attaché par les liens de la reconnaissance.
Il faut, quand je reviendrai de la cour du roi de Roum et que
je recouvrerai mon royaume , que tu viennes chez moi , afin
que je te récompense. lyâs répliqua : Nousautres Arabes, quand
nous donnons l'hospitalité à quelqu'un , nous n'en attendons
pas de récompense et nous n'allons pas la chercher. Mais si
tu recouvres ton royaume, et lorsque tu occuperas le trône,
j'irai et je te rendrai hommage. Parwiz fut honteux de ses
paroles, et lyâs retourna dans sa tribu.
Parwtz et ses compagnons s'arrêtèrent à Raqqa. Cette ville
étant sous la domination du roi de Roum, ils y furent en
sûreté, y restèrent trois jours et s'y reposèrent. Ensuite ils
continuèrent leur voyage. Ils rencontrèrent sur leur route
un ermitage , à la porte duquel ils descendirent pour se re-
poser. L'anachorète monta sur le toit, regarda en bas et
(lit : Qui êtes- vous? Parwjz répondit : Je suis un envoyé du
roi de Pei*se et je me rends auprès du roi de Roum. L'ana-
chorète répliqua : Tu n'es pas un envoyé, tu es le roi de
Perse lui-même, en fuite devant un de tes propres généraux^
tu vas trouver le roi de Roum pour obtenir de lui du secours
et une armée. Parwiz dit : Quel mal y aurait-il si tu descen-
dais auprès de nous ? L'anachorète étant descendu , Parwiz
lui dit : Excuse-moi , je ne savais pas que ^ tu avais une telle
science. Or dis-moi comment je réussirai auprès du César.
L'autre répondit : Le César te donnera sa fille en mariage,
et te renverra avec son fils et une armée de soixante et dix
mille hommes, et tu recouvreras ton royaume. Parwtz dit :
PARTIE II, CHAPITRE LU. 289
Quand occuperai-je le trône? L'anachorète répondit : Dans
environ dix-sept ou dix-huit mois. — Quelle sera la durée
de mon règne? — Trente-huit ans. — D'où sais-tu tout cela?
lui demanda Parwiz. L'anachorète dit : Des écrits du pro-
phète Daniel, qui a prédit le nombre des rois de Perse, la
durée du règne de chacun en particulier et l'époque où il
vivra. Parwîz reprit : Qui aura le royaume après moi? L'ana-
chorète dit : Ton fils, nommé Schîrouï, pendant quelques
mois seulement; ensuite ta fille, pendant quelques années,
et ensuite ton petit-fils; puis il sera enlevé à celui-ci par
des Arabes, les descendants d'Ismaël, fils d'Abraham, qui
s'établiront en Perse, se nourrissant de lait, de dattes et de
viande, et qui conserveront ce royaume jusqu'au jour de la
résurrection. Parwtz dit : Est-ce que quelqu'un se révoltera
contre mon pouvoir? L'autre répondit : Oui, tu as un oncle
nommé Bostâm, qui se révoltera; mais, après trois ans, tu
triompheras de lui. Parwîz dit à Bostam : Remarque ce que
dit cet anachorète, que tu te révolteras contre moi. Bostâm
répliqua : Il ment. Parwîz dit : Alors engage-toi envers moi
par serment que tu ne me trahiras pas et que tu ne trameras
aucun acte séditieux. Bostâm fit ce que Parwîz désira.
Ils partirent de là, et arrivèrent à Antioche. Parwîz fit
écrire une lettre au César, roi de Boum, nommé Maurice,
et la fit porter par Bostâm et cinq hommes. Lui-même
demeura à Antioche. La lettre était ainsi conçue : Je viens
pour implorer ta protection contre un de mes généraux,
nommé Bahrâm-Tschoubîu , qui a soulevé l'armée contre moi
et m'a enlevé le pouvoir. Je place mon salut en toi et forme
l'espoir que tu voudras me secourir d'une armée et de moyens
pour recouvrer mon royaume. Ces messagers partirent pour
Constantinople , se rendirent à la résidence du roi et deman-
II. 19
290 CHRONIQUK DK TABARI.
dèrent une audience. On avertit le roi que des envoyés du
roi de Perse étaient à la porte. Il les fit introduire et fit placer
pour chacun un siège d'or. Ceux-ci lui remirent la lettre de
Parwîz. Le roi leur dit de s'asseoir. Ils répondirent : Noos
sommes des solliciteurs, à qui il ne convient pas de s'asseoir
avant que leur demande soit agréée; si tu accèdes à notre
sollicitation, nous prendrons place; sinon, permets que nous
restions debout pour nous en retourner immédiatement. Le
César dit en langue grecque à ses familiers : Ce sont des
gens intelligents. En lisant la lettre, il fut fort affligé au sujet
de Parwiz, et dit aux ambassadeurs : Hormuzd fut mon frère,
et ParwJz est le fils de mon frère ; je veux lui prêter aide et
lui donner une armée et de l'argent. Ils remercièrent le César
et s'assirent sur les sièges. Après quelque temps, ils se levèrent
et se retirèrent. Le César donna ordre de les loger dans les
plus beaux châteaux. Ensuite il convoqua ses ofiiciers, leur fit
lecture de la lettre de Parwiz, et demanda leur avis. L'un
d'eux dit : 0 roi , tu sais quels malheurs le pays de Roum a
éprouvés de la part des Perses depuis les temps d'Alexandre
le Grec; combien d'armées ils ont envoyées contre nous, et
combien de massacres ils nous ont infligés. Et maintenant
qu'ils sont occupés d'eux-mêmes et qu'ils se font la guerre
entre eux, nous sommes tranquilles; laisse-les dans cette
situation ; ne prends parti ni pour l'un ni pour l'autre. Tous
les assistants dirent : 0 roi, il a raison. I^ grand évéque
garda le silence; le roi lui dit : Quelle est ton opinion?
L'évéque répondit : Il ne sied pas au roi que quelqu'un,
victime d'une injustice, ayant été dépouillé de son royaume,
venant lui demander assistance, et pouvant être secouru,
n'obtienne pas de secours. Aujourd'hui cet homme vient te
solliciter, demain tu pourras être solliciteur auprès de lui.
PARTIE II, CHAPITHE LU. 291
Le roi approuva ces paroles. Il donna Tordre à son arinëe de
se préparer, et en désigna soixante et dix mille hommes, aux-
quels il paya la solde, et plaça à leur tête son fds Binâtoui
(Théodose). Il invita Parwiz par une lettre à venir le voir.
Parwîz arriva. Le César lui donna en mariage sa fille nom-
mée Marie, et lui offrit cette armée, complètement armée et
pourvue de tout. Il y avait dans les rangs de cette armée
quelques hommes qu on appelait ft hommes de mille, v et dont
chacun était réputé égal à mille hommes. Toutes les fois que
le César voulait envoyer quelque part mille hommes, il fai-
sait partir Tun de ces hommes, qui accomplissait Tœuvre de
mille soldats. Le César les confia donc à Parwiz , en lui faisant
connaître ces circonstances. Il lui remit Tarmée, à la tête de
laquelle il avait placé son fils Théodose, une grande somme
d'argent et sa fille Marie , et il le fit partir ainsi. Il raccom-
pagna jusqu'à la troisième station , ensuite il s'en retourna.
Parwiz, quittant le pays de Roum, avec le fils et la fille du
roi, avec les soixante et dix mille hommes et une grande quan-
tité de richesses, se dirigea vers l'Aderbidjân. Lorsqu'il arriva à
la frontière de cette province , son oncle Bendouï , accompagne
des vingt mille hommes qui l'avaient rejoint, vint à sa rencontre.
N'étant plus qu'à une courte distance de Parwiz, Bendouï
et un de ses cavaliers quittèrent les rangs et marchèrent en
avant. Parwiz etBostâm devancèrent également leurs troupes.
Quand les deux corps d'armée furent en vue l'un de l'autre,
Parwiz dit à Bostâm : Quels sont les deux cavaliers qui arri-
vent là? Bostâm répondit : L un d'eux est mon frère Ben-
douï, mais je ne connais pas l'autre. Parwiz répliqua : Tu es
fou! Bendouï, au moment où il fut entrainé de l'ermitage, a
été tué ou fait prisonnier. Lorsqu'ils se furent rapprochés,
Bendouï reconnut Parwîz; il descendit de son cheval et
J9-
29*2 CHRONIQUE DE TABARI.
baisa la terre devant lui. Alors Parwîz le reconnut également,
s'approcha et exprinna sa joie. Il fit remonter Bendoaî sur
son cheval et continua sa route avec lui et Bostâm. Tous les
trois se denriandèrent réciproquement de leurs nouvelles.
Bendouï raconta ses aventures depuis qu'il ëtait sorti de
l'ermitage, l'histoire de Bahrâm et de ses adversaires, qui, au
nombre de vingt mille, par attachement pour Parwtz, étaient
venus le rejoindre. Parwîz dit : Je suis plus heureux de t*
présence que de celle de cette armée. H continua sa marche
et arriva dans la ville de Schiz, où il fit halte. Schiz est une
ville considérable de l'Aderbîdjân, qui renfermait un grand
pyrée.
Bahrâm , à la nouvelle de l'arrivée de Parwîz, prépara son
armée et quitta Madâïn avec cent mille hommes. 11 mar-
chait à sa rencontre et n'était plus séparé de lui que par la
distance d'une parasange. Le lendemain, les deux armées
furent en présence, se formèrent en ordre de bataille, prêtes
à combattre. BahnAm, se tenant au centre, monté sur un
cheval pie, fut reconnu par Parwîz, que de son côté il dis-
tingua également. Il y avait dans l'armée de Bahram trois
Turcs d'une remarquable bravoure, qui, le jour où Bahrâm
avait livré bataille à l'armée turque, s'étaient rendus à lui,
lui demandant la vie sauve. C'étaient les plus vaillants
hommes de tout le Turkestan. Ces trois hommes sortirent
des rangs de l'armoe de Bahrâm et dirent à Parwtz : Nous te
donnons un défi ; nous allons combattre contre toi l'un après
l'autre; avance. Parwîz s'avança; mais Théodose lui dit :
Ne va pas, il ne faut pas que le roi sorte pour combattre.
Parwtz répliqua : Quand on appelle le mattre au combat,
il ne faut pas qu'il recule; cela serait honteux. Si un âne
perd sa charge, le maître de l'âne est obligé de la remettre
PARTIE 11, CHAPITRE LU. 293
sur ràiie. 11 s avança donc, el Y un des trois Turcs se présenta
devant lui. Parwiz Tattaqua, le renversa, avec sa lance, de
dessus son cheval , le frappa de son épée et le tua. Lorsque
Tautre parut, Parwiz lui asséna un coup d'épée, qui lui
fendit en deux le heaume et la tête. Le troisième tourna le
dos el s'enfuit. Parwîz s'élança après lui , et d'un coup d'épée
sur répaule il lui enleva la moitié du corps. Ensuite il rentra
dans son camp. Ni les Grecs et ni les Perses ne s'étaient doutés
que Parwîz eût tant de courage et de force; tous furent
remplis de joie; Théodose descendit de cheval et baisa Tétrier
de Parwiz, et tous les soldats baisèrent la terre devant lui.
L'un des dix qui avaient la valeur de mille hommes vint
auprès de Parwîz el lui dit ; 0 roi, toi qui as tant de courage,
pourquoi donc as- tu fui devant un de tes propres généraux?
Parwiz fut blessé de cette parole et garda le silence. L'autre
dit : Où. est ce cavalier devant lequel tu as pris la fuite, en
venant en Roum, afin que j'aille, seul, le combattre pour te
délivrer de lui? Parwîz dit : C'est celui qui est monté sur
un cheval pie, au centre de l'armée, r L'homme de mille t)
dirigea son cheval de ce côté et provoqua Bahrâm au combat.
Bahrâm se présenta, et, commençant la lutte, frappa le Grec
d'un coup d'épée qui lui fendit la tête, traversa le pourpoint,
la cotte de mailles et la cuirasse, jusqu'aux arçons de la selle,
et entra dans le corps du cheval, de sorte qu'une moitié de
l'homme tomba d'un côté et une moitié de l'autre. Parwîz
éclata de rire. Théodose et les Grecs furent blessés de ce
rire, et Théodose lui dit : Pourquoi ris-tu de la mort d'un
homme si brave? Parwîz répondit : Parce qu'il m'a insulté
au sujet de Bahrâm; mais Dieu lui a montré les coups de
Bahrâm. Ensuite Parwîz le fit relever du lieu où il était
tombé, le fil embaumer avec de l'aloès, du vert-de-gris et du
294 CHROMQIE DE r\BARi.
camphre , et (it dessécher le corps; puis il le fil transporter sar
des dromadaires auprès du Cësar, avec une lettre ainsi conçue <
Je t'écris du champ de bataille. Tes hommes m'ont insulte en
me reprochant de m'étre enfui devant l'un de mes propres
généraux. Cest cet fr homme de millet) qui m'a fait ce re-
proche. Il a cherché lui-même le combat avec Bahrâm, qui
l'a ainsi frappé. Je t'envoie son corps, afin que tu voies quels
sont les coups de Tliomme devant lequel j'avais pris la
fuite.
Ce même jour, il y eut un engagement entre les deux ar-
mées, et un grand nombre de soldats furent tués ou blessa.
La nuit les sépara. Le lendemain , on recommença la bataille , et
il y eut également un grand nombre de morts. Dans la nuit du
troisième jour, Parwîz fit dire aux Grecs : Reposez-vous de-
main, ce sont les vingt mille guerriers perses qui combattront.
Ceux-ci étaient commandés par un général nommé Mousél
(Mouschegh), l'Arménien, l'un des généraux de Perse. Par-
wiz, le lendemain, lui ordonna d'engager la lutte. Les Perses
sortirent et livrèrent la bataille. Des deux côtés il y eut un
grand nombre de morts. Le soir, les deux armées rentrèrent
dans leurs camps. Bahrâm envoya à Parwiz le message sui-
vant : Demain nous allons combattre à nous deux, corps à
corps; je te tuerai ou je périrai par ta main. Parwiz répon-
dit : Très-volontiers. Le lendemain, Bendôuï et Bostâm dirent
à Parwîz : Nous n'approuvons pas que tu te rendes à la pro-
vocation de Bahrâm. Parwîz répliqua : Qu'en sera-t-il î S'il
me tue, je serai délivré de moi-même, et vous aussi serez
délivrés de moi; car il y a assez longtemps que vous êtes
dans la peine à cause de moi. Toutes leurs prières furent inu-
tiles.
I^e lendemain, les deux armées se formèrent en ordre de
PAHT.IK H, CHAPITRE Lil. 295
bataille; .Bahidin sortit du milieu de sou armée et cria à
Parwiz : Si tu veux le royaume, avance! Parwiz sortit, et ils
s'assaillirent. Bahrùm tomba sur Parwiz et voulut lui assener
un coup. Parwiz recula et se mit à courir vers son camp ; mais
Bahràm lui coupa le chemin. Restant ainsi entre les deux
armées, cherchant une issue, Parwiz se sauva, poursuivi par
Bahràm, jusqu'à une montagne qui se trouvait à droite de
Tarmée. Alors Bahràm lui cria : Où vas-tu , 6 bâtard? Tu as
devant toi la montagne et derrière toi Tépéc ! Parwiz descendit
de son cheval, l'abandonna, se dépouilla de son armure et se
mit à monter pour atteindre le sommet. Bahràm, arrivé près
de la montagne, mit pied à terre pour y poursuivre Parwii,
qui s'arrêta au milieu, ne pouvant aller plus loin, parce que
cette montagne était fort élevée et roide. Bahràm , n'étant plus
qu'à une courte distance , tendit son arc pour lancer une
flèche sur Parwiz. Celui-ci tourna le visage vers le ciel et dit ;
0 Seigneur, tu sais qu'il agit injustement envers moi; pro-
tége-moi contre cet homme criminel. Alors la force entra
dans le corps de Parwiz; il fit un eflbrt et arriva au haut de
la montagne. Avant que Bahràm eût tendu son arc, il était
déjà hors de sa vue. Bahràm voulut le suivre, mais il ne le put
pas. Les mages disent qu'un ange était venu prendre Parwiz
par la main et le conduire au sommet de la montagne ; mais
c'est là un mensonge. Ensuite Bahràm descendit de la mon-
tagne, remonta à cheval et retourna au camp. Après quelque
temps, Parwiz descendit également de la montagne, remonta
à cheval et rentra dans son camp. 11 réunit en un seul corps
les Perses et les Grecs, et recommença le combat. La lutte
dura jusqu'à la nuit, où les deux armées rentrèrent, après
avoir perdu beaucoup de monde.
Bendouï dit à Parwiz : 0 roi, les soldats de Bahràm, ce
396 CHB«i?(|QlE DE TlBlBI.
floot te« propre «oldat«: il« ont ap|iarfmo à Homoid. H
Bahrim krar fst étrangler: c'^ b rrainte qui 1^5 emp^be
de Tenir le rejoindre ; fai*-lear promettre la ne saore. Parwiz
\ consentit. Pendant la nuit . Bendonî !ie rendit seul derant le
camp de Bahrâm et cria : 0 Perses . je ^ais Bendonî, Toncle
de Parwii. ke^ra vous accorde la vie sao^e: tons ceux qoi
tiendront lai faire lear <oamis$ion cette nait n^amont rien à
craindre relativement à ce «jui s'est pass^. l^râm. enten-
dant cet appel , monta à cheval . prit une lance et chercha k
atteindre Bendonî. Ceiai-ci, le voyant . s'enfuit et rentra dans
le camp de Parwiz. Cette même nait, tonte Tannée de Bahrim
passa dans les rangs de Parwiz , et , le matin , des cent mille
hommes qu'il avait eus il n'en resta pas plus de quatre mille
avec Bahrâm. Ceiai-ci dit à Merdânschâh : Il faut partir. Il
fit charger les bagages et prit le chemin du Khorâsân avec
ses quatre mille hommes.
Kesra entra dans Madâîn et envoya à la poursuite de Bah-
râm un de ses généraux avec huit cents hommes, qui Tattei-
gnit le troisième jour. Bahrâm fit halte, lui livra un combat,
mit sa troupe en fuite et le fit prisonnier. H voulut le faire
mettre à mort, mais le général lui demanda grâce, en disant :
Ne me fais pas tuer, je te suivrai partout où tu voudras.
Bahrâm lui rendit la liberté, en lui disant: Va, retourne au-
près de ton maître; je n'ai que faire de toi. Ensuite Bahrâm
continua sa route et arriva près de Hamadân. Il s'arrêta dans
un des bourgs de ce territoire, et descendit, avec les esclaves
attachés h son service, chez une vieille femme très-pauvre. Il
faisait complètement nuit, li fit chercher la caisse à provisions
qu'il conduisait avec lui; après l'avoir vidée, ils mangèrent un
peu et donnèrent à la vieille femme ce qui restait. Ils avaient
aussi de quoi boire, mais les coupes se trouvaient dans un
PARTIE II, CHAPITRE LU. 297
autre endroit des bagages, et les esclaves dirent qu'ils ne pou-
vaient pas les déballer. Bahràni demanda à la vieille si elle
n'avait pas quelque chose pour y mettre de la boisson. Elle
apporta une gourde brisée, disant : Je bois de Teau dans ceci.
Bahrâm la prit et but du vin. Ensuite il demanda des su-
creries. L'esclave en apporta et les versa devant lui sur le sol.
Bahrâm dit : IVas-tu pas un plat? L'esclave répondit qu'il
était dans la caisse et qu'il ne pouvait pas le prendre. Alors
Bahrâm dit à la femme : As-tu un plat pour que nous y met-
tions ces sucreries ? Elle apporta un plat d'argile mêlée de
liente, tel qu'en fabriquent les pauvres femmes, et elle dit :
C'est dans ce plat que je mange. Bahrâm y mit les sucre-
ries et en mangea , quoique l'odeur de la fiente lui montât au
nez. Eprouvant les effets du vin, tout en supportant la mau-
vaise odeur que la gourde avait communiquée au vin , il dit à
la vieille femme, qui était assise devant lui : Que sais-tu des
événements de ce monde? Elle répondit: J'ai appris que
Parwiz a amené une armée de Boum , qu'il a combattu Bah-
râm et qu'il l'a mis en fuite. Bahrâm demanda' de nouveau:
Que dit-on de Bahrâm? A-t-il bien ou mal fait? La femme
répondit : On dit qu'il a eu tort; le pouvoir ne le regardait
pas, il n'était pas de la famille royale; il aurait dû rester
serviteur, pour bien vivre. Bahrâm dit : 0 femme, il en est
arrivé qu'au vin de Bahrâm est mêlée l'odeur de la gourde, et
que ses sucreries exhalent une odeur de fiente.
Le lendemain, Bahrâm, avec ses troupes, continua sa
marche, et vint a Reï. De là, il se dirigea vers le Khorâsân
et arriva à Qoumes, au territoire de Dâmeghân. Il y a, entre
Qoumes et le Djordjân, une montagne dans laquelle se
trouvent un grand nombre de bourgs, habités par des mon-
tagnards. Ceux-ci avaient un roi nommé Qâren, qui éUiil de
298 CHRONIQUE DE TABARJ.
sang roval el qui avait été établi par Nouschirwân, à cause
lie rau(orif(^ dont il jouissait par sa naissance et ses richesses.
Nouschirwân lui avait accordé le privilège de s'asseoir sur
un trdne d'or, el Hormuzd , devenu roi , lui avait ëgalemen!
accordé ce |)rivilégo. Il était vieux et reconnu comme sou-
verain de ces contrées montagneuses, souveraineté qui est
restée jusqu'à aujourd'hui dans sa famille. Qâren fit avancer
iiuc armée, coupa le chemin à Bahrâm et envoya au-devant
de lui son fils avec douze mille hommes. Bahrâm fit porter à
Qâren le message suivant : Laisse-moi passer, je ne veux pas
t'inquiéler. Je n'ai pas mérité de toi ce que tu fais, lorsque,
en passant sur ton territoire avec mon armée, je t'ai laisse'
en paix. Qâren lui fil cette réponse : Je ne t'accoi"de pas le
passage libre; car tu t'es révolté contre ton maHre et tu as
rempli le monde de violences. Je veux te faire retourner au-
près de Parwîz; si tu ne rentres pas spontanément sous son
obéissance, je te livrerai le combat, je te ferai prisonnière!
te renverrai à lui. A ce refus, Bahrâm se préparé au combat.
Avec ses quatre mille hommes il défit complètement l'armée
de Qâren, composée de douze mille soldats, et tua un grand
nombre d'hommes. Qâren fut fait prisonnier, et Bahrâm voulut
le faire mourir. Qâren lui demanda grâce, disant : Cest mon
fils qui m'a poussé à te combattre; mon fils a trouvé la mort,
el moi je suis un vieillard , fais-moi grâce. Bahrâm lui donna
sa liberté et continua sa route vers le Khorâsân. II arriva aux
bords du DjHioun; de là il se rendit dans le Turkestân, où
il y avait un roi, nommé Khâqân, qui n'était pas parent de
Parwîz. Balirâm se mit sous sa protection; le Khâqân la
lui accorda et le traita avec bonté. Bahrâm accomplit dans le
Turkestân un grand nombre d'actions d'éclat. Parwiz chercha
par des machinations à le faire périr dans ce pays. Une sœur
PARTIE IJ, CHAPITRE LUI. 299
de Bahrain, nommée Kourdiyè, vint auprès de Parwiz, qui
l'épousa. Nous raconterons plus loin la mort de Bahrâni.
CHAPITRE LUI.
HÈGNB DE PARWÎZ APRES LA FUITE DE BAHRAM-TSCHOUBIN.
L'auteur dit : Parwîz, en annonçant sa victoire au César,
fit beaucoup d'éloges de l'armée de Roum et de Théodose.
Le César fut charmé et envoya à Parwîz un vêtement d'hon-
neur complet, de ses propres habits, de brocart de soie, sur
lequel était brodée une croix. Kesra fit exposer ce vêtement
devant tout le peuple, afin que tous pussent le voir. Théo-
dose lui dit : 0 roi, du dois t'en revêtir et te montrer ainsi
au peuple et à l'armée. Kesra dit : Il y a une croix sur ce
vêtement, et si je le porte, mon armée pensera que je suis
devenu chrétien et me sera hostile. Théodose répliqua : Si tu
ne le portes pas, tu auras montré du mépris pour l'empereur,
ce qu'il n'a pas mérité de toi. Kesra demanda l'avis du grand
mobed, qui lui dit : Les hommes savent que tu n'as pas aban-
donné ta religion; tu peux mettre ce vêtement pour un peu
de temps en public, tu t'acquitteras par là de ton devoir en-
vers l'empereur, et tu feras plaisir à Théodose et à l'armée de
Roum. Le lendemain, Kesra fit préparer un grand banquet,
auquel il invita toute l'armée perse et l'armée grecque. Lorsque
tous furent à table , il se couvrit de ce vêtement , parut au milieu
d'eux et alla se placer au bout d'une des tables. Les hommes
mangeaient, et Théodose, Bendouï et Bostâm se tenaient de-
bout. Les hommes dirent entre eux : Kesra a adopté la reli-
gion du César, car il a mis ce vêtement avec la croix. Bendouï
en avertit Parwîz à voix basse et lui dit : Place-toi au bout
:iOO CHRONIQUE DE TABARI.
de la table, prends un couteau, accomplis ia rc^rémonie de
la prière et du silence, afin qu'ils reconnaissent que tu n'as
pas abandonne ta religion. Il est d'usage, en Perse, que,
lorsque plusieurs personnes mangent ensemble, Tune d'elles
prenne un couteau , dont le manche est de fer, récite la béné-
diction et prie pour les convives. Le silence s'établit, et tous
mangent sans prononcer une parole pendant le repas. Les
mages font ainsi encore aujourd'hui. Donc Kesra, vêtu de
cet habit grec, s'avança, se plaça au bout de ia table et
voulut accomplir la cérémonie. Théodose vint, prit le cou-
teau des mains de Kesra, le jeta sur la table et dit : On ne
peut pas accomplir la cérémonie de la prière et du silence,
étant revêtu de la robe avec la croix. Bendouï dit à Théodose:
Kesra n'a pas embrassé votre religion; il a sa propre religion,
la croix n'a pas de valeur à ses yeux. Théodose répliqua :
Elle en a à mes yeux. Ils se disputèrent et en vinrent aux
mains. Théodose dit à Kesra : Voilà comme tu me récom-
penses! Bendouï donna à Théodose un soufflet; ce que voyant,
Kesra se retira. Bostâm s'approcha et sépara les deux com-
battants. Théodose, en colère, sortit aussitôt, suivi de tous
les officiers grecs qui se trouvaient à cette table. Cette fête
devint ainsi un sujet d'affliction pour Kesra. Le jour suivant,
toute l'armée grecque étant rentrée dans son camp. Théodose
fit dire à Kesra : Si tu ne m'envoies pas Bendouï pour que
je lui coupe la main, parce qu'il m'a frappé au visage, pré-
pare-loi à la guerre. Cette alternative fut très-douloureuse
pour Kesra. Il alla trouver sa femme, Marie, et lui dit : Vois-
tu comment ton frère a troublé mon pays? Voilà ce qu'il me
fait dire maintenant. Marie dit : 0 roi , je connais mon frère,
il est doux et généreux; envoie-lui Bendouï et laisse-le libre
de lui couper la main ou de le tuer; il l'épargnera et te ie
PARTIE II, CHAPITRE LUI. 301
renverra saiii et sauf. Alors Kesra envoya Bendouï vers Théo-
dose et lui fit faire des excuses. Théodose agit comme Marie
l'avait dit. Il reçut Bendouï en grâce, fit mettre pied à terre
à toute son armée, et lui-même descendit également de son
cheval.
Le lendemain, Kesra chargea Bouzourg-DebiV (le grand
scribe) d'aller relever les noms de tous les soldats de Tarmée
de Roum. Il envoya à chacun, selon son grade, une robe
d'honneur, des pièces d'argent et d'or. Il fit remettre à Théo-
dose, pour l'empereur, mille perles non percées, qui avaient
le brillant et l'éclat du soleil et de l'eau limpide; mille vête-
ments tissus d'or, dont chacun avait la valeur de dix mille
dirhems; mille chevaux tokhariens et mille chevaux arabes,
mille chameaux de selle et mille chameaux persans {bakht).
Il envoya tant de richesses à Théodose, que celui-ci en (ut
confondu. Il fit de même pour les neuf guerriers qu'on appe-
lait fr hommes de mille, t» et fit remettre la part de celui qui
avait été tué à son héritier. Ensuite il congédia Théodose,
l'accompagna jusqu'à ta première station et rentra à Madâïn ,
où il s'assit sur le trône. Les dix personnes qui avaient été
avec Parwîz à Roum furent particulièrement distinguées par lui :
il leur donna des commandements. Il distribua des richesses
immenses aux vingt mille hommes qui avaient fait de l'op-
position à Bahrâm et que celui-ci avait chassés de Madâïn. Il
fit aussi de nombreux présents à Bendouï. Quant à Bostâm ,
il l'envoya dans le Khorâsân , comme gouverneur de Reï, du'
Kliorâsân et du Taberistân. Enfin, lui -môme, assis sur le
trône , exerçait la souveraineté en paix.
%m2 «.Hfeu3ii<^l£ b£ TaEAEi.
CHAPITRE LIV.
Or BafaràiD était feoo dans le Turfcesitâa, oè le k'hàipn
lai avait areordé sa protertioD. Le iLhàqân avait ui frère
nommé Pégoù, qui tenait envers lui des propos injnrinix el
diMiit qu'il avait plus de titres au trdne que le KhàqâB, parte
qo*il était plus poifisanL Le khàqàn en eot on gra^ chagrin.
Alors Babrâm lui dit : Veoi-iu que je te délÎTre de Ion frère?
Le Kbâqan répondit : Je le veoi bien; mais il ne iaul pas
que Ton saebe que cela a lieu de mon aven. Ln jour, lorsque
Pégou tenait des propos contre le khàqân, Babrim lui dit: 3ie
parle pas ainsi, tu désbonores le roi. L'autre répliqua : Mais
qui es-tu donc, ô fuyard? Babrâm répondit, et Pégoo voulut
se jeter sur lui. Babrâm lui dit : Ce n'est pas ici le lieu de
lutter; montons à cbeval et sortons. Pégou consentit; et ils
sortirent immédiatement Pégou asséna un coup à Babrim,
mais il ne lui fit aucun mal. Alors Babrâm lui lança une
flèche qui lui entra dans le ventre et sortit par le dos; ensuite
il Facheva. Le Khâqân lui en sut gré. Ensuite Babrâm voulut
aussi rendre un service à la grande Kbâtoun ; car chez les
Turcs toutes les affaires se font par les femmes. Une des filles
de la khâtoun avait été emportée par un ours dans la mon-
tagne. Babrâm y alla, tua Tours et ramena la jeune fille, et la
Kbâtoun le traita également avec honneur. Lorsque Parwfz
apprit que Babrâm était en faveur auprès du Khâqân, crai-
gnant qu il n'obtint une armée el qu il ne revint lui faire la
guerre, il envoya un ofiicier dans le Turkestân, avec quantité
de présents, en lui recommandant de faire périr Babrâm par
PARTIE H, CHAPITRE LIV. 303
des inlrifrues, et de dire au Khâqâii que Bahrâni était un
homme sans foi, qui s'était révolté en Perse. Quand cet en-
voyé vinl auprès du Khâqân et lui tint ce langage, celui-ci
entra en colère et dit : Ni moi ni vous ne possédons un
homme pareil à Bahrâm; s'il s'est révolté, c'est par voire
faute. Alors l'officier se rendit auprès de la Khâtoun, lui
remit de nombreux présents et lui dit : Cherche à perdre
Bahrâm. La Khâtoun avait un esclave, auquel elle donna
vingt mille dirhems et un poignard trempé dans du poison,
en lui disant : Va à la demeure de Bahrâm; dis que tu lui
apportes un message de ma part, et quand tu auras été in-
troduit et que tu lui parleras , frappe-le de ce poignard. L'es-
clave, étant en présence de Bahrâm et lui parlant, sortit de
sa manche le poignard et le plongea dans le ventre de Bah-
râm. Celui-ci se précipita sur lui, le saisit et lui demanda
d'après quelles instigations il avait agi. L'esclave lui ayant
appris la vérité, Bahrâm le lâcha. Il mourut dans la même
nuit. Lorsque le Khâqân fut informé de cet événement, il fit
mettre à mort cet esclave et tous ses complices.
Bahrâm avait une sœur nommée Kourdiyè, qui avait été
sa femme. Lorsqu'il fut mort, elle plaça son corps dans une
bière et le transporta dans sa patrie, où elle le fit enterrer.
Ensuite elle se rendit dans le Khorâsân, et fut la femme de
Bostâm. Quand celui-ci se révolta, Parwfz fit dire à Kourdiyè
de tuer Bostâm et de venir auprès de lui pour ôtre sa femme.
Kourdiyè tua Bostâm, vint à Madâïn, et Kesra l'épousa, étant
désormais tranquille à l'endroit de Bahrâm.
z^n i:hrumqie de tab\ri.
CHAPITRE LV.
SCITB Dl BK!iB »B PABWÎl. SIS E1CBIS6IS.
Parwiz occupa le troue pendant trente-huit ans. Aucun
des rois de Perse n aTait amassé autant de richesses que lui.
il avait d'abord un trône d'or appelé TâkdUj haut de cent
coudées, dont les quatre pieds étaient des rubis rouges,
comme aucun roi n'en avait possédé. Sa couronne était ornée
de cent perles, chacune de la grosseur d'un œuf d'oiseau. Il
avait un cheval, nommé SckebdL (couleur de nuit), qui était
plus rapide que tous les chevaux de la terre, et qui hii était
venu de Roum. Quand on le ferrait, on employait huit clous
pour chaque pied, et on lui donnait à manger de tous les
mets que mangeait Parwiz. Quand ce cheval mourut, Parwîi
le fit ensevelir et enterrer, et fit sculpter en bas-relief son
image, qu il regardait chaque fois que le souvenir et les re-
grets de ce cheval assaillaient son cœur. Cette sculpture existe
encore aujourd'hui à Kirmânschâhàn. On a également repré-
senté Parwiz monté sur Schebdiz.
Parwiz possédait une jeune fille , nommée Schirin , une jeune
fille grecque, qui surpassait en beauté toutes les femmes de
Roum et du Turkestân. Lorsqu'elle mourut, Parwiz fit sculpter
son image , qu'il envoya par un homme dans le Turkestân , dans
le pays de Roum et dans les autres contrées de la terre : nulle
part, on ne trouva sa pareille en beauté. C'est de cette femme
que fut amoureux Ferhâd, que Parwiz punit en l'envoyant
extraire des pierres à Bisoutoun. Ferhâd fit tant que chaque
portion qu'il détachait de la montagne était si volumineuse
qu'aujourd'hui elle ne peut être soulevée par cent hommes.
PARTIE 11, CHAPITRE LVI. 305
Parwiz avail en outre un trésor qu'on appelait Bâdawerd
(amené par le vent),* trésor qui avait été envoyé par le roi
de Roum en Abyssinie, et qui se composait de mille navires
remplis de vêtements, de pierres précieuses, de peries, d'or
et d'argent. Le roi de Koum, pressé par un ennemi, avait
expédié ses richesses en Abyssinie. Le vent avait jeté les vais-
seaux sur la côte de POman, dans le royaume de Perse, et
c'est ainsi que ce trésor était tombé entre les mains de Par-
wiz, qui l'avait nommé Bâdawerd. Il avait cinquante mille
chevaux, chameaux et ânes, et dans ce nombre il y avait huit
mille montures pour son propre usage. Il possédait mille
éléphants, douze mille femmes, libres et esclaves, et douze
mille chameaux blancs qu'on appelait chameaux turcs. II
avait en outre des objets que jamais aucun roi n'a possédés,
comme de l'or malléable, et une serviette avec laquelle il s'es-
suyait les mains; quand elle était sale et qu'on la jetait dans
le feu, elle ne brûlait pas : le feu ne faisait qu'enlever les
taches. Il avait des musiciens, comme Barboud et Sergius.
Dans la vingtième année du règne de Parwîz, le Prophète
commença sa prédication à la Mecque; sa fuite à Médine
eut lieu quand Parwiz avait déjà régné trente ans accomplis.
Il ne se passa pas de jour, depuis la naissance du Prophète,
que Dieu ne fit connaitre un signe de sa mission prophé-
tique à«Parwiz.
CHAPITRE LVI.
RÉCIT DES SIGNES ET MIRACLES DU PROPHETE.
Le premier signe fut que la voûte du palais de Madâïn
s'écroula deux fois, et sa réparation coûta chaque fois un
million de dirhems. Parwiz demanda aux astrologues ce que
11. 90
306 CHRONIQUE DE TABARl.
nignifiaii cet accident. Ils lui dirent : Un érénemenl novreau
va m panfi^r dans le monde, one religion noarelle m smgîr.
Un autre Mgne fut qu'un pont près de Madafn fol, pendant
que Parwiz y passait, emporté par le fleave, et qoe Parwii
faillit tomber dans Teau. Le rétablissement de ce pont exigea
une dépense de cinq cent mille dirfaems. Un antre signe fnt
que , Parwfz élant un jour dans son appartement et Dosant la
sieste, un homme y entra par la porte, tenant dans sa main
un bâton de bois, et lui dit : Ce Mo^hammed est dans ia Te-
nté; si tu ne crois pas en lui, il brisera ta religion comme je
vais briser ce bâton. Et, en prononçant ces paroles, ii brisa
le bâton. C'était un ange, qui vint deux fois, parlant ainsi!
ParwJz.
Un autre signe fut que les habitants de Roum se concer-
tèrent et tuèrent leur roi et toute ia famille royale. Ce roi
était Maurice, le même qui avait secouru Parwiz, en en*
voyant son fils Théodose pour le replacer sur le trône et qni
l'avait fait triompher de Bahrâm. Après avoir tné Maurice,
les habitants de Roum mirent sur le trône Phocas. Théodose
vint auprès de Parwiz et lui dit : Tu sais quels services ta
rendus mon père. Maintenant qu'il a été tué, agis envers
moi comme mon père a agi envers toi. Parwiz traita le fils
de Maurice avec bonté et le fit partir avec douze mille hommes
commandés par un sipchbed, nommé Ferroukhân , .afin de
le replacer sur le troue. Il envoya un autre général, nommé
Çadrân, contre Jérusalem, pour en chasser tous les chré-
tiens et rejoindre ensuite Ferroukhân. Lorsque Çadrân ar-
riva à Jérusalem , les chrétiens de cette ville avaient caché
sons terre la croix. Il leur enjoignit de la lui apporter; [sur
leur refus,] il fit mettre i mort trois mille chrétiens et doc-
teurs chrétiens; enfin ils la lui remirent, et on i*envaya k
Ik.
PARTIE 11, CHAPITRE LYl. 907
Parwiz^qui la plaça dans aon trésor. Ferroukhân, de son côte,
entra en Roum, et fit la conquête de tout le pays» pour le
rendre à Théodose. Cependant les habitants de Roum se
concertèrent et dirent : Nous ne voulons pas du fils de Mau-
rice , qui voudra venger sur nous la mort de son père. Alors
Ferroukhân resta dans ce pays et y exerça le pouvoir. Les
habitants de la Mecque et de T^Irâq furent très-heureux de
cet événement et dirent : Les Perses n ont pas de livre sacr^,
pas plus que nous. Nous sommes donc leurs égaux. Or ik ont
fait la conquéie de Roum, et il n'y aura plus jamais de roi
grec en Roum. Alors Dieu informa le Prophète que les Perses,
ayant vaincu les Grecs, seraient vaincus à leur tour par ceux-
ci; et il lui révéla le verset suivant : crLes Grecs n*ont-iIs pas
été vaincus dans une contrée voisine? Mais, après avoir été
vaincus , ils triompheront dans quelques années, n (Coran , sur.
XXX, vers, i et suiv.) Les amis du Prophète furent très-satis-
faits, et Abou-Rekr-aç-Ciddiq alla au temple de la Mecque
(ceci se passait avant la Fuite), communiqua ce fait aux
Qoraïschites et leur récita ce verset. Obaï, fils de Khalaf,
dit : Cela est impossible, Mo^hammed ment ; jamais les Grecs
ne seront plus vainqueurs. Abou-Rekr répliqua : Je parie
avec toi que, d'ici trois ans, ils remporteront la victoire.
Ce pari fut conclu. Lorsque le Prophète en eut connais-
sance, il dit à Abou-Bekr : Ne fixe pas le terme à trois
ans, mais -à sept, car le mot quelques employé dans le Co-
ran signifie de trais h neuf; <t augmente la gageure et recule
le terme. 1) Abou-Bekr porta la gageure a cent chameaux, et
fixa avec Obaï le temps à sept années. Après cela, le Pro-
phète resta encore cinq ans à la Mecque. Il était depuis
deux ans à Médine lorsque les Grecs remportèrent la vic-
toire, et que Tempire échut à Héraclius. Après avoir cbassé
90 .
308 CHRONIQUE DE TABARI.
les Perses et Ferroukhân de Roum, Héraclius, en \e» pour-
suivant, vint attaquer le roi de Perse et le mit en fuite. Par-
wîz arriva à Deskerè, qui est sur la route de ^Haddjâdj et
quon appelle Deskerè-al-Mélik. Cette ville, défendue par
une grande et solide forteresse, était la plus grande ville du
Sawâd de T^Iràq. L'empereur conclut la paix avec Parwfz et
retourna en Roum. Alors Dieu dit : rCe jour-là les croyants
se réjouiront, i> etc. (Sur. xxx, vers. 3-4.) Le sens de ce verset
est que, lorsque les chrétiens de Roum obtinrent la victoire,
les croyants furent heureux d'un événement qui affligea les
Qoraischites incrédules. A la même époque où les Grecs furent
victorieux, les incrédules firent avancer une armée vers le
puits de Bedr. Lorsqu'ils apprirent que les Grecs avaient
triomphé, ils furent découragés et Dieu les confondit.
La victoire des Grecs eut la cause suivante : après que
Ferroukhân eut gouverné pendant sept ans en Roum , Héra-
clius, étant endormi une nuit dans une église, eut un songe:
il vit un ange descendre du ciel et jeter autour du cou du
roi de Perse une corde, qu'il fil tenir à Héraclius. Celui-ci,
s'éveiilant, dit : Dieu m'a donné un signe. 11 rassembla une
armée, envahit Plràq avec soixante et dix mille hommes, atta-
qua le roi de Perse, le mit eu fuite et ravagea toute la Perse.
Les astrologues ayant annoncé à Parwiz qu'il nattrait dans
sa famille un enfant mal constitué, qui aurait la couronne à
sa place, il fit enfermer tous ses fils dans la forteresse [de
Deskerè] et plaça auprès d'eux des gardiens, afin qu'aucune
femme ne pénétrât près d'eux. Par cette mesure, il indisposa
contre lui ses fils. Il fit également mettre en prison les troupes
qui étaient revenues de Roum, parce qu'elles avaient pris
la fuite. Ces soldats aussi conçurent des sentiments hostiles
à son ^ard. Ensuite Parwtz conclut la paix avec le roi de
PARTIE II, CHAPITRE LVll. 509
Rouin, qui retourna dans son pays, el lui-même quitta la for-
teresse.
Ensuite, un ange sous la forme d'un homme se présenta
devant Parwiz et lui dit : Crois à Mo^hammed. Parwîz ne crut
pas.
Un autre signe de ia mission prophétique de MoMiammed
fut la guerre de Dsou-Qâr, que nous allons raconter.
CHAPITRE LVII.
HISTOIRE DE LA GUERRE DE DSOU-QAR.
L*origine de celte guerre fut la suivante :
Il y avait à la cour des rois de Perse, (J^puis le règne de
Nouschirwâii, et même avant ce prince, d(is interprètes, des
savants qui , loi*squ un roi adressait une lettre au roi de Perse,
ia lui lisaient et écrivaient la réponse. Pour les affaires arabes ,
un homme sachant également la langue arabe et la langue
persane était attaché au service de Parwîz. Quand il arrivait
un ambassadeur ou une lettre de la part de Tun des chefs
arabes, c'était lui qui traduisait en persan au roi les paroles de
rambassadeur, ou qui lui lisait la lettre et écrivait la réponse.
H en était de même pour les négociations avec les rois de
Roum, du Turkest^n, de Tlndostan et des Khazars, pour
lesquelles il y avait autant d'interprètes. Celui qui était Tin-
terprète de Parwîz pour les affaires avec les chefs arabes
s'appelait 'Adî, fils de Zaïd al-*Ibâdî, issu d'une illustre fa-
mille arabe : c'était un homme versé dans l'art d(» l'écriture,
el Ton a de lui un grand nombre de poésies. ^Adî avait sa fa-
mille à ^Ilîra, la résidence de Norman, fils de Moundsir, roi
des Arabes. Chaque année il demandait à Kesra un rongé
310 CHRONIQUE DE TABARI.
de trois mois, quil passait h ^Hira, pour régler ses affaires
personnelles. II y vivait dans la familiarité de Norman. En-
suite il retournait à la cour de Kesra , où il rendait des ser-
vices à Norman. Celui-ci le tenait en grande estime et le
comblait de marques de faveur. Il y avait longtemps que ^Adf
était à la cour de Kesra : son père Zaïd, fils d'Ayoub, avait
été interprète de Kesra, après Tavoir été d'Hormuzd, et cette
fonction s'était perpétuée dans sa famille. ^Adi avait un frère,
nommé Obaî, par lequel il se faisait remplacer lorsqu'il quit-
tait la cour pour aller dans sa patrie.
Il y avait à ^Hira un homme, nommé Aus, fils d'Al-Mou-
qarrin, qui nourrissait des sentiments hostiles envers *Adi.
Il était en grande faveur auprès de Norman, et un jour,
causant avec lui de Kesra, il lui dit : ^Adi, fils de Zaïd, se
vante à la cour de Kesra que c'est lui qui te maintient au
pouvoir; c'est moi, dit-il, qui ai conseillé à Kesra de donner
le commandement à Norman , et si je voulais , je pourrais le
lui dter. Norman demanda à Aus : Qui t'a rapporté ces pa-
roles? Aus dit : Je les ai entendues de lui-même. Norman
grava ces paroles dans son cœur, et lorsque ^Adt vint dans sa
famille, il le fit saisir et mettre en prison. ^Adi, ignorant le
crime qu'on lui imputait, composa les deux vers suivants, qui
sont fort beaux, qu'il adressa à Norman :
0 [No'mâD, fib de] Moundsir, tu as substitue à ramilië la haine; Je
suis traité par loi d^une façon digne d^un affreux criminel avouant ses
crimes.
J'avais reçu de toi bien des témoignages de bienveillance; je n*ai cepen-
dant pu démérité de ton amitié.
Mais Norman ne s'en soucia pas, retint ^Adi en prison et
aoQgea k le faire mourir. Alors ^Adi écrivit une lettre à son
PARTIE II, CHAPITRE LVII. 311
frère pour qu'il informât Kesra de sa situation. Celui-ci, ayant
reçu cette nouvelle d'Obaï, se mit en colère contre Norman
et fit partir immédiatement un de ses principaux officiers
avec une lettre, dans laquelle il enjoignit à Norman d'ëlargir
*Adî et de le renvoyer auprès de lui. Lorsque No*mân apprit
que le messager du roi devait arriver, il envoya quelqu'un
avec Tordre d'étouffer ^Adi dans sa prison et d y laisser son
corps. Le lendemain, lorsque le délégué de Kesra arriva
et remit la lettre à Norman, celui-ci lui dit : C'est par plai-
santerie que je Tai retenu; fallait-il en parier à Kesra? Va
toi-même dans la prison et fais-l'en sortir. L'envoyé , se ren-
dant à la prison , y trouva ^Adt mort. Le geôlier lui dit : Il
est mort depuis hier; je n'osais pas le dire à Norman. Le
messager du roi alla trouver Norman et l'interpella en cea
termes : C'est toi qui as fait tuer ^Adî, je le dirai à Kesra.
Norman donna à l'officier mille dinars, le priant de dire que,
sur l'injonction de la lettre du roi, il avait élargi 'Adi, qui
ensuite était mort. L'officier fit son rapport en ces tennes k
Kesra.
^Adi avait à ^Hira un fils nommé Zaïd, qui était encore
plus instruit et plus distingué que son père. Il savait les deux
langues et était fort habile dans l'art de l'écriture, tant arabe
que persane. Lorsque Norman eut fait mourir ^Adi, Zaïd, crai-
gnant pour sa vie, s'enfuit de ^Hira et se rendit à la cour de
Kesra. Sur la demande de son oncle, Zaïd reçut du roi une
robe d'honneur et fut investi de la charge et des fonctions
de son père. Il se passa ainsi deux ou trois années, pendant
lesquelles Zaïd chercha une occasion pour nuire à Norman.
Or Kesra envoyait chaque année trois eunuques, l'un dans
le pays de Roum, l'autre dans le pays des Khazars, et le troi-
sième en Turkestân, pour lui chercher des jeunes filles pour
312 GHROMQUE DE TABARI.
concubines. On leur remettait la description complète, par
écrit, de ces femmes, telles que le roi les désirait. Rs par-
taient, et quand Tun d'eux trouvait une jeune fille répon-
dant à ia description, il Tachetait, qu'elle fût de condition
libre ou esclave, riche ou pauvre, d'une naissance illustre ou
même royale , et Taménait à Kesra pour qu il en fit sa maî-
tresse. Telle était la coutume des rois de Perse dès avant
Parwtz , depuis le temps de Nouschirwân. Cette description
écrite avait l'origine suivante : Moundsir, surnommé fils de
Ma es-Semâ , roi des Arabes sous la suzeraineté de Nouschir-
wân, avait fait une expédition en Syrie, avait saccagé ce pays
et tué le roi , appelé ^Hârith, fils d'Abou-Schammir, le Ghas-
sânide. Moundsir ayant trouvé dans son palais une jeune
fille de naissance illustre, l'avait faite prisonnière. Cette
femme surpassait en beauté toutes les femmes de Roum et
de la Perse. Moundsir l'envoya à Nouschirwân, lui faisant
parvenir en même temps un écrit, en langue arabe, conte-
nant la description de cette jeune fille. L'interprète de Nou-
schirwân traduisit pour lui cette pièce en langue persane, et
quand Nouschirwân en entendit la lecture, cette description
lui plut beaucoup; il la trouva remarquable et frappante de
justesse, et la fit déposer dans son trésor. Ensuite, toutes les
fois qu'il voulait faire chercher, dans les différentes contrées,
des jeunes filles, il faisait remettre aux eunuques cette descrip*
tion, qui était ainsi conçue:
(T C'est une jeune fille d'une taille bien proportionnée, ni
trop grande ni trop petite; son teint est blanc, tant sa figure
et son cou que son corps jusqu'aux ongles de son pied; la
blancheur rosée ^e son teint ressemble à l'éclat du soleil et
de la lune; ses sourcils sont arqués et bien séparés; elle a de
grands yeux noirs; le blanc des yeux est pur; ses cils sont
PARTIE II, CHAPITRE LVII. 313
noirs, longs et bien fournis; le nez est droit et aquilin; elle
a la figure ovale, ni trop longue ni trop ronde; les cheveux
noirs, longs et dpais; la tête ni trop grande ni trop petite;
le cou ni trop long ni trop court, de façon à ce que les
boucles d'oreilles touchent les épaules; la poitrine large, les
seins jolis, ronds et fermes; les épaules et les bras bien pro-
portionnés; le poignet délicat et potelé; les doigts effilés, ni
trop longs ni trop courts; le ventre formant une même ligne
avec la poitrine; la croupe rebondie et la taille mince; les
cuisses rondes et bien fournies; les genoux ronds; les jambes
charnues; les pieds petits et ronds; les doigts du pied petits
et rapprochés. Elle a la démarche lente, à cause de son em-
bonpoint. Elle est docile , et n'obéit qu à son maître. Elle n'a
jamais éprouvé le besoin, et a été élevée dans la richesse et
l'abondance. Elle est modeste, intelligente et bien élevée.
Elle est , du côté de son père , d'une naissance pure , et, du côté
de sa mère, d'une naissance respectable. Si tu regardes sa
figure, elle te semble plus belle que par derrière; et si tu la
regardes par derrière, tu la trouves plus belle que par devant;
et si tu considères la noblesse et la distinction de ses ma-
nières, elles paraissent surpasser la beauté de sa figure. Elle
est laborieuse dans la maison; elle travaille de ses mains et
est habile pour faire la cuisiné, pour laver, coudre, ranger
et ordonner. Elle n'est pas bavarde, et, quand elle parle, elle
parle agréablement et a une voix douce. Si tu la recherches,
elle répond à tes désirs, et si tu t'éloignes d'elle, elle s'éloigne
de toi. Quand tu es loin d'elle, ses joues et ses yeux sont en-
flammés du désir de te {)osséder. v
Nouschirwân avait fait déposer ce signalement dans son
trésor, pour servir quand il achetait des jeunes filles. Cette
pièce était écrite en arabe et se trouvait entre les mains de
Uà CHRONIQUE DE TABARl.
ZaRl, fils d'^AcU. Donc, lorsque Kesni Toahit faire rechcreliei'
des jeanes filles conformes k celle descriptioD, H anûi or-
donné à Zaîd de la Iradoire en langue persane. Alors Zaid« fils
d'^Adl, dit il Kesra : Je ne connais qu'une seule femme dans
le monde entier qui réponde à ce portrait, c'est la fiHe de
Norman , fils de Moundsir; elle s'appelle ^Hadiqa, ce qui feut
dire, en persan, «r jardin;^ son visage est en effet beau comme
un jardin. Zaîd savait bien que cette jeune fiHe ne répondait
pas à la description, mais il était sûr que Kesra ne la Yeirait
jamais et ne pourrait pas le démentir : il savait que NoHnân
ne donnerait jamais sa fiHe à Kesra, parce que les Arabes ne
donnent pas leurs filles aux Perses. Zaîd excita donc le désir
de Kesra pour cette jeune fille, et Kesra lui dit : Ecris à
Norman une lettre par un eunuque, afin* qu'il m'envoie sa
fille; et il dit à Teunuque : Va porter cette lettre i Norman,
puis rends-toi dans le pays de Roum; avant que tu re-
viennes, il aura préparé le départ de sa fille, et tu me l'amè-
neras. Zaîd dit : Il y a en Roum beaucoup de femmes pa-
reilles à ceUe-lè; il serait mieux de ne pas demander la fille
de Norman, car les Arabes sont des gens mal élevés, qui ne
donnent pas leurs filles aux Perses; s'il la refuse, ce sera un
désagrément pour le souverain ; il serait préférable et plus
sage de ne pas la demander. Alors Kesra s'obstina, comme
font les rois; il pensa que Zaîd prenait les intérêts de Nohnân,
et il dit à Teunuque : Je ne veux pas d'autre femme que la
fille de Norman; rends- toi directement auprès de Norman;
s'il te livre la jeune fille, amène-la-moi; et, s'il la refuse,
reviens immédiatement. Puis il dit à Zaîd : Écris k Norman,
comme je te l'ai dit. Zaîd écrivit la lettre, et l'eunuque partit
et la porta k No'mân. Celui-ci dit : Les filles arabes sont
noires, mal élevées et ne conviennent pas au service des rois.
PARTIE II, CHAPITRE LVII. 315
Il écrivit a ne réponse fort polie et dit à Feunuque : Rapporte
au roi que tu n as pas trouvé ma fille telle qu'elle puisse lui
convenir. Et dans la lettre il s'exprima en ces termes : trN'y
a-t-il pas, parmi les mahd de F^Irâq, de quoi satisfaire le roi,
plutôt que parmi les sawâd (noires) des Arabes? n Ces pa-
roles étaient très-polies et convenables, mais Zaïd, en les tra-
duisant, leur donna un mauvais sens; car, en arabe, le mot
mahâ signifie (t vache sauvage. i) On dit qu'il n'y a pas dans le
monde , tant parmi les hommes que parmi les animaux , une
créature ayant des yeux plus beaux , plus doux et plus agréa-
bles que la vache sauvage. Les Arabes appellent les femmes
qui ont de tels yeux, mahdy par métaphore. Sawâd veut dire
(«les noires, T) mais soud désigne aussi un homme d'un rang
élevé , de même que sayyid. Le sens des paroles de Norman
est que le roi trouve dans l'^Irâq tant de femmes aux yeux
grands et noirs, qu'il n'a pas besoin de rechercher les fenmies
noires des Arabes. Mais Zaïd interpréta mahâ par rr vaches n
et Soudan par r nobles,^ et traduisit les paroles de Norman
ainsi : (rLe roi a tant de vaches en Perse, qu'il n'a pas besoin
des femmes nobles des Arabes.^ Ensuite Zaïd dit à Kesra :
Norman a été malhonnête, il a dans la tête de l'extravagance.
Je savais bien qu'il ne te donnerait pas sa fille. Kesra fut
trè»-irrité et jura qu'il ôterait à Norman le commandement
des Arabes, pour le conférer à un autre. Je le ferai mourir,
dit- il; je l'appellerai en ma présence; et s'il ne vient pas,
je le ferai venir de force.
Mo^hammed ben-Djarir rapporte dans cet ouvrage que
Zaïd, fils d'^Adi, était allé lui-même auprès de Norman, fils
de Moundsir. Il aurait dit h Kesra : Laisse-moi partir moi-
m&ne, car peut-être Norman voudra-t-il tromper l'eunuque,
et, se refusant à donner sa fille, lui remettra-t-il une autre
316 CHRONIQUE D£ TABARl.
femme. Kesi*a-Parwiz aurait donc envoyé Zaïd et Teunuque
auprès de Norman. Cest à son retour que Zaïd aurait ainsi
interprété les paroles de Norman, et Teunuque les aurait
confirmées par son témoignage. Mais ce récit est inexact. La
vérité est que Teunuque était allé seul auprès de Norman , et
ce sont les termes de la réponse de Norman qu'il avait rap-
portée qui furent traduits par Zaïd.
Il y avait alors à la cour de Kesra un homme nommé lyâs,
fils de Qabtça, de la tribu de Tayy, à la tête de quatre mille
hommes. C'était le même qui avait rencontré Kesra sur la
route, exténué de faim, lorsque celui-ci, s'enfuyant devant
Bahrâm, se rendait dans le pays de Roum. lyâs lui avait
donné l'hospitalité et des provisions pour trois jours pour ta
traversée du désert, et lui avait servi de guide. Ces faits ont
été rapportés ci-dessus. Quand Kesra fut établi sur le trône,
il appela lyâs à sa cour; celui-ci vint lui rendre hommage
avec cinquante hommes de sa famille. Parwiz lui donna le
commandement d'une troupe de quatre mille hommes, qu'il
avait dans sa résidence. Lorsque Parwîz fut irrité contre
Norman, il appela lyâs, lui donna une armée nombreuse,
composée tant d'Arabes que de Perses , et lui dit : Va , empare-
toi du royaume de ^Hira, établis-toi là, et envoie-moi Norman
enchaîné. No*mân, averti, s'enfuit devant lyâs, emportant
avec lui toutes ses richesses, en fait de chevaux et d'armures,
et emmenant toute sa famille, ses femmes et sa fille ^Hadiqa.
Il les confia à un homme nommé Hânt, fils de Mas^oud, de
la tribu de Schaïbân, qui demeurait dans le désert. Hânf
était le premier de sa tribu et le plus puissant par le noaibre
de têtes de sa famille et de ses amis. Norman vint donc au-
près de Hâni et lui dit : Je mets sous ta protection ma famille»
mes enfants et mes biens. Norman avait dans son arsenal
PARTIE II. CHAPITRE LVII. 317
quatre cents cuirasses et dans ses écuries quatre cents che-
vaux arabes. Les ayant confiés, ainsi que ses autres richesses
de tout genre, à Hâni, il partit avec sa femme Moutadjar^
rada, se rendant dans la tribu de Tayy, dans laquelle il avait
beaucoup d^influence; il demanda asile aux Beni-Tayy; mais
ceux-ci ne voulurent pas le recevoir, par crainte de Kesra. il
vint ensuite chez les Beni-Sa^d, qui, redoutant aussi le roi
de Perse , refusèrent également de le recevoir. Norman , dans
son embarras, ne savait plus où tourner ses pas. Alors sa
femme lui dit : Allons, rends-toi à la cour de Kesra pour lui
présenter tes excuses. Comme tu nas commis aucune faute,
il ne te fera pas mettre à mort. Mais quand même il te ferait
périr, la mort vaudrait mieux que Tavilissement et le mépris
que tu trouves auprès de tous.
Norman, approuvant cet avis, partit pour la résidence de
Kesra. Il savait que sa perte avait été tramée par Zaïd , fils
d'^Adi. Donc, lorsqu'il fut en présence du roi, il baisa la
terre devant lui, le salua de bénédictions et lui demanda par-
don; puis il ajouta : Cet esclave, c'est-à-dire Zaïd, a falsifié
dans la traduction la lettre que j'ai écrite, et il m'a calomnié.
Zaïd dit : Depuis qu'il occupe le trône et porte la couronne
et boit du vin, il pense que tu es son esclave, et non son
maitre. Ensuite, se tournant vers Norman, Zaïd ajouta : N'as-
tu pas dit à ^Hira, étant sur le trône, que le royaume de
Perse était à toi, qu'il te reviendrait, à toi ou à tes fils? Zaïd
confirma devant Kesra ces paroles par un serment. Kesra fit
garder Norman pendant trois jours; le quatrième jour, on le
jeta aux pieds des éléphants, qui le tuèrent.
Norman et ses enfants avaient abandonné la religion des
Arabes et étaient tous chrétiens. Lorsque ^Hadiqa apprit la
mort de son père, elle se rendit dans le couvent de Hind.
318 CHRONIQUE DE T4BARI.
Hind, fille de Moundsir le Grand, surnomme fils de Ma es-
Semâ, avait été chrétienne et avait fondé un couvent sur les
bords de TEuphrate, où elle s^était livrée à la dévotion et oà
elle était morte. Ce couvent est appelé aujourd'hui Daïr Hmi.
^Hadiqa se rendit dans ce couvent , et y vécut , jusqu'à sa mort,
dans la pratique de la religion chrétienne.
Après avoir fait périr No^mftn, Kesra écrivit à lyâs, fils de
Qabîça , de rechercher les biens laissés par No^mftn et de les
lui envoyer. lyâs envoya un messager auprès de Hânt, fils de
Mas^oud, pour réclamer les biens laissés par Norman. Hânt
répondit que, tant qu'il vivrait, il ne les rendrait à personne,
lyâs écrivit à Kesra une lettre dans laquelle il disait : Les gens
des Benî-Schaïbân, des Benî-Bekr, des Bent-^Idjl, des Benf-
Wâïl et des Benl-Dsohl sont nombreux ; ce sont des hommes
braves et belliqueux, comme le roi lui-même le sait Pour
leur faire la guerre, il me faudra une forte armée. Ayant reço
ce message, Kesra voulut expédier une armée. Un homme
nommé Norman, fils de Zor^a, de la tribu de ThaMab, qui
se trouvait à la cour, lui dit : 0 roi, ces gens, pendant l'hiver,
sont dispersés dans le désert; on peut difficilement les at*
teindre. Mais, en été, Hânî et les Benî-^chaïbân viennent
auprès d'un puits nommé Dsou -* Qâr, situé entre Bassore
et Médine. Comme ils doivent nécessairement venir à ce
puits, tant les Benî-Schaïbân que les Benf-Bekr, les Bent*
^Idjl, les Beni-Dsohl, les Beni-Waïl et toutes les branches
de la tribu de Schaïbân, tu les trouveras tous ensemble, et
alors tu enverras ton armée. Kesra approuva cet avis, et fit
dire à lyâs de se tenir prêt à combattre les Arabes, qu'il lui
enverrait des troupes. lyâs reçut à eontre-ccenr cet ordre de
faire la guerre aux Arabes , mais il n'osa rien dire.
Il y avait un homme de la tribu de Schaïbân, nommé
PARTIE II, CHAPITRE LVII. 319
Qaïs , fils de Mas^oud, qui était agent de Kesra dans le SawAd
de T'Irâq. C'était un des principaux cheis arabes, et il ayait
des troupes nombreuses sous ses ordres. Kesra , par une lettre,
lui envoya Tordre de réunir toutes les troupes arabes qa*ii
avait dans le Sawâd , de se rendre à ^Hira auprès de son lieu-
tenant et son vassal, lyâs, fils de Qabîça, et de lui prêter aide
dans l'expédition contre les Schaïbân, les Bekr, les Waïl,
les ^Idjl et les Dsohl. Qaïs, fils de Mas^oud, reçut également
avec chagrin cette lettre qui lui ordonnait de faire la guerre
aux tribus arabes et à ses parents; mais il n osa rien dire, par
crainte de Kesra. Il rassembla dix mille guerriers arabes, et
vint à ^Hira se joindre k lyâs. Ensuite Kesra envoya à ^Htra
un des grands de la Perse, nommé Hâmarz, avec douze mille
hommes, puis un autre officier, nommé Hormuz-KharrAd,
avec huit mille hommes. Ces troupes se réunirent à celles
d'Iyâs, à qui Kesra donna le commandement et la direction de
la guerre. Sur Tordre de Kesra, lyâs mit en mouvement Tar:
mée et commença Texpédition, en se dirigeant vers Dsou-Qâr.
Hâni, fils de Mas^oud, avec les Beni-Schaïbân et les au-
tres tribus, était campé auprès de Dsou-Qâr. A la nouvelle de
Tarrivée d*une armée, Hâni réunit ses hommes et leur dit :
Quel est votre avis? C'est à cause des biens qui ont appar-
tenu à Norman, et qui m'ont été confiés par lui, que Kesra
envoie contre nous cette armée, forte de quarante miUe«
hommes, tandis que nous sommes moins de dix mille. Un
des chefs présents, ^Hanzhala , fils de ThaHaba , descendant de
Schaïbân, dit : Garde les choses qui t'ont été confiées; nous
donnerons notre vie, mais nous ne livrerons pas à Tennemi ce
qui nous a été confié. Lorsque lyâs fut arrivé, les deux armées
campèrent en face Tune de l'autre. Les Perses n'avaient de
Teau que pour deux jours, 'et les troupes de Hâni tinrent les
%iê i.HKO!ilQCE bC Tj|»4ftL
abovdA do poft«. Alors hâ», osaot dmn «'ipéclmt . enmya cher-
rlMT de Feaa am poite de Ooriijer H de 'Habimba. Le len-
demain, on engagea la bataille : ramée pêne fit plearoir
«or les ennemi* une gréie de traite, et Hâni prit la faite,
emportant airee loi toi» ses b^;^es. Les troupes pênes . fa-
t^ée* et troiif ant maintenant de Feati . ne le poursaitireni
pa.«(, <^pui«èrent complètement le poits et restèrent ce joor et
la noit soÎTante près do poits de Dsoa-Q2r.
Hànîj après aToir marché toote one joomëe, royant qoll
n'était pas poorsoif i , fit halte, réonit toos ses hommes et leor
dit : Oà allons-noos? Derant noos est le désert dépoonro d^eao .
oA noos moorrons tons de soif. Je Tais leor liTrer les biens de
No^miin ; n'exposez pas Totre vie dans le désert. Les hommes des
tribosarabes se sentirent horoiliés de ces paroles , et ils répliqoè-
rent : To ne dois pas rompre ton engagement et lirrer le dépôt
qoi t'a été confié; noos allons retoomer et combattre josqoa
la mort. Ils revinrent donc en présence de Tannée dlyis
et recommencèrent le combat le même joor. Les Perses et les
troopes d'Iyâs souffrirent de la soif. Toos les Arabes qoi se
trouvaient dans Tannée d'Iyâs avaient été très-afl9igés de la
fuite de Hânf et de ses troupes arabes. lyâs envoya aoi aotres
poits pour chercher de Teau , mais on n'en trouva pas ; toos
ses soldats, Arabes et Perses, étaient affaiblis par la soif,
^lors lyâs envoya à Hâni le message suivant : Faites une de
ces trois choses : ou rendez les objets laissés par Norman,
et nous nous en retournerons, et je demanderai votre pardon
k Kesra, afin qu'il renonce à la punition de vos actes; ou,
quand la noit sera venue, prenez la fuite et allez où voos
voodrez, afin que je puisse allier que vous voos êtes ^nfois
et qoe nous n'avons pas pu voos atteindre; ou préparez-
vous ao combat. Les Arabes se rassemblèrent toos aotoor de
PARTIE II, CHAPITRE LVIÏ. 321
tiini et de 'Hanzhala et dirent : Si nous livrons le dépdt qui
nous a éié confié, nous ne pourrons jamais, de notre vie,
lever la tête au milieu des Arabes, et, aussi longtemps que ie
monde durera, nous ne serons lavés de celte honte. Si nous
prenons la fuite, ce sera d'abord un grand déshonneur pour
nous, et puis nous périrons tous dans le désert; la seule voie
que nous ayons serait de traverser le territoire des Beni-Te-
mim , avec lesquels nous sommes en hostilité : ils nous tueront
tous. Nous n'avons pas d'autre moyen que de combattre. Ils
firent dire à lyâs: Nous voulons le combat; fais tes préparatifs;
nous aimons mieux mourir en combattant que de périr de soif
dans le désert ou de nous jeter entre les mains de nos ennemis.
Dans la nuit, ^Hanzhala, fils de ThaMaba, coupa les cordes
de toutes les litières. Comme les bommes de Hâni étaient
venus à Dsou-Qâr pour y passer Fêté, ils avaient, suivant la
coutume des Arabes, amené leurs femmes et leurs enfants,
dans des litières qui étaient attachées [sur le dos des cha-
meaux] par des sangles, qu'on appelle en arabe wotuUioun;
ce sont ces sangles que ^Hauzhala coupa, afin d'enflammer
entièrement le courage des Arabes au combat. ^Hanzhala reçut
par la suite le surnom de Mouqattt^oul-Woudhoun (coupe -
sangles). Dans la même nuit, Hàni distribua à ses honmies
les quatre cents chevaux et les quatre cents cuirasses [de
Norman], disant : Si nous remportons la victoire, nous les
remettrons à leur place; mais si nous sommes tués et que la
victoire reste aux ennemis , il vaut mieux que tout cela soit
perdu en même temps.
Le lendemain, les deux armées se rangèrent en ordre de
bataille. lyâs plaça à l'aile droite Hâmarz avec les troupes
perses, à l'aile gauche Hormuz-Kharrâd, et lui-même occupa
le centre. Hânf plaça à l'aile droite Yezîd, fils de Mousch^ir
322 CHRONIQUE DE TABARl.
le Schaîbânite , chef des Bent-Bekr ; à l*aiie gauche , ^Hanxhala ,
fils de Thaiaba, chef des Bent-^ldjl; lui-même occupa le
centre. Le premier qui sortit de Taile droite dlyâs, se plaçant
entre les deux armées, fut Hâmarz, qui fit appel à un combat
singulier, en s*ëcriant en langue persane : Homme contre
homme! Yezid , fils de Mousch^r, à Taile droite de Hânî, dit :
(rQue dit ce chien ??> On lui répondit : 11 dit : Homme contre
homme. Yezid répliqua : «rD^égal àégalli» Alors un homme
de Tannée de Hâni, nommé Mazyad, fils de ^Hâiitha, le
Yaschkorite, se présenta à Hâmarz. C^était un champion fort
brave dans le combat. Us engagèrent la lutte. Mazyad frappa
de son épée Tépaule droite de Hâmarz, et lui enleya la moi-
tié du corps. Hâmarz tomba de cheval et mourut C'est le
premier qui fut tué de Tannée perse. Hâni et Tarmée arabe
s*en réjouirent, et en tirèrent un présage favorable pour leur
victoire.
Les Perses ont un livre, distinct des ouvrages contenant les
traditions et des chroniques, qu'on appelle Unre des préiageiy
et qui renferme tous les présages qui ont été établis dans les
guerres des Perses. Il est dit dans ce livre : Kesra avait en-
voyé à cette guerre Hâmarz , parce qu il tirait de son nom un
présage, disant : Tu dois remporter la victoire sur Tarmée de
Hâni. Hâni, en langue pehlewi et persane, qui est Tancienne
langue des rois de Perse et des Cosroès , et qui est encore
parlée aujourd'hui à Ispâhâu et en Fars, signifie «r reste l^^
et Hâmarz signifie (rdeboutlT) Kesra, en tirant un présage, dit
à Hâmarz : Ton nom signifie «r debout ! ^ celui de ton adversaire
signifie v reste I n il faut donc que tu aies le dessus et que tu
remportes la victoire. Mais ce présage ne se réalisa point;
et Hâmarz fut tué le premier. Le combat eut lieu ce jour-là.
U y avait dans Tarmée perse un grand nombre d'archers, qui
PARTIE 11, CHAPITRE LVIl. 323
firent pleuvoir une gréle de traits sur les Arabes , dont beau-
coup furent tués. Les Perses, souffrant de la soif et ne trou-
vant point d'eau, soutinrent le combat jusqu'au soir. Alors
les deux armées rentrèrent dans leurs camps.
Qaïs, fils de Mas^oud, qui faisait partie de Tannée dlyâs,
sympathisait avec les troupes de Hâni, qui étaient ses parents,
et désirait la victoire pour elles. Pendant la nuit, il envoya
vers Hânî, ^Hanzhala et les autres Arabes, un messager, et
leur fit dire : Notre cœur est avec vous; nous désirons que
vous obteniez la victoire, et non lyâs ni les Perses, qui sont
des étrangers pour nous, tandis que vous êtes nos parents.
Cependant nous ne pouvons pas nous rendre à vous, parce que
nous ne savons pas à qui sera la victoire. Maintenant, aimez-
vous mieux que nous nous en allions cette nuit, abandon-,
nant les Perses, ou voulez-vous que, demain , quand la lutte
sera engagée, nous prenions la fuite, afin de jeter le trouble
dans Tannée perse et de Taffaiblir, pour qu'elle prenne
également la fuite? Hân{, ^Hanzhala et les autres Arabes ré-
pondirent : Nous désirons que vous preniez la fuite demain
pendant le combat. Les Arabes, très-contents du message
de Qaïs, fils de Mas^oud, furent pleins d'ardeur pour le
combat et disposés à jouer leur vie. ^Hanzhala dit à Hân! :
Demain nous placerons cinq cents hommes en embuscade,
qui, pendant que nous serons engagés dans la lutte, charge-
ront les Perses qui voudraient fuir. Hânt envoya cinq cents
hommes, sous les ordres de Zaïd, fils de ^Hayyân, pour se
placer en embuscade.
Ce combat eut lieu à Tépoque où le Prophète était arrivé
à Médine et avait livré aux incrédules de la Mecque le combat
de Bedr, et remporté la victoire sur eux. Hâni, ^Hanzhala et
leurs troupes dirent : Nous avons appris qu'il a été suscité
91 .
324 CHRONIQUE DE TABA'Rl.
d*enire les Arabes un prophète, nommé Mo*hammed, qui a
livré deux ou trois combats. On dit que quiconque professe
son nom obtient l*objet de ses désirs. Quand un homme est
égaré dans le désert, qu*il est menacé par un lion, ou qu*il a
perdu quelque chose, s'il prononce le nom de Mo^hammed, il
retrouve son chemin , ou il est sauvé du danger. Demain , dans
le combat, prenons comme signe le nom de Mo^hammed, afin
qu'il nous soit en aide. Lorsque, le lendemain, ils se rangè-
rent en ordre de bataille , tous les hommes de Hâni s'écrièrent :
(rMo^hammed, notre aide \yi Au milieu de ces cris, ^Hanzhala
fit exécuter une charge générale sur l'armée perse; les cinq
cents hommes embusqués apparurent également, en s'écriant :
trMo^hammed, notre aidel^ Les troupes arabes de l'armée
d'Iyfts tournèrent le dos, abandonnant lyâs. Les soldats perses,
déjà affaiblis par la soif, en apprenant cette fuite , furent com-
plètement découragés, et les Arabes, lorsque les cinq cents
hommes de leur armée sortirent de leur embuscade, les char-
gèrent avec l'épée par devant et par derrière. Les Perses se
mirent à fuir, ayant à leurs trousses les Arabes. Dans aucune
bataille antérieure un aussi grand nombre de soldats perses
n'avaient été tués. Ce fut la première fois que les Arabes
prirent leur revanche des Perses.
Au moment où eut lieu cette bataille, l'ange Gabriel était
auprès du Prophète et lui fit le récit de ce combat, lui disaiit
que les Arabes tiraient l'épée en prononçant son nom, qu'ils
avaient pris comme signe de ralliement, et que Dieu assistait
les Arabes contre les Perses. La distance de Médine à Dsou-
Qâr est de plusieurs journées de marche. Gabriel étendit
ses ailes de Médine jusqu'à Dsou-Qâr, et écarta de devant les
yeux du Prophète tout ce qui gênait la vue , de sorte qu'il
pût voir le champ de bataille et les deux armées. Le Pro-
PARTIE 11, CHAPITRE LVlll. 3^5
phèle était entouré de ses amis; il leur dit : Les Arabes et
les Perses se livrent une bataille. Lorsque Farinée perse fut
défaite, il s'écria : «rDieu est grand, Dieu est grand. Dieu est
grandi Cest la première fois que les Arabes prennent leur
revanche des Perses; ils ont vaincu par mon nom, car ils
ont pris mon nom comme signe de ralliement, t^ 11 y avait h
Médine plusieurs des gens et des amis de Hâni, et beaucoup
d'Arabes du désert et de Médine étaient avec lui. Or les amis
du Prophète notèrent le jour et Theure où il avait prononcé
ces paroles. Lorsque les Arabes de Médine qui avaient été è
Dsou-Qâr revinrent, ils les interrogèrent, et trouvèrent leur
récit conforme aux paroles du Prophète.
Le jour du combat, Hâni rencontra lyâs et voulut le tuer.
^Hanzhala Ten empêcha ; lyâs s'enfuit, se rendit à la cour de
Kesra et lui raconta le rôle qu'avait joué le nom de Mo^ham-
med. Kesra fut courroucé et prit Mo^hammed en haine.
CHAPITRE LVIU.
LETTRE Dl) PROPHETE À EESRA-PARWIZ.
On rapporte qu'après le combat de Dsou-Qâr, dans lequel
Kesra avait été humilié et où les Arabes avaient triomphé de
lui , le Prophète écrivit à Parwiz une lettre ainsi conçue :
ff Au nom du Dieu clément et miséricordieux; de la part
(tde Mo^hammed, apôtre de Dieu, à Parwiz, fils d'Hormuzd.
tt Or je rends grâces à Dieu. Il n'y a pas de dieu en dehors
(tde Lui, le vivant, l'étemel, qui m'a envoyé, avec la vérité
(rpour annoncer et avertir, vers un peuple misérable et de
(rpeu d'intelligence. Celui que Dieu dirige n'est pas égaré,
(tet celui qu'il égare n'a pas de direction. Dieu regarde la
326 CHRONIQUE DE TABARl.
rr condition de ses servitenrs; rien ne lui ressemble : il voit
rret entend tout. Or mets-toi bien à Tabri du châtiment de
frDieu, ou prëpare-toi, de la part de Dieu et de son apdtre,
(t à une lutte pour laquelle tu n'es pas assez fort, ft
Kesra , en recevant cette lettre , se mit en colère et dit :
Qui est celui qui a mis son nom avant le mien? Puis il fit
déchirer la lettre et traiter avec mépris le messager qui favait
apportée. Lorsque le Prophète en fut averti, il dit : Il a dé-
chiré son royaume.
J'ai lu , dans le livre des expéditions guerrières du Pro-
phète {Meghdzt)y que Kesra , lorsque les affaires de Mo^hammed
firent des progrès , envoya deux des grands de la Perse comme
messagers auprès du Prophète. Le nom de Tun d'eux était
Bâqour(?), l'autre s'appelait Khour-Khosrou (?). Kesra écrivit à
Bâdsân, son vice-roi dans le Yemen, une lettre ainsi conçue :
Il faut, quand tu auras pris connaissance de cette lettre, en-
voyer quelqu'un à Yathrib, vers cet homme nommé Mo*ham-
med, qui se prétend prophète, et que tu ordonnes qu'on l'en-
voie enchainé vers moi. Kesra remit en outre à ses envoyés une
lettre adressée k Mo^hammed , et leur donna les instructions
suivantes: Allez d'abord à Médine, et invitez cet homme à
venir auprès de moi, afin que je l'entende. S'il vient, revenez
avec lui; s'il ne vient pas, laissez-le, partez pour le Yemen
et donnez cette lettre à Bâdsân, qui enverra quelqu un pour
le faire enchainer et pour me l'amener. Cela se passa vers la
fin de la vie de Kesra. Les deux ambassadeurs arrivèrent au-
près de Mo^hammed, qui fut fort étonné de les voir ayant la
barbe rasée et de longues moustaches. Il leur dit : Pour-
quoi étes-vous ainsi? Ils répondirent : Notre mattre nous
ordonne de couper la barbe et de laisser pousser les mous-
taches. Le Prophète répliqua : Mon Seigneur m'ordonne de
PARTIE II, CHAPITRE LVlil. 3'i7
tailler les moustaches et de laisser pousser la barbe. Selmàn
servit d'interprète entre lui et les envoyés. Ensuite ils lui
remirent la lettre de Kesra. Mo^hammed ne fit pas de réponse
et ne lut pas la lettre; il leur dit : Restez ici, afin que j'a-
vise. Il les fit loger dans la maison de Selmàn, les fit traiter
avec égards et les fit pourvoir abondamment de farine et
de dattes. Chaque jour ils venaient trouver le Prophète pour
le presser; mais il leur donnait de bonnes paroles et les
payait de politesse. Après six mois, iU. s'impatientèrent. Alors,
à minuit, Gabriel vint auprès du Prophète et l'informa que
Kesra avait été tué par Schirouï. Le lendemain, les ambas-
sadeurs vinrent avec Selmàn et dirent : Notre patience est
épuisée; viens avec nous ou laisse-nous partir. Selmàn in-
terpréta ces paroles au Prophète, qui dit : Attendez encore un
peu. Ils se levèrent mécontents et dirent : Notre maître ne
nous pardonnera pas un si long retard. Selmàn traduisit ces
paroles au Prophète. Celui-ci répliqua : Dis-leur : «rMon Sei-
gneur a fait mourir votre maitre et l'a livré entre les mains
de Schirouï, son fils, qui l'a tué hier.7) Les deux ambassa-
deurs, tout en ne croyant pas à ces paroles, se dirent qu'il
leur était impossible de demeurer plus longtemps avec ces
hommes. Ils partirent la même nuit, et, n'osant pas retourner
auprès de Kesra, ils se rendirent dans le Yemen, et remirent
à Bàdsàn la lettre de Kesra. Bàdsàn avait déjà reçu de Schi-
rouï une lettre ainsi conçue: Parwiz est mort, et je suis monté
sur le trône; rendez-moi hommage, toi et toutes les troupes
que tu as sous les ordres. Quant à cet homme, à Yathrib,
qui se prétend prophète , et au sujet duquel Kesra t'a écrit de
le lui envoyer, garde- toi de l'inquiéter, jusqu'à nouvel ordre
de ma part. Les deux ambassadeurs restèrent auprès de Bàd-
sàn, qui fut le dernier vice-roi de Perse dans le Yemen.
328 CHRONIQUE DE TABARL
CHAPITRE LIX.
SGh!rOUÏ tue son PBRB. RÈGflB DE SGh!rOUÎ.
Or, vers la fin de son règne, Parwfz, par ses mauvaises
actions, s*était aliéné tout le peuple. Tannée elles citoyens. Il
avait fait mettre en prison tous les soldats qui, les uns après
leur fuite devant le César de Roum , les autres en se sauvant
dans la journée de Dsou-Qâr, étaient revenus auprès de lui.
Il se proposait de faire mettre à mort tous les officiers et leurs
fils, disant : Je vous ai élevés et bien traités, mais vous m'a-
vez trahi, en ne combattant pas contre rennemi: j'ai donc le
droit de vous dter la vie. Il en retint mille, et ordonna au chef
des gardes d'en tuer chaque nuit quatre ou cinq. Le chef des
gardes épargna les principaux officiers, et tua d'abord ceux d'un
rang inférieur, afin, disait-il, de ne pas irriter l'armée. Mais
l'armée fut mécontente de Kesra. Kesra mécontenta aussi les
citoyens en chargeant Ferroukhzâd de faire rentrer, de gré
ou de force, l'arriéré de l'impôt depuis vingt et trente ans.
Kesra avait fait enfermer ses propres fils, parce que les
astrologues lui avaient dit qu il naîtrait dans sa famille un
enfant ayant un défaut au corps, et que cet enfant lui ferait
perdre l'empire, à lui et a sa dynastie. C'est Yezdedjerd, fils
de Schehryâr, qui était désigné. Kesra avait fait mettre ses fils
dans la forteresse, et les faisait surveiller par des gardiens, afin
qu'aucune femme ne pénétrât auprès d'eux. Ils étaient treize
jeunes gens, ou, selon d'autres, dix-sept,* tous dans l'âge de la
maturité, ayant besoin du commerce des fenunes : ils étaient
donc très-mécontents. Schehryâr, l'atné de tous, fit demander
k Schlrtn de lui envoyer en secret une femme, quelle qu^eRe
PARTIE 11, CHAPITRE LIX. 329
fdL Schtrln avait une esclave noire, uae coiffeuse, qui, dans
le palais, coiffait les jeunes filles. Cest cette femme que Schî-
rin envoya à Sckekryâr, qui eut commerce avec elle et qui
la rendit enceinte. Quelques-uns disent que Schirin avait
envoyé cette femme vers Sckehryâr, pour le coiffer, en lui re-
conmiandant de ne pas lui parler, pour qu'il ne sût pas son
sexe; mais lorsqu'elle posa sa main sur la tête et le cou de
Schehryâr, celui-ci reconnut la main d'une femme, et abusa
d'elle. Schirîn, ayant appris que cette fille était enceinte, la
garda dans ses appartements, où elle donna le jour à un fils,
que Scfaîrin nomma Yezdedjerd et qu'il fit éloigner de Ma-
dâïn et élever, dans un des bourgs du Sawâd sous la garde
de quelques nourrices. Celles-ci, quand l'enfant fut âgé de
cinq ans, le rapportèrent à Schirîn, qui le tint caché dans
ses appartements.
Un jour, Parwiz, causant avec Schirtn, dit : J'ai enrayé
follement ma postérité, en refusant à mes fils des femmes.
Il s'en était repenti. Schirîn lui dit : Veux-tu voir un de tes
rejetons, un enfant né de ces mêmes fils? Parwiz répondit :
Je veux bien. Alors on présenta Yezdedjerd à Kesra, qui dit :
A qui est cet enfant? Schirîn répliqua : Cet enfant a été en-
gendré par Schehryâr, mais je l'ai appelé mon fils et je l'élève
depuis cinq ans. Parwiz fut très-heureux, prit l'enfant dans
ses bras, le caressa et lui donna beaucoup d'argent. Ensuite
Parwiz, se rappelant la parole des astrologues, qu'il aurait
un petit-fils ayant un défaut au corps, par les mains duquel
l'empire de Perse périrait, devint soucieux et dit à Schirîn :
Déshabille-le, afin que je voie tout son corps. Schirîn désha-
billa l'enfant, qui était bien constitué, sauf qu'il avait deux
08 de la hanche de moins du côté gauche que du côté droit.
Parwiz dit : C'est de lui que je dois me garder. Il le saisit et
330 CHRONIQUE DE TABARL
▼oolat le jeter par terre. SchirtD te lui enleva et dît : Si Dieu
Ta résolu, tu ne pourras pas Tempècher; et peut-être n*est-
ce pas lui que tu dois craindre. Parwlk répliqua : Cest juste;
mais éloigne de moi cet enfant , je ne veux plus jamais le voir.
Schfrin TenToya dans le Sawâd. Parwti redoubla de rigueur
envers ses fils et augmenta le nombre de leurs gardiois. Ses
fils conçurent de la haine contre lui.
Un antre des forfaits de Parwîi lut le suivant : il avait un
officier d*un rang élevé, qui lui était tràs-soumis et attaché à
son service, et qui avait déjà servi son père pendant de longues
années; il était très-considéré en Perse, tant par Tannée que
par les citoyens. Cet homme, nommé Merdânschâh, avait été
investi par Parwfz du gouvernement de Ziboul (Zâboulistân),
qui, compris dans le territoire deT^Irâq, renfermait un grand
nombre de villes, et qui avait encore un autre gouverneur
[en dehors de Merdânschâh]. Une de ces villes est Nimroui,
qui était la résidence de tous les gouverneurs du Zâboulistân,
et aussi de Merdânschâh. Vers la fin de sa vie, deux ans avant
sa mort, Parwiz demanda aux astrologues de quelle manière
il (inirait. Ceux-ci lui dirent qu il périrait par la main d'un
homme de son armée qui serait gouverneur de Zâboulistân
et de Nimrouz. Parviriz eut des craintes à Tendroit de Mer-
dânschâh, qui était un honmie vaillant, en possession de
grands biens et de beaucoup de troupes, et il résolut de le
tuer. 11 lui écrivit de quitter son armée et de venir le trouver,
seul avec ses familiers, parce qu il avait une communication
à lui faire. Lorsque Merdânschâh arriva, Parwiz, le voyant
devant lui, considérant sa vieillesse, et se rappelant les ser-
vices et les conseils de cet homme, qui ne Tavait jamais of-
fensé, eut honte, par respect pour lui et les hommes, de le
(aire mettre à mort. Il eut Fidée de lui faire couper la main
PARTIE II, CHAPITRE LIX. 331
droite, de lui douner ensuite beaucoup d'argent et de le ren-
voyer, pour être tranquille à son égard, puisqu'il n'aurait
plus qu'une main. Kesra lui fit donc couper la main droite
et le renvoya dans sa maison. Merdânschâh mit la main dé-
tachée dans son sein, et pleura en silence pendant trois jours,
ne prenant aucune nourriture et ne dormant pas. Le troi-
sième jour, Kesra envoya quelqu'un à sa maison, lui fit de-
mander pardon, le fit consoler et lui fit remettre beaucoup
d'argent. II lui fit dire : Dieu l'avait ainsi décrété; je sais que
tu es innocent; je te donnerai encore tant d'argent, que tu
seras satisfait Merdânschâh répondit : Je n'ai que faire de
l'argent; mais j'ai une demande à t'adresser; si tu me l'ac-
cordes, je serai réconcilié avec toi. Kesra se déclara disposé
à la lui accorder. Merdânschâh dit : Fais venir ton mobed,
prends-le à témoin et promets devant lui que tu accompliras
mon désir, quelque difficile qu'il soit pour toi. Kesra, en con-
sidération du traitement qu'il avait infligé à Merdânschâh,
fit venir le grand mobed et s'engagea par serment devant lui;
ensuite il dit: Maintenant fais ta demande, puisque j'ai juré.
Merdânschâh dit : Ma demande est que tu me fasses tuer.
Kesra, ne pouvant se dégager de son serment, donna ordre
de le mettre à mort Merdânschâh avait un fils, nommé Mihr-
Hormuzd, que Kesra voulut envoyer à la place de son père
en Zâboulistân; mais il n'accepta pas, malgré les instances
du roi, et se retira du service militaire.
Tout le peuple de Perse fut indigné de la mort de Mer-
dânschâh. Toute l'armée se rassembla et demanda à Kesra de
mettre en liberté les vingt mille hommes qu'il tenait en pri-
son. Le roi refusa. Les soldats lui dirent : Si tu ne veux pas les
relâcher tous, donne au moins la liberté aux mille officiers.
Kesra refusa encore et jura qu'il les ferait mettre à mort. Alors
332 CHRONIQUE DE TABARl.
les soldats et les officiers, d'un accord unanime, résolurent de
le déposer et de conférer la royauté à Tun de ses fils. Kesra
avait un fils de Marie, la fille du César, nommé Schîrouî,
qui, d'après quelques-uns, était Tainé des fils de Parwiz. Les
troupes le firent consentir à participer à leur complot d'âter
la couronne à son père et de le proclamer roi. Parwiz, pour
montrer qu'il n'avait pas été complice du meurtre de son
père et qu'il ne l'avait pas approuvé, avait fait mettre à mort
son oncle Bendouï, malgré toutes les peines que celui-ci
s'était données pour lui. 11 avait voulu en faire autant de
Bostâm , et l'avait rappelé du Khorâsân ; mais Bostâm s'était
révolté contre lui, et n'était pas venu. Le fils de Bendouï,
nourrissant des sentiments hostiles contre Parwiz, fut enrôlé
dans le complot de l'armée.
Parwiz avait régné trente-huit ans accomplis, lorsque les
Perses mirent à exécution leur projet. Une certaine nuit, à
minuit, les soldats se rassemblèrent, brisèrent les portes des
prisons et firent sortir les vingt mille honmies détenus. Us se
portèrent immédiatement après au palais de Schirouï et le
proclamèrent roi. Ils voulaient, dans la nuit même, chasser
Parwiz de son palais; mais Schirouï leur dit : II est nuit, lais-
sez-le jusqu'à demain matin. Tous les habitants reconnurent
Schirouï. Cela se passa dans la nuit du jour d'âdsar du mois
d'âdsar. Les soldats renoncèrent à leur dessein [pour cette
nuit] et restèrent, montés sur leurs chevaux, à l'entrée du
palais de Parwiz jusqu'à ce que, le matin , on ouvrit les portes.
Il était d'usage chez les Perses que, chaque nuit, les gar-
diens proclamassent, du haut de la terrasse du palais» le
nom du roi, pour faire connaître aux citoyens qne le roi était
en bonne santé. La nuit où Schirouï fut reconnu pour roi»
comme on allait proclamer le nom de Parwiz, roi des roi»,
PARTIE II, CHAPITRE LIX. 333
conformëment à la coutume suivie sous tous les rois de Perse,
le chef des gardiens dit aux gardes de proclamer le nom de
Schtrouï, quoiqu^il ne (ùi pas dans le palais. Les gardes criè-
rent : Que Schîrouï, roi des rois, soit heureux! Lorsque
Parwîz, se réveillant le matin, apprit ce qui s'était passé,
il comprit qu'il avait été déposé, et que Schirouï avait été
reconnu roi. Pendant qu'il faisait encore obscur, il monta,
avec ses femmes, sur la terrasse, se fit descendre par le mur,
et s'enfuit i pied dans son parc, sortit de la ville et se cacha.
Quand le jour fut venu, on ouvrit les portes du palais; les
hommes y entrèrent, pour chercher Parwiz, mais ils ne l'y
trouvèrent plus. Ils allèrent prendre Schfrouî, et l'étahlirent
dans le palais. Ensuite, s'étant mis à la recherche de Parwiz,
ils le saisirent dans le parc, lui mirent une corde au cou et
le ramenèrent ainsi à Schfrouî, qui le tint dans un appar-
tement du palais, le fit revêtir d'une robe royale, fit orner
sa chambre d'un tapis brodé d'or, et le fit surveiller par des
gardiens. Puis il lui demanda pardon , en disant : Ce n'est
pas moi qui ai cherché à m'emparer du pouvoir, et je ne l'ai
pas accepté de mon libre consentement; ils m'y ont forcé,
parce qu'ils ne voulaient plus de toi ; j'ai accepté le pouvoir
pour que la royauté ne sortit pas de notre famille.
Après deux ou trois jours, les habitants, voyant que Schf-
rouî ne faisait pas mettre à mort Parwfz , comme ils l'avaient
pensé, se réunirent autour de Schfrouî et lui dirent : Il ne se
peut pas qu'il y ait deux rois dans un même palais; fais-le
mourir, sinon nous lui rendrons la couronne, et il te fera
mourir toi-même. Schfrouî, très-embarrassé, demanda un
délai de trois joui^. Ils lui dirent : Envoie-le en prison, car
il n'est pas convenable qu'il y ait deux rois dans un même
lieu. Schfrouî, ayant fait mettre 9urla tête de Parwfz une pièce
33A CHRONIQUE DE TABARl.
d*ëtofic y cl l'ayant fait monter à cheYal , le plaça sous la garde
d'un officier et de cinq cents hommes, et le fit conduire ainsi
à la maison d'un officier nommé Mâh-lsfend. Parwiz , qui avait
la tête cachée par Tétoffe, passa avec ce cortège devant la bou-
tique d'un cordonnier. Celui-ci reconnut Parwiz, Tinsulla et
jeta sur lui une forme, qui l'atteignit à la tête. L'officier re-
vint et dit au cordonnier : Chien I qui es-tu donc pour étendre
la main sur un roi et lui lancer des formes? Ensuite il le
frappa de son épée et lui trancha la tête. Arrivé à la maison
de M âh-Isfend , l'officier mit Parwiz entre ses mains. Scfaî-
rouï envoya à Parwiz des tapis et des vêtements brodés d'or,
et chargea un officier, nommé Djalinous (Galien), un homme
brave, vaillant et de haute stature, de garder la porte de Màh*
Isfend, avec cinq cents hommes armés.
Lorsque le délai qu'il avait fixé fut expiré, les hommes
dirent à Schiroui: Si tu es roi, donne Tordre de tuer Par-
wiz; sinon autorise-nous à le faire. Schiroui dit: Accordez-
moi encore un jour, afin que je lui fasse reprocher ses mé-
faits, pour voir quelles raisons et quelles excuses il donnera.
Schiroui* fit venir un homme nommé Isfâdekhsis, principal
scribe, très-savant et intelligent, et lui dit : Porte de ma part
à Kesra un message, et dis-lui : Le malheur que tu éprouves
t'est arrivé de ton fait ; il n'a été causé ni par moi , ni par
aucune autre personne. Tu as commis le crime. Dieu t'a puni
et t'a précipité du trône. Ton premier crime a été d'aveugler
et de tuer ton père. Le second a été d'enfermer de grands
fils et de les empêcher de se créer •une postérité, et de nous
défendre ce que Dieu a pernns aux hommes. Ton troisième
crime a été de tenir en prison vingt mille hommes, pour les
tuer, sous prétexte qu'ils avaient pris la fuite [devant le Cé-
sar] de Roum et à [la journée de] Dsou-Qâr. Cependant le
PARTIE II, CHAPITRE LIX. 335
sort de la guerre favorise tantôt celui-ci, tantôt celui-là; et
si Dieu ne fa pas accordéia victoire, était-ce la faute de ces
hommes? En bonne administration royale, tu aurais dû les
bien traiter et leur donner des armes et de Targent , et les faire
partir pour recommencer la guerre. Quatrièmement, tu as dé-
tenu en prison des personnes que tu voulais faire mourir et
dont tu as fait tuer chaque nuit quatre ou cinq, tandis qu'elles
étaient assez affligées et punies d'être en prison ; il n'était pas
nécessaire de les tuer. Cinquièmement, tu as amassé dans ton
trésor tout l'argent du monde, ne donnant rien à personne,
pour que ton trésor fût rempli d'or, d'argent, de pierres pré-
cieuses et de tout genre de richesses, que personne ne saurait
évaluer, et plus qu'aucun roi n'en a jamais réuni. Sixièmement,
tu as eu dans ton palais tant de milliers de femmes, de condi-
tion libre et esclaves , que tu ne pouvais pas toutes posséder; tu
en as privé les hommes, et tu t'es contenté d'une seule. Ton
septième méfait a été de charger un méchant homme d'exiger
des habitants , par la force , l'arriéré de l'impôt depuis vingt et
trente ans. Ton huitième crime a été contre le roi de Roum ,
qui t'avait comblé de tant de bienfaits en te donnant une
armée, en envoyant son fils avec toi, te mettant à même de
chasser Bahrftm, et en t'accordant sa (ille en mariage. Puis,
lorsque tu as été en force, tu as subjugué le pays de Roum , et
quand le César t'a fait demander la croix, qui était tombée entre
tes mains, tu ne l'as pas rendue; tu as été ingrat envers lui.
Ton neuvième crime a été de vouloir tuer Yezdedjerd, l'enfant
né de ton propre fils Schehryâr; seulement Schirîn t'en a
empêché, en t'enlevant l'enfant et en le cachant. Le dixième
crime que tu as commis est d'avoir tué, à cause d'une femme,
Norman, fils de Moundsir, qui était innocent. C'était Moundsir,
fils d'Imrou'1-Qaïs, le Kindien, qui avait élevé Bahramgour
33C CHRONIQUE DE TABARI.
et qui lui avait reudu la couronne. Nos aïeux et nos pères ont
conservé de la reconnaissance pour Norman; mais toi, tu as
été ingrat envers lui, tu Tas fait périr par suite du mensonge
d'un scribe, parce qu il ne l'avait pas accordé sa fiile. Ton
onzième crime enfin est d'avoir fait couper la main droite à
Merdânschâh , malgré tant de services qu il a rendus à ton
père Hormuzd et à toi-même, et malgré la reconnaissance que
tu lui devais pour sa fidélité et ses conseils. Il n'y avait pa&
dans toute la Perse un homme de sa valeur. Tu Tas fait venir»
tu lui as fait couper la main droite , sans cause , de sorte que lui ,
par chagrin et dépit, désirait mourir; et tu Tas fait tuer, ou-
bliant ses services et sans respect pour son extérieur [véné-
rable]. A cause de tous ces méfaits, Dieu t'a puni et fa ôté la
couronne ; il a mis les hommes h même de me dire aujourd'hui
que, si je ne te fais pas périr, ils me tueront d'abord et toi
ensuite. Donc , si tu as quelque raison à produire, dis-la-moi,
afin que je leur en fasse part; peut-être seras-tu sauvé de la
mort.
Le scribe alla porter ce message, et arriva à la maison où
Parwiz était prisonnier. Les gardiens, en le voyant, se le-
vèrent. L'envoyé de Schfrouï prit place et dit à l'officier qui
commandait la garde : Pourquoi vous chargez-vous de ces
lourdes armes? Personne ne viendra t'attaquer, car Schirouï
est solidement établi sur le trône , et le peuple tout entier lui
a fait sa soumission. L'officier répondit : Tu as raison; cepen-
dant la réunion dans laquelle je me trouve est une réunion
militaire, et il faut respecter les règles de chaque réunion et
y paraître dans l'apparat nécessaire. Quand les hommes sont
réunis à un banquet, ils pourraient bien boire sans manger des
douceurs et sans autre apparat; mais on y présente des dou-
ceurs, du basilic et des fruits, et on y fait venir des musiciens,
, PARTIE II, CHAPITRE LIX. 337
pour rendre le banquet parfait et plus agréable. Il en est de
même d'une réunion militaire. Ensuite le messager dit à Tof-
ficier : J'ai un message pour Parwtz de la part de Schirouï; va
lui demander pour moi la permission d'entrer. Le chef des
gardes alla Fannoncer à Parwiz, qui dit : Si c'est Schirouï
qui est roi, je n'ai pas besoin de portier, et s'il me faut un
portier, alors c'est moi qui suis roi, et non Schfroui.
Parwtz ayant accordé l'audience, le messager entra et s'in-
clina devant lui jusqu'à terre. Parwiz lui dit de lever la tête.
Il tenait dans la main un coing, qu'il plaça ensuite sur son
bras, se soulevant de dessus le coussin sur lequel il était
appuyé; le coing tomba sur le coussin, roula sur le tapis et
puis sur le sol. Parwiz en tira un mauvais présage et fut
affligé. Le messager de Schirouï prit le coing, l'essuya et le
présenta à Parwiz. Parwiz dit : Mets-le loin de moi. Ensuite
il lui dit de s'asseoir. L'envoyé étant assis, Parwiz laissa
tomber sa tête , et resta longtemps ainsi. Enfin il leva la tête
et dit : Une affaire perdue ne peut être réparée par aucun
moyen. Ce présage m'apprend que la royauté sera perdue
pour moi, qu'elle ne restera pas à celui qui l'aura de moi,
ni à l'autre qui l'aura après lui, ni au troisième après lui;
elle sortira de ma famille et ira à des gens étrangers à ce
pays. Il ajouta ensuite : Dis-moi ce que veut Schirouï. L'en-
voyé lui rapporta tous les points du message. Parwiz ré-
pliqua : Dis à Schirouï : 0 misérable, la brièveté de la vie
me sert d'^excuse pour les fautes que j'ai commises. Mais quand
même je n'aurais pas d'excuse, tu n'aurais pas dû me faire
le compte de mes fautes; personne n'a ce droit envers un
autre, excepté celui qui est complètement innocent; mais en
ce monde il n'existe pas d'homme complètement innocent. En
ce qui concerne ton reproche relatif à mon père Hormuzd,
11. aa
338 CHRONIQUE DE TABARI.
cela ne s*est pas passé comme tu dis. Tu n'étais pas encore
né alors qu'un différend s'éleva entre mon père et moi , et je
n'étais pas encore allé dans le pays de Roum et n'avais pas
encore épousé ta mère. Bahrâm>Tschoubin , ayant ourdi une
intrigue contre moi, en faisant frapper de la monnaie en mon
nom et à mon effigie pour que mon père eût des soupçons
contre moi, je m'enfuis dans l'Aderbidjân, et séjournai dans
un pyrée, m'adonnant à la dévotion. Tous les hommes savent
que le malheur qui a frappé mon père n'avait pas été pré-
paré, ni consenti, ni désiré par moi , qui étais absent. Quand
je revins, je trouvai mon père dans un état qui le rendait in-
capable d'exercer le pouvoir : il était aveugle, et sa santé était
ruinée. S'il avait été bien portant, je ne serais jamais monté
sur le trdne. Ensuite, lorsque je me rendis dans le pays de
Roum, en fuyant devant Bahrâm-Tschoubtn, et que mon oncle
Bendouï retourna, je n'ai pas su qu'il voulait tuer mon père;
je n'ai ni ordonné, ni approuvé ce meurtre. Plus tard, quand
j'eus recouvré le trône et que tout fut rentré dans l'ordre, je
fis mettre à mort Bendouï et ses complices dans le jneurtre
de mon père; j'.ai réduit leurs familles à l'impuissance et les
ai chassées du royaume. Cet état de choses est connu de tous.
En ce qui concerne ta détention et celle de tes frères , j'ai agi
ainsi afin que vous vous livrassiez à Télude pour être aptes au
trône; mais vous ne songiez qu'au jeu, et ne cherchiez que le
plaisir. Cependant je vous ai bien pourvus de nourriture ^et de
vêtements et de tout ce qui vous était nécessaire. Je vous ai
empêchés de vous donner des enfants-, parce que les astrolo-
gues m'avaient annoncé qu'il naîtrait de mes fils un rejeton
dans les mains duquel le royaume de Perse périrait. Je n*ai
pas voulu que, aussi longtemps que je serais vivant, cet enfant
vînt au monde. Lors de ta naissance , les astrologues m'avaient
PARTIE H, CHAPITRE LIX. 339
aussi prédit que ce serait loi qui m'ôterais la couronne, le
jour d'âdsar du mois d'âdsar, dans la trente-huitième année
de mon règne; ils avaient trouvé la même prédiction en
tirant ton horoscope; leur écrit, cacheté de mon sceau, a
été remis par moi entre les mains de Schirin; si tu veux,
demande-le-lui et vois-le. Sachant cela, j'aurais dû te tuer;
mais je ne Tai pas fait, par affection paternelle. Quand tu fus
grand, le roi d'Indostan m'envoya un ambassadeur avec une
lettre et des présents. Dans sa lettre je trouvai des avis sur
chacun de mes fils en particulier; relativement à toi, il m'avait
averti que tu t'emparerais du pouvoir le jour d'âdsar du mois
d'âdsar. J'ai cacheté celte lettre et l'ai remise entre les mains
de Schirin ; fais-te-la donner et lis-la. Malgré ces nombreuses
indications qui me furent révélées à ton égard , je ne t'ai pas
fait tuer, je ne t'ai pas rigoureusement enfermé, et je te les
ai laissé ignorer, d'abord parce que je savais que personne ne
saurait changer la décision de Dieu, et ensuite parce que j'en
étais détourné par mon affection paternelle ; et je ne regrettais
pas que celte couronne dût te revenir.
Quant à ce que tu dis relativement à ces vingt mille hommes
que j'ai détenus en prison, dans l'intention de les tuer, sache
que c'étaient des hommes que j'avais fait élever pour com-
battre mes ennemis. Le jour où j'ai eu besoin d'eux , ils se
sont enfuis, en m'abandonnant et oubliant mes bienfaits. De
l'aveu des docteurs et des sages, j'avais donc droit sur leur
vie; cette mesure aussi était sage, car je n'avais plus rien à
espérer d'eux. Réunis les docteurs de la loi et interroge-les ;
ils te feront connaître si leur mort est légitime ou non. J'ap-
prends que tu vas leur faire grâce et rétablir leurs noms sur
les rôles; ils ne te seront jamais utiles. Je n'ai pas usé de
clémence envers les prisonniers , parce qu'il n'y avait en prison
93.
U^ «.nBt'XIOLE DE TiBiRL
qoe r^oi qni a^annit mmlé la mort. IVinaiiiie hearç <lciA^«^r$
H li.« la «^e 4e i^orç méfaîU : ta ^iinfc« «11< «nnf dignes de
nKirt cHi non. ^ihaqoe jonr que j'ai difieré à le» Eure mourir
a été de ma part nue griee poar em.
En re qoi eonreme le reproche que to me fais de ce que
Jai ama.Mé plo^i d*ar]^fit qu'aoeun antre roi . saebeqne Ton ne
peut goat emer $an9 année et qu'on ne pent annr une aimée
j^ns argent. La forée de Tannée e$t Pappni dn roi, et la pni^
ianee et la forre da roi sont dans le 6dUe attachement de
Tarmée. Or Tarmée sera fidèlement attachée an roi, raimera
et comptera sur lai, et les rois étrangers le redouteront et n o-
seront pas enrahir son pays. si. chaque fois qn^nne gnerre
sunrient. il donne libéralement deTaigent Un roi panne n*a
aufune influence sur Tannée et sur le peuple, et n est pas re-
douté des ennemis. Toi , cherche k garder cet argent que f ai
amassé, et k Taugmenter; ne le prodigue pas à la populace qui
t*a porté au trdne; ne te laisse pas tromper par leurs paroles,
pour l'appauvrir. (Test par des circonstances heureuses et
menreilleuses que cet argent a été amassé; et toi, tu n^auras
pas le même pouvoir ni la fortune d'en recueillir autant.
Pour ce qui est de ton reproche relativement aux femmes
que j'ai eues dans mon palais en grand nombre, ne les pou-
vant pas contenter toutes et les empêchant de jouir du com~
merce des hommes, sache que je les ai si bien traitées, en
comblant leurs désirs et en leur prodiguant de Targent,
qu'elles ne m'ont préféré aucun homme de la terre. Je les fai-
sais réunir chaque année par Schtrin; celles qui auraient dé-
siré quitter le palais et se marier auraient obtenu de moi une
dot et un mari; mais, par suite des nombreux bienfaits que
je leur prodiguais, aucune n'exprimait le désir de quitter le
palais. Aujourd'hui que je suis tombé, et qu'elles se marient.
PARTIE II, CHAPITRE LIX. 341
elles sont moins coiiteDtes de leur situation actuelle que de
celle qu elles avaient chez moi.
Concernant ton reproche de ce que j*ai charge un homme
de faire rentrer Tarriéré de Timpôt depuis vingt et trente ans ^
sache que Timpât est une nécessite ; TEtat subsiste par Timpôt j
c est aux sujets d'entretenir le trésor. Ce n'est pas moi qui ai
fait cette innovation; cet impât a été établi sur les sujets par
Nouschirwân , qui savait que les rois ne peuvent se passer
d'argent. Ayant réuni tout le peuple, et ayant fait exécuter le
mesuragede toutes les terres, il a établi avec le consentement
de tous cet impdt, que l'on devait payer chaque année en
trois ou quatre fois. C'est pour cela qu'on a appelé cet impât
hemdâstâny c'est-à-dire, «r impôt consenti p ce nom lui a été
donné par Nouschirwân , dont la monnaie portait cette lé-
gende : Le roi des rois, le Juste y Nouschirwân; et le bâtiment
dans lequel on recevait l'impôt était appelé Schoumourdè (comp-
toir). Il est juste que le roi exige la rentrée de l'impôt de
ceux qui ne le payaient pas et qui le laissaient s'accumuler,
et qu'il les punisse; car ils pourraient causer la ruine du
trésor royal. Mais moi, je n'ai fait qu'exiger mon droit, sans
punir personne. Si les agents leur ont fait tort, en exigeant
d'eux ce qui n'était pas dû , la faute n'en est pas à moi ; car
j'avais fait établir dans ma résidence deux pavillons , assez
grands pour que tout le monde les pût voir, que j'avais appe-
lés/?atu2/on« de justice, oii je me tenais chaque' mois un jour
jusqu'à midi, pour examiner les requêtes du peuple, où tout
solliciteur, sans être arrêté par un gardien ou un portier,
trouvait libre accès et pouvait me parler. Ceux qui n'ont pas
demandé justice se sont fait tort eux-mêmes et non moi.
Concernant mon ingratitude envers le roi de Roum , si celui-
ci m'a fourni une armée et envoyé son fils avec moi et m'a
342 CHRONIQUE DE TABAlU.
accordé en mariage sa fille Marie , moi , après avoir mis eu
fuite Bahrâm-Tschoubîn, je lui ai expédié des richesses dont
la quantité dépassait tout ce qu il avait jamais vu ou imaginé;
j'ai donné à son fils tant d'argent qu il en demeura interdit,
de même à chaque individu de son armée. Lorsque la croix
tomba entre mes mains, je les avais par là dans mon pouvoir,
et c'est pour cette raison que je ne la leur ai pas restituée ,
sachant que, aussi longtemps que cette croix resterait en ma
possession, nous les aurions dans nos mains, et quils seraient
humiliés et soumis; et que, si la croix leur était rendue, ils
seraient nos maîtres. Garde-toi de la leur rendre, car tu les
constituerais les maitres de ton pays.
Quant à Yezdedjerd, fils de Schehryâr* que j'ai voulu tuer
en le jetant sur le sol, j'ai agi ainsi, parce que les astrologues
m'avaient annoncé qu'il naîtrait de mes fils un enfant qui
perdrait le royaume de Perse, qui passerait aux Arabes. Yez-
dedjerd portait sur lui le signe qu'ils m'avaient indiqué; lors-
que je le vis, j'en fus convaincu; je devais donc le tuer; car
il ne peut pas naître sur la terre un enfant plus infortuné que
celui qui perdrait un royaume qui a été transmis de père en
fils, pendant de si longues années. Il faut que vous aussi vous
le regardiez comme votre ennemi , et que, partout où vous le
trouverez, vous le fassiez périr.
Tu m'accuses d'avoir tué No'mân, fils de Moundsir, à cause
d'une femme et par suite du mensonge d'un scribe, oubliant
ainsi la reconnaissance que je lui devais, à lui et à ses pères.
Ce n'est pas pour ces motifs que je l'ai fait mourir. Lors-
que je fuyais devant Bahrâm-Tschoubin, me rendant dans
le pays de Roum, je rencontrai en route un anachorète, qai
me prédit tous les événements de ma vie jusqu'à ce jour; il
m'annonça en outre que cette royauté sortirait de ma famille
PARTIE II, CHAPITRE LIX. 3A3
el loiuberail entre les mains d'un homme considérable parmi
les Arabes. Mais il ne me dit pas qui serait cet homme. Ne
connaissant parmi les Arabes aucun homme plus dievé que
Norman, j'ai pense que cet Arabe c'était lui; j'ai cherché un
prétexte, et je l'ai fait mourir pour le salut du royaume et
pour conserver la souveraineté dans ma famille. I^ où il y 9
un danger a craindre pour le royaume, la reconnaissance n'est
pas à sa place.
Tu m'accuses d'avoir, sans cause, fait couper la main à
Mcrdânschah , malgré les nombreuses preuves d'attachement
qu'il m'avait données ainsi qu'à mon père, et malgré son mé-
rite et sa bravouroi Sache que Merdânschâh, lorsqu'il était au
service de mon père, avait plus que personne son entière con-
fiance; mon père l'initiait à tout ce qui concernait l'armée;
Merdânschâh était l'un de nos favoris. Quand je m'enfuis de-
vant Bahrâm , me rendant dans le pays de Roum , je lui de-
mandai de venir avec moi, car tu es, lui dis-je, l'un des amis
et des conseillers de notre famille et de notre gouvernement. 11
ne voulut pas venir, et me laissa dans la détresse; etlejouf où
Bahrâm-Tschoubin s'établit à ma place et à la place de mon
père, Merdânschâh se présenta devant lui, le salua et le féli-
cita. En apprenant cela, je fus très-irrité et je jurai que, s'il
tombait en mon pouvoir, je lui ferais couper la main ou je le
ferais mourir. Les astrologues m'avaient aussi annoncé que je
périrais par la main d'un homme qui serait gouverneur du
Zâboulistân. Merdânschâh, ayant suivi Bahrâm pour me com-
battre, et étant venu ensuite, en quittant Bahrâm, se mettre
sous ma protection et me demander pardon , je lui pardonnai,
et lorsque je fus établi sur le trône, je lui donnai le gouverne-
ment du Zâboulistân et un rang élevé. Il fut donc élevé par
moi. [Plus lard] je me rappelai les paroles des astrologues
3&4 CUKU.MQLE DE TlBlBi.
qa il in*arrif erait malbeur de sa part. Je n'avais pas le cœur
de le toer, mais, à cause de moo serment, je loi fis couper
la main , et lui rendît son commandement II ne Toolot pas
Taccepter, et me Gt prendre , derant les mobeds, rengageinent
de lui accorder une demande, sans que je susse à rat^nce
en quoi elle consisterait. Après que Jeus juré, il dit : Ma de-
mande est que tu me fasses mourir. En conséquence , je doonai
Tordre de le tuer.
Parwtx ajouta : Je viens d'expliquer toutes mes actions,
non que cela puisse m'étre de quelque utilité, c^r je sais main-
tenant que ma carrière est arrivée à son terme, et que ma for-
tune est anéantie; mais fai voulu t'instruire, voyant que ta
ignorais tout, que tu m'accusais dans ton ignorance, etqueto
ne connaissais pas mes raisons. J'ai pitié de toi; car si tu me
(ais mourir, tu ne jouiras pas du pouvoir: tous les hommes, et
de toute croyance, les juifs, les chrétiens et les mages sont
d accord en ceci, que celui qui tue son père n'a pas de part
à son héritage , et, s'il le prend, il n'en jouit pas. Tu seras le
plus méprisé de tous ceux qui régnent sur la terre, et ton
règne sera plus court que celui de tous les autres. Adieu.
L'envoyé retourna auprès de Schfroul, et lui répéta mot
pour mot la réponse de Parwiz. Il lui raconta Clément Fin-
cident du coing. Scbtrouî pleura et eut des regrets de tuer
son père. Le lendemain, toute l'armée se réunit auprès de
lui. Schirouï fit venir l'envoyé et lui dit de répéter le message
qu'il avait porté à Parwiz et la réponse qu'il en avait rap-
portée. L'envoyé exposa de nouveau , devant l'année et les
grands de Perse, les paroles de Parwiz. Ensuite Schirouï dit :
Toutes les actions que nous regardions comme criminelles,
Parwiz les a expliquées et en a donné les raisons. U ne serait
pas juste de verser son sang, il faut le laisser dans sa situation
PARTIE II, CHAPITRE LIX. Zàb
actuelle. Les hommes de Tarmée n approuvèrent pas ces pa-
roles et dirent : L'État ne sera pas en repos avec deux rois.
Il y a dans le peuple beaucoup de personnes qui désirent ton
père ; si tu ne le fais pas mourir, il fera des manœuvres et sus-
citera des troubles parmi les habitants, et tu ne pourras pas
exercer le pouvoir. Donc, si tu ne le fais pas mourir, nous lui
rendrons la couronne; et quand il Taura, tu sais qui! n'hési-
tera pas un seul jour à te tuer. Schirouï fut fort embaijrassé;
il savait que, si Parwiz remontait sur le trône, il le ferait mou-
rir immédiatement. Alors il donna Tordre à Tun des princi-
paux officiers de se rendre auprès de Parwiz et de le tuer.
L'officier prit ses armes et partit. Étant en présence de Par-
wiz, il ne lui dit pas dans quelle intention on Tavait envoyé.
Parwiz lui dit : Va, tu n*es pas celui qui peut me tuer; je ne
suis pas destiné à mourir de ta main. L'officier revint au-
près de Schirouï, pendant que l'armée était encore réunie.
Schirouï en envoya un autre; Parwiz lui dit les mêmes paroles.
Schirouï, apercevant au milieu de l'assemblée le fils de ce
Merdânschâh auquel Parwiz avait fait couper la main , lui dit :
Va et tue Parwiz. Cet homme, nommé Mihr-Hormuzd , arriva
auprès de Parwiz. Celui-ci lui dit : Qui es-tu? L'autre répon-
dit : Je suis Mihi^Hormuzd , fils de Merdânschâh. Parwiz dit :
C'est toi qui dois me tuer; car les astrologues m'avaient pré-
dit que je mourrais de la main d'un homme de la province
de Nimrouz; je ne savais pas que ce serait toi, ne te connais-
sant pas; portant mes soupçons sur ton père, je l'ai fait pé-
rir. Tu es son fils, et celui qui ne tue pas le meurtrier de son
père est un enfant illégitime. Mihr-Hormuzd prit sa hache
et frappa Parwiz sur l'épaule; mais elle ne pénétra pas, parce
que Parwiz avait attaché au bras un amulette qui le préser-
vait de l'action du fer. Sachant que la hache ne pourrait pas
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«f /f/M? loi fut b; 4iv-^^s;p(Mmi«. ii ie» fit ton» pcrir, afis «Tctiv
«JKM#^ /1m ^/^jf /mi^ffiM^L Apr^ qiu: Scfaîrotticiit laé ses Crène».
il IM; r/;%U |#ftA /faillira d^sMr^TiiilaiiU de Parwix que deu filles,
I Mil/; Htftuiné'M T/;fjféiid//klit (Fourâodokhtj, et Fautre lier-
liil/|/ikliL TotiU'A U^ d/;ux ^Uieot filles de Parwiz; Poanui-
/l/ililit /?liiit I tfiri/;/;. Az/;rmidokht cftt celle qui [par la suite]
fit Umr U |ifcfD di} BoiMtem, de ce Roostem qoi plaça sur le
if 6m YifX^lmijifrd, fiU de Scbebryâr, dont le^ii^oe fat cou-
tofiijNiriiiN di* eiHiii d*'Omart fi'* <le Khattâb, comme nous le
PARTIE 11, CHAPITRE LX. Ul
racoiilerous plus loin eu sou lieu. Or ces deux sœurs allèrent
trouver Scbirouï et lui firent des reproches, en lui disant :
Ton ambition de régner t'a porté à tuer ton père et tes frères;
tu as accompli ces actions dans Tespace de trois ou quatre
mois; tu Tas fait dans Icspoir de conserver à tout jamais le
pouvoir. Quand même tu vivrais longtemps, 4 la fin tu dois
mourir. Puisse Dieu te priver du bonheur de cette royauté!
Elles Taccablèrent ainsi de reproches et do malédictions. Sch{-
rouï tomba malade, et il dépérissait, ne trouvant aucune joie
dans Texercice du pouvoir. Après avoir vécu ainsi sept mois
en tout, il mourut. Il laissa un fils, nommé Ardeschîr, âgé
de sept ans, ou, d'après d'autres traditions, d'un an. On le
fit monter sur le trône, Yezdedjerd étant absent depuis que
Schîrîn l'avait envoyé dans le Sawâd.
CHAPITRE LX.
nÈGNE D^ARDESCIiIr , PILS DE SClllROUÏ. .
En plaçant Ardeschir sur le trône, sachant qu'il ne pour-
rait pas administrer le royaume à cause de sa grande jeunesse .
on lui atUcha comme vizir un homme, nommé Mihr-^Hasis,
qui avait été chef de la table de Parwîz. C'était un homme de
bon conseil et d'un bon caractère. Il fut chargé de l'adminis-
tration du royaume, jusqu'à ce qu' Ardeschîr fût grand. Mihr-
'Hasis remplit ces fonctions et eut soin d' Ardeschir.
Un des généraux de Parwîz, qui avait été chargé par lui
de garder les frontières de Roum, nommé Schehrabrâz, qui
était à la tète d'environ soixante mille hommes, et qui avait
été honoré également par Scbirouï et consulté par lui en toute
chose, fut très-mécontent, lorsqu'on eut placé Ardeschîr sur
348 CHRONIQUE DE TABARl.
ie trône, de u avoir pas été averti, ui consulté. Il se révolu,
fit marcher son armée, vint à Madâïn, se saisit d'Ardesch^r et
le tua, de même que Mihr-^Hasis et un certain nombre des
grands de la Perse , les accusant d'avoir tué Parwîz , pour s'em-
parer du royaume. Ensuite, comme il n*y restait plus de des-
cendants de Parwiz, Schehrabrâz, quoiqu'il ne fAt pas de la
famille royale, prit la couronne pour lui-même et monta sur
le trône , au grand mécontentement des Perses. Le règne d'Ar-
descliir avait duré dix-huit mois.
CHAPITRE LXI.
REGNE DE SCUBURABRAZ.
Schehrabrâz étant sur le trône, les soldats furent mécon-
tents d'être obligés de se prosterner devant lui et de recevoir
ses ordres. Il était d'usage chez les Perses que, quand le roi
tenait une cour publique, toute la suite du roi et toute l'armée
fussent à cheval et rangées en file en attendant le roi. Or,
un jour, Schehrabrâz étant monté à cheval, sortit du palais;
l'armée se tenait rangée en file. Alors un des soldats s'ap-
procha de lui, le blessa avec sa lance au côté et le fit tom-
ber de cheval. Immédiatement les autres se précipitèrent
sur lui, le criblèrent de blessures et le tuèrent. Ensuite ils
lui attachèrent une corde aux pieds et le traînèrent par toutes
les rues, en criant : Quiconque, n'étant pas de la famille
royale, usurpera le trône aura le sort de celui-ci.
Schehrabrâz avait régné quarante jours. Comme on ne trou-
vait pas de descendant de la famille royale, sauf les deux
filles de Parwiz , l'armée fit monter sur le trône Pourândokht ,
qui était l'ainée des deux.
PARTIE II, CHAPITRE LXII. 349
CHAPITRE LXII.
RÈGNE DE PODRANDOKHT, FILLE DE PABWÎZ.
Pourândokht, après être moulée sur le trône, s'appliqua
à faire régner la justice et les lois et à faire cesser l'oppres-
sion. Elle fit venir celui qui avait tué Scbehrabrâz, lui montra
de la bienveillance et le prit pour vizir. Cet homme, nommé
Fsafrou^h , était du Khorâsân. Pourândokht fit écrire une
lettre et convoqua auprès d'elle toute l'armée, et lui en fit
lecture; puis on fit de cette lettre des copies, qu'on envoya
dans toutes les villes. Pourândokht s'y exprimait ainsi : Ce
royaume ne peut être gouverné ni au moyen de la vaillance,
ni au moyen des trésors, mais par la puissance de Dieu. Le
souverain ne peut exercer le pouvoir que par la justice et par
la bonne administration. L'armée ne peut triompher de l'en-
nemi que si elle est récompensée ; et l'on ne peut garder une
armée que par la justice, l'équité et la discipline. En faisant
régner les lois, on peut gouverner l'État, que le souverain
soit un homme ou une femme. Pespère que la libéralité et
la justice que vous me verrez pratiquer seront au-dessus
de celles que vous aurez vues dans aucun homme. Pou-
rândokht fit annuler l'arriéré de l'impôt du temps de Parwfz
et effacer les registres; elle fit remise en outre aux habitants
de la moitié de l'impôt de cette année. Jamais, à aucune
époque, les hommes n'avaient été témoins d'une justice telle
que la sienne.
Pourândokht restitua au roi de Roum la croix qu'on avait
enlevée du pays de Roum, et que Parwîz n'avait pas voulu
rendre. Par suite de cette restitution, l'empereur eut de
3à0 LURuMQLE de TABARl.
ramitié pour Pouràndokht , et empêcha qui que ce fût de
pénétrer dans son pays.
Du temps de Pourândokht, notre Prophète, Mo^Munnied.
mourut, et Abou-Bekr fut investi du cali&L
Pourândokht régna un an et quatre mois, Fsafiron^h, du
Khoràsân, remplissant les fonctions de ^izir. A la mort de
Pourândokht, un des |>arents éloignés de Parwîi, nommé
kbouscbensadè, lui succéda au trône. Il mourut après un
mois de règne. Ensuite la couronne passa a ÂxenDMokhL
CHAPITRE LXIII.
BBGXE D'AzKBlliDOKBT, FILLB DB PABIflI.
Après être montée sur le trône, Azermîdokht s'appliqua à
faire régner la justice et les lois. Elle ne prit point de viiir et
administra elle-même le royaume , se guidant par son propre
jugement. Azcrmidokht était la plus belle femme de Tempiro
de Kesra. Or il y avait un homme, Tun des plus considé-
rables de Perse, tant par sa naissance que par sa valeur, un
sipebbed, nommé Ferroukh-Hormuzd, à qui Parwiz avait
confié le gouvememcnf du Khorasân. Il était resté à la cour,
au service du roi, el avait envoyé dans le Khorasân son fils
Roustem comme son lieutenant. C'est ce même Roustem qui
était le plus vaillant homme de son temps, en Perse. Dans
la suite, sous le règne de Yezdedjerd, lorsque 'Omar, fils
de Khatfâb, envoya une armée contre la Perse, Yezdedjerd
nomma Roustem général en chef de Tarméc qu'il opposa aux
Arabes, ne trouvant pas dans toute la Perse un homme plus
brave qiic lui. Ce récit sera rapporté plus loin, en son lieu.
Le i)ère de Roustem, Ferroukh-Hormuzd, le grand sipehbed
PARTIE II, CHAPITRE LXllI. 351
el gouverneur du Khorâsân, fit demander à Azcrmidokhi si
elle voulait ôtre sa femme. Âzermidokht lui fit répondre : Si
tu m'en avais parlé plus tôt, j'aurais accepté ta proposition,
mais, maintenant, une reine ne doit pas prendre publique-
ment un époux; en outre, j'ai besoin de toi pour les affaires
de rÉtat. Cependant je te désire aussi; si tu veux, je te don-
nerai un rendez-vous cette nuit. Quand il fera touf à fait obs-
cur, présente-toi à la porte du palais; je préviendrai le chef
des gardes que j'ai à conférer avec toi sur une affaire; il
t'introduira , et nous nous réjouirons cette nuit. Ferroukh-
Hormuzd fit ainsi , et Àzermîdokht donna l'ordre au chef des
gardes de la prévenir, dans la nuit, quand Ferroukh-Hor-
muzd viendrait. Ferroukh-Hormuzd , lorsque la nuit fut tom-
bée, s'étant rendu au palais, seul, dit au chef des gardes qu'il
était appelé par la reine, qui voulait lui parler. Le chef des
gardes vint avertir Âzermidokht, qui lui dit: Va, tranche-
lui la tête et apporte-la-moi. Le chef des gardes fit ainsi.
Ensuite la reine fit jeter la tête et le corps à la porte du châ-
teau*. Le lendemain, l'armée, se rendant à la cour de la reine,
vit le cadavre de Ferroukh-Hormuzd. Ferroukh-Hormuzd
était connu pour un homme débauché; l'armée soupçonna
[que quelque affaire de femme avait causé sa mort], et de-
manda ati chef des gardes quel crime Ferroukh-Hormuzd
avait commis. Le chef des gardes répondit : Il a commis un si
grand forfait qu'il fallait le tuer. Les soldats surent alors
qu'il avait convoité la reine; ils ne dirent rien, mais ils blâ-
mèrent Ferroukh-Hormuzd.
Roustem, fils de Fen*oukh-Hormuzd , et son lieutenant
dans le Khorâsân, averti de cet événement, fit marcher son
armée, et vint du Khorâsân aux portes de Madâïn. Il y livra
un combat. Azermîdokht tomba entre les mains de Roustem,
352 CHRONIQUE DE TABARl.
qui la viola, lui fit crever les yeux et la tua ensuite. 11 fit
périr également le chef des gardes.
Le règne d'Âzermidokht avait duré six mois. Après sa
moi-t, les Perses furent fort embarrassés; car ils ne trouvèrent
aucun rejeton de la famille royale qu'ils pussent faire mon-
ter sur le Irône.
CHAPITRE LXIV.
REGNE DE KESRA , FILS DE MIHB-^HASis, [eT DE SES SDCGBSSBUKs].
En faisant faire des recherches dans toutes les contrées,
pour trouver un rejeton de la famille royale à qui Ton pût
donner la couronne , on rencontra dans TAhwâz un homme
descendant d'Ardeschir, fils de Bâbek, nommé Kesra, fils de
Mihr-^Hasîs. On Tamena , on le fit monter sur le trône et on mit
la couronne sur sa tête. Après quelque temps, Kesra n'étant
pas capable de diriger TÉtat , et étant trop faible pour gou-*
vcrner les hommes, les Perses le tuèrent.
On fit venir de Nisibe un homme, nommé Khorzâd-Khos-
rou, un des fils de Parwiz, qui s'était échappé des mains de
Schîrouï, lorsque celui-ci fit périr ses frères. On lui donna
la couronne, mais il se montra également incapable. On le
déposa et on Texpulsa , en disant : Il n'est pas fils de Parwîz.
Ensuite les Perses en recherchèrent un autre, et trouvèrent,
dans la province de JVIézène, un descendant de Nouschirwân
le Juste, nommé Firouz, fils de Mihrân; sa mère était Ma-
hârbakht, fille de Yezdâd, fils de Nouschirv^ân. On Famena,
et on lui remit le pouvoir. Lorsqu'on mit la couronne sur sa
tête, l'armée se tenant devant lui, il dit : Je ne veux pas de
cette couronne, elle est trop étroite pour ma tête. Les Perses
PARTIE II, CHAPITRE LXIV. 353
tirèrent de ces paroles un mauvais augure et dirent : La pre- .
mière parole qu'il prononce est teng (étroit); il n'est pas apte
au trône ; il ne connaît pas le langage qui convient à la cou-
ronne et au gouvernement; lui , non plus, n est pas de la des-
cendance royale. Ils le firent immédiatement descendre du
trdne et le chassèrent.
Ensuite ils trouvèrent dans une des villes occidentales, près
de Nisibe, un fils de Parwiz, nommé Ferroukhzâd-Khosrou,
qui s'était enfui lorsque Schîrouï fit périr ses frères. L'ayant
fait venir, ils lui donnèrent le pouvoir. Après six mois, ils le
tuèrent également.
Alors les Perses se trouvèrent embarrassés, n'ayant plus
personne qui fût apte au trône. C'était la volonté de Dieu que
la souveraineté leur fût enlevée, et que l'islamisme se ré-
pandit; c'est pour cette raison qu'il les laissa dans cet em-
barras. Comme ils étaient ainsi à rechercher de tous les côtés
quelqu'un, la nouvelle en vint à Yezdedjerd , fils de Schehryàr,
qui, après avoir échappé à Parwiz, se tenait caché à Içtakhr,
en Perside. On le fit venir, et on le plaça sur le trône. Il était
alors âgé de seize ans. Son règne dura quatre ans. Le royaume
déclinait; les ennemis l'attaquaient de tous les côtés. ^Omar,
fils de Khattâb, expédia une armée vers Madâïn; un combat
eut lieu, Yezdedjerd s'enfuit et fut tué à Merw : il perdit ainsi
le royaume de Perse, qui échut aux musulmans. Le long récit
des événements et des batailles du règne de Yezdedjerd sera
rapporté dans l'histoire du califat d'^Omar. Mais, auparavant,
nous allons donner l'histoire du Prophète et celles d'Abou-
Bekr et d'^Omar, dont nous n'avons pas encore parlé; ensuite
nous reviendrons à l'histoire de Yezdedjerd, et nous racon-
ferons sa mort et la fin de son royaume.
II. a3
354 CHROMQllE DE TABAUI.
CHAIMTHK LXV.
SUR LA DIPFBRR?iCR DES SYSTÈMRS CHROKOLOGIQURS.
Nous avons dc^Jà parlé de ce sujet au commencement de
cet ouvrage. Nous y revenons avec plus de détails, parce que
Mo'liammed ben-Djarir en a traité en cet endroit.
Or sache que les juifs prétendent que, depuis le temps oîi
Adam l'ut mis sur la terre jusqu'à la naissance de notre Pro-
phète, il s'est écoulé quatre mille trois cent quatre ans. Ils
disent que cela est ainsi consigné dans le Pentateuque. De-
puis la naissance du Prophète jusqu'à sa mission prophétique,
il y a un espace de quarante ans; depuis sa mission jusqu'à sa
fuite, il y a dix ans ; il séjourna treize ans à Médine. Les chré-
tiens prétendent qu'il y a, depuis Adam jusqu'à Mo^hammed,
six mille trois cent treize ans. Ces deux chiiïres ne s'accordent
pas. Il est probable que le comput que Ion rapporte d'après
^Abdallah ben-^Abbàs est plus exact. Ibn-^Abbàs dit : Depuis
Adam jusqu'à Noé, il s'est écoulé deux mille deux cent cin-
quante-six ans; depuis le déluge jusqu'à Abraham, mille
soixante et dix-neuf ans; depuis Abraham jusqu'à Moïse, cinq
cent soixante-cinq ans; depuis Moïse jusqu'à Salomon, fils de
David, qui bâtit le temple de Jérusalem, six cent trente-six
ans; depuis Salomon jusqu'à Alexandre Dsou'l-Qamaïn, sept
cent dix-sept ans; depuis Alexandre jusqu'à la naissance
de Jésus, trois cent soixante-neuf ans; depuis Jésus jusqu'à
MoM)ammed, cinq cent cinquante et un ans. On prétend géné-
ralement que, depuis Jésus jusqu'à Mo^hammed, il n'y a pas
eu de prophète; mais les paroles du Coran sont plus con-
formes à la vérité; il y est dit : tr Quand nous leur envoyâmes
PARTIE II, CHAPITRE LXV. 355
deux prophètes , 'î etc. (Sur. xxxvi, vers. i3.) Cela sa-rapporte
au temps après Jésus, qui dura quatre cent trente-quatre ans,
époque qu'on appelle interstice. Quoique, pendant cet espace
de temps, il n'y eût pas de révélation, il faut cependant ad-
mettre que la terre ne peut pas rester sans manifestation
divine. Or, à cette époque, c'étaient de nombretix disciples de
Jésus , dispersés dans le monde , qui appelaient les hommes
à Dieu. Si, un moment, la terre restait sans manifestation
divine, quiconque mourrait pendant ce temps, comme Dieu
ne lui aurait pas été manifesté, n'irait pas en enfer. Il faut
donc admettre que Dieu ne laisse pas le monde sans mani-
festation divine.
Quant au désaccord dans la chronologie de l'époque écoulée
depuis Adam jusqu'à présent, il ne pourra jamais être résolu
parmi les hommes. Ce désaccord repose sur ce que nous
avons dit au commencement de cet ouvrage , savoir : que
tous étant d'^accord que depuis Adam jusqu'au jour de la ré-
surrection il y a sept mille ans, si l'on savait au juste combien
de temps s'écoulera encore jusqu'au jour de la résurrection ,
on saurait quand aurait lieu le jour de la résurrection. Or
Dieu n'a fait connaître ce terme à personne, comme il le dit
dans le Coran. C'est pour cette raison que personne ne sait
combien d'années se sont déjà écoulées, ni combien il en reste
encore. De là tant d'opinions différentes. Mais il n'y a point
de désaccord dans notre propre chronologie : il y a quarante
ans depuis la naissance de Mo'hammed jusqu'à sa mission pro-
phétique, et vingt-trois ans depuis sa mission jusqu'à sa mort.
Quelques-uns disent qu'il est resté treize ans à la Mecque , et
dix ans à Médine; d'autres disent qu'il est resté dix ans à la
Mecque, et treize ans à Médine.
23.
356 CHRONIQUE DE TABARI.
CHAPITRE LXVI.
Géll^ALOr.lB DU PBOPHBTB,
La généalogie du Prophète est constatée par les généalo-
gistes; elle commence h son père et remonte jusqu'à Adam.
Dans cet ouvrage on a indiqué des opinions différentes rela-
tives à la série entre Ma^add, fils d'^Adnân, et Ismaël; les uns
prétendent qu'il y a trois générations; d'autres, cinq, et d'an-
tres encore, dix. La généalogie que nous allons donner n'est
pas contestée; elle est admise par les généalogistes, et se
trouve exactement ainsi dans les traités de généalogie :
MoMiammed, fils d'^Abdallah, fils d 'Abdou'i-Mottalib, fils
de Hâscliim, fils d'^Abd-Manâf, fils de Qoçayy, fils de Kilâb,
fils de Morra, fils de Ka^b, fils de Lowayy, fils de Ghâlib, fils
de Fihr, fils de Mâlik, fils de Nadhr, fils de Kinâna, fils de
Khozaïma, fils de Modrika, fils d'Elyâs, fils de Modhar, fils
de Nizâr, fils de Ma'add , fils d'^Adn^n , fils d'Odd , fils d'Odad ,
fils de Homaïsa^ fils de YaVob, fils de Yaschdjob, fils de
^Hamal, fils de Qaïdâr, fils d'Ismaël, fils d'Abraham, fils de
Tharé, fils de Na'hor, fils de Saroug, fils de Ragou, fils de
Phaleg, fils d'Heber, fils de Salé, fils d'Arphaxad, fils de Sem,
fils de Noé, fils de Lamech, fils de Mathusalé, fils d'Enoch,
fils de Jared, fils de Malaléol, fils de Caïnan, fils d'Enos, fils
de Seth, fils d'Adam.
Chacun de ces ancétjos du Prophète avait, outre son nom
ordinaire, un surnom provenant d'une action ou d'un fait
remarquable accompli par lui, et chacun a son histoire. Or
Nizâr, fils de Ma'add, fils d"Adnân, avait le surnom d'Abou-
Rabfa ou d'Abou-Iyâd; car il avait quatre fils, qui se nom-
PARTIE II, CHAPITRE LXVl. 357
niaient: faine, Rabra; le second, lyâd; le troisième, Mo-
dhar, et le quatrième, Aumdr. Cest de Modhar que descend
le Prophète. Nizâr demeurait dans le désert, au même endroit
où avait été Ma^add, Gis d'^Adnân. De là il vint à la Mecque
et y établit sa résidence, et il fut tantôt dans le désert avec sa
tribu, tantôt à la Mecque. Modhar avait le surnom de ^Hamrâ
{de la tente rouge) ^ qui avait Torigine suivante :
Nizàr, qui possédait une grande fortune, partagea, en mou*
rant, ses biens entre ses fils. Il donna une tente de cuir rouge
à Modhar, à Rabfa un cheval noir, à Ânmâr un tapis de
cuir noir, et à lyâd une esclave. Il leur dit : Partagez-vous
tous mes biens de cette manière. S'il s'élève entre vous des
contestations, allez à Nadjrân, où il y a un devin nommé Afa,
de la tribu de Djorhom, qui est très-habile et savant, afin
qu il fasse le partage entre vous. Nizâr était lui-même un de-
vin, connaissant Tart des présages, des augurer et de la divi-
nation; et ses fils en avaient également quelques notions.
Après sa mort, ses fils, en prenant possession des objets que
leur père avait donnés à chacun, eurent des contestations re-
lativement aux autres biens. Alors ils montèrent sur des cha-
meaux pour se rendre à Nadjrân auprès du devin, voulant
soumettre à son jugement le partage. Sur la route, ils ren-
contrèrent un terrain couvert d'herbe , dont une partie était
broutée, et une partie intacte. Modhar dit : Le chameau qui
a brouté cette herbe est borgne de Tœil droit. Rabf a dit : Il
est boiteux du pied droit. lyâd dit : Il a la queue coupée. An-
mâr dit : 11 s est échappé des mains de son maître, parce qu'il
est farouche. Un peu plus loin , ils rencontrèrent un homme
monté sur un chameau ; ils lui demandèrent qui il était. H ré-
pondit qu'il était de telle tribu , et qu il était a la recherche
d'un chameau qui s'était échappé. Modhar lui dit : Ce chameau
a>* «.h: '^iMlE DE î^fciBI.
nVait-i! [As l^jTgiît d»f Fœîl «in>tl 7 — Oui, répondit i'Lommtr.
— .V [^lî^hrA-îl {►*< dn <rô*r droit? d«iiuiida Babr^. —
Oui. — Il n'a paî d»i- qofra^». dit Kàd. — Cest irai. r^poo<Jit
rbomm^. — Anmâr ajouta : Il <e^S farouche. — Ooi . dit
rhoainje: o^j ^-îl, ce chameau? — Xoos ne FaTons pa< vu,
direo l fc» frêns. — Si vous ne Fa^ ei f#aî vu , répliqua rhoinme ,
comrijeDt sa«ez-«ou> toutes ces [.arlicularités? Il insista et dit :
Cest certaioement voo? qui Favez; reodcz-leHDoL — Nous
ne Favooâ pas. Il leur demanda où il> allaient. Les frères lui
dirent qu'ils se rendaient à Xadjràn. auprès d^Afa, le devin,
pour soumettre à son jugement un différend qui s'était élevé
entre eui. Cet homme, qui était seul, s'attacha à leurs pas,
et suivit les quatre frères jusqu'à Nadjràn.
Afa ne les connaissait pas, mais il les reçut gracieusement
H leur demanda le but de leur voyage. Ils lui dirent : Notre
{lère est mort, et nous ne pouvons pas nous accorder sur le
partage de ses biens; nous sommes venus aGn que tu pro-
nonces entre nous quatre; nous sommes tombés d'accord
de nous soumettre à ton jugement. Alors le propriétaire du
chameau dit : Arrange d'abord l'affaire de mon chameau
entre eux et moi; j'ai perdu un chameau, ce sont eux qui le
tiennent. Afa lui dit: Comment sais-tu qu'ils Fout? L'homme
répondit : Farce quiis in ont donné son signalement; s'ils
ne l'avaient pas vu, comment le sauraient-ils? Modhar dit :
J*ai reconnu que ce chameau était borgne de Fœil droit, parce
qu'il avait brouté Fherbe d'un coté seulement, et qu'il ne
l'avait pas touchée du côté où elle était meilleure. Rabfadit:
J'ai remarqué que son pied droit avait imprimé sur le sol des
traces bien marquées, cl je n'ai pas vu celles de l'autre pied;
de là j'ai su qu'il penchait du coté droit, lyàd dit : J'ai vu que
ses crottins étaient réunis en las, comme ceux du bceuf, et
PARTIE II, CHAPITRK LXVl. 359
non coinuie soiil ordinaireiuenl ceux du chameau, qui les
écrase avec sa queue; j'ai reconnu par là qu'il n'avait pas de
queue. Anmàr dit: J'ai remarqué que l'herbe n'était pas
broutée à un seul et même endroit, mais qu'il avait pris par-
tout une bouchée : j'ai su que le chameau était d'un caractère
farouche et inquiet. Le devin admirait le savoir et l'intelli-
gence des quatre frères. Cette manière déjuger fait partie de
l'art de la divination, et on l'appelle bdb-al-tazkin ; c'est une
des branches de la science. Ensuite le devin dit au propriétaire
du chameau : Ces gens-là n'ont pas ton chameau ; va-t'en.
Ayant demandé aux quatre frères qui ils étaient, et ceux-ci
lui ayant déclaré qu'ils étaient les (ils de Nizâr, fils de Ma'add,
fils d'^Adnân , le devin dit : Excusez-moi de ne vous avoir pas
reconnus; j'ai été lié d'amitié avec votre père; soyez mes
hôtes ce jour et cette nuit; demain j'arrangerai votre affaire.
Ils consentirent. Le père et les ancêtres de ce devin avaient
été chefs de Nadjràn.
Le devin leur fit préparer un repas. On leur servit un
agneau rôti et une cruche de vin, et ils mangèrent. Lorsque
le vin leur monta à la tête, Modhar dit : Je n'ai jamais bu un
vin plus doux que celui-ci; mais il vient d'une vigne plantée
sur un tombeau. Rabi^a dit : Je n'ai jamais mangé de la viande
d'agneau plus succulente que celle-ci ; mais cet agneau a été
nourri du lait d'une chienne. Anmâr dit : Le blé qui a servi à
faire le pain que nous venons de manger a été semé dans un
cimetière. lyàd dit : Notre hôte est un excellent hommie; mais
il n'est pas un fils légitime; ce n'est pas son père [légal] qui
l'a engendré, mais un autre homme ; sa mère l'a conçu dans
l'adultère. Le devin recueillit leurs paroles, mais il ne leur en
dit rien. Quand la nuit lut venue et qu'ils furent endormis, il
appela son intendant et lui demanda de quelle vigne provenait
360 CHRONIQUE DE TABARl.
le vin [que Foq avait seni aux hôtes]. L'ioteiidaut dit : Lue
vigne a poussé sur le tombeau de ton père, et elle est dere-
nue grande; j'en ai recueilli le raisin, et ce vin en proTÎenl.
Ensuite le devin fit venir le bei^er, et le questionna relative-
ment à Tagneau. Le berger dit : Quand cet agneau vint au
monde, il était très-joli ; mais sa mère mourut, et il n*y avait
pas alors de brebis qui eût mis bas. Une chienne avait eu des
petits; je mis cet agneau avec la chienne jusqu'à ce qu^il fat
grand. Je n'en ai pas trouvé de meilleur pour te Tapporter,
lorsque tu m'as fait demander un agneau. Enfin le devin ap-
pela le métayer, et l'interrogea sur le blé. Le métayer lui dit :
Il y a d'un côté de notre champ un cimetière. Cette année-ci
j'ai ensemencé une partie du cimetière, et c'est de là que
provient le blé que je t'ai apporté. Le devin, fort étonné de
ces explications, dit : Maintenant c'est le tour de ma mère,
n alla trouver sa mère et lui dit : Si tu ne m'avoues pas la vé-
rité en ce qui me concerne , je te fais mourir. Sa mère paria
ainsi : Ton père était le chef de ce peuple et possédait de
grandes richesses. Comme je n'avais pas d'enfant de lui, je
craignis qu'à sa mort ses biens ne tombassent entre des mains
étrangères et qu'un autre ne prit le pouvoir. Un Arabe, homme
de belle figure, fut un jour l'hôte de ton père ; je m'aban-
donnai à lui, la nuit; je devins enceinte, et c'est à lui que
tu dois ta naissance. J'ai dit à ton père que tu avais été en-
gendré par lui.
Le lendemain, le devin interrogea les quatre frères sur
leurs paroles, en disant : Je veux que vous me fassiez con-
naître comment vous avez su les choses que vous avex dites.
Modhar, le premier, lui dit : J'ai su que la vigne était plantée
sur un tombeau, parce que, quand nous avions bu le vin,
nous devenions tristes et nous avions la figure altérée; ce qui
362 CHRONIQUE DE TABARl.
descendanls de iVizâr et de la l'amille de Ma'add, fils d''Âd-
iiàn, qui se multiplièrent tant, que leur noiubre fui immense.
Modbar fut le chef de toutes les tribus arabes. Il eut un fils,
nommd Elyàs , qui lui succéda dans sa cbarge. Elyâs eut deux
fils : Modrika et Tàbikba; c'est le premier des deux qui con-
tinua la lignée du Prophète. Ces deux noms étaient des so-
briquets : le véritable nom de Modrika était ^Âmrou; celui de
Tàbikba, ^Amir. Un jour, lorsqu'ils étaient déjà grands, ils se
trouvaient avec leur père auprès de leurs chameaux et faisaient
cuire [quelque mets dans] un pot. Les chameaux s'échappèrent.
Elyàs dit à ^Amrou : Va , et ramène les chameaux ; et il dit à
'Âmir : Toi, fais cuire le pot. Ayant fait ainsi, ils reçurent ce
jour-là les sobriquets Modrika et Tâbikhay qui leur restèrent
Elyàs réunit entre ses mains le commandement de tous les des-
cendants de Rabi'a , de Modbar, d'Anmàr et d'Iyâd, et fut ainsi
le chef de toutes les tribus de Nizàr, qui demeuraient en par-
tie dans le désert, et en partie à la Mecque. Mais la souverai-
neté de la Mecque ne leur appartenait pas; elle était entre les
mains des Beni-Khozà'a ; car la Mecque était habitée par les
descendants de Ma'add, d'^Adnàn et dlsmaël, qui formaient
une population nombreuse. A l'époque où Abraham amena
Ismaël à la Mecque, il y trouva établie une tribu djorhomite.
Plus tard des khozà'ites arrivèrent, soumirent les Djorho-
mites, en tuèrent un grand nombre et s'établirent à la Mecque.
Les Khozà^ites sont une des tribus de Sabà , qui , lors de la
destruction de cette ville par les eaux, se répandirent dans le
monde. Les Beni-khozà^a vinrent à la Mecque ; Tayy se fixa
daus le désert ; Ans et Khazradj , à Yathrib. Les Arabes furent
donc dispersés dans le monde, comme il est dit dans le Co-
ran : ffNous les avons dispersés de tous côtés.'' (Sur. xxxiv,
vers. 18.)
PARTIE II. CHAPITRE LXVI. 363
Los Arabes se composent de deux populations distinctes :
les Ma\iddiles el les Qa'htanides. Les habitants de Sabâ et
du Yemen sont (ja'htanides, et les Arabes du dessert, Ma^ad-
dites. L'histoire des Djorhomites a été rapportée dans Thistoire
d'Ismaëi, (ils d'Abraham. Isniaël avait épousé une femme de
cette tribu , et il en avait eu des Gis. Ses descendants étaient
répandus dans le désert, et les descendants de Ma^add et
d'^Adnàn habitaient également et exclusivement le désert,
de même que ceux de Nizâr, de Modhar et d'EIyàs. De temps
eu temps ils venaient à la Mecque, sans y rester. Lorsqu'ils
devinrent nombreux, une partie d'entre eux vint se fixer à
la Mecque, et une partie demeura dans les montagnes. Mais
la souveraineté de cette ville appartenait aux Kbozâ^a. Cette
souveraineté comprenait deux fonctions : Le ^Hidjâba (garde
des clefs de la Ka'ba) et le Siqâya (distribution des eaux).
Quant aux descendants d'Ismaël, ils étaient en partie dans le
désert et en partie à la Mecque.
Lorsque Eiyâs mourut, le commandement de tous les
Arabes passa à son fils Modrika, qui le laissa à son fils Kho-
zaïma, auquel succéda son fils Kinàna, qui eut pour succes-
seur son fils Nadhr. Celui-ci fixa sa résidence à la Mecque et
devint le chef de tous les descendants de Nizâr. Son véritable
nom était Qaïs; on l'avait surnommé Nadhr, à cause de l'éclat
et de la beauté de sa figure. Il voulut s'emparer de la souve-
raineté de la Mecque, et enlever aux Beni-Khozà^a le ^Uidjàba
et le Siqâya. Mais il n'y réussit pas, parce que les Khozà^a
étaient nombreux, et que ses propres gens, les descendants
de Kinàna , de Khozaïma , de Modrika et de Modhar, étaient
dispersés dans le désert et dans les montagnes. Ne pouvant
pas triompher des Beni-Khozà'a , Nadhr leur dit : Donnez-moi
le Siqâya, et gardez les clefs de la Ka'ba et la souveraineté
364 CHRONIQUE DE TABARI.
de la Mecque. Ils lui coufièreot donc leSiqâya. Après lui, Tau-
torité passa à son fils Mâlik, puis successivemeaty de père en
fils, à Fibr, Ghâlib, Lowayy, Ka'b, Morra et Kilâb, par les-
quels fut continuée la lignée de Mo'hammed. Tous ces per-
sonnages exercèrent l'autorité sur les Arabes de la famille de
Nizâr, jusqu'à Qoçayy, fils de Kilàb. Lorsque Kilâb mourut,
son fils Qoçayy était encore un enfant à la mamelle. L'auto-
rité et la fonction du Siqâya firent retour aux Khozâ'a. Le
véritable nom de Qoçayy fut Zaîd; Qoçayy était un sobriquet,
qu'on lui avait donné parce qu'il était allé jusqu^aux limites
extrêmes de l'Arabie. Voici en quelles circonstances :
Qoçayy, qui était encore à la mamelle lorsque sod père
mourut, avait un frère, nommé Zobra, également fils de
Kilâb. Leur mère était Fâtima, fille de SaM, de la tribu de
Khath^am. Après la mort de Kilâb, elle se remaria avec uo
homme de la tribu de Qodliâ^a, nommé Rabfa, fils de *Ha-
zâm, qui était venu à la Mecque en pèlerinage. Rabfa em-
mena Qoçayy avec lui dans la tribu de Qodhâ^a, loin de la
Mecque, vers le Yemen. Zohra, qui était déjà grand, resta à la
Mecque, eut plusieurs fils et mourut dix ans après. Comme
il n'y avait plus de fils de Kilâb, le Siqâya fit retour aux Kho-
zâMtes. La mère de Qoçayy cul de son second man un fils,
nommé Dorrâdj. Les deux enfants grandirent ensemble » et
lorsque, vingt ans après, Rabfa, qui était le chef de la tribu
des Qodhâ^a , vint à mourir, Dorrâdj lui succéda. Alors Qoçayy
lui dit : Ton père a été le chef des Reni-Qodhâ^a , et tu as
hérité de sa dignité. Mon père aussi a été chef, à la Mecque,
des tribus de Nizâr et des descendants d'Ismaël. Je vais aller
pour recouvrer mon autorité légitime. Dorrâdj lui répondit :
Fais-le, et si tu dois entreprendre la guerre et que tu aies
besoin d'aide, avertis-moi, je te porterai secours. Arrivé à la
PARTIE II, CHAPITRE LXVl. 365
iMecque, Qoçayy trouva les Khozâ'a en possession des fonctions
du ^Hidjâba et du Siqâya. Us avaient pris pour chef ^Holaîl,
fils de 'Hobschiyya, le Khozâ^iie. Voyant que ses parents des
Benî-Fihr, des Beni-Morra, des Benî-Nadhr, des Beni-Ki-
nâna, et les descendants de Lowayy, fils de Ghâlib, étaient
dispersés dans les montagnes de la Mecque et dans le désert,
Qoçayy reconnut qu*il ne pourrait rien tenter contre les Ben(-
Khozâ'a. Il resta donc à la Mecque, sans chercher à recouvrer
le Siqâya, Plus tard, les gens de sa famille et ses amis se
groupèrent autour de lui , lui témoignèrent du respect et re-
connurent son autorité. Quelques années après, étant devenu
un personnage important, il demanda en mariage la fille du
chef des Khozâ^ites, qui la lui accorda, en considération de
sa noble origine et parce qu il était le chef de sa tribu , et que
son père Kilab avait été chef de tous les Arabes.
Quelques années après, 'Hola'd mourut. 11 y avait, parmi
les Beni-Khozâ'a, un homme nommé Solaïmân, fils d'^Âm-
rou, surnommé Abou-Ghoubschârij homme joyeux et gour-
mand, aimé des Khozâ^ites. ^Holaïl, en mourant, le désigna
comme son successeur et lui remit les fonctions du Siqâya et
du "^Hidjâba. Qoçayy se lia d^amitié avec Âbou-Ghoubschàn,
qui, ne se souciant pas de Tautoriténi du gouvernement,
vendit sa charge pour une outre de vin à Qoçayy, qui prit
possession de la souveraineté de la Mecque, des clefs du
temple, du ^Hidjâba et du Siqâya. Les Benî-Khozâ'a s'étant
réunis pour Tattaquer, Qoçayy appela ses proches et ses cou-
sins, les descendants de Lowayy, fils de Ghâlib, ceux de Fihr,
de Kinâna, de Khozaïma, de Modrika, d'Elyâs, de Modhar,
de Ma'add et d'^Adnàn, en tout douze tribus, et fit la guerre
aux Khozâ^ites. Ceux-ci eurent le dessus, tuèrent un grand
nombre des gens de Qoçayy et les chassèrent de la Mecque.
366 ClIRO.MQLl!: DE TABARl.
Qoçayy alla demander du secours au chef de la tribu des
Qodhâ^a, qui était son frère utérin. Dorràdj vint avec une ar-
mée nombreuse. Ceux du parti de Qoçayy qui étaient à* la
Mecque, ceux qui étaient répandus dans les montagnes, et la
troupe qui avait été mise en fuite par les Khoza^ites, vinrent
se grouper autour de Qoçayy, et tous ensemble livrèrent une
grande bataille aux Khozà'ites, en tuèrent un grand nombre
et les mirent en fuite. Qoçayy s'empara du gouvernement de
la Mecque, des fonctions du ^Hidjâba et du Siqéya et de l'in-
tendance du temple. Quand il fut bien établi , il congédia son
frère Dorrâdj, qui retourna dans sa tribu.
Qoçayy, ayant saisi le gouvernement, réunit à la Mecque
les gens de sa famille, ses alliés et la tribu de Ma^add, (ils
d'^Adnàn, les y fit demeurer et leur donna les maisons des
Reni-Khozà^a. Quand il les eut tous rassemblés dans la ville,
il les appela Qoraïsch, ce qui signifie en arabe une réunion
d'hommes. On n'avait jamais auparavant employé ce nom.
Depuis lors les Arabes désignent Qoçayy par le nom de Qo-
raïsch. Les Beni-Khozâ^a , après avoir été mis en fuite, ne
pouvant pas rester dans le désert, revinrent à la Mecque, se
mirent sous la protection de Qoçayy, conclurent un traité avec
lui et reconnurent son autorité. Qoçayy leur accorda sa pro-
tection, mais il ne les laissa pas a la Mecque; il leur assigna
des demeures dans les montagnes autour de la ville.
Qoçayy était donc en même temps chef des Khozà^a , des
Qoraïsch et de la Mecque. 11 était bienveillant envers le peuple,
avait soin des pauvres et passait son temps à rechercher et à
examiner la condition de chacun , et donnait des secours à
ceux qui étaient dans une position difficile. Quoiqu'il n'eût
pas une grande fortune, le bien qu'il faisait aux pauvres
avait plus de valeur, par la bénédiction qui y était attachi^e.
PARTIK 11, CHAPITRE LXVI. S67
que les bienfaits des autres. En outre, il prenait aux riches
pour donner aux pauvres, dont il était le soutien. Les Benf-
Khozâ^a étaient soumis au peuple de Qoçayy, qui leur avait
accordé sa protection.
Les hommes de Qoçayy s'appelaient Qoraïsch depuis le
jour où il les avait réunis : c'est d'eux que les Qoraïschites
actuels tirent leur origine. Quelques-uns disent que le nom
de Qoraïsch signifie ff investigation. ^ En effet, Qoçayy s'in-
formait de la position de ses concitoyens, des étrangers, des
pauvres et des nécessiteux, qui venaient chaque année pour le
pèlerinage. Tous ceux qui étaient dans le besoin étaient entre-
tenus par lui jusqu'à leur départ.
Chaque année Qoçayy faisait contribuer les tribus arabes
à l'entretien des pèlerins, et lui-même y contribuait de ses
propres ressources, en leur donnant un potage composé de
dattes et de lait, mets que les Arabes appellent ^haU. Il tuait
des chameaux et offrait aux pèlerins de grands repas, et fai-
sait mettre à un endi*oit de grandes quantités de dattes et de
gruau. Lorsque les pèlerins accomplissaient leurs tournées
et qu'ils revenaient d"Ârafât à la Mecque, Qoçayy traitait
toute la foule, qu'elle fût de cent mille hommes ou plus, à
Bat^hâ ; il faisait étendre des nattes de cuir rouge et faisait ser-
vir la nourriture à tous, riches et pauvres. Puis il prenait des
informations sur la position des gens ; ceux qui n'avaient pas
de provisions recevaient de lui des dattes, de la farine, des
gâteaux et autres choses, et tous s'en retournaient de la réunion
annuelle chargés de vivres. C'est à cause de ces enquêtes que
Qoçayy reçut le nom de Qoraïsch. D'autres prétendent que
Qoraïsch est le nom d'un cheval marin, qui épouvante tout ce
qui habite la mer, poissons et autres animaux. Comme Qoçayy
et son peuple avaient pris le dessus sur les Khozâ^a , on les
368 CHRONIQLE DE TABARI.
avait appelés Qanuiek^ par mëUphore. 'Abdallah, fils cTAb-
baSy a dit à ce sujet le vers suivant:
Qornidi. qui ert [eei aDÎmal] qui kabile li mer, ém non dinjad fl*ap-
peOcnt les Qoruscliileft.
Donc Qoçayy exerçait le pouvoir, à la Mecque, sur les Qo-
raîschites et sur les autres. Après lui , le gouvernement passa a
ses descendants , de père en fils , d'abord à son fils 'Abd-Manâf ,
qui eut pour successeur son fils Hâschim, a qui succéda son
fils ^Abdoul-Mottalib, qui le laissa à son fils Abou-Tâlib,
nommé aussi ^Abd-Manâf. La prééminence des Qoraîschites
était reconnue par tous les Arabes et Ta été jusqu'à ce jour.
Qoça)-)', après avoir enlevé le pouvoir aux Khozi'ites, avait
ajouté aux prérogatives du ^HiJjâba et du Siqdjfa quatre
autres attributions, savoir : le Rifâdoy le A'trdii, le Liœa et le
\adwa. Quiconque réunissait entre ses mains ces six préro-
gatives avait le gouvernement de la Mecque. Le Rifâda consis-
tait dans Tattribution de nourrir les pèlerins, comme nous
avons dit que le faisait Qoçayy , chaque année, en traitant les
riches et les pauvres, un soir à Mouzdalifa, l'autre soir à la
Mecque. En effet, le jour où les pèlerins vont à 'Arafat, res-
tant toute la journée, jusqu'au coucher du soleil, sur pied,
sur le sommet de la montagne d" Arafat, à prier, personne
n'a le temps de préparer le repas du soir. Ils s'en retour-
nent , lorsque le soleil décline , et récitent la prière du soir
et la prière du coucher, à Mouzdalifa. Ils ne se reposent pas
avant d'y arriver, et ils n'y arrivent que quand la nuit est
déjà avancée. Qoçayy donnait donc son repas à Mouzdalifa, le
jour d"^ Arafat; il réunissait tous les pèlerins, et tous man-
geaient à satiété et se couchaient ensuite. Puis, à la fin du pè-
lerinage, lorsqu'ils faisaient les dernières tournées à la Mecque,
PARTIE II, CHAPITRE LXVI. 369
il les Iraitait de la même façon, et donnait à tous les pauvres
des provisions de voyage autant qu'il leur en fallait jusqu'à
leur retour dans leur pays. Cette distribution de nourriture
s'appelle rifâda, car le verbe rafada veut dire cr donner du se-
cours, n Cette coutume s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui : le
sultan fait donner un repas à Mouzdalifa, et fait distribuer
aux pèlerins pauvres des subsistances. Khaizerânè, la mère de
llaroun ar-Kaschid, donnait ce repas chaque année, et, après
elle, Zebidè, femme de Haroun ar-Raschid, fille de DjaTar
al-Mançour; ensuite Scha'b, mère de Mouqtadir.
Le ^îrân est l'éclairage par des feux , lorsque les pèlerins
reviennent, dans l'obscurité de la nuit, d"Arafàt, afin que
personne ne s'égare sur la route de Mouzdalifa.
Le Liwa (drapeau) consistait dans la pratique suivante :
chaque fois que Qoçayy faisait partir de la Mecque une expé-
dition guerrière, il mettait à la tête de l'armée un chef qui
recevait de ses mains le drapeau, une pièce d'étoffe de soie
blanche, que Qoçayy lui-même attachait au bout d'une lance,
et l'on portait ce drapeau devant le chef, comme signe de
commandement. Cette coutume se perpétua depuis loi*s parmi
les descendants de Qoçayy, et fut aussi maintenue par le Pro-
phète, qui, chaque fois qu'il envoyait un général contre une
ville, attachait de ses propres mains le Liwa,
Le Nadwa ou conseil était une institution qui avait égale-
ment été établie par Qoçayy. Pour toute affaire qu'il voulait
entreprendre, il réunissait les Qoraïschites et les principaux
habitants, pour eu délibérer avec eux. Aucune décision prise
par les principaux habitants relativement aux affaires des
citoyens n'avait de force si elle n'avait été délibérée dans la
maison de Qoçayy, où ils se réunissaient en conseil ap])elé
Nadwa. Qoçayy avait acheté à cet effet une maison à côté du
II. 'i/i
370 CHRONIQUE DK TABARI.
temple qui reçut le nom de Ddr-en-Nadwa , et cette maisou
appartenait aux Qoraïschites. Cette institution dura jusqu'au
moment où le Prophète prit la ville de la Mecque. Le jour où
il y entra et détruisit toutes les coutumes du paganisme, ii
abolit aussi le Dâr-en-Nadwa.
Donc Qoçayy réunissait entre ses mains ces six attributs
du pouvoir : le ^Hidjâba,le Siqâya,\e Rifàda, le lÀwa, le Nirdn
et le Nadwa. Qoçayy avait quatre fils : ^Abd ben-Qoçayy, ^Abd
ed-Dâr, 'Abdou l-'Ozza et Âbd-Manàf. Ce dernier était le plus
jeune ; c'est de lui que descend le Prophète. Qoçayy faimait
plus que SCS autres fils. On lui avait donné le sobriquet Qamrà,
à cause de sa beauté; son véritable nom était Moghira; mais
sa mère, Tayant amené auprès de Manâf, une des idoles qui
se trouvaient dans la Ka'ba, Tavait placé devant Tidole et
avait dit : tr Voilà le serviteur de Manàf?) {^ Abd-Manàf), Ce
nom lui est resté et a prévalu sur ses autres noms. Qoçayy,
en mourant, légua les six attribuLs du gouvernement à ^Abd-
Manâf, en lui disant : 0 mon fils, il im|)orte peu que tu di-
minues le pouvoir d'une de ces prérogatives; mais ne renonce
jamais au Rjfâda, c'est-à-dire à la prérogative de traiter les
pèlerins; car vous êtes les ministres du temple de Dieu, et
les pèlerins sont les hôtes de Dieu ; vous avez plus que qui que
ce soit le droit de leur donner l'hospitalité. ^Abd-Mauâf eut
soin de conserver ces attributs, et exerça le pouvoir sur la
Mecque, le ^Hedjâz et sur tous les Arabes. Son autorité était
plus grande que celle de son père Qoçayy, qui n'avait pas
eu une fortune suffisante pour ses besoins. Chaque année, à
l'époque du pèlerinage, il avait fait la distribution de vivres
aux pèlerins, en partie à ses propres dépens, et pour une
partie il avait demandé une contribution aux Qoraïschites; et,
au bout de Tannée, il se trouvait avoir contracté une certaine
PARTIE H, CHAPITRE LXVI. 371
dette. 'Abd-Manâf, qui avait beaucoup de biens, faisait cette
aistribution de ses propres ressources, sans rien demander
aux Qoraïschites. Même en dehors de Tépoque du pèlerinage,
^Abd-Manàf faisait tuer des chameaux et en donnait la chair
aux pauvres. Il luttait contre le vent du nord, et sa libéralité
remportait : les jours où le vent du nord soufflait, ^Abd-Manâf
tuait un chameau pour les pauvres; et si le vent soufflait «pen-
dant dix jours consécutifs, il tuait chaque jour un nouveau
chameau. Cest lui qui introduisit la coutume d'offrir aux
repas du R^âda la boisson de miel ; il en faisait faire une si
{grande quantité, en y employant du miel purifié, que tous
les pèlerins avaient à boire.
'Abd-Manâf avait quatre fils : 'Abdou'l-Schams, Tainé,
Hâschim, Al-Mottalib et Naufal. Haschim, dont ie véritable
nom était ^Amrou, lui était le plus cher. Cest après la mort
de son père seulement quil reçut le nom de Hâschim, parce
qu'il introduisit la coutume d*offrir aux pèlerins, aux repas
duRifâda, le potage appelé therîd. A la mort d'^Abd-Manâf, ses
fils se partagèrent ses biens; le gouvernement échut à Hâ-
schim, qui jouissait d'une plus grande influence que son père,
tant par sa fortune que par son autorité parmi le peuple : il
était appelé ^Amrou al-^Ali, à cause de son autorité. Il con-
servait toutes les prérogatives du pouvoir, en y ajoutant en-
core celle du Ûierid, Auparavant on donnait à chaque homme
quatre pains, du bouillon et un peu de viande. 'Amrou y
ajouta le therîd, augmentant ainsi la portion de pain : pour
cette raison, on l'appelait Hâschim, c'est-à-dire i? celui qui
émiette le pain dans le bouillon. 71 A l'exemple de son père
^Abd-Manâf , Hâschim , même en dehors de l'époque du pèle-
rinage , tuait des chameaux , dont il offrait la chair aux habitants
de la Mecque. Une certaine année, du temps de Hâschim, une
•j/i.
372 CHKOiMQUE DK TABARI.
famine élaut survenue à la Mecque, Hâschiui partit |>our ia
Palestine el en rapporta des vivres, qu il avait achetés de ses
propres ressources, et il les distribua aux habitants de la Mec-
que. Pendant toute la durée de ia famine, il faisait donner à
chacun, régulièrement, chaque jour, un vase de therîd; et le
nom de Hâschim lui resta. C'est à ce propos qu'un poète a dit:
'Amrou, le noble, a émiellé le pain du therid pour ses compatriotes, les
f^ns de la Mecque, affamés et épuisés.
Pendant cette famine, Hâschim , n'ayant pas de provisions à
Tépoque du pèlerinage, partit lui-même pour la Syrie, en ra|>-
porla de la farine, dont il fit faire du pain, et donna les i*epas
du Rifâda d'une manière plus parfaite que les autres années.
La famine dura trois ans; cha<|ue année, Hâschim faisait deux
fois le voyage de Syrie, pour aller chercher de la farine, une
fois en hiver et une fois en été, comme il est dit dans le Coran :
tr ... leurs caravanes qu'ils envoient en hiver et en été. ^ (Sur. cvi ,
vers. 3.) Cette coutume fut introduite parmi les Qoraïschites
par Hâschim, qui, même lorsque la famine eut cessé, allait
deux fois par an en Syrie , pour y faire le commerce et poury cher-
cher des vivres. Les autres fils d''Abd-Manâf,'Abdou'l-Schams,
Naufal et Mottalib, distribuèrent également, de leurs propres
ressources, des vivres aux habitants de la Mecque , pendant ces
années de disette. Ils ne voulaient pas souffrir qu'une seule per-
sonne mourût de faim. Cependant ils avaient laissé le privilège
du Rifdda à Hâschim, parce qu'il exerçait le pouvoir. Si, pen-
dant cette famine, les fils d^Abd-Manâf n'avaient pas été à la
Mecque, tous les habitants auraient succombé à la faim. Les
quatre frères se rendirent dans toutes les contrées, en Syrie,
dans le Yemen, en Abyssinie et dans Tlrâq, et obtinrent des
souverains de ces pays des sauf-conduits pour les Qoraïschites,
PARTIE II, CHAPITHK LXVI. 373
pour y chercher des vivres et y voyager pour le coumierce,
sans être inquiétés par personne. Hâschini obtint un sauf-
conduit des rois de Syrie; 'Abdou l-Schams, des rois d'Abys-
sinie; Mottalib, des rois du Yemen, et Naufal, des rois de
r^Irâq; ils les rapportèrent aux Qoraïschites en même temps
que des vivres. Matroud, fils de Ka^b, le Khozâ^ite, a fait
reloge de Hàschim et de ses frères dans les vers suivants :
0 loi, hôte, dont la selle est toujours en mouvement, pourquoi nVs-lu
pas descendu chez las gens d''Abd-Manâf? etc.
Les iils d''Abd-Manâf étaient ainsi, tous les quatre, les
princes des Qoraïschites : Hâschim exerçait le gouvernement,
et ses frères étaient ses auxiliaires. Ensuite ^Abdou 1-Schams
mourut, et laissa un fils nommé Omayya. Quelques-uns pré-
tendent que son véritable nom était Hâschim, et Omayya un
surnom. Omayya, qui avait hérité de son père une grande
fortune, était traité par Hâschim avec beaucoup de considé-
ration. Or, une certaine année, à Tépoque du pèlerinage, où
Hâschim se disposait à offrir aux pèlerins les repas, Omayya
sollicita de lui la permission d'offrir, pour cette fois, le Rifâda,
Hâschim y consentit avec peine. En conséquence, Omayya
prépara les repas, et y dépensa toute sa fortune; mais le Ri-
fâda ne fut pas suffisant, et les pèlerins manquèrent de nour-
riture. Hâschim, très -embarrassé, fit immédiatement tuer
cinquante de ses chameaux, et compléta ainsi le repas. En-
suite, étant en colère contre Omayya, il lui dit : Pourquoi ne
t'occupes-tu pas de jeux d'enfant? et il l'exila de la Mecque.
Omayya se rendit en Syrie, oi!i il resta dix ans, n'osant pas
revenir à la Mecque du vivant de son oncle. Il ne revint qu'à
la mort de Hâschim. Hâschim avait plusieurs fils; Omayya
avait également plusieurs fils, dont l'ainé était ^Harb, le père
37à CHROiNIQUE DK TABAKl.
d'Âbou-Sofyàu. C est là rorigiue de Tluiiuitié qui se perpéUia
entre les familles de Hàschim et d'Omayya, jusqua Tépoque
où Abou-Sofyàu exerça tant d'hostilités contre le Prophète : le
siège de Médine, le combat d'O'hod , le massacre de tant de ses
compagnons et de 'Hamza. Le jour de la prise de la Mecque,
Abou-Sofyàn devint musulman, et le Prophète lui douna, du
butin du combat de 'Honaïn , cent chameaux , pour se le conci-
lier et gagner son amitié; mais ce fut en vain. L'inimitië entre
les descendants de Hâschim et ceux d'Omayya durait tou-
jours : aucun membre de la famille d'Omayya, sauf ^Othmâu,
ne sympathisa avec le Prophète. C'est là aussi Torigine de la
haine qui existait entre 'Ali, fils d'Abou-Tàlib,et^Othaiàn, et,
plus tard , entre 'Ali, prince des croyants , et Mo'awiya ; c'est la
cause de tout ce qui s est passé entre eux, des dix-sept batailleti
qu'ils se sont livrées, de la mort de quarante mille musulmaus,
tués à la bataille de ÇifTin, et des actions de Yezid, Cls de
Mo'awiya, dont une partie sera rapportée plus loin : tout cela
est la suite de l'inimitié des familles Hâschim et Omayya,
inimitié qui s'est perpétuée jusqu'à ce jour.
Hâschim, en mourant, laissa le gouvernement à sou frère
Mottalib; car ses propres fils étaient trop jeunes pour exer-
cer le pouvoir, et ses autres frères , 'Abdou'l-Schams et Naufal ,
étaient^ morts. Mottalib prit le gouvernement et se mootra
soigneux d'en conserver les six attributions. Il avait aussi soin
des enfants de Hâschim. L'un de ces enfants, 'Abdou'1-Mot-
talib, encore fort jeune, se trouvait à Médine. Voici par quelle
cause : Une certaine année, comme Hâschim se rendait en
Syrie pour le commerce, étant arrivé à Médine, il y était des-
cendu chez un habitant, l'un des principaux de la tribu de
Khazradj, nommé 'Amrou, fils de Zaïd, fils d'Asad. 'Amrou
avait une fille très-belle, nommée Salma. Hâschim la lui de-
PARTIE II, CHAPITRE LXVI. 375
manda en mariage, et, Tayant obtenue, il passa un certain
temps auprès d'elle, et elle devint enceinte. Ensuite, après
avoir fait son voyage en Syrie, Hàschim revint à Médine et
donna à Tenfant que Salma avait mis au monde le nom de
Scbaïba. Il voulut emmener la mère et Tenfant avec lui à la
Mecque; mais ^Amrou, (ils de Zaïd, ne voulut pas laisser partir
sa Glle, et comme Tenfant était encore à la mamelle, Hâschim
ne pouvait pas le séparer de sa mère. Il le laissa donc avec
elle, et retourna seul à la Mecque, où il mourut bientôt après.
Mais, avant de mourir, en instituant Mottalib son successeur,
il lui dit qu'il avait à Médine un fils, du nom de Schaïba,
dont la mère était une telle, fille d'un tel, de la tribu de
Khazradj. Mottalib, ayant pris possession du gouvernement,
oublia ce qui concernait Schaïba. Dix ans se passèrent ainsi.
Alors un habitant de la Mecque, se rendant en Syrie pour
son commerce , arriva à Médine et y remarqua Schaïba , qui ,
au milieu d'une troupe de garçons, se glorifiait en disant :
Je suis Schaïba, fils de Hâschim, fils d'^Abd-Manâf; je suis
fils du seigneur de Bat^hâ , fils du seigneur de la Mecque et
du ^Hedjâz; je suis fils du chef de tous les Qoraïschites des-
cendant de Nadbr, qui l'emporte en noblesse sur tous les
Arabes. Cet homme fut fort étonné et dit : Comment Hâschim
a-t-il un fils à Médine? Il dit à l'enfant : Quel est ton nom?
L'enfant répondit : Schaïba, fils de Hàschim, fils d'^Abd-
Manâf, prince des Qoraïschites, prince des Arabes, seigneur
de Bat'hâ, de la Mecque et du ^Hedjâz. Lorsque cet homme
fut de retour à la Mecque, causant, un jour, avec Mottalib,
dont le surnom était Abou'l-'Hârith , parce qu'il avait un fils
nommé ^Hàrith, il lui dit : Ô Abou'l-^Hârith, j'ai vu à Médine
une chose étonnante. — Qu'y as-tu vu? demanda Motlalib.
L'autre dit : J'y ai vu un garçon qui, au milieu de ses cama-
.H76 CUROiMQLK DK TABARI.
rades, loul eu jouaut, eu sexerçaut aux armes, eu couraut
et eu jetaut la balle, se glorifiait, eu disant : Je suis Schaïba,
fils de Hâschim, fils d'^Abd-Manâf. Mottalib, se rappelant les
dernières recommandations de Hâschim , monta , le lendemain ,
sur un chameau et partit pour Médine. Il reçut Schaîba des
mains de sa mère , le fit monter derrière lui sur le chameau
et remmena à la Mecque. Les habitants de la Mecque lui
demandèrent : Qui est ce garçon? Mottalib répondit : Cest
mon esclave. Ils dirent : ^ Cest 1 esclave de Mottalibv Ç'Abdaul-
Mott€dib)y et le nom d'^Abdou 1-Mottalib lui est reste; car per-
sonne ne savait qu'il s'appelait Schaîba.
Mottalib, en mourant, confia le gouvernement, le Bjfâda
et les autres prérogatives à ^Abdoul-Mottalib, dont la libéra-
lité égalait celle d'^Abd-Manàf; il triomphait, comme celui-ci,
(lu veut du nord. Il était appelé tr nourricier des hommes et
des bétes,?) sobriquet qui n avait encore été douné à personne.
Lorsque les hommes de TEléphant vinrent aux portes de la
Mecque et que tous périrent, 'Abdoul- Mottalib y trouva un
butin immense, et son autorité devint plus grande que celle
de Qoçayy, d''Abd-Manâf et de Hâschim; il surpassait tous
ses ancêtres par sa libéralité, qui n'avait pas de borne». Le
surnom d'^Abdou'l-Mottalib était également AbouVHârith.
^Abdoul-Mottalib avait eu connaissance d'une tradition
disant qu'un homme, du temps d'Ismaël, voulant quitter la
Mecque, avait enfoui ses richesses dans le puits de Zemzem.
On dit aussi que c'était Ismaël lui-même qui avait enfoui ces
richesses. On prétend enfin que ces richesses se composaient de
deux gazelles d'or, de cent épées damasquinées et de cent cui-
rasses davidiennes. ^Abdou'l-Mottalib voulut creuser le puits de
Zemzem , pour enlever ce trésor, dont il avait entendu parler;
mais il ne savait pas à quel endroit il devait fouiller. Alors,
\
PARTIE IK CHAPITRE LXVl. 377
une uuit, il vit en songe quelqu'un qui lui dit : Lève-toi et
creuse où est le puils de ton père Ismaêl, fils d'Abraham.
A son réveil, ^Abdoul-Mottalib hésitait; car il ne savait pas si
les objets se trouvaient au bord ou au milieu du puits. La nuit
suivante, il rêva qu'on lui disait : Va creuser à l'endroit où est
la boue. La troisième nuit, il entendit une voix qui lui dit :
Creuse à l'endroit où un corbeau noir viendra frapper le sol
avec son bec. Alors il sut que le trésor se trouvait au milieu
du puits, mais il n'osa pas y toucher, craignant de détruire
le puits en le fouillant. Il fut très-embarrassé; puis il résolut
d'en retirer l'eau et d'en explorer le fond. En commençant
à creuser, il fit le vœu de sacrifier à Dieu un de ses dix fils
s'il réussissait, après avoir retiré l'eau et après avoir creusé
le sol et trouvé le trésor, à remettre le puits en bon état. Il
creusa donc, et trouva le trésor; ensuite il remit le puits en
bon élat, et l'eau monta. 'Abdou'l-Mottalib en fut très-heu-
reux. Avec les épées d'acier il fit faire une porte pour la Ka^ba ;
il fondit les deux gazelles d'or, en fit des plaques et en re-
vêtit les portes de fer. 'Abdou'l-Mottalib fut le premier qui
revêtit de plaques d'or la porte de la Ka^ba et qui la couvrit
d'étoffes de brocart.
Ensuite 'Abdou'l-Mottalib voulut "îiccomplir son vœu, en
sacrifiant un de ses dix fils, dont le plus jeune était ^Abdallah,
le père du Prophète. ^Abbâs et ^Hamza n'étaient pas encore
nés. 'Abdallah et Abou-Tâlib étaient nés de la môme mère,
nommée Fâtima, fille d'^Omrân, fils d'^Amrou al-Makhzoumî.
'Abdou'l-Mottalib jeta le sort trois fois sur tous ses fils, et trois
fois le sort tomba sur ^4bdallah. Alors 'Abdou'l-Mottalib se
disposait à le tuer. Abou-Tâlib et ses autres fils vinrent tous
et dirent à 'Abdou'l-Mottalib qu'ils ne le souffriraient pas.
'Abdou'l-Mottalib leur dit : Je me suis engagé par un vœu
378 CHRONIQUE DE TABARI.
•
envers Dieu; Dieu ayant fait réussir mon entreprise, je ne
peux pas me soustraire à la nécessité de lui offrir en sacrifice
un de mes fils, pour accomplir mon vœu. Ses fils répliquèrent :
Nous ne te laisserons pas faire; et ils lui enlevèrent ^Abdallah.
Abou-Tâlib, frère d'^Abdallah de père et de mère, qui avait
pour lui encore plus d'affection que les autres, alla trouver
ses oncles des Beni-Makhzoum, et leur dit que son père vou-
lait offrir en sacrifice ^Abdallah. Les Beni-Makhzoum se ren-
dirent auprès d'^Abdou'l-Mottalib et lui déclarèrent qu'ils ne
le souffriraient pas; ils lui dirent : Tu es le chef des Qoraï-
schites; si tu offres en sacrifice ton enfant, la coutume s'en
maintiendra parmi eux, et la race des Qoraïschites s'éteindra.
^Âbdoul-Mottalib répliqua : Que faire? Je me suis engagé
par un vœu envers Dieu, et il faut que je l'accomplisse. Les
autres dirent : Abraham, Tami de Dieu, qui fut plus grand
que toi, ayant fait vœu d'offrir en sacrifice Ismaël, reçut de
Dieu une rançon pour son fils; toi aussi offre une rançon à la
place de ton fils. ^Abdou'i-Moltalib dit : Que Dieu veuille ac-
cepter pour sa rançon tout ce que je possède! Je sacrifierais
volontiers tous mes biens; car il m'est le plus cher de tous
mes enfants. Les autres dirent : Il y a à Khaïbar une devine-
resse, la plus savante de ce temps; il faut te rendre auprès
d'elle; elle te dira ce qu'il faut faire. ^Abdou'l-Mottalib partit
pour Khaïbar, avec ^Abdallah , ^ Abbâs et Abou-Tâlib, et adressa
sa demande à la devineresse. Celle-ci dit : Place d'un côté dix
chameaux, et de l'autre ^Abdallah; puis consulte le sort. Si
le sort tombe sur les chameaux , tu sauras que Dieu accepte
la rançon de ton fils; si le sort tombe sur ton fils, augmente
le nombre des chameaux, et recommence, et augmente tou-
jours le nombre jusqu'à ce que le sort tombe sur eux; alors
tu sauras que Dieu accepte cette rançon, et tu offriras les
PARTIE 11, CHAPITRE LXVl. 379
cbauicaux eu sacrifice. ^Abdou'i-Mottalib retourna heureux à
la Mecque. Il plaça dix chameaux en face d'^ Abdallah , et con-
sulta le sort; le sort tomba sur \4bdallah. Alors il ajouta dix
autres chameaux, puis dix autres, et ainsi de suite; enfin,
quand le nombre fut de cent chameaux, le sort tomba sur
les chameaux. ^Abdou'l-Mottalib les offrit en sacrifice et en
donna la chair aux pauvres. Le Prophète a dit : tr Je suis le
fils de deux victimes, ?) c'est-à-dire deux de mes ancêtres ont
dû être immolés, Ismaël et ^Abdallah; mais Dieu a accordé
à Tun et à Tautre une rançon.
Lorsque ^Abdallah eut atteint l'âge viril, ^Abdou'l-Mottalib
le maria avec A mina, fille de Wahb, fils d'^Abd-Manâf, fils
de Zohra , de la tribu de Zohri. ^Abdallah , ayant conduit sa
femme dans sa maison , vivait avec elle.
' Il y avait à la Mecque un chrétien nommé Waraqa, fils
de Naufal, qui était devin. Il avait une sœur devineresse,
nommée Oumm-Iqbâl (?). Celle-ci, étant assise un jour k la
porte de la Ka^ba, lorsque ^Abdallah en sortit et se dirigea
vers sa maison, remarqua sur son front un éclat, qui était
celui du Prophète. Elle avait lu dans les Écritures que le
Prophète devait naître. Elle appela ^Abdallah auprès d'elle
et lui dit : Qui es-tu? Il répondit : Je suis le fils d'^Abdou'l-
Mottalib. — Es-tu celui qu^Abdou'l-Mottalib a voulu offrir
en sacrifice, par suite de son vœu? — Oui. — Je suis, dit-elle,
la fille de Naufal, sœur de Waraqa; si tu me prends pour
femme, je te donnerai cent chameaux. Elle ne savait pas
qu 'Abdallah était marié. 11 consentit et lui dit : Reste ici ,
je vais à la maison pour en parler à mon père. Quand il
entra dans sa maison, Amina se jeta à son cou; cédant à sa
passion, il s'unit à elle, et le Prophète fut conçu dans le sein
d'Amina. L'éclat dont avait été entouré le front d'^Abdallah
380 CHRONIQUE DE TABARI.
avait disparu lorsqu'il se rendit ensuite auprès d'Où mm -
Iqbâl. Celle-ci, ne voyant plus le rayonnement sur sa figure,
reconnut que le trésor quil avait porté en lui était sorti de
son corps. Ayant appris de lui qu il avait une femme et qu'il
venait de s'unir à elle, Oumm-Iqbâl lui dit : Va, je n'ai plus
de désir. ^Abdallah s'en alla.
Nous avons déjà raconté la naissance du Prophète et son
histoire jusqu'au moment où il entra dans la maison d'Abou-
Tâlib, qui le traitait avec bonté. 11 y resta jusqu'à l'âge de
vingt-cinq ans. Dans sa vingt- cinquième année, il épousa
Khadidja.
CHAPITRE LXVII.
MARIAGE DU PROPHETE AVEC KHADIDJA.
Kbadidja était de la parenté de Mo^hammed, de la tribu
de Qoraïsch : elle était fille de Khouwaïlid, fils d'Asad, fils
d'^Abdou'l-^Ozza , fils de Qoçayy . Elle avait perdu son mari ,
qui lui avait laissé une fortune considérable, et elle faisait le
commerce. Elle avait un afi*ranchi, nommé Maïsara, homme
probe et sûr, qu'elle envoyait, chaque année, avec une cara-
vane de marchandises, en Syrie. Mo^hammed était connu
parmi les Qoraïschites pour sa probité, son honnêteté et sa
droiture : on l'appelait Mo^hammed al-Amîn (l'homme sûr).
Lorsqu'on parla de lui à Khadidja, elle le fit appeler et lui dit :
Fais, cette année, le voyage commercial en Syrie avec mon
esclave. Il n'y avait presque personne à la Mecque qui eût une
si grande quantité de marchandises que Khadidja. Quelques-
uns disent qu'elle engagea Mo^hammed pour un salaire, d'au-
tres prétendent qu'elle le prit comme associé.
PARTIE 11, CHAPITRE LXVlï. 381
Mo'hainnied partit avec Maïsara. Pendant le voyage , chaque
fois que le soleil devenait brûlant, un nuage venait abriter
la tête de Mo'hainmed; quelquefois il venait un ange qui lui
donnait de Tombre. Ces circonstances étaient observées par
Maïsara. Arrivée près du territoire de la Syrie, la caravane
fit halte près d'un ermitage, à Tombre d'un arbre. Pendant
que MoUiammed dormait à l'ombre de cet arbre, à un certain
moment, le soleil étant monté plus haut, l'ombre s'éloigna.
Alors l'arbre se courba vers la terre, les branches s'étendirent
du côté où tombaient les rayons du soleil, et abritèrent
ainsi Mo^hammed. L'anachorète qui habitait cet ermitage,
regardant au dehors et voyant [ce phénomène], descendit
et demanda quel était le chef de la caravane. Ayant été
conduit auprès de Maïsara, il lui dit : Qui est cet homme
qui dort là? Maïsara répondit : C'est un de mes serviteurs.
L'anachorète dit : Garde-toi de le considérer comme un ser-
viteur; il est prophète de Dieu, c'est le plus parfait de tous
les êtres. Ensuite les gens de la caravane entrèrent en Syrie
et vendirent les marchandises; les objets qu'ils avaient ache-
tés pour un dirhem, ils les vendirent avec un profit de dix
dirhems; puis ils s'en retournèrent.
Quand la caravane de Maïsara rentra à la Mecque (cette
circonstance ne se trouve pas rapportée dans cet ouvrage [de
Tabari], elle se trouve dans d'autres traditions), Khadidja,
assise sur son balcon et regardant sur la place, remarqua que
Mo^hammed sur le chameau, au milieu de la caravane, était
abrité par un nuage contre l'ardeur du soleil. Elle s'en étonna
en silence. Lorsque toutes les marchandises furent vendues
avec grand profit, Khadidja dit à Maïsara : Ce jeune homme
de la famille de Hàschim m'a porté bonheur; quand tu con-
duiras encore une caravane , prends-le avec toi. Alors Mai-
382 CHRONIQIE DE TABARI.
sara lui raconla ce quil avait vu coDcernant Mo^hammed
pendant le voyage, ainsi que les paroles de ranachorète.
Khadidja, qui ëtait une femme, intelligente , dont les affaires
étaient très-étendues et la fortune considérable, avait été
demandée en mariage par les principaux personnages de ia
Mecque; mais elle n'en avait accepté aucun. Elle appela Mo-
^hammed et lui dit : Tu sais que je suis une femme considé-
rée et que je n ai pas besoin d'un mari; j'ai refusé tous les
hommes importants qui m'ont demandée. Mais j'ai beaucoup
de biens qui se perdent , et j'ai besoin d'un surveillant. J'ai
jeté les yeux sur toi, car je t'ai trouvé honnête, et tu pren-
dras soin de ma fortune. Va trouver ton oncle Abou-Tâlib et
dis-lui qu'il me demande pour toi à mon père.
■ Le père de Khadidja, Khouwaïlid, vivait encore. Mo*ham-
med parla à Abou-Tâlib, qui alla trouver Khouwaïlid et lui
demanda la main de Khadidja pour Mo^hammed. Khouwaï-
lid lui dit : Tous les grands personnages des Qoraïschites ont
demandé ma fille en mariage; je ne la leur ai pas accordée;
et je la donnerais maintenant à un orphelin pauvre, qui a
été son commissionnaire! Informée de cette réponse, Khadidja
prépara , le lendemain , un festin , auquel elle invita les princi-
paux habitants de la Mecque, son père, Abou-Tâlib et Mo^ham-
med. Elle dit à ce dernier : Dis à Abou-Tâlib que, lorsque mon
père sera ivre, il me demande en mariage pour toi, et que, si
mon père donne son consentement, Abou-Tâlib lui demande
de conclure le mariage dans cette réunion même, sans tarder.
Khadidja fit verser à son père du vin en grande quantité et
plus qu'à Abou-Tâlib. Quant à Mo^hammed, il n'a jamais bu
de vin, ni avant, ni après sa mission prophétique. Quand
Khouwaïlid fut ivre, Abou-Tâlib lui fit la demande de Kha-
didja; Khouwaïlid consentit, et l'on conclut le mariage. A la
PARTIE II, CHAPITRE LXVII. 383
tombée de ia uuil, les hâtes se retirèrent, et Khadidja fit cou-
cher son père et le couvrit d'aromates, de khahuq et de safran.
Il était d'usage chez les Arabes que , lorsqu'un père mariait sa
fille , il se couvrit d'aromates , de khalouq et de safran. Au ma-
tin , lorsque Khouwaïlid se réveilla , voyant ces aromates , il diK:
Que signifie ceci? On lui répondit : Tu as marié hier Khadidja
à Mo'hammed, le neveu d'Abou-Tâlib. Khouwaïlid le nia.
On lui dit : Tu lui as donné Khadidja en présence de tous les
Qoraïschites et des habitants de la Mecque. Alors il se rendit
auprès de Khadidja et lui dit : Que signifie ce langage, que je
t'aurais mariée hier a Mo^hammed? Khadidja répondit : Tu
le sais bien , que te dirai-je? Khouwaïlid dit : J'irai aujourd'hui
dans l'assemblée des Qoraïschites, au temple de la Ka^ba, et
je me dédirai; j'intenterai un procès à Abou-Tàlib et je que-
rellerai Mo'hammcd, afin qu'il te répudie. Khadidja dit : Ne
le fais pas, tu me déshonorerais; si ce n'est pas une honte de
séparer une femme de son mari, il est déshonorant pour elle
de le quitter sitôt. Je suis une femme considérée; personne
ne me soupçonne de rien, et l'on sait que je n'ai pas de pas-
sion pour Mo^iammed; on dira donc que tu as conclu cette
affaire avec Abou-Tâlib, par amitié pour lui. Mais si tu en
fais un litige, on causera sur moi, et cela sera fâcheux pour
moi. Khouwaïlid répliqua : Les personnages les plus impor-
tants de la Mecque t'ont demandée en mariage, et j'ai refusé
de te donner, et je t'accorderais maintenant à un homme
pauvre I Que dira-t-on? Khadidja répondit : On sait que je
n'ai pas besoin de la fortune d'un autre; ce qu'il faut, c'est que
j'épouse un homme qui soit mon égal. Or Mo^hammed est mon
égal dans la famille des Qoraïschites; il a une bonne réputa-
tion parmi les hommes, il est connu pour sa probité et son
honnêteté; personne ne le soupçonne d'aucun des vices dont
384 GHnoMQLE DE TABARl.
on accuse d'ordinaire les jeunes gens. Plus tu considéreras
celte affaire, plus elle te semblera acceptable. Khouwaïlid
garda le silence, et ne parla plus de ce mariage. Le lende-
main , Khadidja installa Mo'hammed chez elle. Quelques tra-
ditions rapportent que le père de Khadidja était déjà mort,
et que cest son oncle 'Amr, fils d'Asad , qui la maria.
Mo'hammed était marié avec Khadidja depuis quinze ans,
lorsque, à Tâge de quarante ans, il reçut sa mission prophé-
tique; Khadidja, à partir de cette époque, vécut encore cinq
ans. Cest elle qui la première embrassa Fislamisme. Elle
mourut après avoir vécu vingt ans avec Mo^hammed, et, pen-
dant ce temps, Mo'hammed, par affection pour elle, n'avait
pas pris d'autre femme. Il avait eu d'elle trois fils et quatre -
filles. Ses Gis étaient : Qâsim , qui Gt donner à Mo^hammed
le surnom d'Abou'l-Qàsim, Tàhir et Tayyib. Les quatre filles
se nommaient : la première, Zaïnab; la deuxième, Roqayya;
la troisième, Oumm-Kolthoum, et la quatrième, Fâtima. Les
trois Gis moururent avant sa mission, mais ses quatre filles
survécurent. Mo'hanmied usait généreusement de la fortune
de Khadidja; tous les habitants de la Mecque s'accordaient à
reconnaître son influence et sa droiture; on l'appelait A/o^Aam-
%mà al-Amîn, Quiconque avait un dépôt à placer le lui appor-
tait, et tous ceux qui avaient un litige ensemble venaient
le soumettre à l'arbitrage de Mo'hammed. C'était l'opinion
générale que, lorsque Abou-Tâlib viendrait à mourir, il n'y
aurait pas d'homme plus digne que Mo^hammed d'exercer
le gouvernement de la Mecque.
Lorsque MoMiammed fut âgé de trente -cinq ans, les Qo-
raïschites démolirent le temple de la Ka'ba, pour le recons-
truire à nouveau. Au moment de poser la pierre Noire, tous
avaient la prétention de le faire. Alors ils convinrent de
PARTIE II, CHAPITRE LXVIII. 385
réserver cet honneur à Mo^hammed, qui posa la pierre de
ses propres mains.
CHAPITRE LXVm.
RROONSTRUCTION DU TBMPLE DK LA KA^RA.
Le temple de la Ka^ba n'avait pas été touche depuis le
temps d'Abraham. La cause pour laquelle on le démolit
fut la suivante : Abraham et Ismaêl l'ayant construit entre
deux collines, sur le sol plat, chaque fois que la pluie for-
mait un torrent, Teau entrait dans le temple. Depuis de lon-
gues années on avait l'intention de le démolir, pour exhaus-
ser le sol, afin d'empêcher l'eau de pénétrer dans l'édifice;
mais personne n'avait osé y porter la main. Les Qoraïschites
étaient divisés en quatre grandes tribus : les Benî-Hâschim ,
les Beni-Omayya, les Benî-Zohra et les Benî-Makhzoum. On
attribua à chacune de ces quatre tribus, auxquelles on adjoi-
gnit les autres habitants de la Mecque, la démolition de l'un
des quatre côtés de l'édifice; les Benî-Djouma*h et les Benî-
Sahm furent chargés de la réparation du toit. On convint d'un
commun accord de commencer la démolition tous en même
temps, afin que, si Dieu punissait l'entreprise, le châtiment
frappât tout le monde également. Alors ils vinrent un jour,
puis le jour suivant, ensuite le troisième et le quatrième
jour, munis de pioches, se tenant à distance du temple, et
personne n'osait commencer. Le cinquième jour, Walid, fils
de Moghaïra, le doyen d'âge des Beni-Makhzoum , s'appro-
cha et dit : 0 hommes, il ne fallait pas prendre cette réso-
lution. Mais maintenant que vous l'avez prise, il faut la
mettre à exécution. Dieu connaît nos intentions relativement
II. 'JÔ
386 CllUONiglË 1)£ TABARf.
à ce leiii|)le. Les autres lui répondirenl : Tu es le plus
âgé; couimcnce toi-uièine. Walid saisit sa pioche, s^approeba
du uiur de Fedifice, du coté qui avait été assigné aux Beni-
Makhzouni, et dit : 0 Seigneur, tu sais que uotre intention,
dans celte œuvi e de destruction , est la reconstruction de ce
temple, que nous voulons rebâtir plus solidement qu'il nest
à présent. Ensuite il attaqua avec sa pioche un coin du
mur, et pratiqua de ce côté une large ouverture. Les autres
le regardèrent de loin, et aucun d'eux n'osa s'approcher. Puis
Walid s'en alla; tous les autres s'en retournèrent également,
en disant : Si, cette nuit, il n arrive à Walid aucun accident,
nous nous mettrons tous, demain, à démolir. La nuit s'étant
bien passée poiu* Walid, ils revinrent le lendemain, et cha-
cun se mit à attaquer son côté, et la démolition fut ache-
vée jusqu'au ras du sol; ils continuèrent au-dessous du sol,
jusqu'à la profondeur de la mesure d'un homme. Alors ils
rencontrèrent une pierre verte, qui résisUiità l'action du fer;
elle formait le fondement du temple, dont il est dit dans
le Coran : rrEt lorsque Abraham et Ismaël eurent élevé les
fondations de la maison. . . -n (Surate ii, vers, lai.) Lors-
qu'ils reconnurent qu'ils ne pourraient pas pénétrer plus
avant, ils entassèrent immédiatement au-dessus de ces fou-
dations des pierres, comme on les voit encore aujourd'hui,
et élevèrent ces soubassements au-dessus du sol, à la hau-
teur d'un homme; ensuite ils commencèrent la maçonnerie.
De cette façon , ils étaient sûrs que Teau des torrents qui
viendrait assaillir les murs ne pourrait plus les endomma-
ger. Us élevèrent les quatre murs à leur hauteur primitive, .
formés chacun d'une seule |)ierre, et ces pierres furent adap-
tées les unes aux autres, (h* même que le toit. Ensuite ils Cxè-
reut la |)orte, la méuie porte de fer, couverte de plaques d'or.
PARTIE II, CHAPITRE LXVIIl. 387
qui avait été fabriquée par ^Abdoul-Mottalib, et qui existe
encore aujourd'hui.
Au moment où l'on devait poser la pierre Noire à l'en-
droit où elle était placée auparavant, les quatre tribus des
Qoraïschites, les Benî-Hâschim , les Benî-Omayya, les Bent-
Zohra et les Beni-Makhzoum , se disputèrent Thonneur de la
poser. Chaque tribu et chaque parti prétendait y avoir plus
de droits que les «autres, alléguant sa plus grande noblesse, sa
puissance ou sa gloire parmi les Arabes. Alors les anciens
(les quatre sections se réunirent en assemblée à la mosquée;
la pierre Noire était, placée devant eux. Chaque parti fai-
sait valoir sa gloire ètcelle de ses ancêtres. Les uns disaient :
Nos ancêtres ont combattu à telle journée, dans telle guerre,
à telle époque : notre noblesse a la prééminence. Les^ autres
alléguaient leur noblesse et celle de leur famille et leur ori-
gine. Ces discours se prolongèrent pendant quatre ou cinq
jours. Les anciens se réunissaient et se séparaient chaque
jour, en tenant le même langage, et s'accusaient entre eux
de mensonge; ils s'injuriaient et lançaient les uns contre
les autres les pierres du temple. Cette lutte durant toujours,
ils allaient en venir à se combattre. Dans cette crainte, les
anciens s'étant réunis un jour, Walid, (ils de Moghaïra, le
doyen d'âge, les exhorta à cesser cette contestation pour
éviter la guerre civile, et il leur dit : Convenons entre nous
de prendre pour arbitre le premier homme qui entrera dans
le temple, et de nous soumettre h sa décision pour savoir
qui posera cette pierre. Tous consentirent et s'engagèrent
par serment. Ils étaient encore à parler lorsque Mo'hammed
parut au loin. Ils s'écrièrent : C'est Mo^hammed al-Amin qui
vient, nous acceptons son arbitrage. MoMiammed prit place
parmi eux, et ils lui firent part de leur convention, en lui
388 CHRONIQUE DE TABARL
disant : Nous accepterons ta décision; tu désigneras celui qui
aura Thonneur de poser à sa place la pierre Noire. Mo^ham-
med ôta de ses épaules son manteau, Télendit par terre,
plaça la pierre au milieu de ce vêtement et dit : Que chacun
des quatre partis saisisse un coin du manteau et Télève à la
hauteur du mur du temple; vous tous participerez ainsi à
rhonneur. Fort heureux de voir cesser leur lutte, les quatre
partis, les Benî-Hâschim, les Beni-Omayya, les Benî-Makh-
zoum et les Beni-Zohra, saisirent chacun un coin du manteau
et le soulevèrent, avec la pierre posée au milieu, jusqu'à la
hauteur du mur. Ensuite ils dirent : Qui prendra maintenant
la pierre pour la poser h la pince où elle doit être sur le mur?
Mo^hammed dit : Maintenant que vous avez tous une part de
l'honneur d'avoir soulevé la pierre, mettez-vous d'accord sur
la personne qui devra la poser. Ils désignèrent tous unani-
mement Mo^hammed, qui prit de sa main la pierre et la posa
sur le mur à la place qu'elle devait occuper. La maçonnerie
du temple fut terminée, mais il restait à faire la toiture, et,
à cette époque, il n'y avait à la Mecque ni bois, ni charpen-
tier. Or un vaisseau marchand contenant du bois ayant
abordé à Djeddah, les Mecquois achetèrent ce bois et char-
gèrent de la construction un charpentier copte, fixé à la
Mecque.
Suivant une autre tradition, rapportée par Mo^hammed
ben-Djarîr d'après les récits du livre Moubtedây le Nedjâschi,
le roi d'Abyssinie, désirait faire construire, à Ântioche en
Syrie, une église qui porterait son nom. A cet effet, ayant
envoyé une personne pour évaluer les dépenses nécessaires
et le bois qu'il faudrait, il rassembla tout le bois de petite
et de grande dimension , coupé et préparé pour être mis en
œuvre, le fit charger sur un grand vaisseau, y fit ajouter un
PARTIE 11, CHAPITRE LXVIll. 389
surplus de bois, el fit mouler sur le vaisseau d'habiles char-
pentiers et un inspecteur, avec l'argent nécessaire aux dé-
penses. Il les fit donc partir pour la Syrie, aGn d'y construire
l'église. Il y avait en Syrie quantité de bois, mais le roi
d'Abyssinie voulait y employer son propre bois, suivant un de
ces caprices habituels aux rois. Ce vaisseau , passant près de
Djeddah, échoua; le bois surnagea, les gens du vaisseau s'y
placèrent, et le vent les porta à Djeddah , où ils abordèrent. Ils
recueillirent et portèrent à terre tout le bois qui flottait à la
surface de la mer. Ensuite l'inspecteur et les autres délibé-
rèrent sur ce qu'ils devaient faire. Les uns disaient : Nous
sommes charpentiers, nous avons ici assez de bois pour cons-
truire un autre vaisseau et pour porter le reste en Syrie. Les
autres disaient : [Cette petite quantité] ne serait pas digne
du roi; nous allons louer un autre vaisseau, par lequel nous
nous ferons transporter. L'inspecteur dit : Je n'ose rien faire
sans demander l'autorisation du roi; je vais lui écrire; nous
attendrons ici ses ordres.
Lorsque les habitants de la Mecque eurent connaissance,
de cet événement, Abou-Tâlib el les anciens de la ville se
rendirent à Djeddah, et demandèrent à l'inspecteur de lui
acheter ce bois au prix qu'il voudrait. Ils lui dirent : Vends-
nous ce bois, et prête-nous ces charpentiers pour un salaire
que tu fixeras; car nous sommes en train de reconstruire le
temple de la Ka'ba f ce temple qui a été élevé à Dieu par
Abraham. L'inspecteur répondit: Attendez que je demande les
ordres du roi. Il loua un vaisseau, envoya un messager avec
une lettre au Nedjâschi, lui raconta ce qui lui était arrivé, la
perte du vaisseau , et lui demanda s'il devait revenir ou aller
en Syrie. A la fin de la lettre, il mentionna la proposition
des habitants de la Mecque. Le Nedjâschi écrivit à l'inspec-
390 CHRONIQUE DE TABARI.
tear : Je donne tout ce bois au lemple de la Ka^ba. lieiids-
loi à la Mecque avec les charpentiers , fais construire ce temple ,
et emploie Targent que lu as avec toi aux dcîpenses de la
construction. L'inspecteur (il ainsi; ensuite il s'en retourna.
Le lemple existe encore aujourd'hui tel qu'il fut ronstmil
alors, sauf que ^Haddjàdj , fils de Yousouf, en détruisit avec
une machine de guerre un coin, qu'il fit reconstruire tel
* qu'il avait été auparavant. Au moment de la construction
du temple, Mo'hammed était âgé de trente -cinq ans. Lors-
qu'il eut accompli sa quarantième année, il re(,^ul sa mission
prophétique.
CHAPITRK LXIX.
MISSION DE HoSlAMMKD.
Lorsque MoMiammed eut accompli sa quarantième an-
née, Dieu envoya vers lui Gabriel, pour lui porter une vision.
D'après une autre version, Mo^iammed avait alors quarante-
trois ans. MoMiammed ben-DjanV mentionne une tradition
d'après laquelle le Prophète reçut la vision à l'âge de vingt
ans. iMais cela n'est pas exact; car MoMiammed a dit qu'au-
cun prophète n'a reçu sa mission avant Fàge de quarante
ans, parce que ce n'est qu'à cet îige que la raison et l'intelli-
gence arrivent à tout leur développenienl. Or, vers Tépoque
011 Gabriel allait apporter à MoMiammed sa mission prophé-
tique, celui-ci en remarquait les signes. 11 voyait, la nuit, en
songe, sans le connaître et non sans en éprouver de la crainte,
Gabriel sous la forme d'un être énorme. Quand il marchait
seul dans la ville de la Mecque, il entendait sortir des pierres,
des décombres et des animaux, des voix qui lui disaient :
PARTIE II, CHAPITRE LXIX. 391
Salut a toi, ô apôtre de Uieu! Mo^liainmed en éprouvait
des craintes.
Il était d'usage parmi les Qoraïschites que tous ceux qui
tenaient à la réputation dliommes pieux se rendissent chaque
année , au mois de redjeb , sur le mont ^Hirâ , pour y vivre jour
et nuit dans le recueillement, désirant se retirer du commerce
des hommes, et regardant cette solitude comme un acte de
dévotion religieuse. Cette pratique avait d'abord été en usage
parmi les Beni-Hâschim; les autres tribus qoraïschites
avaient suivi leur exemple; mais les Beni-Hàschim Tob-
servaient plus rigoureusement. Chaque tribu avait sur le
sommet de la montagne un endroit où Ton avait élevé des
constructions dans lesquelles on passait le temps de la re-
traite. Cette année, MoMiammed, en quittant la montagne,
vint auprès de Kliadidja et lui dit : 0 KhadMja, je crains de
devenir fou. — Pourquoi? lui demanda celle-ci. — Parce que,
dit-il , je remarque en moi les signes des possédés : quand je
marche sur la route, j'entends des voix sortant de chaque
pierre et de chaque colline; et, dans la nuit, je vois en songe
un être énorme qui se présente à moi, un être dont la tête
touche le ciel et dont les pieds touchent la terre; je ne le
connais pas, et il s'approche de moi pour me saisir. Kha-
didja lui dit : 0 Mo^hammed, ne t'inquiète pas; avec les qua-
lités que tu as, toi qui n'adores pas les idoles, qui t'abstiens
du vin et de la débauche, qui fuis le mensonge, toi qui pra-
tiques la probité, la générosité et la charité, tu n'as rien à
craindre; en considération de ces vertus. Dieu ne te laissera
pas tomber sous le pouvoir du diw. Avertis-moi, si tu vois
quelque chose de ce genre.
Or, un jour, se trouvant dans sa maison avec Khadidja,
Mo'hammed dit : 0 Kliadidja, cet être m'apparait, je le vois.
Zn CHRONIQUE DE TABARl.
Khadidja s'approcha de Mo*haiiimed, s'assit, le prit sur son
sein et lai dit : Le vois-tu encore? — Oui, dil-il. Alors Kha-
didja découvrit sa tête et ses cheveux, et dit : Le vois tu main-
tenant? — Non, dit Mo^hammed. Khadidja dit : Rëjouis-toi,
6 Mo^hammed; ce n*est pas un diw, c'est un ange. Car si
c'était un diw, il n'aurait pas montré de respect pour ma
chevelure et n'aurait pas disparu. Quand Mo^hammed était
triste, il se rendait sur le mont ^Hirâ et s'y livrait à la soli-
tude; le soir, il rentrait à la maison , la figure triste et abattue.
Khadidja en était fort affligée.
Enfin le jour arriva où Dieu fit parvenir à Mo^hammed
sa mission prophétique. Ce fut un lundi. Il est dit dans cet
ouvrage [de Tabari] que ce fut le dix-huitième jour du mois
de ramadhân. D'après d'autres traditions, ce fut le lundi,
douzième jour du mois de rabi^a premier, que Mo^hammed
reçut sa mission, le même jour du même mois où il était
né, et qui fut plus tard le jour de sa mort. Or, le jour du
lundi. Dieu envoya Gabriel avec l'ordre de se faire connaitre
à Mo^hammed , et de lui porter sa mission prophétique et
la surate du Coran appelée Iqrâ, qui fut la première que
Mo^hammed reçut de lui. Gabriel descendit du ciel et trouva
Mo^hammed sur le mont ^Hirâ. Il se montra à lui et lui
dit : tr Salut à toi, ô Mo^hammed, apôtre de Dieuîw Mo^ham-
med fut épouvanté. Il se leva, pensant qu'il était deveuu fou.
Il se dirigea vers le sommet pour se tuer en se précipitant
du haut de la montagne. Gabriel le prit entre ses deux ailes,
de façon qu'il ne pûl ni avancer ni reculer. Ensuite il lui
dit : 0 Mo^hammed, ne crains rien, car tu es le prophète de
Dieu, et moi je suis Gabriel, l'ange de Dieu. Mo^hammed
resta immobile entre les deux ailes. Puis Gabriel lui dit :
rrO Mo^hammed, lis,r> MoMiammed dit : ft Comment liraia-je,
PARTIE II, CHAPITRE LXIX. 393
moi qui ne sais pas lire?» Gabriel dit : (tLis : Au nom de ton
Seigneur, qui a tout créd, qui a créé Thomme de sang coa-
gulé. Lis : Ton Seigneur est le généreux par excellence; c'est
lui qui a enseigné Técriture; il a enseigné aux hommes ce
quils ne savaient pas.^ Ensuite Gabriel le laissa à cet en-
droit et disparut.
Mo^hammed descendit de la montagne. Il fut saisi d'un
tremblement et retourna à sa maison, tout en répétant en lui-
même la surate. Son cœur était fort rassuré par ces paroles,
mais il tremblait de tout son corps par suite de la peur et de
la terreur que lui avait inspirées Gabriel. Rentré dans la
maison, il dit à Kbadidja : Gelui qui m'avait toujours apparu
de loin s'est présenté aujourd'hui devant moi. — Que t'a-l^il
dit? demanda Khadidja. — Il m'a dit : Tu es le prophète de
Dieu, et je suis Gabriel; et il m'a récité cette surate : rrLis :
Au nom de ton Seigneur, -n etc. Kbadidja, qui avait Iules
anciens écrits et qui connaissait l'histoire des prophètes, avait
aussi appris à connaître le nom de Gabriel. Ensuite Mo^ham-
nied fut saisi du froid, il pencha la tête et dit : Couvrez-moi,
couvrez-moi! Khadidja le couvrit d'un manteau, et il s'en-
dormit.
Khadidja se rendit auprès de Waraqa, fils de Naufal, qui était
un savant chrétien , vivant à la Mecque dans la religion de Jésus
et pratiquant le culte de Dieu. Il avait lu beaucoup de livres,
connaissait l'Evangile et savait que le temps était venu où
un prophète devait paraître. Khadidja lui dit : N'as-tu trouvé
nulle part dans les anciens livres le nom de Gabriel , et sais-tu
ce que c'est que Gabriel? Waraqa dit : Pourquoi fais-tu cette
demande? Khadidja lui fit le récit de ce qui était arrivé à
MoMiammed, du commencement à la fin. Waraqa dit : Ga-
briel est le grand Nanww, l'auge qui est l'intermédiaire entre
:m CHRONIQl E DE TABARI.
Dieu et les prophètes, qui leur apporte les messages de Dieu.
C/est lui qui est venu trouver Moïse, ainsi que Jésus; et si ce
que tu racontes est vrai, iMoMianimed, Ion mari, est le pro-
phète qui doit être suscité à la Mecque, au milieu des Arabes,
et dont il est fait mention dans les Ecritures. Waraqa de-
manda encore : Ne lui a-t-il donné aucun ordre? Lui a-l-il
dit d'appeler les hommes à Dieu? Khadidja lui récita la
surate Iqrâ, Waraqa dit : S*il lui avait ordonné d^appeier
les hommes à Dieu, le premier qui lui aurait répondu et qui
aurait cru en lui, cj'aurait été moi; car depuis de longues
années je l'attends.
khadidja retourna à la maison et trouva Mo^hamnied en-
dormi sous le manteau. Alors (iahriel revint, s'annouçant à
Moh^ammed par un bruit, et dit : (t Lève-toi, toi qui es cou-
vert d'un manteau.'' MoMiammed répliqua : rrMe voilà levé,
que dois-je faire ?-^ Gabriel dit : "Lève-toi ei avertis les hommes
et appelle 'les à Dieu; ton Seigneur, glori(ie-le par la vertu;
tes vêtements, tiens-les purs, c'est-à-dire purifie ton ceeur du
doute; fuis l'abomination, c'est-à-dire le mensonge, en diêsimur-
tant ta mission aux hommes; ne donne pas pour amasser des ré-
compenses, et endure pour ton Seigneur les mauvais traitements
des liommes,r, (Sur. lxxiv, vers. 1-7.) Dans ces paroles. Dieu
a résumé pour le Prophète la prophétie, la prière, la religion ,
la pureté, la foi, la libéralité, le bon naturel et la persévé-
rance, toutes les parties de la religion et les qualités de la
l'onction prophétique.
Knsuite le Prophète rejeta le manteau dont il était cou-
vert, et se leva. Khadidja lui dit : 0 Abou'l-Qâsim , pourquoi
ne dors- tu pas pour te reposer? Il répondit : C'en est fait
pour moi du sommeil et du repos. Gabriel est venu et m^a
ordonné de transmettre \v message de Dieu aux hommes.
l'ARTIE II, CHAPITRE LXIX. 395
et de pi'uliquer la prière et Tadoration. Khadidja , remplie
de joie , se leva et dit : 0 apôtre de Dieu , que fa ordonne
Gabriel? Mo^liammed dit : Il me recommande d'appeler les
hommes à Dieu. Mais qui appellerai-je, qui me croira? Kha-
didja dit : Tu peux au moins m'appeler, moi, avant tous les
autres hommes; car je crois en toi. Le Prophète fut très-heu-
reux, présenta la formule de foi à Khadidja, et Khadidja crut
Gabriel étant présent dit au Prophète : Demande de Teau , afin
que je f enseigne les ablutions, la manière de laver les mains,
et la prière, pour que tu saches comment tu dois adorer
Dieu. Le Prophèle demanda de Teau, et Gabriel lui montra
Tablution des mains, et lui indiqua la façon de prier; ensuite
il se plaça devant lui et dit : Nous allons prier. H fit deux
rak^at (inclinations), et le Prophète les répéta après lui, et
Khadidja après le Prophète. 'Ali, fils d'Abou-Tàlib, entra en
ce moment dans Tappartement. Il était âgé alors de sept ans,
ou, d'après d'autres, de neuf ans, ou, d'après d'autres encore,
de dix ans; mais la majorité des traditions rapportent
qu'il n'avait alors que sept ans. Voyant MoMiammed et Kha-
didja s'incliner, et ne voyant devant eux ni idole ni autre
objet, il dit : 0 Mo'hammed, que fais- lu? Devant qui t'in-
cliues-lu? Mo'hammed répondit: Devant Dieu, dont je suis le
prophète. Gabriel m'a commandé d'adorer Dieu et d'appeler
les hommes à Dieu. Si lu crois en ma religion, abandonne
le paganisme et l'idolâtrie. *Ali dit : Attends que je consulte
Abou-Tàlib, car je ne peux rien l'aire sans son autorisation.
'Ali sortit, et le Prophète lui dit ; Tiens cette affaire secrète
et n'en parle à personne qu'à Abou-Tàlib. Arrivé à la porte
de la maison, 'Ali rentra et dit : 0 Mo'hammed, Dieu m'a
créé sans consulter Abou-Tàlib. (Ju'ai-je besoin de consulter
Abou-Tàlib pour suivre la religion de Dieu et pour l'adorer?
396 CHRONIQUE DE TABARI.
Expose-moi la religion qu'on fa ordonnée. Le Prophète pré-
senta la formule de foi à ^Ali, qui la prononça et qui ac-
complit avec Mo^hammed la prière primitive, et ils gardaient
le secret sur cet événement. Gabriel s'en alla.
'Ali avait été élevé par Mo'hammed, qui Tavait reçu d'Abou-
Tâlib. Il vivait constamment, jour et nuit, avec lui, dans la
maison de Khadtdja. Antérieurement à Tépoque où Mo'ham-
med reçut sa mission, il y avait eu, à la Mecque, pendant
trois ou quatre ans, une disette, et les moyens de subsistance
étaient devenus très-difliciles. Abou-Tâlib, qui avait une nom-
breuse famille, des fils et des filles, n'avait plus une fortune
suffisante [pour les nourrir]. Mo'hammed, riche de la for-
tune de Khadidja, était, avec 'Abbâs, le plus opulent des des-
cendants de Hâschim. Lors de cette famine, Mo'hammed dit
à SVbbàs : Tu vois dans quel embarras se trouve ton frère
Abou -Tâlib avec sa nombreuse famille, et la diflficultë de
Teutreteuir. Dieu nous a donné de Taisance; allons, prenons
chacun un de ses fils avec nous pour diminuer les charges de
sa famille. Ils se rendirent donc tous deux auprès d*Abou-
Tâlib et lui firent cette proposition. Abou-Tâiib, qui de tous
ses fils chérissait le plus 'Aqil, leur dit : Laissez-moi ^Aqil
et prenez des autres ceux que vous voudrez. Mo'hammed prit
'Alî, et Abbâs prit Dja'far.
La première de toutes les femmes qui embrassèrent Tisla-
misme fut Khadidja; le premier enfant fut 'Ali, et le pre-
mier de tous les hommes, Abou-Bekr.
-Toute celle nuit et le jour suivant, le Prophète resta
plongé dans la réflexion, et fut très-soucieux, ne sachant pas
à qui il révélerait d'aboi d son secret, craignant que les
honunes ne le regardassent comme fou et qu'ils ne voulussent
pas le croire.
PARTIE II, CHAPITRE LX\. 397
CHAPITRE LXX.
CONVERSION D'ABOU-BEKR BÇ-ÇIDDIQ.
Mo^hammed et Abou-Bekr eç-Çîddiq étaient Hés d'amitié.
Abou-Bekr était un homme très-aimé parmi les Qoraïschites,
ayant de Tautorité, honnête et riche; il faisait le commerce.
Quand il se tenait dans la mosquée, les hommes, jeunes et
vieux, l'entouraient; il leur parlait, et ils Técoutaient, et lui
demandaient des conseils. Le cercle d'Abou-Bekr, dans la
mosquée, était plus grand que celui d'Abou-Tâlib ou celui
d'Abou-Djahl ou de Walid , fils de Moghaïra. M o^hammed choi-
sissait toujours, quand il venait à la mosquée , le cercle d'Abou-
Bekr et causait avec lui de ses affaires. Ceux qui entraient
dans la mosquée faisaient d'abord les processions d'usage
autour de la Ka^ba, adoraient une des idoles qui se trouvaient
dans le temple, et venaient ensuite choisir une place dans
un des cercles des grands personnages. Il y avait dans la
mosquée de la Mecque trois cent soixante idoles, outre celles
qui se trouvaient dans la Ka^ba , Hobal et M anâf , et d'autres.
Toutes les idoles étaient de pierre et avaient la forme hu-
maine; elles étaient couvertes de vêtements de différentes cou-
leurs, de khalouq, de safran et d'autres arômes. Mo^hammed
n'avait jamais adoré aucune idole. Lorsqu'il venait au temple,
il faisait les tournées autour de la Ka^ba et allait ensuite s'as-
seoir auprès d'Abou-Bekr. Il était souvent dans la maison
d'Abou-Bekr, et celui-ci venait aussi chez Mo'hammed- Quel-
quefois Abou-Bekr lui disait en secret: Pourquoi, ô Mo^hatn-
med, n'adores-tu pas les idoles, comme font tous les autres î
Mo^hammed lui répondait : Je ne peux pas me faire à la pensée
d'adorer un objet que j'aurais gravé moi-même ou une iïï**8
398 CHRONIQLI:; DE TABABl.
que j'aurais faite de mes mains, puisque je sais qu^il ne m'en
peut venir ni dommage, ni avantage, et que c'est Dieu qui
m'a créé et qui me conserve et me donne ma subsistance.
Abou-Bekr répliquait: Tu as raison, ô Mo^hammed; la même
idée s'est présentée à mou esprit; je ne sais pas quelle est
cette religion dans laquelle nous vivons et dans laquelle vi-
vaient nos pères depuis tant dannées.
Or, le jour où Mo^hammed reçut sa mission et où Gabriei
lui enseigna la prière, où khadidja et ^Âli embrassèrent Tis-
lamisine et prièrent avec le Prophète, comme celui-ci, après
le départ de Gabriel, qui lui avait recommandé d'appeler les
hommes à Dieu , réfléchissait continuellement à qui il pour-
rait d'abord révéler ce secret, il songea à Abou-Bekr. 11 se dit :
Abou-Bekr est un homme âgé et mon ami; il est intelligent,
judicieux et de bon conseil. Tirai le trouver demain matin
pour lui demander son avis sur ce que je dois faire et à
(|ui je devrai m'adresser. Mo^hammed ne prévoyait pas ni
n'espérait qu' Abou-Bekr deviendrait croyant aussitôt. Abou-
Bekr, cette même nuit, ne pouvait pas trouver le sommeil; il
faisait les réflexions suivantes: Ce culte des idoles que nous
pratiquons, et que pratiquaient nos ancêtres, est absurde. Ces
idoles ne peuvent produire ni avantage ni dommage. Le Dieu
qui a créé la terre et le ciel et les hommes ne souifre pas
qu'on adore autre chose que lui. Je voudrais trouver quelqu'un
qui pût me diriger dans la voie de la vraie religion; je ne sais
à qui m'ouvrir à cet égard. Alors il songea à Mo^hammed et
se dit en lui-même : Mo'hammed, le neveu d'Abou-Tàlib, est
un homme sage; il est mon ami intime et un homme sûr.
Il méprise, comme moi ce culte et il n'a jamais adoré les
idoles. Demain matin j'irai chez lui, je m'ouvrirai à lui et le
consulterai; peut-être me inontrora-t-il la bonne voie.
PARTIE II, CHAPITRE L&X. 399
Au malio, le Prophète se leva et sortit pour se rendre chez
Abou-Bekr, qui, de son côté, s*ëtait mis en route pour aller
chez Mo^hammed. Ils se rencontrèrent dans la rue, et, s'étant
adressé des questions sur cette rencontre, Mo^hammed dit :
J'allais chez toi pour te consulter sur une certaine chose.
Ahou-Bekr répliqua : Et moi , je me rendais chez toi pour le
demander un avis. Mo^hammed lui en ayant demandé Tobjet,
Abou-Bckr dit : Parle d'abord, toi; car mon récit est long.
Alors Mo^hammed lui dit : Hier, un ange m'est apparu, m'ap-
portant un message de la part de Dieu, me disant d'appeler
les hommes à Dieu, afin qu'ils croient en Dieu et en ma mis-
sion prophétique et qu'ils abandonnent le culte des idoles. Je
me rendais chez toi pour te demander à qui je dois adresser
cet appel, et à qui je pourrais en parler. Abou-Bekr répliqua :
0 Mo^hammcd, que je sois le premier de tous les hommes a
qui tu adresseras cet appel I J'ai réfléchi toute cette nuit à cette
afiaire, et c'est pour cela que je me suis mis en roule pour
aller chez toi ; ce n'était pas pour autre chose. Engage-moi à
cette religion avant tous les autres, afin que je sois le premier
croyant. Le Prophète, qui n'avait pas formé cet espoir, l'ut
très-lieureux , lui exposa à l'instant la formule de l'islamisme,
et Abou-Bekr prononça la profession de foi.
Le Prophète n'a jamais été aussi heureux d'aucune conver-
sion que de celle d' Abou-Bekr. On rapporte, d'après Abou-
^Obaïda ^Abdallah ben-Sellâm, dans son livre sur les événe-
ments remarquables de la vie du Prophète, que Mo^hammcd
a dit : De tous les hommes à qui j'ai présenté l'islamisme il
n'y en a pas eu un seul qui n'ait fait des difficultés {kabwa)^
sauf Abou-Bekr, qui n'a pas hésité un instant (tala^'atham).
L'expression tala^^atham s'emploie de quelqu'un qui refoule sa
parole dans sa bouche et qui hésite à la prononcer. I^ sens
400 CIIROMQl E DE TABARL
du mot kabwa est dérivé du briquet, qu'on appelle en arabe
kabwa. Quand on frappe une pierre avec le métal et qu'il en
sort des étincelles, on dit que la pierre est warâ-zendè; quand
on frappe à plusieurs reprises sans produire d'étincelles, on
rappelle nâzendè. Le Prophète veut dire par cette phrase que
tous ont refoulé leur parole dans leur bouche, excepté Abou-
Bekr, qui, dès que Tappel tomba dans son esprit, eut Tétin-
celle de Tislamisme au bout de la lang[ue.
Mo^hammed ben-Djarir dit dans cet ouvrage que Zaîd, fils
de 'Hâritha, Tesclave du Prophète, embrassa Tislamisme avant
Abou-Bekr, qui se serait converti seulement lorsque cinquante
personnes furent devenues musulmanes. Cette version n'est
pas fondée; elle est contredite par tous les traditionnistes et
par tous les croyants, qui rapportent que le premier croyant
fut Abou-Bekr; après lui vint Zaïd, fils dé ^Hâritha, l'es-
clave du Prophète; ensuite Belàl, esclave d'Abou-Bekr; en-
suite plusieurs autres, qui embrassèrent successivement l'is-
lamisme en secret. ^Hasân , fils de Thâbit, a fait quelques vers
à l'éloge d'Abou-Bekr, parce qu'il avait cru avant tous les
autres :
Si tu rappelles quelque grande action d'un frère fidèle, souviens-toi de
ton frère Abou-Bekr et de ce qu'il a fait;
Lui, le meilleur des hommes, le plus Gdèle et le plus juste après le Pro-
phète, par la grandeur de sa tiche;
Le second qui suivit la doctrine, bénie est sa tombe, il est le premier des
hommes ayant atteste la vérité de la mission divine.
J'ai lu dans toutes les traditions qu' Abou-Bekr, après sa
conversion, tint sa foi secrète; mais chaque fois qu'il se
trouvait dans la mosquée à causer avec quelqu'un, il lui en
parlait et l'engageait à l'islamisme; il conduisait auprès du
PARTIE II, CHAPITRE LXX. 40i
Prophète ceux qui acceptaient; et ils prononçaieut la pro-
fession de foi. Le premier qui fui converti par Abou-Bekr fut
^Olhmàu, lils d'^Affàn; il convertit ensuite 'Abd er-Ra^hmàn,
fils d'^Auf, puis Zobaïr, fils d"A wwâni, puis Tarbâ, fils d'^Obaïd-
allah , puis Sa'd , fils d'Abou-Waqqàç. Ils furent ainsi trente-
neuf adhérents, qui tenaient leur foi secrète. Ils n osaient
pasâe rendre à la mosquée de la Mecque pour prier, ni eux ni
le Rrapbèle; ils priaient, soit à la maison, soit sur le mont
^Hirâ. Le premier qui en eut connaissance fut Abou-Tàlib, qui
demanda à Mo'hammed quelle était la religion qu'il avait éta-
blie. Le Prophète le lui dit et voulut le convertir. Abou-Tâlib
lui répondit : Je ne veux pas abandonner ma religion, qui est
celle de mes pères; si Dieu t'a ordonné celte œuvre, accom-
plis-la; je te protégerai, et personne ne pourra te molester.
Un jour, Abou-Tàlib vit^AU faire la prière. Il lui dit : Mon fils,
qu est-ce que ce cuUe? ^Ali, craignant la colère de son père,
répondit : C'est Mo*hammed, le prophète de Dieu, qui m'a
converti à cette religion. Abou-Tàlib dit: Si Mo'hammed te
l'a dit ainsi, observe-le; car Mo'hammed n'a jamais dit et ne
dit pas le mensonge.
On disait, dans les réunions de la mosquée, que Mo^hani-
med avait fondé une nouvelle religion , qu'il prétendait être
le prophète de Dieu et avoir reçu de Dieu un message; que
quelques personnes avaient cru en lui et pratiquaient la prière
en secret. Abou-Djahl, fils de Hischàm, parla ainsi : Si
j'apprends que quelqu'un ait cru en lui, j'écraserai sa léte
comme celle d'un serpent; et si je vois Mo'hammed- venir à la
mosquée et adorer un autre objet que Hobal,je lui lancerai à
la tête une pierre et ferai jaillir son cerveau; et Abou-Tàlib
perdra le commandement, quand j'aurai frappé son neveu.
Abou-Tàlib était lo chef des descendants de Hàschim; le
II. • •-H»
402 GURONIQlili: DE TABARL
chef des Beni-Makhzouin ëtait Abou-Djahl, iîls de Hischâin,
qui portait ie surnom d'Abou'PHikain. C'est le Prophète qui
Tavait appelë Abou-Djahl. Le chef des Beni-^Adi était ^Omar,
(ils d'Al-Khattàb, dont le pouvoir était égal à celui d'Abou-
Djahi. Après Abou-Tâlib, le commandemcul des Beni-Hâ-
schim passa à ^Abbâs, son frère, qui était ami du Prophète,
mais qui ne pouvait pas le protéger contre les incrédules. Le
plus hostile de ceux-ci, parmi les Hàschimites et les oncles
de MoMiammed, était Abou-Lahab, fils d^'Abdoul-Mottalib:
les plus hostiles des Beni-Makhzoum étaient Abou-Djahl et
Waltd, fdsde Moghaïra; et, parmi les Beni-^Adi, ^Omar, fils
d'Al-Khattib.
Le Prophète avait le désir de faire la prière dans la mos-
quée, mais il ne Tosait pas, craignant Abou-Djahl et ^Omar,
les deux personnages les plus puissants de la Mecque et ses
plus grands adversaires. Lorsque ses sectateurs furent au
nombre de trente-neuf personnes, le Prophète adressa à Dieu
la prière suivante : Dieu, tu sais que ta religion n'a pas de
plus grands ennemis parmi les hommes que ces deux per-
sonnîiges : Abou-Djahl et 'Omar, fils d'AI-Khattâb. Dirige celui
des deux que tu préfères dans la bonne voie, et favorise-le de
rislamisme, afin que cette religion soit répandue par lui.
Mo'hammed bcn-Djarir n'a pas raconté dans son livre la
conversion d'^Omar, fib d'Ai-Khattâb, quoique ce soit uo
récit agréable. Je vais le rapporter tel que je Tai lu dans
d'autres livres, comme je viens de rapporter la conversion
d'Abou-Bekr eç-Çiddi(|.
PARTIE 11, CHAPITRE LXXI. ^03
CHAPITRE LXXI.
CONVERSION D'^OMAn, FILS D'AL-KIIATTAB.
^Omar avait une sœur mariée à TaPhà, fils d'^ObaïdaHah.
Un jour, ^Omar, venant chez sa sœur, entendit qu'elle réci-
tait le Coran. Il entra dans la maison et lui dit : Qu'est-ce
que tu viens de réciter? Est-ce que tu as embrassé la religion
de ce fou? Sa sœur lui répondit : H n'est pas fou; il est le
prophète de Dieu. ^Omar dit : Laisse-moi voir Técrit que tu
viens de lire. Sa sœur répliqua : Tu le souillerais; tu ne dois
pas le toucher. ^Omar dit : Que dois-je faire pour me puri-
fier?— Il faut te laver la tête et le corps. ^Omar ayant fait ainsi
h rinstant même, sa sœur lui remit l'écrit, et ^Omar y lut les
versets suivants : rrAu nom du Dieu clément et miséricor-
dieux. Ta Ha. Nous ne t'avons pas envoyé le Coran pour que lu
sois malheureux, mais pour servir d'avertissement à celui qui
craint Dieu. Il est envoyé par celui qui a créé la terre et les
cieux élevés, 7) etc. (Sur. xx, vers, i etsuiv.)^Omar dit : S'il en
est ainsi, l'idolâtrie que nous pratiqjuons est absurde, et nos
dieux ne sont rien. 11 dit ensuite à sa sœur : Où est Mo^ham-
med? Elle répliqua : Si tu ne veux rien lui dire [de désa*
gréable], je te conduirai auprès de lui. ^Omar le promit, et sa
sœur le conduisit chez le Prophète, dans la maison de Kha-
didja. Lorsque ^Omar entra dans l'appartement, le Prophète
lui dit: Pourquoi viens-tu? — Je viens, dit *Omar, embrasser
ta religion. Le Prophète dit : Grâces soient rendues à Dieu
de ce qu'il a exaucé ma prière en ce qui te concerne, et non
en ce qui concerne ton ami Abou-Djahl. ^Omar prononça la
formule de foi et dit ensuite au Prophète : Que faut-il faire
a6.
404 CHRONIQUE DE TABARI.
iriaintenani? — Il faut accomplir la prière, dit Mo^liammed.
— Qu'est-ce que la prière? — Cesiractiou de prier Dieu. —
Où faut-il prier? — Pour le moment, dit Mo^bammed, il faut
le faire en secret, jusqu'à ce que nous puissions le faire
publiquement. ^Omar dit : Nous avons adoré Lât et Hobai en
public, et nous devrions adorer Dieu en secret! Viens, sor-
tons. Le Prophète et tous ses compagnons se rendirent à la
mosquée, firent les tournées autour du temple et prièrent en
public. Les principaux personnages qoraïschites qui s'y trou-
vaient n'osèrent rien dire, parce que ^Omar était avec le Pro-
phète. A partir de ce moment, Mo^hammed y accomplissait
sa prière, et venait librement au temple, lui et ses compa-
gnons. Trois ans après, Dieu lui envoya ce verset : «rO apdtre,
fais connaître ce qui t'a été envoyé de la part de ton Sei-
gneur,^ etc. (Sur. V, vers. 71.) Alors le Prophète adressa pu-
bliquement sa prédication à tous.
CHAPITRE LXXH.
PRÉDICATION PUBLIQUE DE L'ISLAMISME.
Après avoir reçu ce vereet , le Prophète se rendit au temple
de la Ka'ba et le récita devant les hommes. C'est dans la mos-
quée qu'il leur adressa le premier appel. Ensuite il alla au
mont Çafâ, éleva la voix, et tous les habitants de la Mecque
s'y réunirent. Mo'hammed leur parla ainsi : Quelle conduite
ai-je tenue parmi vous? Ils répondirent : Tu es un homme
véridique et sûr; nous n'avons jamais entendu de toi un
mensonge. Mo^hammed reprit : Maintenant je dis : Je suis l*a-
pôtre de Dieu, envoyé vers vous. Adorez Dieu et abandonnei
les idoles, sinon le châtiment descendra sur vous du ciel et
PARTIE 11, CHAPITRE LXXII. 405
vous serez exterminés. Abou-Lahab, sou oncle, qui se trouvait
dans Tassistance, se leva et dit : Toi, M oUianinoied , tu veux
nous appeler à une religion. Sois maudit, toi et ta religion,
il engagea le peuple à se retirer, en disant : Allez, ce Mo^ham-
med est fou. Alors Dieu envoya à son intention les versets
suivants : rrQue les deux mains d' Abou-Lahab périssent,^ etc.
(Sur. CXI, vers, i et suiv.) Abou-Lahab, par hostilité envers
le Prophète, avait Thabilude de mettre des épines sur son
chemin et sur celui de ses amis, de sorte qu'ils se blessaient
les pieds. Sa femme faisait de même.
Ensuite Dieu envoya h Mo^hammed le verset suivant :
t Adresse Tappel à les proches parents, w (Sur. xxvi , vers. 9 1 4.)
Le Prophète dit : Mes parents, ce sont les Beni-Hàschim et
les Beni-^Abd-Manâf. Il dit à *Ali d'aller préparer un repas.
^Ali, ayant fait cuire dans le four un mouton sur du gruau,
invita tous les Beni-Hàschim et les Beni-Manâf, de même
qu'Abou-Tàlib, ^Hamza, ^Abbâs et un grand nombre d'autres
personnes, et leur servit ce repas. Us mangèrent beaucoup,
cependant la quantité de la nourriture ne diminuait pas. Abou-
Lahab dit:Mo^hammed nous a invités aujourd'hui pour nous
faire voir sa magie. Le Prophète, très-aflligé de ces paroles,
ne leur parla point ce jour-la. Le lendemain, il fit préparer
un nouveau repas et les invita. Pendant qu'ils mangaient, il
leur parla ainsi : U mes oncles et mes cousins, je suis l'apôtre
de Dieu, envoyé vers tous les hommes en général, et vers vous
en particulier. Croyez en Dieu et à ma mission, et Dieu vous
donnera le paradis éternel. Personne ne répondit. Puis Abou-
Tâlib dit : iMon fils, tu as parlé et nous avons entendu; laisse-
nous aller et réfléchir jusqu'à demain. Le Prophète dit ensuite :
Mes oncles et mes cousins, si vous ne cherchez pas l'autre
monde, au moins recherchez le bonheur de ce monde; car
40« CHRONIQUE DE TABARI.
Dieu répandra ma religion, et Tempire de TArabie, de la
Perse et de Roum m'appartiendra. Y a-t-il quelqu'un parmi
vous qui veuille répondre à mon appel, et que je puisse
nommer mon vicaire? Tous gardèrent le silence. Alors ^Ali dit:
0 apôtre de Dieu, si personne ne croit, moi je suis croyant.
Le Prophète répondit : 0 ^Ali, tu as cru, et lu es mon frère
et mon vicaire. Les autres se levèrent et sortirent. Ils se mo-
quèrent d'Abou-Taiib, en lui disant : Mo^hammed a fait de
ton fils ton maître.
Le Prophète continuait sa prédication, et Ion n'osait pas
s'y opposer, par respect ]>our Abou-Tâlib, mais ou frappait
et Ton insultait ses amis. Alors fut révélé le verset suivant :
tr Certes, vous et les idoles que vous adorez, à côté de Dieu,
vous serez la proie de renfer,?) elc. (Sur. x\i, vers. 98.) Le
Prophète vint à la mosquée et proclama ce verset devant le
peuple. Les hommes se tournèrent tous contre lui, Texpul^
sèrent delà mosquée et se rendirent ensuite auprès d'Abou-
Tâlib. Ils lui dirent : Notre patience est à bout. Ton neveu
insulte nos divinités. Il a introduit une religion nouvelle, et
nous Tavons supporté. Il nous a insultés en disant que nous
sommes des sots; nous Tavous supporté. 11 a dit que nous
et nos pères nous irons en enfer, et nous Tavons supporté.
Maintenant il se mcl à insulter nos dieux. Dis-lui qu'il fasse
ce qu'il voudra, mais qu'il n'attaque pas nos dieux; qu'il s'oc-
cupe de son dieu et de sa religion. S'il ne le fait pas, nous
le frapperons, et nous le chasserons de la ville. Abou-Tàlib
lit appeler Mo'hammed, qui vint et prit place. Abou-Tâlib
lui dit: Ecoute ce que disent ces gens. Le Prophète, ayant
entendu leur discours , dit : Il n'y a qu'un point qui no|is
divise, eux et moi; s'ils professent qu'il n'y a qu'un seul dieu
et que je suis son prophète, Dieu sera satisfait d'eux, et
PARTIE II, CHAPITRE LXXII. 407
je ne parlerai plus contre eux. Mais s'ils ne foDl pas cette
profession , aussi longtemps que mon âme sera en moi je les
appellerai à Dieu et à sa religion. Abou-Tâlib congédia les
gens avec de bonnes paroles et resta seul avec le Prophète. Il
lui dit: Ces gens agissent avec ëquité envers toi, mais tu n'es
pas juste envers eux. Ils te disent d'enseigner et de faire ce
que tu voudras, seulement de ne pas insulter leurs dieux. Si tu
n'insultais pas leurs dieux, cela profiterait à ta religion. Le
Prophète pensa qu^ Abou-Tâlib voulait lui retirer sa protec-
tion. Ses larmes coulèrent et il dit : Ô mon oncle, c'est Dieu
qui me l'ordonne ainsi. S'ils mettaient dans ma main droite
le soleil et dans ma main gauche la lune, et s'ils me brûlaient
par le feu, je ne retrancherais pas une lettre de ce que Dieu
ordonne, et je ne dirais ni plus ni moins. Puis il quitta Abou-
Tâlib, qui fut touché, le rappela, prit sa tète sur son cœur
et lui dit : 0 mon fils, va, exécute ce que Dieu t'ordonne et
ue t'inquiète pas; aussi longtemps que je vivrai, personne
n'osera mettre la main sur toi. Je sais que tu dis là vérité, et
si je ne craignais pas d'encourir le blâme des Arabes, qui
diraient qu' Abou-Tâlib , sur ses vieux jours, a quitté la reli-
gion de ses pères , je croirais aussi en toi.
A ce propos, il fit quelques vers:
Par Dieu! ils ne pourront pas t^allcindre, lous ensemble, aussi longtemps
que je serai vivant et que je ne serai pas enterré.
Poursuis ton œuvre; n'aie pas de souci, sois content; tu atteindras un
désir fait pour réjouir tes yeux.
Cerlcs, j^ai déclaré et dit que j'étais ton ami, et antérieurement déjà je
t'ai appelé véridique.
Si je ne craignais pas le blâme , et n*était mon désir d^éviter les re-
proches , tu me verrais adhérer fermement à cela.
Ces paroles d'Abou-Tâlib rassurèrent le Prophète, qui cou-
408 CHHO.MQliE I)K TABAIU.
tiiiua de prêcher publiquement sa religion. Les iuci-édules
n'osaient pas ralta<|ucr; seulement ils le raillaient, frappaient
ses amis, qui ne pouvaient pratiquer les inclinations et les
prières, sans recevoir sur leurs leles des pierres et sans être
maltraités. En outre, ils faisaient des pièces de vers satiriques
contre le Prophète et contre ses amis. Cependant Mo^hanimed
accomplissait sa mission et récitait le Coran, sans que per-
sonne y répondit ou y crilL
A Tépoque du pèlerinage, le Prophète allait à ^4^a^ât et ap-
pelait à Dieu les hommes des dilTérentes contrées, qui , en re-
tournant dans leur pays, y répandaient sa réputation. Alors
il venait de tous côtés des Arabes pour voir quel était cet
homme el ce qu'il disait; et ils devenaient croyants. De cette
manière, le nombre des adhérents du Prophète s'accrut des
Arabes de la Mec<jueetde Bat'hà, et des Arabes du désert. Les
Qoraïschites incrédules les attaquaient, partout où ils les trou-
vaient réunis, par des railleries, des injures et en lançant sur
eux des pierres, et ils les dispersaient. Il se passa ainsi un
certain temps. Les adhérents du Prophète qui avaient à souf-
frir ces actes d'hostilité de la part des incrédules s'en plai-
gnaient à lui; mais il leur reconnnandait la patience, parce
qu'il n'avait pas encore reçu l'ordre d'agir. Chaque vei'set du
Coran qu'il recevait lui ordonnait la patience. Dieu lui rap-
pelait les faits des prophètes antérieurs, comment ceux-ci
avaient supporté de la part de leur peuple beaucoup de vio-
lences, «ju'ils avaient endurées pour obtenir le rang de mar-
tyrs. Patiente, toi aussi, lui disait-il, afin d'acquérir ce rang,
dont tu es le plus digne. Dans un autre verset. Dieu lui
disait : Il y a eu avant toi des prophètes qui ont été accusés
de mensonge par leur [teuple , et qui ont été maltraités.
Ils ont patienté jusqu'à ce que je leur eusse donné la force.
PARTIE II. CHAPITRE LXXIl. à09
PalieiUc aussi jusqu'à ce que je te fortifie plus que ceux-là.
Dieu Tordonuait ainsi , parce que les adhérents du Prophète
étaient moins nonihreux que les incrédules, et que le moment
d'agir n'était pas encore venu. Lorsque, plus tard, MoMiammed
accomplit sa fuite à Médine, que les habitants de cette ville
se rallièrent à lui et que le nombre des musulmans fut consi-
dérable, alors Dieu lui ordonna de faire la guerre aux incré-
dules, de les attaquer par Tépée et de les tuer partout où
il les rencontrerait. Il lui ordonna alors Taction violente,
comme il lui avait ordonné à la Mecque la patience. Les in-
crédules étaient embarrassés devant l'attitude des musulmans :
plus ils les attaquaient et les insultaient, plus ceux-ci leur
opposaient de patience, f niin les musulmans leur abandon-
naient la mosquée et se renfermaient dans leurs maisons pour
faire la prière, ou se .rendaient dans la montagne pour n'être
pas vus des incrédules.
Or, un jour, SaM, fils d'Abou-Waqqàç, s'étaut rendu avec
les adhérentes du Prophète sur le mont 'Hirà, pour y prier, un
homme d'entre les incrédules qoraïschites vint sur la mon-
tagne et vit comment Sa'd accomplissait la prière. Lorsque
celui-ci baissa la* tête pour faire l'inclination, il saisit une
pierre et la lança sur le dos de SaM, qui supporta en patience
la douleur qu'il en ressentit. Sa^d accomplissant l'inclination
une autre fois, cet homme prit une autre pierre et l'eu frappa
sur le dos avec plus de violence que ta première fois. Sa^d,
ayant fini le salut, saisit un os du cadavre d'un chameau qui
se trouvait là, en frappa l'infidèle sur la tête et lui brisa le
crâne. Cet homme, couvert du sang qui coulait de sa blessure
sur tout son corps et sur son vêtement, rentra à la Mecque.
Les incrédules, le voyant dans cet état, se rassemblèrent. Sa*d
appartenait à la (ribu de Zohra et était un homme respec-
410 CHRONIQUE DE TABARL
table et très-considérë, ayant un grand nombre de parents;
c ëtait rhomme le plus respectable parmi les Qoraïschites.
Les incrédules, n'osant rien contre lui , dirent : Il faut nous en
prendre à Mo^hammed; nous le tuerons pour nous en débar-
rasser. Mais ils n'osèrent pas lattaquer, à cause d'Abou-Tâlib;
car les Beni-Hâscbim , très-nombreux à la Mecque , obéissaient
tous à Abou-Tâlib. Les incrédules de toutes les tribus se réu-
nirent à la mosquée, et de là se rendirent chez Abou-Talib,
qui refusa de les recevoir. La dignité d'Abou-Talib était telle,
qu'il avait un portier et que, selon son bon plaisir, il donnait
audience aux gens ou refusait de les recevoir. Cette distinc-
tion , à la Mecque , n'appartenait qu'à lui. Les incrédules s'étant
réunis de nouveau et étant venus 4 1^ porte d'Abou-Tâlib ,
celui-ci leur refusa encore audience. Enfin , le troisième jour,
Abou-Tâlib les reçut. Ils entrèrent, firent entendre des plaintes
au sujet de Mo^hammed, et dirent : Les choses en sont arri-
vées à l'extrême; les adhérents de Mo^hammed sont devenus
nombreux, le sang a di^jà coulé. Nous craignons que quelque
télé chaude d'entre les Qoraïschites ne s'attaque à lui et ne
le tue; car alors la guerre éclaterait entre les Beni-Hâschini
et les Qoraïschites, et le sang commencerait à couler parmi
nous, et ne cesserait plus de couler. Vois quel est le prix que tu
demandes pour le sang de Mo^hammed, afin que nous réunis-
sions l'argent pour te le donner; tu nous livreras Mo^hammed,
nous le tuerons , et délivrerons la Mecque de cet embarras. Nous
savons que tu n'es pas de son parti et que tu n'approuves ni ses
discours ni ses actes. Abou-Tâlib répliqua : Mo^hammed n'est
pas mon neveu , mais mon fils chéri , que j'aime plus que tous
mes fils. Son père étant mort pendant qu'il était encore an
sein de sa mère, c'est moi qui l'ai élevé. Comment ponrrais-je
vous le livrer pour le faire mourir? Et quand vous Taures tué ,
PARTIE II/CHAPITRE LXXII. 411
de quoi me servirait le prix de son saog? Avez-vous jamais vu
quelqu'un qui ail vendu le sang de son (ils, et qui Tait livre à
la mort en acceptanl Tamende? N'y songez pas; car aussi long-
temps qu'il existera un seul descendant de Hâscbim , MoMiani-
med ne sera pas livré. Les incrédules, désespérant de rien obte-
nir de lui, s'en Vetoumèrent et se réunirent dans la mosquée.
Walid, fils de Moghaïra, avait un fils nommé ^Omâra, qui
avait atteint Tàge de puberté et dont la barbe commençait à
croître. C'était le jeune homme le plus sage et le plus beau
de toute la jeunesse des Qoraïschites. Abou-Tàlib l'avait en
grande estime, l'appelait son fils, et le gardait souvent chez
lui dix jours , vingt jours ou un mois. Sa beauté ainsi que
sa bonne conduite inspiraient de l'amour pour lui à presque
toutes les femmes de la ville de la Mecque ; mais lui, sage et
raisonnable, n'en regardait aucune ; on ne l'avait jamais soup-
çonné d'avoir eu des rapports avec aucune femme , sauf avec
Hind, la mère de Mo^âwiya. Abou-Tàlib' l'aimait à cause de
la pureté de ses mœurs, et tous les hommes, même en dehors
des Qoraïschites, l'estimaient. Son père Walid, fils de Mo-
ghaïra, était fier de lui. Or, le jour où les Qoraïschites se
rassemblèrent dans la mosquée , ils dirent à Walid : Il ne
nous reste avec Abou-Tàlib qu'un seul moyen. Nous savons
qu'il ne livrera pas soif fils pour être mis à mort, car il
aime beaucoup Mo^hammed. Il n'y a pas, parmi les Qoraï-
schites, un jeune homme pareil à 'Omàra, tant par la sagesse
que par la beauté et par l^s vertus de toutes sortes qui le dis-
tinguent. Nous, aussi bien que toi et tous les Qoraïschites,
nous sommes fiers de lui. Il faut que tu l'abandonnes, par un
acte écrit, à Abou-Tâlib, pour qu'il devienne son fils, et pour
(|u'Abou-Tâlib nous livre Mo^bammcd, que nous tuerons.
Walid, fils de Moghaïra, consentit et dit : 'Omàra m'est plus
412 CHRONIQUE DE TABARl.
cher, à moi el à tous les Qoraïschites , que Mo^hammed ; je le
donne en échange de Mo'hammod. Les autres le remercièrent.
WalM et deux anciens de chaque tribu, entre autres Abou-
Djahl, "Olba, Scha'd)a et Abou-Khalaf, de la tribu de Djouma^h,
se rendirent auprès d'Abou-Taiib et lui dirent : Nous sommes
venus pour te faire une proposition équitable. Nous savons que
Mo'hammed est comme ton fils , et personne ne livre son fils
pour être mis à mort. Mais tu connais ^Omàra, le fils deWalid,
et tu sais combien il est supérieur à Mo'hammed en beautë, en
sagesse, eu noblesse et en vertu; il n'y a pas parmi les Qoraï-
schites un homme comme lui. Toi-même, tu l'appelles ton
fils. Nous voulons que tu nous donnes MoMiammed et que tu
adoptes 'Omàra. Ensuite Walid, fils de Moghaïra, prit la pa-
role et dit: 0 Abou-Tâlib, je ne m'en retournerai pas avant
d'avoir réuni dans la mosquée tous les Qoraïschites, que je
prendrai comme témoins pour signer un acte par lequel je re-
noncerai à mes droits de paternité sur H)mâra el sur sa descen-
dance; en le déliant de sa filiation à Tégard de son père et de la
tribu de Makhzoum, je te la transmettrai. ^Omâra deviendra
ton fils et continuera sa race en ton nom, et tu en auras Thon-
neur. Tu me remettras en échange Mo^hammed , que les Qoraï-
schites pourront tuer, aiin que les habitants de la Mecque soient
délivrés de lui et de toutes ces calamités. A ces paroles, Abou-
Tàlib se mit h rire et dit : 0 Ibn-al-Moghaïra , la proposition
que tu me fais n est ni juste , ni équitable. Tu me dis de prendre
ton fils et de Félever sur mon sein, et de te livrer mon propre
fils, pour que vous le mettiez à mort. As-tu jamais vu dans le
monde quelqu'un qui ail livré son fils à la mort, pour prendre
le fils d'un autre et pour le nourrir? Si jamais quelqu'un a agi
ainsi, moi je ne le ferai |)as. Si ton fils est beau, sage et intelli-
gent, Mo'hammed, Thomme honnéte,estmon fils, que j'aime.
PARTIE II, CHAPITRE LXXll. 4i3
et doiil je ne donnerais pas un seul cheveu pour tous les Béni-
Makhzouin. Walid, fils de Moghaïra , et les autres, voyant leur
espoir complètement déçu, étaient réduits au silence, ne sa-
chant rien répondre. Abou-Tâlib leur dit encore : Une fois
pour toutes, n'espérez point, aussi longtemps que je serai
vivant, ou qu'il existera des Beni-Hàschim un homme, une
femme ou un enfant, que Mo^hammed vous sera livré; il
vous faudra exterminer tous les Beni-Hàschim, grands el
petits, avant de vous emparer de lui. Abou-Tâlib termina son
discours par les vers suivants :
Lui, reicellent, qui surpasse le nuage en générosité abondante, lui qui
est le défenseur des orphelins et le soutien des veuves;
Lui qui est entouré des pauvres de la famille des Hâschim, qui trouvent
chez lui de la pitié et des bienfaits;
Vous rocnt4>z, je le jure par le temple de Dieu, quand vous dites que
nous le laisserons tuer sans combattre pour lui et sans nous servir de nos
lances;
Que nous Tabandonnerons avant d^étre tombés autour de lui et avant
d'avoir perdu nos enfants et nos femmes.
Les Qoraïschites s'en allèrent, désespérant de rien obtenir
d' Abou-Tâlib. Ils n'osèrent pas s'attaquer au Prophète, mais
ils recommencèrent à tourmenter ses amis. Ils voulaient re^
chercher tous ceux qui étaient croyants, pour les faire souffrir
et pour les tourmenter, afin de les ébranler, ou de les faire
mourir, ou de les amener à renier l'islamisme. Cependant,
n'osant pas diriger leurs efforts contre les principaux adhé-
rents de Mo^hammed, comme Abou-Bekr, *Omar, ^Othmân,
Tal'hâ, Zobaïr et SaM, ils s'en prenaient aux croyants des
classes inférieures et aux faibles, et leur faisaient subir des
tourments. Quand ils en rencontraient quelqu'un seul, ils le
trai'naient dans une maison, le torturaient, l'accablaient de
à\à CHUuMQtl-: DK TABARI.
nombreuses violences et cherchaient ù le l'aire renoncer a
rislamisnie. Quant aux puissants, qu'ils n*osaicnt pa8 vio-
lenter, ils les insultaient, les traitaient de menteurs « les rail-
laient et leur crachaient à la figure. Ils en arrivèrent jusqu à
cracher à la figure du Prophète.
L'homme qui cracha au visage de MoMiammed fut ^Oqba , fils
d'Abou-Mo'aït, descendant d'Omayya. C'est à ce propos que
fut révélé le verset suivant : <r Alors le pécheur se mordra la
main et dira : Plût à Dieu que j'eusse suivi la route avec
Tapôtre,^ etc. (Sur. xxv, vers. 99 et suiv.) ^Oqba était lie
d'amitié avec le Prophète, mais il n'avait pas accepté l'isla-
misme. Quand le Prophète venait dans la mosquée, ^Oqba
s'asseyait près de lui et l'écoutait réciter le Coran , qui lui
plaisait. Il disait alors qu'il n'avait jamais entendu de dis-
cours ni de |)oésie comparables à ces paroles. Le Prophète
espérait qu'il deviendrait croyant. ^Oqba avait un ami, de la
tribu de DjoumaMi, nommé Obayy, fils de Khalaf. Un jour,
^Oqba venant chez lui, Obayy ne lui adressa pas la |>arole et
ne s^issit pas auprès de lui. ^Oqba dit: Mon frère, qu'ai -je
fait pour que tu ne me parler pas? Obayy lui répondit : Tu as
cru a ce Sabéen, et tu as embrassé secrètement sa religion.
Les incrédules donnaient au Prophète le nom de SiU^éen.
^Oqba, en jurant par Lat et Hobal, répliqua qu'il n'avait
point embrassé cette religion. Je m'assieds, dit-il, de temps
en temps auprès de lui , pour écouter les beaux discours qu'il
récite et qu'il prétend tenir du ciel. Ces discours sont fort
beaux. Maintenant, si tu veux, je ne m'asseyerai plus jamais
auprès de lui , car je prélere ton amitié à sa société. Obayy,
fils de Khalaf, dit : Les Qoraïschites prétendent que tu as
embrassé sa religion; je me suis interdit de te parler et de
vivre amicalement avec toi, à moins que tu n'ailles trouver
PARTIE II, CHAPlTRfe: LXXIl. ài^
iVlo'liamnied en public, alors qu'il se trouvera eutoun^ de
ses compagnons dans le temple, et en présence de tous les
Qoraïscbites réunis, pour Tinsulter et lui cracher à la figure,
afin que les Qoraïschites sachent que tu n'es pas devenu
Tuu de ses sectateurs. Quand tu auras agi ainsi , je te par-
lerai. 'Oqba répliqua : Je le ferai. Il attendit un jour oi!i le
Prophète était assis dans la mosquée, entouré de ses com-
pagnons. Alors il vint, sauta par-dessus les épaules de ceux-ci
pour s'approcher de Mo^hammed, lui cracha à la figure et
s'en relourna auprès de ses amis. Le Prophète s'essuya la
figure. Dieu lui avait donné la promesse qu'il le ferait sortir de
la Mecque et qu'il lui prêterait assistance conti'e ses ennemis.
Mo^hammed dit à ^Oqba : Je fais à Dieu le vœu que, si je te
saisis en dehors de la Mecque, je te ferai couper la tête. Plus
tard, le jour du combatdeBedr, le Prophète et ses compagnons,
ayant remporté la victoire sur les incrédules de la Mecque,
firent beaucoup de prisonniers. Lorsqu'on amena au Prophète
ces prisonniers, et parmi eux ^Oqba avec une corde au cou,
Mohammed dit à ^Ali : Allons, accomplis le vœu du prophète
de Dieu I ^Ali s'approcha , tira son épée et la brandit. ^Oqba
dit : 0 Mo^hammed, si tu me fais mourir, qui soutiendra mes
enfants après ma mort? ^Oqba avait beaucoup d*enfan(s et
était pauvre. Le Prophète répliqua : Ta place et la leur sont
dans l'enfer; s'ils ne deviennent croyants , je les ferai tous
mourir, et ils seront avec toi dans l'enfer.
Les incrédules devinrent plus ardents contre le Prophète
et contre ses compagnons. Les croyants, ne pouvant plus en-^
durer cet élat fâcheux, dirent au Prophète : Nous pourrions
bien nous défendre d'eux , car nous avons des parents et des
hommes; mais nous l'en demandons Tautorisation. Si tu as
encore de la patience, quant a nous nous n'en avons plus.
416 CHUOMQLE DE TABARI.
Aulorisc-nous à nous défendre; s'il faut coinbaUrc, nous
combatlrous. Le Prophète répliqua : Je ne peux rien vous dire
par moi-niénie avant d'avoir reçu Tordre de Dieu. Pendant la
nuit, le Prophète pria , et Dieu lui envoya ce verset : t Patiente
comme ont patienté les hommes résolus d'entre les apôtres. 9
(Surate xlvi, verset 34.) Mo'hammed récila ce verset aux
croyants et leur recommanda la patience. Mais leur situation
devenant de plus en plus intolérable, à cause de l'hostilité
croissante des infidèles, ils vinrent trouver le Prophète et
lui dirent : Il nous est impossible d'endurer plus Iongtem|)s
les vexations, les peines et le mépris dont ces hommes nous
accablent. Nous craignons de commettre quelque action ou
de laisser échapper une parole que Dieu désapprouverait. Au-
torise-nous à quitter la Mecque et à nous rendre dans une
autre contrée, jusqu'à ce que tu reçoives de Dieu la permission
de faire la guerre. Le Prophète leur accorda cette autorisation ,
en leur disant: Allez dans l'Abyssinie, dont les habitants sont
chrétiens, possesseurs d'un, livre sacré, et plus rapprochés des
musulmans que les idolâtres. Le Nedjàschi est un roi qui ne
commet jamais d'injustice envers personne. Alors une partie
des compagnons du Prophète se rendit en Abyssinie, tandis*
que lui-même, avec Abou-Bekr, ^Omar, *Ali et d'autres res-
tèrent à la Mecque, sous la protection d'Abou-Tâlib. Cette
fuite est appelée la première fuite; car il y a eu deux fuites :
l'une fut celle-ci, et l'autre fut celle de Médine, qui eut lieu
après la mort d'Abou-Talib, et qui est appelée la grandefuitey
accomplie par le Prophète, et qui était obligatoire pour tous
ses adhérents. La profession de foi de ceux qui ne le suivirent
pas ne fut pas agréée.
PARTIE II, CHAPITRE LXXIII. 417
CHAPITRE LXXin.
Fl ITK DES COMPAGNONS DI PROPHETE EN ABYSSINIE.
r.ONVERSlON DE ^lAMZA.
La fuite en Abyssinie eut. lieu dans la cinquième ann^e de
la mission prophétique de Mo^hammed. Les noms de ceux
d'entre les compafjnons du Prophète qui se rendirent en
Abyssinie se trouvent dans le livre des Expéditions de Mo*ham-
med ben-IsMiàq. MoM)amnied ben-DjariV, dans le présent
ouvrage, dit qu'ils éUiienl en tout soixante et dix personnes.
D'après d'autres traditions et le livre des Expéditions, leur
nombre était de cent vingt, en comptant les personnages
importants aussi bien que les adhérents inconnus. Quelques
auteurs rapportent que quelques-uns d'entre eux, comme
'Olhmàn, fils d'^Affàn, DjaMar, fils d'Abou-Tâlib, Sa^d, fils
d'Abou-Waqqâç , *Abd er-Ba*hmAn, fils d'^Auf, Zobaïr, fils
d'*Awwâm , ^Ammâr, fils de Yâser, avaient emmené avec eux
leurs femmes. Tout cela est raconté en détail dans le livre des
Expéditions. Le nombre des femmes était de quinze; d'après
d'autres auteurs, les femmes n'étaient qu'au nombre de quatre.
Ils partirent donc pour l'Abyssinie, pays qu'on ne peut at-
teindre de la Mecque que par voie de mer, en se rendant d'abord
de la Mecqueà Djeddah. Les incrédules les poursuivirent, mais
ils ne purent les atteindre. A partir de ce moment, les infi-
dèles devinrent plus hardis contre le Prophète ; ils l'insul-
taient et le frappaient quand il paraissait dans la mosquée.
Un jour, pendant que le Prophète accomplissait la prière,
^Oqba, fils d'Abou-Mo^aït , lui jeta au cou une corde, le traîna
hors de la mosquée et lui serra la gorge de sorte qu'il faillit
II. -27
418 CilKOMQUK DE TAHARI.
mourir. Abou-Bekr arriva o( le dégagea d'entre les mains des
iofidèles.
Un autre jour, le Prophète se trouvant sur le mont Çafà,
Abou-Djalil, fils de Ilisrhàin, s'approcha de lui, Taccabla
d'injures, lança contre lui une pierre et lui Fit une bles-
sure à la tète. Le sang coula sur la ligure du Prophète; mais
il ne dit rien, se leva et retourna dans sa noiaison. Une vieille
femme, affranchie d'^Abdallah, fils de Djods'ân, qui demeu-
rait sur cette colline, fut témoin de ce fait; elle fut saisie de
pitié et se mil à pleurer et à sangloter.
Ulamza, fils d'Abou-Mottalib, oncle de Mo^hammed, qui
n'était pas encore croyant, était le plus fort et le plus brave
de tous les Beni-llâschim. Les M(*cquois l'estimaient et le res-
pectaient. 11 aimait beaucoup la chasse, et, comme il savait
tirer de l'arc, c'est avec cette arme qu'il allait habituellement
chasser. Or ce jour, revenant de la chasse et passant par le
mont Çafà, il entendit les sanglots de la vieille femme; il
s'arrêta, et lui demanda ce qui lui était arrivé. Elle lui ré-
pondit : 0 'Hamza, il ne m'est rien arrivé, à moi; c'est à cause
de ton neveu MoMiammed, lils d" Abdallah, que je pleure.
Abou-Djahl l'a frappé et lui a fait une grave blessure à la
tête. 'Hamza entra dans une grande colère. Il se rendit dans
la mosquée pour faire des tournées autour de la Ka^ba et
rentrer ensuite dans sa maison. Il rencontra dans la mosquée
Abou-Djahl en conversation avec plusieurs personnes. 11 s'a|>-
procha de lui, l'injuria (.'t le frappa avec la poignée de son arc
sur la tête, au point de faire jaillir le sang. Les Beni'-Makh-
zoum s'élancèrent pour frapper ^Hamza. Abou-Djabl leur dit:
Ne le faites pas; car si vous lui faites quelque mal aujourd'hui,
le dépit lui fera embrasser la religion de Mo^hammed; le parti
des Qoraïschites en serait affaibli, et celui de Mo^hammed,
PARTIK 11, CliAPITUK LXXlll. 419
forlilié. ^Haiiiza, fiyaiil accompli les tournées autour du
temple, alla voir Mo'hammed. En voyant le Prophète blessé à
la tôte, il pleura el dit : 0 mon clier et excellenl MoMiammed,
voilà ce (jui l'est arrivé aujourd'hui sans (|U(* j'en eusse con-
naissance! Le Prophète répliqua : Mon oncle, ne t'occupe
pas d'un homme qui n'a ni père, ni mère, ni oncle, ni autres
parents. Ulamza dit : () MoMiammed, je l'ai procuré satisfac-
tion d'Abou Djalil, en lui brisant la léte avec mon arc. — Cela
n'es! pas une satisfaction pour moi, dit Mo^hammed. ^Hamza
dit : Qu'y a-t-il qui puisse te satisfaire, pour que je l'accom-
plisse? Mo'hammed répliqua : Que tu dises : // nyapasdedieu
en dehors d'A llah, et Mo^hammed est V apôtre d^ Allah , et que tu em-
brasses ma religion. 'Hamza dit : C'est précisément dans celle
intention que je suis >enu. Le Prophète fut rempli de joie, se
leva, embrassa ^Hamza sur la tête et lui dit: 0 mon oncle, tu
me rends heureux. 'Hamza prononça la profession de foi.
Lorsque les Qoraïschiles en eurent connaissance, ils furent
découragés. Il n'y avait pas un seul des oncles et des cousins
du Prophète, des membres de la famille de Hâschim et d'^Abd-
ou'I-Motlalib, même de ceux qui n'étaient pas croyants, qui
ne fût prêt à le soutenir, sauf Abou-Lahab, dont le vrai nom
était 'Abdou'l-*Ozza, fils d"Abdou'l-Mottalib.
De tous les adhérents du Prophète, le plus faible était
^Abdallah, fils de Mas^oud. C'est lui qui mettait par écrit
toutes les parties du Coran qui étaient révélées au Prophète,
et qui les apprenait par cœur. Un jour, le Prophète dit : Qui
d'entre vous veut se sacrifier à Dieu, en se rendant à la mos-
quée pour réciter à haute voix un chapitre du Coran?— C'est
moi qui m'y rendrai, dit 'Abdallah, fils de Mas'oud. Mais
comme il n'était pas un personnage marquant, n'ayant pas
une nombreuse parenté, le Prophète dit : Il faut quehprun
•'7
420 CHKONKiLK DE TABARL
qui ait une nombreuse parenté, pour lUre soutenu s'il lui
arrivait uu accident/Abdallah dit : Dieu uie protégera. ^Abd-
allah se rendit à la mosquée, et à un moment où un grand
nombre de personnes y étaient réunies, il se plaça près du
Maqâmr-Ibrahim, en face de la Ka^ba , et commença à réciter
la surate Er-Ra^hman, Qwest-ce qu'il récite? dirent les Qorai-
scliiles entre eux. — Cest quelque chose des paroles de iMo^ham-
med. Ils s'élancèrenl sur lui, Tenlourèrent et le frappèrent
à coups de pierres, pendant qu'il continuait à réciter la su-
rate jusquà la fin. Couvert de sang, il retourna auprès de
MoMiammed, qui lui dit : Voilà ce que je redoutais. 'Abdallah
dit : 0 apôtre do Dieu, ce n'est rien pour moi; si tu veux,
demain j'irai de nouveau, pour réciter une autre surate. F^s
compagnons du Prophète vivaient ainsi dans raillietion.
Cependant tous ceux qui s'étaient rendus en Abyssinie jouis-
saient de la sécurité. LesQoraïscliites, en étant informés, i-é-
solurent d'envoyer une ambassade en Abyssinie, pour demander
au Nedjâschi de leur livrer ces gens pour les mettre à mort. Ils
firent donc partir deux messagers, ^\mrou, fils d'Al-*Aç, *Abd-
allah, fils de Habita, de la tribu de Makhzoum, avec des pré-
sents considérables pour le Nedjâschi , pour ses familiers et ses
officiers. Ces deux envoyés étaient des hommes très-habiles à
manier la parole. Ils vinrent à la cour du Nedjâschi, lui pré-
sentèrent les cadeaux, et lui demandèrent l'extradition des
croyants qui se trouvaient dans son pays , pour les ramènerai la
Mecque. Le roi ne fil pas droit à leur demande et refusa d'accepter
les présents. Les envoyés, voyant leur insuccès, s'en retour-
nèrent. Il y avait de nombreuses discussions entre le Nedjâ-
schi et les musulmans au sujet de l'islamisme et du christia-
nisme, discussions courtoises et amicales, qui sont rapportées
dans le livre des Expédilicms, et que Mo^hammed ben-Djarir a
PARTIE Jl, CHAIMTBE LXXIII. 421
passées sous silence. Le roi, en refusant les présents, avait
dit : Je n'ai que faire de vos présents; vous accusez d'im-
posture le prophète de Dieu et vous ne voulez pas croire en
lui. De même que le Nedjâschi, tous ses officiers avaient rendu
les cadeaux que leur avaient remis ^Amrou et ^Abdallah, qui
s'en allèrent confondus et désappointés.
Le Nedjâschi était intérieurement croyant. Or il voulait
faire connaître publiquement sa foi, et à cet effet il convoqua
le peuple abyssin, les grands, les officiers et les troupes, et ii
leur parla ainsi : Je pense que ce Mo^hammed est le person-
nage dont il est parlé dans l'Évangile. Ne pourrions-nous pas
croire en lui et le faire venir dans notre pays, avant que sa re-
ligion ait conquis le monde entier? Les Abyssins protestèrent
en disant : Nous ne consentons pas; nous ne voulons pas aban-
donner la religion chrétienne; celui qui le fera sera répudié
et abandonné par nous. Le Nedjâschi, craignant de perdre
la couronne, dit : Je n'ai fait que vous éprouver, pour voir
ce que vous en diriez. Le peuple fut rassuré. Le Nedjâschi
continuait de bien traiter les musulmans, et professait lui-
même en secret l'islamisme. Il en fit part, par un messager,
au Prophète, qui agréa sa conversion et l'autorisa à pratiquer
sa religion en secret. Plus tard, lorsque le Prophète était à
Médine, cinq ans après la fuite, le Nedjâschi mourut en Abys-
sinie. Gabriel en informa le Prophète, en écartant de de-
vant ses yeux tout ce qui faisait obstacle, pour lui permettre
de voir de Médine jusqu'en Abyssinie, et il lui ordonna de
prier pour le Nedjâschi. Le Prophète et ses amis firent ainsi.
Mo^hammed vit le corps du Nedjâschi couché sur le lit.
Les incrédules, fatigués de la prédication du Prophète,
l'appelèrent à la mosquée et lui parlèrent ainsi : Nous allons
te faire une proposition équitable. Si tu veux que nous ado-
422 CHHONIQLK DE TABAHL
rions ton dieu, adore aussi nos divinités: de cette façon lu
seras de notre religion, conune nous serons de la liiMine; si
notre culte est le vrai, tu cnaurasTavantage, et si c^est le tieo
(|ui est le vrai, nous aurons l'avantage de celui-ci. Alors Dieu
révéla les verseus suivants : rDis: ]\rordonnerez-vous d'ado-
rer un autre dieu, ô ignorants !r> etc. (sur. xxxix, vers. 64);
et cet autre verset : r() infidèles, je n'adorerai point ce que
vous adorez, -ï etc. (sur. cix,vers. i et suiv.), c^est-à-dire
gardez votre religion, et moi je garderai la mienne. Les
infidèles reconnurent *|u'il n'accéderait pas à leur religion.
Ensuite Dieu révéla le verset suivant : f?Peu s'en est fallu
qu'ils ne t'aient détourné de ce que nous t'avons révélé,^ etc.
(Sur. XVII , vers. 7 5.)
Les incrédules dirent : Le nioven de nous débarra.sser de
Mo^hammed et de ses adhérents et des Reni-Hàscliim, c'e^l
de cesser tout commerce avec eux, de ne pas leur parler, de
ui) pas leur demander de femmes (*n mariage et de ne pas
leur donner nos filles; de cette façon, ils seront humiliés
a la Mecque, et ils s'en iront. Toutes les tribus déléguèi*ent
deux hommes, qui se réunirent dans la mosquée et qui dres-
sèrent en commun un acte dans ce sens, le signèrent tous
et prirent pour témoins de cet engagement tous les habi-
tants de la Mecque. Ils suspendirent cet écrit à la porte du
temple, afin ((ue tous pussent le voir et le lii*e. Les croyant^
furent tous du côté du Prophète et d'Abou-Tàlib, et tous
les Qoraïschistes formèrent le parti opposé. Abou-Lahab se
joignit aux Qoraïschiles en se séparant d'Abou-Tàlib. Cette
mesure fut très-pénible à Abon-Tàlib, aux Beni-Hâschini et
aux croyants. Aucun habitant de la Mecque ne leur parlait,
ne leur vendait rien et n'achetait rien d'eux. Il se passa ainsi
sept ou huit mois. Alors fui révélée au Prophète la surate de
PARTIE II, CHAPITRE LXXUI. 423
lEtoite (sur. lui), il se rendit à la mosquée, où étaient réunis
les Qoraïschites , et récita cette surate. Lorsqu'il fut arrivé
au verset : « Que croyez-vous de Lât, d'^Ozza et de Menât, la
troisième? Auriez-vous des mâles et Dieu des femelles?^
(vers. 19 et suiv.), Iblis vint et mit dans sa bouche ces pa-
roles: ff Ces idoles sont d'illustres Gharâniq, dont l'intercession
doit être espérée.?) Les incrédules furent très- heureux de ces
paroles et dirent : Il est arrivé à Mo^hammed de louer nos
idoles et d'en dire du bien. Le Prophète termina la surate,
ensuite il se prosterna, et les incrédules se prosternèrent à
son exemple, h cause des paroles qu'il avait prononcées, par
erreur, croyant qu'il avait loué leurs idoles. Le lendemain,
Gabriel vint trouver le Prophète et lui dit : 0 Mo^hammed,
récite-moi la surate de ÏÉtoile. Quand MoHiammed en répétait
les termes, Gabriel dit : Ce n'est pas ainsi que je te l'ai trans-
mise; j'ai dit : rrCe partage est injuste.^ (Sur. lui, vers. 32.)
Tu Tas changée et tu as mis autre chose à la place de ce que
je t'avais dit. Le Prophète, effrayé, retourna à la mosquée et
récita la surate de nouveau. Lorsqu'il prononça les paroles :
ïtEt ce partage est injuste, ?> les incrédules dirent: Mo*ham-
med s'est repenti d'avoir loué nos dieux. Le Prophète fut
très-inquiet et s'abstint de manger et de boire pendant trois
jours, craignant la colère de Dieu. Ensuite Gabriel lui trans-
mit le verset suivant : «Nous n'avons envoyé, avant toi, aucun
apôtre, ni prophète, sans que Satan ait jeté quelque erreur
dans sa pensée,?) etc. (Sur. xxii, vers. 5i.) Dieu rassura ainsi
le Prophète. Les incrédules s'en éloignèrent de nouveau.
L'aventure de la prosternation des infidèles s'était répandue
en Abyssinie. On disait que les Qoraïschites avaient cru en
MoMiammed et qu'ils avaient adoré Dieu, sauf Walfd, fils de
Moghaïra, qui, trop vieux pour pouvoir se prosterner, avait
à2à CHItOMQ[JK DE TABARI.
pris une poignée de terre et lavait placée sur son front. En
conséquence, quelques-uns des adhérents du Prophète qui
étaient en Abyssinie revinrent, tandis que quelques- ans y
restèrent jusqu'à la cinquième année après la fuite a Mé-
dine, jusqu'à la prise de Khaïbar. Un de ceux qui revinrent
fut'Othmân, fils d'^Affân; mais aucun d'eux n'osa entrer k la
Mecque. Après avoir fait la conquête de Kbaîbar, le Prophète
envoya ^Amrou, fils d'Omayya, le Dhamrite, avec une lettre,
vers le Nedjâschi, pour lui demander de laisser partir ceux
qui étaient restés en Abyssinie, et qui étaient au nombre
de seize personnes. Le Nedjâschi les fit parlir pour Médine ,
et envoya en même temps au Prophète des présents considé-
rables : des étoffes du Ycmcn, des raretés d'Abyssinie, des
armes, des esclaves et des jeunes filles; deux mulets de selle:
une mule nommée Schahbdy et un mulet nommé Doldol; enfin
deux belles jeunes filles coptes, dont Tune s'appelait Maria,
et l'autre Abkar. Le Prophète donna Abkar à ^Hasân, (ils de
Thàbit, qui était son poëte, et garda Maria pour lui. II en
eut un fils, nomme Ibrahim, qui mourut après deux ans.
Hasàn eut d'Abkar un fils, nommé *Abd er-Ra^bmân. Nous
reprenons maintenant notre récit.
La position du Prophète et des Beni-Hâschim était fort
difficile; car personne, à la Mecque, n'entretenait de relations
avec les croyants. Un Qoraïschite nommé Zohaïr, fils d'Abou-
Ommaya, songea à faire cesser col état de choses, en déchi-
rant l'acte que Ton avait écrit. La mère de Zohaïr était ^Âtika,
fille d^Abdou'I-Moltalib. Un jour elle lui dit : Mon fils, com-
ment peux-tu manger et boire , connaissant la position pé-
nible des Bcni-Hàscliim, tes cousins? Personne, à la Mecque,
ne leur parle. Jusqu'à présent , Abou-Tàlib a été le^chef de
tous les Ooraïschiles; maintenant personne on dehors des
PARTIE H, CHAPITRE LXXIIL 425
Beni-Hâschim ne lui adresse la parole. Abou-Djahl n'aurait
pas souffert une telle chose. Zohaîr répliqua : Que puis-je
faire ? J en suis afP.igé, cependant je ne puis lutlcr seul contre
tous les Qoraïscbiles; il me faut quelqu'un pour m'aider. Il
alla trouver un personnage marquant et lui fit part de ses
sentiments. Celui-ci lui dit : Tâche de trouver quelqu'un qui
puisse nous aider. Zohaîr répliqua : Nous sommes deux, n'est-
ce. pas assez? — Il en faut plus, dit Tautre. Quand ils furent
au nombre de sept, tous personnages importants parmi les
Qoraïschites, ils résolurent de se rendre à la mosquée à un
moment où les Qoraïschites et tous leurs chefs et Abou-Djahl
y seraient réunis. Alors, dit Zohaîr, je chercherai querelle
à Abou-Djahl, et vous viendrez à mon secours; j'arracherai
l'acte de dessus la porte du temple, je le déchirerai et anéan-
tirai ainsi leur convention. Ils attendirent donc. Un jour que
les chefs qoraïschites, avec Abou-Djahl, étaient réunis à la
mosquée, Abou-Tâlib s'y trouvant aussi, abandonné seul à
sa place, ces sept personnages entrèrent dans la mosquée
séparément, afin qu'on ne sût pas qu'ils s'étaient concertés,
et allèrent prendre place dans le cercle d' Abou-Djahl. Enfin
Zohaîr entra, fit des tournées autour du temple, et vint s'as-
seoir auprès d'eux. Alors il jeta les yeux sur l'acte suspendu
h la porte et dit : Jusqucs à quand sera suspendu ici cet acl«
inique et illégal , et combien de temps encore les Beni-Hà-
schim en souffriront-ils ? Abou-Djahl répliqua : Ce n'est pas
un acte injuste, puisqu'il a été fait, consenti et signé par tous
les Qoraïschites. Un des sept dit à Abou-Djahl : Ce n'est pas
un acte commun à tous les Qoraïschites; il a été fait par
toi et tes amis. Un autre s'écria : C'est la chose la plus in-
juste qui soit au monde. Un quatrième dit : Pour quelle
raison faut-il s'abstenir des relations avec les Ben{-Hàschim ?
426 CHliONIQUE: DE TABARl.
Est-ce que les Beni-Makhzouiii el telles ou telles tribus l'ont
la loi aux Qoraïscliites? Un cinquième dit: Il faut déchirer
cet écrit et annuler cette convention, qui est injuste. Un
sixième dit : Oui, il faut le déchirer et couper la main à celui
qui Ta écril. Un septième enfin s'écria : Je ne me soucie ni
de Tacte, ni de ce quil contient. Abou-Djahl fut confondu
et dit : Cest une afl'aire (|uils ont concertée dans la nuit.
MoutSm, ^llsd'^4dl^ fds de Naufal , Tds d^'Abd-Manâf, Tundes
chefs qoraïscliites, étendit la main et arracha Tacte pour le
déchirer. On avait déjà Thabitude d'écrire en tête des actes
et des lettres le nom de Dieu, en ces termes: rEn ton nom,
ô Dieu.') Lorsqu'on eut arraché l'écrit et qu'on le regarda,
on remarqua que toute l'écriture, excepté le nom de Dieu,
était rongée par les vers. Ils le jetèrent en disant : Dieu lui-
même Fa détruit. Ensuite ils firent chercher le scribe qui avait
écrit cet acte, pour lui couper la main. C'était un homme de la
tribu de Hàschim, nommé Mançour, fils d'^krima^fils de Hâ-
schim, fils d"AbdManàr. Quand on l'amena, ses deux mains
étaient paralysées. Ils dirent : Dieu lui-même lui a coupé les
mains; et ils le laissèrent. C'est ainsi que cette affaire fut
déjouée, et les Qoraïschites reprirent leurs relations avec les
Beni'-Hâschim. Le Prophète appelait toujours les hommes
à Dieu.
Lorsqu'il se l'ut écoulé sept ans, ou, d'après d'autres au-
teurs, cinq ans depuis la mission prophétique de Mo^ham-
med, Khadidja et Abou-Tàlib moururent dans la même an-
née. Le Prophète n'a jamais éprouvé de plus grande affliction
que celle de la mort d'Abou-Tàlib. Les Qoraïschites devinrent
plus hardis dans leurs attaques contre lui , et lui firent subir
toutes sortes de persécutions, le blessèrent et lui jetèrent des
pierres, de la t(MTe H des ordures. Le Prophète supportait
PARTIE II, CHAPITRE LXXUI. 427
(oui, Dieu lui ayanl révélé un verset du Coran qui lui recom-
mandait la patience.
Du vivant d\\l)ou-Tàlib,le Prophète avait fait beaucoup d'el-
forts pour le convertir à risiainisme. On raconte que, lorsque
Abou-Tâlib tomba malade, Mo^kammed fut très-aflligé; car,
aussi longtemps qu'Abou -Tàlib avait vécu, il avait tou>
jours espéré le voii* embrasser Tislamisme, puisqu'il le soute-
nait constamment et le protégeait. Quand il tomba malade,
Mo^hammed fut jour et nuit dans sa maison et ne s'éloigna pas
de son lit. Abou-Talib disait h lous ceux d'entre les Qoraï-
scbites qui venaient le voir : Embrassez la religion de Mo^bam-
med, car il dit la vérité, c'est un homme honnête. Ensuite
il fit son testamiuit et laissa le commandement à son frère
'Abbàs, qui restait alors l'aîné des fils d^Abdou'l-Mottalib et
le plus intelligent. 'Abbâs était de deux ans plus âgé que le
Prophète. Il avait la plus grande autorité parmi les Beni-
Hâschim ; c'était un homme de bon sens et de bon conseil.
Abou-Tàlib le nomma donc son successeur et lui recommanda
Mo'hammed , en lui disant : Protége-le comme je l'ai protégé ,
et embrasse sa religion, qui est préférable à la ndtre. Le
Prophète pensa aloi*s que lui-même prononcerait aussi la
formule de foi, et il lui dit : 0 mon oncle, tu fais cette re-
commandation aux autres, pourquoi ne professes-tu pas toi-
même l'islamisme ? Abou-Tàlib garda le silence. Un jour, le
Prophète, étant retourné dans sa maison, n'était pas encore
assis que quelqu'un vint lui annoncer qu'Abou-Tâlib était à la
mort. Mo^hammed quitta en toute hâte sa maison et courut,
en trainantson manteau par terre, à la maison d'Abou-Tâlib.
liOrsqu'il y arriva, il le trouva à l'agonie, près de rendre
l'âme. Mo^liammed, les yeux remplis de larmes, se mit devant
lui à genoux et lui dit à voix basse : O mon oncle! o mon
428 CHRONIQUE DE TABARL
oncle ! Abou-Tàiib ouvrit les yeux et dit : Que veux-tu, mon
fils? Mo^hainmed répondit : Que tu dises : frll n'y a pas de
dieu en dehors d'Allah, yf Abou-Tâlib ferma les yeux. Après
un certain temps, le Prophète murmura de nouveau : 0 mon
oncle , à mon oncle ! Abou-Tâlib ouvrit encore les yeux et dit :
Que veux-tu, mon fils? Mo^hammed répondit : Dis : r-H n*y
a pas de dieu en dehors d'Allah. ?) Abou-Tâlib ferma les yeux
de nouveau. Le Prophète, au milieu de ses pleurs et de ses
sanglots, dit pour la troisième fois: 0 mon oncle, 6 mon
oncle! Abou-Tâlib ouvrit les yeux et dit : 0 mon fils, pour-
quoi t'affliges-tu tant? Mo^hammed répliqua : Si lu prononçais
seulement une seule fois ces paroles : rrll n*y a pas de dieu
en dehors d'Allah, ?> au jour de la résurrection, devant le
trône de Dieu, je me détournerais de tous les hommes et me
jetterais la face contre la terre, et prierais et supplierais Dieu
pour qu'il te sauve de l'enfer et pour que je . te mène avec
moi dans le paradis. Abou-Tâlib se mit à pleurer et dit : Je
sais que lu dis la vérité; mais je ne peux pas prononcer ces
paroles, à cause du blâme des hommes; car, après ma mort,
les Arabes dans leurs tribus, les habitants de la Mecque dans
leurs réunions, et les femmes des Qoraïschites en filant et
en causant ensemble, diront: Abou-Tâlib a eu peur de la
mort, et, au moment de rendre l'âme, il a abandonné la re-
ligion de ses pères. Après ces paroles, Abou-Tâlib ferma les
yeux. Le Prophète pleurait et sanglotait et ne pouvait se
soutenir. Abou-Tâlib perdit la parole et ne fut plus en état
d'ouvrir les yeux, taudis que Mo^hammed l'appelait toujours-
et murmurait: 0 mon oncle, ô mon oncle! Enfin Dieu envoya
Gabriel avec ce verset : « Certes toi tu ne dirigeras pas ceux
que tu voudras; c'est Dieu qui dirige ceux qu'il veut,^ etc.
(Sur. xxvm, vers. 56.) (labriel consola le Prophète, en lui
PARTIE II, CHAPITRE LXXIV. 429
disant : 0 Mo^hainined, sois tranquille. Ton oncle était-il plus
vénérable pour loi que le père d'Abraham le fut pour Abra-
ham? Lui aussi a fait beaucoup d'eflorls, du vivant de son
père et pendant son agonie, pour l'amener à sa religion, et
n a pas réussi , parce que ce n'était pas la volonté de Dieu; et
Abraham se résigna et se soumit à la décision de Dieu. Ré-
signe-toi, ô Mo^hammed, comme ton père Abraham. Alors Mo-
^hammed se résigna et reconnut qu'il était trop tard. Lorsque
Abou-Tâlib perdit l'usage de la parole, le Prophète s'éloigna
du lit et retourna dans sa maison. Lorsqu'il y fut arrivé, Abou-
Tàlib mourut. *AIJ vint auprès du Prophète el dit : rrO apôtre
de Dieu, ton oncle est mort dans l'égarenrient.?) Mo^hammed
pleura; puis il dit : 0 *Ali, va pour le laver et l'enterrer; mais
il ne lui dit pas de prier pour lui. Le Prophète lui-même
n'assista pas à l'ensevelissement ni à l'enterrement; il donna
seulement ses ordres à ^AH. Les théologiens et les docteurs de
la loi tirent de ce fait un argument, et disent : Si un infidèle
meurt, si c'est un homme considérable, on doit l'enslîvelir.
Si cet homme a un fils musulman , celui-ci doit se tenir près
du lit au moment de la mort de son père et doit l'ensevelir,
le mettre dans la tombe et se tenir au bord de la tombe,
comme le Prophète a ordonné à *AH de faire pour Abou-
Tâlib. D'après une autre version , le Prophète lui-même se-
rait allé jusqu'à la tombe d'Abou-Tâlib, en suivant le corps.
CHAPITRE LXXIV.
DEPART DU PROPHÈTE POUR TÂÎF.
On rapporte que, après la mort d'Abou-Tâlib, le comman-
dement fut donné à 'Abbàs, fils d"AI)dou'l-\lotlalib, qui
430 CIIHOMQI K I)K TABAHI.
élait un lioniiiir iiidoloiil et sans lenndé, f*t qui irétaif i^as
en étal do protéger le Pro|)hète. Celui-ci fut «•» bulte aux
violences d(*s Qoraïschites, qui lui lançaient des pierres et lui
jetaient de la boue sur In tète. Ln jour qu'il faisait sa prière
dans la mosquée, au moment où il se prosterna la face
contre terre, les infidèles, ayant apporté une grande quantité
de houe, la lui versèrent sur la tète. MoMiamnied avait des
cheveux qui lui allaient jusqu'aux épaules; ses cheveux, sa
tète et ses joues furent entièrement couverts de boue. 11 se
leva et s en alla dans sa maison. Une de ses Glles, en lui
nettoyant la tôte, pleura. Le Prophète lui dit: 0 nia fille,
ne pleure pas, invoque Dieu et aie patience. Ces choses
arrivent (juand on perd ses parentes et ses oncles. Du vivant
de mon oncle Abou-Tàlih, personne n'a osé faire cela. Le
Pro|)hète supporta ces injures et ces outrages encore deux
ans, en se conformant à Tordre de Dieu : «r Sois d'une patience
parfaite,^ etc. (Sur. lxx, vers. 5-0.) Ensuite, voyant son in-
succès auprès des Qoraïschites, et étant accablé de misères,
il partit pour Taïf.
Il y a entre la Mecque et Tâïf trois journées de marche,
sur la route du Yemen. Tàïf se compose de plusieurs villages
très-considérables, dont aucun ne possède une mosquée pour
les réunions du vendredi. H y a là un grand nombre de ver-
gers, de champs cultivés et de vignes, et beaucoup de ruis-
seaux, et celte contrée, par son aspect riant et florissant, res-
semhle au Soghd de Samarcande. Les habitants de la Mecque *
doiv(*nt constamment avoir recours à Tàïf, parce qu'il n'y a
à la Mecque ni vigne, ni arhre, ni fruits. Tous les fruits que
Ton a à la Mecque viennent de Tàïf, qui produit toutes les
espèces de fruits du monde. Tcnit habitant de la Mecque,
excepté ceux (|ui sont tout à fait pauvres, possède à Tàïf
PARTIE II, CHAPITRE LXXIV. 431
une vigne ou un jardin, et, pendant les trois mois de Tété, il
ne reste personne à la Mecque, excepté les pauvres. A cette
époque, Tâïf était gouvcrué par trois frères : *Habîb, Ma-
s^oud et 'Abd-Yalîl , fils d'^Amrou ben-M)maïr, de la tribu de
ThaqiT.
Le Prophète se rendit auprès d'eux, à pied, pour chercher
à se faire accepter et pvotéger par eux contre les gens de la
Mecque. Il alla trouver les trois frères et leur exposa sa situa-
tion. Je suis venu, leur dit-il, afin que vous croyiez en moi,
que vous me receviez et que vous me donniez aide et protec-
tion contre les habitants de la Mecque. L*un dVux répliqua :
Si tu es prophète de Dieu , pourquoi nous demandes-tu assis-
tance? L'autre frère dit : Pourquoi Dieu, qui t'a chargé d'une
mission prophétique, ne te protége-t-il pas? Le troisième dit :
Si Dieu voulait charger un homme d'une mission prophétique,
il aurait pu trouver, à la Mecque et à Tâïf, quelqu'un qui
n'aurait pas besoin d'aller de porte en porte pour demander
protection; pourquoi n'a-t-il pas donné cette mission à un
chef de la Mecque, auquel personne n'aurait osé faire de
l'opposition? Le Prophète fut ainsi éconduit par eux. Il est
dit, dans les commentaires, que Dieu a révélé à leur inten-
tion le verset suivant : «Si du moins le Coran avait été ré-
vêlé à un homme marquant des deux villes, ?) etc. (sur. xliii,
vers. 3o); de même que cet autre verset : erSi on leur donne
un signe, ils disent : Nous ne croirons pas, à moins qu'on
ne nous donne un miracle pareil à ceux qui ont éié révélés
aux apôtres de Dieu. Mais Dieu sait parfaitement où il place
sa mission. 7) (Sur. vi, vers. 1 24.) Alors le Prophète leur dit :
Puisque vous ne m'accordez pas votre assistance, au moins
n'en dites rien à personne, afin que je puisse retourner sans
que l'on sache que je suis venu ici. Il ne voulail pas que les
432 CHRONIQUE DE TABARI.
Qoraïschites apprissonl qu'il s'ëlail i-endu à Tàïf i>our y cher-
cher aide et proteclion,et qu'il n avait rien pu oblenir. Mais
les trois frères firent venir les jeunes gens de la populace de
Tâïf et leur dirent : Chassez ce fou qoraîschite hors de la ville,
pour qu il n'y reste pas la nuit. Le Prophète, ayant fait la
route à pied , était très-fatigue ; et lorsque ces jeunes gens le
chassaient devant eux, il ne pouvait pas marcher; mais ils
le poussèrent, le frapp(»rent et lancèrent contre lui des pierres,
dont une latteignit à la cuisse, de sorte que le sang en coula.
Enfin, harassé de fatigue, abattu, extënuë de faim et de
soif et souillé de sang, il parvint à quitter le territoire de
Tâïf. Le soleil était ardent, et le Prophète, dans sa triste si-
tuation, s'assit pour se reposer, et il pleura. Puis, craignant
qu'un châtiment ne fondit sur les habitants de Tâïf, et ne
voulant pas les voir périr parce qu'ils n'avaient pas cru en
lui et quils l'avaient accablé de mépris, il tourna sa face
contre le ciel et dit : 0 Seigneur, ne les punis pas, car ils
ne savent pas que je suis ton prophète !
Près de l'endroit où le Prophète se reposait, il y avait une
vigne appartenant à 'Otba et à Schaïba, fils de Rabfa, de la
famille d"Abd-Schams, cousins de Mo^hanmied, qui se trou-
vaienl vu ce moment dans leur vigne. Ils avaient appris que
Mo'hamnied était aile à Tàïf, mais ils ne savaient pasconnment
il avait été traite par les habitants, et ils étaient restes dans leur
vigne. 11 y avait avec eux un esclave de Schaïba , un cbi^lien
delà ville de Muive, qui y avait été fait prisonnier. Ninive
est une ville située vers la Syrie; elle était la patrie de Jona».
Cet esclave, nommé 'Addàs, avait lu l'Évangile et le Penta-
touque, et pratiquait , à la Mecque, le cuite chréUen. *Otba,
Schaïba el l'esclave étaient dans Tenclos, car c était Tépoque
des vendanges. Le PropliM,, arriva à la porte de l'enclos el
PARTIE II, CHAPITRE LXXIV. A33
alla s'asseoir au bord d'une citerne, qui se trouvait là, pour
se reposer et laver son pied , ses mains et son visage. Il ne
savait pas à qui appartenait cette vigne. *Otba et Schaïba,
regardant de Tinlérieur de Tenclos et voyant le Prophète assis
au bord de la citerne, couvert de poussière, surent qu'il avait
été chassé de Tâïf. Leur parenté avec Mo'hammed leur inspirait
de la pitié pour son état, et 'Otba dit à Schaïba : Mon frère,
voilà Mo'hammed assis à la porte de cette vigne; il vient de
Tâïf, pourchassé et épuisé de faim ; envoie-lui quelque chose
à manger. îls ne voulaient cependant pas se montrer. Schaïba
dit à l'esclave : Tu vois cet homme qui est assis au bord de
la citerne ? C'est un magicien et un possédé ; partout où il
va, il est frappé et chassé par les hommes. Mais il est notre
parent et il a faim; nous avons pitié de lui. Porte-lui un pla^
de raisin, place-le devant lui et reviens sans lui parler, car i
pourrait te séduire et te faire perdre ta foi chrétienne. ^ ^^'
clave vint, plaça le plat devant Mo'hammed et se tint deva
lui, à distance, en le regardant. Le Prophète prit un raisi^ *
en ayant détaché un grain, il le mit dans sa bouche, dis»
Au nom de Dieu, L'esclave lui dit : 0 jeune homme, queii^ I*
rôle viens-tu de prononcer? Depuis que j'ai quitté ma p^ '
je ne l'ai pas entendue. — D'où es-tu? lui dit le Prop .
— De la ville de Ninive, répondit Vesclave. Le Prop ^^
répliqua : C'est la ville de mou frère Jonas, fils de M» ^^^
L'esclave lui demanda h son tour: Oui es-tu, et coto ^
connais-tu Jonas? — Je suis un prophète , répondit m ^ ^g.
med, et Jonas fut prophète; tous les prophètes son cQ^y^»
L'esclave conversait ainsi avec MoHiamraed, tandis q^
et Schaïba regardaient de loin. L'esclave dit ensuite : <:y^^^c
ton nom? — Mo'hamnied et AHimed. ~ Es-tu cet - ^ ^^
dont il est question dans l'Évangile? 11 y est dit ^^^
II.
hU CHRONIQUE DE TABARI.
renverra aux habitants de la Mecque, qui te feront sortir
de la ville; (]uc Dieu te ramènera pour les soumettre par la
force, et que ta religion régnera dans le inonde. — Certaine-
ment, dit le Prophète. — Annonce-moi la foi , dit Fesclave,
f^r je te cherche depuis longtemps. Le Prophète lui présenta
la formule de Tislamisme, et Tesclave en fit la profession,
ensuite il se précipita sur le pied du Prophète et le baisa.
Mo^hammed mangea le raisin et s'en alla.
On avait appris à la Mecque que Mo^hammed était allé à
Tàïf et qu'il en avait été chassé. Les habitants se concertèrent,
en disant : Puisqu'il est sorti de la ville, nous ne le laisse-
rons plus rentrer. Abou-Djahl prit pour cela rengagement
de toutes les tribus. Le Prophète, arrivé près de la Mecque,
s'arrêta à Batn-NakhI , à la distance d'un mille de la ville.
Il y passa la nuit, en priant, en récitant le Coran et en ado-
rant Dieu , pour entrer le lendemain à la Mecque.
CHAPITRE LXXV.
APPARITION DTNR TROUPE DR PERIS QUI ADOPTENT LMSLAMISIIE.
A Batn-NakhI , sept ])érîs vinrent auprès du Prophète et
récoutèrent réciter le Coran. Lorsqu'il eut prononcé le salut
final, ils se montrèrent à ses yeux. Il leur présenta la formule
de l'islamisme, et ils firent profession de foi. Ensuite le Pro-
phète leur dit : Allez trouver vos compagnons et appelez-les
à la foi. Ils «'en allèrent et firent cet appel à leurs compa-
gnons, qui reçurent la religion musulmane, comme il est dit
dans le Coran : r Rappelle-toi comment nous avons fait venir
une troupe de djinns pour entendre le Coran, î> etc. (Sur. xlvi,
vers. 28.) Les noms de ces sept péris étaient : *Hasâ, Masâ.
PARTIE II, CHAPITRE L\X\. 435
Schàd, Nàç, Qâsim, Ans et Aqdjam. Plus lard, lorsque le
Prophète fut à Médine, ces sept péris se présentèrent devant
lui et lui dirent : Nos compagnons sont devenus croyants;
ils désirent te voir et t'enlendre. Alors ils se réunirent tous
dans la vallée des Djinns y endroit situé à deux parasanges
de Médine, vers le désert, où personne nose passer pendant
la nuit, à cause de la terreur qui y règne. Tous les péris, qui
étaient devenus croyants, s'y réunirent , le Prophète leur ayant
promis qu'il s'y rendrait, une nuit, auprès d'eux.
Le lendemain de la conversion de ces sept péris aux portes
de la Mecque, le Prophète voulant rentrer à la Mecque, l'un
des croyants de la ville vint lui dire que les habitants s'é-
taient concertés avec Abou-Djahl pour l'empêcher de rentrer.
MoMiammed reconnut qu'il ne pourrait effectuer sa rentrée,
sans la protection d'un personnage marquant. Il envoya donc
cet homme vers Akhnas, fils de Schariq, homme considé-
rable, allié des Beni-Hàschim , mais étranger à la Mecque,
pour lui demander sa protection, afin de pouvoir rentrer
dans la ville malgré le projet d'Abou-Djahl. Akhnas répon-
dit : Je suis moi-ni«îme étranger à la Mecque et sous la pro-
tection d'un autre ; il faut t'adresser pour cela aux citoyens
de la ville. Mo'hammed, ayant reçu cette réponse, envoya le
messager vers Sohaïl, fils d'%\mrou, l'un des principaux per-
sonnages de sa tribu. Sohaïl dit : Ma tribu est moins nom-
breuse et plus faible que les autres, et je ne peux pas proté-
ger quelqu'un contre les Qoraïschites. Ensuite le Prophète fit
porter sa demande a Mout^im, fils d'^Adi, homme puissant
dans sa tribu et allié d'Abou-Djahl et de son parti. Mout'im fit
dire à MoMiammed qu'il lui accordait sa protection, qu'il pou-
vait venir. Le Prophète rentra à la Mecque. Le lendemain, il
voulut se rendre à la mosquée. Abou-Djahl et les Qoraïschites
a8.
yM\ CHROMQlfi: DE ÏABARI.
>inrenl >t* placer ù la porte de la mosquée. Moul^iiu, crojaiil
qu'Aboii-Djahl |)rendrait les armes, s'y rendit avec les \\bd~
Manâf, tous armés, et le Prophète avec eux. Abou^Djahl pensa
que Mout^iui et toute sa tribu avaient embrassé la religioo de
Mo'hammed, et il lui dit : Es-tu un de ses sectateurs ou son
protecteur? MoutSm ré|K)ndit : Je lui ai accordé seulement
ma protection. Abou-Djahl répliqua : Celui que tu prouves,
nous le protégeons également. Le Prophète entra dans la mos-
quée, fit les tournées autour de la ka^ba et accomplit deux
inclinations; ensuite il sortit. Il demeurait dorénavant sous
la protection de Mout'im, dans la patience, jusqu'à ce qui\ se
lassât des habitants de la Mecque.
Chaque année, à Tépoquc du pèlerinage, le Prophète abor-
dait les Arabes venus de tous côtés, et leur proposait sa re-
ligion. H espérait que quelqu'un d'entre eux croirait eu lui
et remmènerait dans sa tribu , pour qu il y pût adorer Dieu
et qu'il fût délivixî des gens de la Mecque et des Qoraï-
schites. Mais aucun de ceux à qui il s'adressait ne répondait
à son appel; ou si quelqu'un croyait, il n'osait pas le rece-
voir, par crainte des habitants de la Mecque. Il se présenta
aux Reni-kinda, (|ui formaient une tribu fort considérable
et étaient d'une grande autorité parmi les Arabes; mais ils le
refusèrent ; les BenJ-Kelb et lesBenî-^Hanifa et toutes les autres
tribus lirenl de même. Les Qoraïschites, de leur côté, pos-
taient chaque année quelqu'un à Mina pour empêcher que
personne n'acceptât la religion de Mo'hammed. Cet homme se
rendait auprès de toutes les tribus arabes, leur disant : Il y a ici
un fou , nommé MoMiammed , qui a établi une religion nouvelle.
S'il vient vers vous, ne le croyez pas et n'acceptez pas sa foi.
Voici ce qu'un homme d(; la tribu de Kinda a raconté : Une
certaine année, étant encore enfant , j'élais venu avec mon \)vvr
PARTIE II, CHAPITRE LXXVI. A37
pour le pèlerinage de la Mecque. Lorsque nous nous arrêtâmes
à Mina, je \is un homme ayant une longue chevelure, beau
de visage, se tenant en face de nous majestueusement, nous
tenant des discours fort beaux, qui allaient au cœur des
hommes, et qui nous présenta sa reirgion, en nous appelant
à Dieu et en nous détournant de Tidolâtrie. Après lui vint un
homme ayant une longue barbe, des cheveux noirs, Tœil
louche, un manteau d'^Aden sur les épaules, un homme
si laid que je n'ai jamais vu son pareil, et qui nous dit :
Gardez- vous de cet homme, qui est possédé et menteur;
n'écoutez pas ses paroles et n'abandonnez pas votre religion !
Alors je demandai à mon père : Qui est celui-là? — C'est le
prophète des Qoraïschites, répondit mon père, Mo^hammed,
fils d'^ Abdallah , (îlsd"Abdou 1-Moltalib; il appelle les hommes
à sa religion. — Et qui est l'autre? lui dis-je. — C'est son oncle,
Abou-Lahab, qui s'attache partout à ses pas et le fait passer
pour un imposteur devant le peuple.
Le Prophète faisait ainsi chaque année. Sa réputation se
répandit dans toute l'Arabie, dans le Ba'hraïn, le Yemâma, le
Yemen, et dans toutes les autres contrées. Mais il ne trouvait
personne qui voulût le recevoir, jusqu'au moment où, rebuté
par les gens de la Mecque, il émigra à ^édine, avec quelques
personnages notables de cette viHe.
CHAPITRELXXVI.
KllTE DU PROPHÈTE DB L4 MECQUE A MEDINE.
^ t
Peu de temps avant la fuite, six personnes de la Iribu de
khazradj étaient venues à la Mecque pour le pèlerinage. Médine
élait occupée par deux tribus : les Ans el les Khazradj. Ces
438 CHRONIQUE DK TABARI.
derniers étaieul les plus nombreux. I^es villages du territoire
de Médine, comme Khaïbar, Qoraïzha, Wâdfl-Qorà et Yan-
bou% étaient habités par des Juifs ou Arabes descendants
des Benî-Israël, de ceux qui étaient venus de la Syrie et de
Jérusalem, fuyant de\'^nt Nabuchodonosor, antérieurement
à Alexandre. Les A us et les Khazradj voulaient s^emparer de
ces villages, mais ils ne réussirent pas; car les Juifs avaient
des châteaux forts grands et solides.
Les Juifs connaissaient, pour Tavoir lue dans le Pentateuque.
la description du Prophète, et avaient cru en lui. Mais ils pen-
saient qu'il serait Fun des Beni-Israël, de la parenté de Moïse;
ils ne savaient pas (]u'il viendrait des Arabes. Le Pentateuque
avait contenu la description même de Mo^hammed , mais les
anciens Juifs l'avaient supprimée, de sorte que leurs descen-
dants ne savaient pas que ce prophète, qu'ils honoraient et
en qui ils croyaient, serait Arabe. Chaque fois qu'ils étaient.
attaqués par des Arabes, ils prenaient le Pentateuque , cher-
chaient le passage concernant le Prophète, y mettaient ia
main et disaient : Seigneur, aide-nous contre ces ennemis, à
cause de ton prophète! et ils obtenaient ce secours. Or, quand
le Prophète parut, et quils virent qu'il était Arabe, et non
Israélite, comme ils Tavaient pensé, ils ne voulurent pas
croire en lui , et ils dirent : Ce n'est pas ce prophète que nous
alttmdions, comme il est dit dans le Coran : «Et lorsqu'ils
reçurent de Dieu une révélation confirmant celle qu'ils avaient,
eux qui auparavant avaient prié pour être secourus contre
les infidèles, lorsque celui quils reconnaissaient leur vint,
ils ne voulurent pas y croire. Que la malédiction de Dieu soit
avec les incrédules!^ (Sur. n, vers. 83.)
Les six habitants de xMédine, de la tribu de Khazradj. qui
étaient venus cette année au pèlerinage étaient : As^ad, fils
PARTIE 11, CHAPITRE LXXVL 439
de Zoràra, surnommé Âbou-Omâma; ^Auf, fils de^Hâritb;
RâfiS fils de Mâlik; Qolba, fils d'^Amir; ^Oqba, fils d'^Amir,
descendant de ^Harâm; enfin Djâbir, fils d'^ Abdallah. C'étaient
des gens connus, mais de classe moyenne, ni très-illustres, ni
de condition inférieure. Le Prophète se rendit auprès d'eux à
Mina, où ils s'étaient arrêtés, leur présenta Tislamisme et leur
récita le Coran, ils Tentendirent avec plaisir et ci*urent en lui,
et il leur enseigna une portion du Coran. Ensuite il leur de-
manda de le recevoir et de Temmener avec eux à Médine. Ils
répondirent : 0 apôtre de Dieu, les habitants de Médine for-
ment deux tribus : les Aus et les Khazradj. Nous sommes tous
de la tribu de Khazradj , qui est en hostilité avec les Aus. Nous
allons retourner à Médine et parier à nos compatriotes de
loi et de ta religion, apaiser les différends qui existent entre
eux; ensuite nous reviendrons une autre année pour f avertir;
tu viendras avec nous, et tu seras plus honoré. Ces hommes
partirent, et le Prophète resta à la Mecque. Personne n eut
connaissance de ce fait.
De retour à Médine, ces six personnes parièrent aux gens
des tribus d'Aus et de Khazradj , leur exposèrent la religion
musulmane et leur récitèrent ce qu'elles avaient appris du
Coran, et leur dirent : Ce Mo^hammed est ce prophète dont
le nom est constamment dans la bouche des Juifs, en qui
ils ont cru, et en qui ils espèrent. S'ils entendent parler de
lui, ils l'emmèneront. Prévenez-les, en l'amenant au milieu
de vous. Cette religion, le Coran et les paroles du Prophète
firent une bonne impression sur les habitants de Médine, et
un grand nombre d'entre eux se convertirent. Il y eut peu
de maisons à Médine où l'on n'apprit ces quelques versets du
Coran que les six personnes avaient retenus. Les habilanls de
Médine atlenilaienl avec impatience, cette année, le retour
àhO CHUONIQLE DE TABARI.
de répoquc du pèlerinage. Aloi*s ils se réunireui et désignè->
rent comme messagers les mômes personnes, au nombre de
six, en leur associant six autres personnes de4a tribu de Khax-
radj, dont \oici les noms : Mo^âds, fils de ^Hârilh ; ^Abbâs, fils
d'^Obâda; Aboul-Haïlham, fils de Tayyahân; Dsakwân, fils
d'^Abd-Qaïs; ^Obâda, fils de Çàmit; Yezîd, fils de Tha^laba. Us
les firent partir, en leur disant : Allez, prenez envers Mo^bam-
med rengagement et ramenez -le avec vous; car nous tous,
à Médine, nous nous sommes engagés envers lui, et nous
sommes à sa disposition, corps et biens.
Ces douze hommes arrivèrent à la Mecque, à fépoque du
pèlerinage, et s'arrêtèrent sur la colline ^Aqaba^ près de Mina.
Mo^hammed se rendit auprès d'eux. Lorsqu'ils le virent, ils
furent remplis de joie, lui témoignèrent de la dëférence et
lui transmirent les hommages des habitauts de Mddine. Le
Prophète en fut charmé; il reçut leur engagement sur leurs
corps et leurs biens, tant en leur propre nom qu'au nom
de leurs compatriotes. Ce serment est appelé le premier ser-
meîity parce qu'il y en eut un autre plus tard, ou serment des
femmes, parce qu'il n'y était pas question de la guerre qu^ib
promirent de soutenir avec le Prophète contre les habitants
de la Mecque. D'ailleurs cet autre serment contenait les mêmes
obligations que le serment des femmes, à savoir de n'adorer
que Dieu, de ne pas dérober, de ne pas tuer leurs filles, de ne
pas mentir, de ne pas désobéir au Prophète et de le proléger
comme leurs propres corps. Après avoir reçu cet engagement,
le Prophète forma le dessein de partir secrètement avec eux
pour Médine.
^4bbàs était connu parmi tous les Qoraïschites comme
l'homme le plus expérimenté et le plus pénétrant. Il avait
succédé à Abou-Tàlib dans le conimandement des Ooraï-
PARTIE H, CHAPITRE LXXVI. àà\
scbitcs, mais il étail sans ënergie. Son autorité ne s étendait
que sur les Beni-Hâscliim , comme celle d'Âbou-Tâlib, tandis
que la tribu d'Omayya reconnaissait comme chef Âbou-Sofyân,
fils de ^Harb, et la tribu de Makhzoum, Âbou-Djahl. Chaque
tribu avait son chef particulier. ^Abbâs n'était pas en état de
protéger le Prophète , quelle que fût Famitié qu il eût pour lui ;
mais son intelligence et son expérience lui étaient très-utiles,
et le Prophète le consultait en toutes choses et lui confiait ses
secrets. Mo^hammed vint donc le trouver et lui dit : 0 mon
oncle, je voudrais te confier un secret et te demander un
conseil ; garde-moi le secret. — Parle, mon fils, lui dit ^Abbâs.
Le Prophète dit : Tu sais combien d'injures et de violences
j'ai essuyées depuis la mort d'Âbou-Tâlib, et avec quelle pa-
tience je les ai supportées, ainsi que le mépris et les outrages
des Qoraïschites. A présent, je suis las de la Mecque. Depuis
plusieurs années, je ni étais présenté, à l'époque du pèleri-
nage, aux différentes tribus arabes, mais personne n'a cru en
moi ni en ma religion. J'avais désiré que quelqu'un d'entre
ces étrangers m'emmenât dans sa patrie, afin que j'y pusse
exercer ma religion. Mais je n'ai trouvé personne, si ce n'est
les habitants de Médine et du territoire de Yathrib, dont il
est venu, l'année dernière, six personnes, qui ont cru en moi.
Cette année, il en est venu douze hommes, qui se sont en-
gagés envers moi; ils m'invitent à aller avec eux, et je veux
les suivre. Qu'en penses-tu? ^Abbàs répliqua : Je ne veux pas
te refuser mon conseil. Je ne crois pas qu'il soit bon que lu
ailles à Médine avec douze personnes. Les habitants de Mé-
dine sont au nombre de dix à vingt mille, qui sont en \uiUi
entre eux; on ne peut pas, d'après le dire de douze personnes,
compter sur toute une ville renfermant une si grande po-
pulation. Aujourd'hui tu es dans ta ville natale, au milieu de
àà2 CHRONIQUE DE TABARl.
la tribu et de tes compatriotes. Si dix personnes te. disent
des choses désagréables, deux autres te parlent avec bonté.
Mais si tu vas dans cette vilie-Ià et que Ton ne t'y reçoive pas
comme protégé y tu t'y trouveras étranger, sans assistance et
sans parents, et tu ne pourras plus revenir à la Mecque. Je
crois donc convenable que tu y envoies quelqu'un des tiens
sur lequel tu puisses compter, pour te remplacer et appeler
les gens à ta religion. S'ils croient, alors tu pourras partir,
ayant lieu de penser qu'un plus grand nombre croiront en
toi. Mais s'ils ne croient pas, au moins n'auras-tu pas été
séparé de ta tribu et exilé à l'étranger. Après avoir entendu
ces paroles, le Prophète dit à ^Abbàs, en l'embrassant : rrQue
Dieu te récompense pour ton bon conseil ! t?
Mo^hammed fit partir pour Médine, avec les douze messa-
gers , Moç^ab , fils d'^Omaïr, fils de Hâschim , fils d'^Abd-Manàf ,
qui savait tout ce qui avait été révélé jusqu'alors du Coran,
et qui avait a|)pris les cérémonies religieuses de l'islamisme.
Le Prophète le chargea d'appeler les habitants de Médine
à l'islamisme et de leur enseigner le Coran. iMoç^ab, arrivé
à Médine, se logea dans la maison d'As^ad, fils de Zoràra.
Le lendemain, les habitants de Médine vinrent le trouver;
Moç^ab les appela à la religion du Prophète et leur récita
tout ce qu'il savait du Coran. Tous ceux qui l'entendirent de-
vinrent croyants. As'ad conduisait Moç'ab, chaque jour, dans
quelque enclos, où les hommes venaient pour entendre ses
discours, et où ils adoptaient l'islamisme.
A Médine, chaque enclos est nommé d'après la tribu qui
a l'habitude de s'y réunir. As^ad choisissait chaque jour un
nouvel enclos pour Moç^ab. Le plus grand de tous était celui
des Beni-^Abdou'1-Aschhàl, où se réunissait le plus grand
nombre de personnes. Le chef de cette tribu était Sa*d, fils
PARTIE H, CHAPITRE LXXVf. hà'S
de Mo'âds, (ils de No^inàii, fils d'Iinroul-Qaïs, qui était à
la tête de la ville de Mëdioe. 11 était cousin d'As'ad, fils de
Zorara, du côté de sa mère. Sa^d dit à un homme nommé
Osaïd, fils de 'Hodhaïr, Tun des principaux chefs de Médine:
Va Irouver As^ad et dis-lui que, s'il n'y avait pas de liens de
parenté entre nous, je le ferais mourir à Tinstant même. Dis-
lui qu il fasse sortir de notre enclos cet homme, car nous
ne sommes pas partisans de la religion nouvelle qu'ils ont
apportée à Médine; et que, s'il ne s'en va pas, j'irai moi-
même et je lui oterai la vie ainsi qu'à cet homme.
Osaïd prit une pique et se rendit auprès d'As^ad, qu'il
trouva en compagnie de Moç^ab. Il lui transmit le message
de Sa*d, puis il ajouta de lui-même : Si Sa*d ne le fait pas,
je le ferai, moil Allons, quittez à l'instant cet enclos. As^ad
lur dit : Nous ne nous y opposons pas; si vous le désirez, nous
nous en irons; mais viens, assieds-toi et écoute ce que dit
cet homme et ce qu'il veut. — Tu as raison, dit Osaïd. Alors
Moç^ab se mit à réciter le Coran. Osaïd en fut charmé et dit :
Que faut-il dire et faire pour entrer dans cette religion? —
Se baigner la tête et le corps, répondit Moç^ab, se repentir
des péchés que l'on a commis, et faire la profession de foi :
ffJe déclare qu'il n'y a pas d'autre dieu qu'Allah, et je dé-
clare que Mo^hammed est le prophète d'Allah, n Osaïd se leva ,
se purifia, se repentit de ses péchés et prononça la formule
de foi entre les mains de Moç^ab. Ensuite il dit à As^ad : Tu
sais quelle est la position élevée de Sa^d, fils de Mo^àds. Je
vais aller et faire en sorte qu'il vienne te trouver. Peut-être,
en entendant, lui aussi, ces paroles, en sera-t-il charmé et
deviendra-t-il croyant.
Osaïd vint auprès de Sa^d, qui lui demanda ce qu'il avait
dit et fait. Osaïd répondit : J'ai trouvé As^ad et cet homme
àhà CHRONIQUE DE TABARl.
eiilourés de beaucoup de personnes. J'ai crainl que celles-ci ,
en apprenant tes paroles, ne les tuassent à Tinstant même.
Sa^d dit : Je ne veux pas que Ton tue quelqu'un dans mon
enclos; ina propriété est à moi. Il se leva, prit la pique
d'Osaïd et vint trouver As^ad, qui était assis auprès de
Moç'ab et au milieu d'une foule de gens. En voyant SaM, ils
se levèrent. SaM dit à As^ad : Fais sortir cet homme de cet
enclos paisiblement, afin d'éviter, lui et toi, la mort. Si je
ne prenais pas en considération notre parenté, je te frappe-
rais. As^ad répliqua : En elTet, nous allons partir d'ici. Mais
quel mal y aurait-il si tu écoutais un peu? SaM dit : Parle.
Moç^ab récita la surate N'avonsiwus pas ouvert? (Sur. xciv.)
SaM la trouva très-belle, il s'assit et dit : Répète-la. Moç^ab
la récita une seconde fois, et SaM y trouva le plus grand
plaisir. Il devint croyant et adopta la foi musulmane. Ensuite
il s'en retourna , convoqua les hommes de la tribu des Beni-
Aschhal et leur dit : Que suis-je pour vous? — Tu es, répon-
dirent-ils, un homme distingué, respecté et sûr, et tu es
notre chef. SaM dit : J'ai embrassé cette religion, et je ne
l'aurais pas fait si elle n'était pas véritable. Je cesse toute
relation avec tous ceux qui n'embrasseront pas cette religion.
Le jour même, tous les Benî-^Abdou'1-Asclihal, sans excep-
tion, devinrent croyants. As^ad continua alors d'introduire
Moç^ab dans tous les lieux de réunion des dilTérentes tribus; et
bientôt il n y eut pas une seule tribu à Médine dont plusieurs
membres ne fussent crevants, sauf celle des Aus. Ceux-ci,
moins nombreux que les Khazradj, se croyaient cependant
supérieurs aux autres, et s'appelaient Aus-Monât, Ils avaient
pour chef Abou-Qaïs, fils d'AI-Aslat, qui était poëte, et qui
détourna de l'islamisme les gens de sa tribu, en leur disant :
Les discours que débite cet honnne sont beaux, mais je vais
PARTIE II, CHAPITRE LXXVI. hàb
vous récilcr des vers |)lii8 beaux encore. Il n'y eut des croyanLs
dans celle tribu qu'après Tarrivéc du Prophète à iMédinc,
après une résidence d'un an ou deux dans cette ville, après
les combats de Bedr, d'O'hod et la guerre du Fossé. Trois ou
quatre ans après, les hommes de cette tribu furent croyants
comme les autres, firent la prière et récitèrent le Coran.
Au bout de cette année, Moç^ab retourna à la Mecque, pour
rendre compte au Prophète de ces événements. Soixante et
dix personnes des chefs et des principaux habitants de Médine,
tels que [Berà,] fils de MaVour, ^Abdallah, fils d'^Amrou,
Abou-Djâbir, et Djâbir, fils d'^'Vbdallah, et les autres chefs
qui étaient devenus croyants, accompagnèrent Moç^ab, afin
de ramener avec eux le Prophète. Les douze personnes qui
avaient prêté serment à Mo^hammed lors du pèlerinage
avaient fixé un rendez-vous oii elles se réuniraient avec lui,
à *Aqaba, pour lui prôter serment [de nouveau] et pour l'em-
mener à Médine. Le Prophète en parla à *Abbâs, qui dit :
J'irai avec toi, et verrai ces hommes.
La nuit du rendez -vous étant arrivée, les soixante et dix
hommes de Médine se réunirent sur la colline d^Aqaba;
'Abbâs et le Prophète s'y rendirent de leur côté. ^Abbas adhé-
rait encore à la religion des Qoraïschites ; mais il voulut
confier lui-même le Prophète entre leurs mains. Lorsqu'ils
parurent au haut de la colline, tous les hommes se levèrent
et leur témoignèrent du respect. Le Prophète prit le pre-
mier la parole, et leur exposa les dogmes de sa religion. Ils
répliquèrent : Nous avons accepté cette foi, et nous sommes
venus pour t'cmmener avec nous, afin que tu y sois à ton aise,
et que nous ayons le plaisir de t'avoir. Le Prophète leur fit
prêter le même serment qu'il avait reçu des douze, en y in-
troïluisant seulemenl l'obligation pour eux de combaHre ses
446 CHRONIQUE DE TABARl.
ennemis, de le protéger comme eux-mêmes, et de sacrilier
leurs corps et leurs biens, jusqu'à ce que la religion soit ré-
pandue partout. Ils acceptèrent toutes les clauses de ce ser-
ment, qui est appelé serment de la guerre ou second serment.
Puis le Prophète tendit la main pour recevoir rengagement,
et le premier qui mit sa main dans celle de Mo^hamnied fut
Berà, fils de Ma'rour, d'autres disent As'ad, fils de Zorâra;
d'autres encore, Abou'l-Haïtham, fils de Tayyahàn. Tous, au
nombre de soixante et dix, prêtèrent le serment.
Ensuite ^Abbâs, fils d'^Abdou'l-Mottalib, prit la parole et
dit : 0 hommes d'Aus et de Khazradj, vous êtes tous des
hommes notables et d'un rang élevé. Vous êtes venus ici ,
supportant des fatigues, et moi je suis venu pour bien établir
nos conventions. Il est vrai que je ne suis pas partisan de la
religion de Mo'hammed ; mais il est le fils de mon frère, mon
enfant, ma chair et mon sang. Sachez que MoMiammed est, à
la Mecque, au milieu de ses compatriotes, bien à son aise;
personne n'ose le loucher; car de toutes les tribus celle des
Benî-Hâschim est la plus puissante. Mais il a détourné son
cœur des Qoraïschites et désire se rendre au milieu de vous.
Aujourd'hui, les Qoraïschites le respcclent; mais demain,
quand il les aura quittés et qu'il aura rompu tout lien avec
eux, ils se sentiront humiliés, et une guerre sanglante éclatera
entre eux et lui. Tous les Arabes du monde se joindront aux
Qoraïschites et seront avec eux; ils tireront leurs épées et
se tourneront contre vous. Si alors vous deviez abandonner
Mo^hammed, ii vaudrait mieux le laisser aujourd'hui au milieu
de ses compatriotes. Les soixante et dix hommes de Médine
acceptèrent ces paroles et renouvelèrent leur serment, en
engageant de nouveau leur vie. Ils dirent à 'Abbas : Nous
l'avons reçu d'ahoi*d de Dieu, maintenant nous le recevons
PARTIE II, CHAPITRE LWVf. 447
de tes mains. Nous sacrifierons noire sang et nos biens pour
Dieu et son prophète; nous en prenons pour témoin d'abord
Dieu, ensuite toi, qui es Tonde du Prophète.
Ensuite le Prophète parla ainsi : Vous n'avez ici pour ga-
rant que Dieu. Désignez parmi vous des mandataires {nâqî-
bân) qui s'engagent pour vous. Alors douze hommes d'entre
les soixante et dix furent désignées, neuf d'entre les Khazradj
et trois d'entre les Aus. Voilà nos chefs, dirent-ils; tous les
habitants de Médine obéissent à leurs ordres; voilà nos man-
dataires. Ceux-ci affirmèrent de nouveau par serment qu'eux
et tous les hommes présents, comme tous les habitants de
Médine, étaient d'accord. Ils ajoutèrent : Nous allons envoyer
un messager, afin que tous les habitants de notre ville vien-
nent avec leurs armes; tu n'y trouveras aucun adversaire; et
s'il y a quelqu'un qui te fasse opposition, nous le tuerons im-
médiatement. Le Prophète fut très-heureux et les remercia.
Ensuite il dit à Mbbâs : 0 mon oncle, j'espère que Dieu con-
duira à bien celte affaire, et propagera ma religion parmi
ces gens; car ces chefs et naqîb qui ont fait acte d'accepta-
tion sont au nombre de douze, comme étaient les disciples
de Jésus, par lesquels Dieu a répandu la religion de Jésus
dans le monde entier.
Abou'l-Haïtham, fils de Tayyahân, était l'un des naqîb de
la tribu d'Aus; mais c'était un des principaux d'entre eux; il
était un allié des Benî-^Abdou'1-Aschhal. Il dit à ^Abbâs :
0 homme excellent, il reste quelque chose à dire que per-
sonne n'a encore dit et que je ne peux pas passer sous silence.
— Parle, lui dit ^Abbàs. L'autre reprit : Toutes les condi-
tions que l'apôlre de Dieu nous a posées ont été acceptées
par nous; nous y avons mis comme prix nos existences. Nous
aussi, nous avons une condition h poser. — Ouelle est-elle?
448 CHRONIQUE DE TABARI.
demanda ^\bbàs. Abou'I-HaîthaDi répandit : Il existe depuis
longtemps, du temps de nos pères, entre nous et les QoraF-
schiles et tous les Araf>es du désert des relations d^amitié.
Nous acceptons toutes ces obligations, et nous défendrons le
Prophète. En faisant cela , nous aurons pour ennemis tous
ces hommes, et le fléau de la guerre éclatera entre nous et les
Qoraïschites et les Arabes. Il ne faudra pas que, lorsque le
Prophète aura triomphé, qu'il aura le pouvoir et qu'il régnera
sur tous les Arabes, il forme le désir de retourner dans sa
patrie, et qu'il revienne à la Mecque, au milieu de ses com-
patriotes, en nous abandonnant en butte aux hostilités des
Arabes. Le Prophète dit : Je suis un des vôtres, je veux vivre
et mourir parmi vous. Ces paroles leur causèrent une grande
joie. Ensuite ils se dispersèrent. Le lendemain, ils se dispo-
sèrent au départ.
Le bruit s'était répandu à la Mecque que les gens de
Médine avaient pris un engagement avec Mo^hammed. Les
Mecquois se réunirent et expédièrent aux soixante et dix un
message ainsi conçu : Nous avons entendu dire que vous vou-
lez emmener avec vous Mo^hammed à Médine, et que vous
vous êtes engagés envers lui à nous faire la guerre. Quoique
nous soyons en état de vous résister, nous éprouverions de la
peine à combattre contre vous; car vous êtes nos voisins. Les
gens de Médine répondirent par des dénégations, en disant
qu'ils n'avaient de cela aucune connaissance. Los messagers
rapportèrent cette réponse aux Mecquois.
L'un des naqtb de Médine, ^Abbâs, fds d"Obâda, fds de
Nadhia, remarqua aux pieds de l'un des grands personnages
de la Mecque, ^Hârith, fils de Hischâm, fils de Moghaïra
al-Makhzoumi, frère d'Abou-Djahl, une paire de souliers
fort beaux. 'Abbàs dit en plaisantant à l'un des Anrâr, Djâ-
PARTIE II, CHAPITRE LXXVI. 449
bir, fils d'^Abdallah : Tu es Tun des plus grands personnages
de Médine, mais tu n'as pas à tes pieds de si beaux souliers
que/Hârith. Celui-ci, ayant entendu ces paroles, ôta ses sou-
liers, les jefa à ^Abbâs, et s'en alla pieds nus. Djâbir dit à
^Abbâs : Il n est pas convenable qu'un homme considérable
aille nu-pieds; il faut courir après lui et lui rendre ses sou-
liers. ^Abbâs répliqua : Je ne les lui rendrai pas; j'en tire un
présage : si Dieu fait réussir notre pacte, nous enlèverons
aux Mecquois tous leurs biens, comme je viens d'enlever ces
souliers.
Outre les soixante et dix, beaucoup d'autres pèlerins de
Médine étaient venus à la Mecque, avec un chef, qui était
l'homme le plus considérable de Médine. Celui-ci n'était pas
informé de l'alliance entre les gens de Médine et Mo^hammed.
Les habitants de la Mecque se rendirent auprès de lui et l'in-
terrogèrent. Il répondit : Je n'en ai aucune connaissance; ces
hommes n'oseraient pas faire une telle chose sans moi. Les
Mecquois se fièrent à ces paroles.
Ensuite, le Prophète partit avec ces hommes et arriva à
Médine.
Mo^hammed ben-Djarir rapporte un fait qui est fort peu
croyable. II dit : Lorsque Mo^hammed arriva à Médine, 11 fit
construire une mosquée sur l'emplacement d'un verger de dat-
tiers et d'un cimetière, qu'il avait achetés. Il fit arracher les
arbres et retirer les cadavres de leurs tombeaux, ensuite il y
fit bâtir. Mais cela ne peut pas être; c'est un fait inouï, et il
ne faut pas croire une telle chose du Prophète. Quoique ces
morts fussent des infidèles, un lieu d'adoration n'a cepen-
dant pas assez d'importance pour qu'on arrache des morts de
leurs tombeaux et pour qu'on détruise un champ cultivé. Les
hommes intelligents rejettent un tel fait.
II. 90
450 CHRONIQUE DE TABARf.
On raconte aussi que, lorsque le Prophète voulut se rendre
à Médine, il vint d'abord avec Abou-Bekr dans une caverne,
et que c'est de là qu'il partit pour Médine, accompagne seu-
lement d'Aboo-Bekr.
CHAPITRE LXXVII.
ARBlviE DC PROPHETE ET D'ABOU-BEKR À MEDINE.
On rapporte que, dans la première année de la Fuite,
le premier chez qui le Prophète se logea à Médine fut un
honune nommé Kolthoum. D'autres prétendent que ce fut
chez As^ad, fils de Zorâra, surnommé Abou-Omâma, appar-
tenant à la tribu des Naddjâr, et l'un des douze qui avaient
prêté le premier serment d'^Aqaba. As^ad, iils de Zorâra,
mourut, et les Bent-Naddjâr dirent à Mo^hammed : Ô apôtre
de Dieu, donne-nous un naqtb. Le Prophète répondit : Dési-
gnez vous-mêmes quelqu'un, car je suis un des vôtres, vous
êtes mes oncles. Encore aujourd'hui, les Benî-Naddjâr se
font gloire de cette parole. Mo^hammed les appela ses oncles ,
parce que sa mère Amina était la fille de Wahb, qui avait
épousé une femme des Beni-Naddjâr de Médine. Lorsque
Amiûa reçut son fils, âgé de cinq ans, des mains de ^Halîma,
elle l'emmena à Médine, pour le présenter à ses oncles, les
Beni-Naddjâr; ensuite, en le ramenant à la Mecque , elle mou-
rut, comme nous l'avons rapporté.
. Lorsque le Prophète vint à Médine, *Aïscha, qu'il avait
épousée deux ans auparavant à la Mecque, avait neuf ans.
Il ordonna à Abou-Bekr de faire venir sa famille à Médine.
Abou-Bekr fit parvenir à son fils 'Abdallah, à la Mecque,
l'ordre d'amener à Médine sa mère et ses sœurs 'Âïscha et
Esmâ Dsât en-Natâqaïn, femme de Zobaïr, fils d^Awwâm.
^
PARTIE 11, CHAPITHE LXXVII. 451
Quand Zobaïr arriva à Médine, sa femme Ësmâ était enceinte,
el 'Abdallah, fils de Zobaïr, naquit h Médine. Les juifs de Khaï-
bar prétendaient avoir jeté un sort sur tous les partisans de la
religion de Mo'kammed, tant sur ceux qui étaient venus de la
Mecque que sur ceux de Médine. Il ne leur nattra pas d'en-
fants, avaient-ils dit, ni mâles, ni femelles; et ils avaient fait
dire aux habitants de la Mecque : Soyez contents, nous avons
enrayé la descendance de Mo'hammed et de ses adhérents :
quand il mourra , sa race sera éteinte. Les Mecquois en furent
très-heureux, tandis que les compagnons du Prophète, étant
informés de cela, furent affligés. Mo'hammed leur dit : Ne vous
affligez^pas, car Dieu m'a donné la promesse que ma religion
durera jusqu'au jour de la résurrection ; vous aurez des enfants
et des descendants. Or, cette même année, naquit, parmi les
réfugiés, 'Abdallah , fils de Zobaïr, ce que les musulmans firent
valoir très-haut; car les paroles de Mo'hammed furent justifiées
parmi eux, tandis que les juifs reçurent un démenti. Dans cette
même année, le Prophète conduisit 'Aïscha dans sa maison.
'Âïscha a dit : Il y a sept points par lesquels je me dis-
tingue de toutes les femmes du Prophète, et qui font ma
gloire. C'est que, d'abord, Gabriel est venu trouver le Pro-
phète en empruntant ma figure. Ensuite, je n'avais que sept
ans lorsque la Prophète m'a épousée, et neuf ans lorsqu'il
m'a conduite dans sa maison. Troisièmement, il a eu en moi.
une vierge, personne ne m'ayant possédée, tandis que toutes
ses autres femmes avaient eu des époux avant lui. Quatriè-
mement, quand Gabriel venait lui apporter une révélation
pendant qu'il était couché avec une de ses femmes, le Pro-
phète sortait, se purifiait en versant de l'eau sur sa tête, et
écoutait ensuite la parole de Dieu; tandis que, quand Gabriel
venait pendant qu'il était couché avec moi, il ne me quittait
452 CHRONIQUE DE TABARI.
pas, el écoulait la révélation, tout eu restant auprès de moi.
Aussi a-t-il dit que de toutes les femmes celle qui lui était la
plus chère était ^Aïscha, et le plus cher de tous les hommes,
le père d'^Âïscha, Abou-Bekr. Cinquièmement, lorsque 'Abd-
allah, fils d'Obayy et les hypocrites m'avaient calomniée*
Dieu a révélé pour ma justification quinze versets du Coran,
que Ton récitera jusqu'au jour de la résurrection. Sixième-
ment, moi seule, de toutes les femmes du Prophète, j ai vu
Gabriel, qu'aucune autre personne na vu. Septièmement,
c'est dans ma demeure que le Prophète est mort; c*est là
qu'il était venu lorsqu'il tomba malade. Ces distinctions, dont
s'est glorifiée 'Aïscha, ne sont pas contredites par d'autres
traditions, sauf en ce qu'elle dit de Gabriel, qui serait venu
trouver le Prophète sous la forme d'^Âïscha. Il y a, à cet
^ardy un désaccord que Mo'hammed ben-Djarîr n'a pas
mentionné. Cependant il est dit dans d'autres traditions que
Gabriel est venu trouver le Prophète sous la forme de DiMiya
le Kclbite, qui était le plus bel homme parmi les Arabes.
Dans cette même année, Dieu ordonna la prière de quatre
rak^at (inclinations) , tandis que, à l'origine, à la Mecque , elle
ne fut que de deux rak^aU Dans l'année même de l'arrivée
du Prophète à Médine, Dieu ordonna pour la première et la
deuxième prière, et pour la prière du coucher, quatre rak'aty
et deux pour la prière du matin et celle du voyage, comme
à l'origine.
CHAPITRE LXXVIII.
LE PROPHÈTE FIXE L^ANNis BT LE MOIS DE L'EBE DE L'HEGIME.
Dans l'année même de la Fuite, le Prophète ordonna de
dater les lettres et les actes à partir de cette année-là, comme
PARTIE il, CHAPITRE LXXVIII. 453
poiul (le départ d'une ère. L'usage de compter le3 années à
partir d'une ère est très-ancien chez les Arabes et chez les Per-
sans, comme chez toutes les nations dans toutes les contrées.
Quand il se passait un événement, comme par exemple Tavé*
nement d'un roi ou une guerre entreprise par un roi, ou une
famine, ou quelque autre fait important, dont la renommée
s'était répandue dans le monde, on le prenait comme point de
départ d'une ère, et l'on datait les lettres et les actes, tel jour,
tel mois et telle et telle année depuis tel grand événement,
qui servait d'ère. Puis, s'il se passait un autre fait important,
on comptait à partir de ce dernier fait, en abandonnant le
précédent. Tel était l'usage des habitants de la terre. Cette
manière de compter est très-ancienne, parce qu'il est absolu-
ment nécessaire de connaître l'époque où chaque écrit a été
fait. Or on ne connaît pas exactement l'espace de temps qui
s'est écoulé depuis que Dieu a créé le monde. On avait établi
un comput depuis l'apparition d'Adam sur la terre jusqu'à sa
mort, ensuite depuis le déluge de Noé; car ce sont des évé-
nements importants dans le monde. On aurait bien pu comp-
ter à partir de cette époque; mais on ne sait pas exactement
depuis combien de temps ces événements ont eu lieu; il y a
désaccord sur chacun d'eux. Par conséquent, il est nécessaire
pour tous les hommes et tous les peuples de prendre comme
point de départ d'une ère quelque grand événement qui s'est
passé parmi eux. On dit que les descendants d'Abraham comp-
taient les années à partir de l'époque où il fut jeté dans le
feu. Plus tard, parmi les Arabes, chaque événement important
survenu parmi eux servait de point de départ d'une ère. Or,
au temps de Qoçayy, (ils de Kclâb, il survint, parmi les Béni-
Nezâr et les Bcnf-Ma^add ben-*Adnân, un événement mémo-
rable. 11 y avait, à cette époque, chaque année, à un endroit
454 CHRONIQUE DE TABARI.
nomme ^Okâzh, une foire de sept jours, où se réunissaient
tous les Arabes du ^Hedjâz, de Syrie , du désert, du BaMiraïn ,
du YemÂma, du Yemen et de toutes les autres contrées. Une
certaine année, lora de cette réunion, il éclata une guerre
parmi oui, dans laquelle un grand nombre d'hommes furent
tués. C'était un événement important, dont le bruit s'était ré-
pandu dans le monde entier, jusque dans le pays de Rouni ,
dans la Perse et dans la Mésopotamie. Les Arabes donnaient
à cette année le nom de ^(}m, et comptaient à partir de cette
année. Plus tard, ce fut Tannée de TÉléphant qui servit de
point de départ d'une ère. Les Abyssins ayant amené d'Abys*
ainie un éléphant pour détruire le temple de la Ka^ba, Dieu
les avait fait périr. C'était également un événement impor-
tant, dont le bruit s'était répandu dans le monde entier. Puis,
' lorsque le Prophète eut atteint l'âge de quinze ans, et que les
habitants de la Mecque entreprirent de démolir et de reconsr
bruire le temple de la Ka^ba, cet événement, également impor-
tant, servit de point de départ d'une ère parmi les habitants
de la Mecque, tandis que les autres Arabes continuaient de
compter à partir de l'année de TÉléphant.
Lorsque le Prophète vint à Médine, il ordonna de compter
ie temps a partir du jour de la fuite, parce que cet événe-
ment était important, et que ce jour l'islamisme se manifesta.
Ce jour est devenu mémorable, et cette ère est restée jusqu'à
aujourd'hui; car, depuis lors, aucun événement plus impor-
tant ne s'est passé, pour motiver un changement d'ère, et il
n'arrivera jamais qu'elle soit changée.
Mo^hammed ben-Djarir, dan» cet ouvrage, dit que, d'après
une tradition, ce n'est pas le Prophète lui-même qui établit
cette ère; que, du temps du Prophète, on ne comptait pas les
années, et que cette ère fut établie après lui. Ouelques-uns
PABTIE II, CHAPITRE LXXVIII. 455
prélendent qu*elle fut fixée du temps d*Abou-Bekr, par son
lieutenant dans le Yemen, nomme YaUa, fils d'Omayya. D'au-
tres disent qu elle a été établie par ^Omar, fils d'Al-Kbattâb,
dans les circonstances suivantes : Abou-Mousa al-Asch^arf
lui écrivit un jour que les lettres du prince des croyants Iqi
arrivant toujours sans être datées, il ne savait pas à quelle
époque remontaient ses ordres , et , pour qu il le sût , il faudrait
dater les lettres. ^Omar, trouvant qu Abou-Mousa avait raison ,
établit alors Tannée de la Fuite. Mo^hammed ben-Djarir rap*
porte une autre version , d'après laquelle le fait se serait passé
ainsi : Un jour, ^Omar lisant un écrit où la date était mar-
quée, on lui fit observer que c'était l'usage des Perses de dire :
tel jour de tel mois, en telle année depuis l'année où tel
événement mémorable s'est passé. ^Omar, trouvant cette cou-
tume trës-bonne, réunit tous les compagnons du Prophète
et leur dit : Nous allons compter nos années à partir de Tan-
née de la naissance du Prophète, car il n'y en a pas de plus
sacrée pour les musulmans. Quelques-uns répliquèrent :
Comptons à partir de Tannée où il reçut sa mission prophé-
tique, qui est plus sacrée; car c'est le moment de Torigine et
de l'apparition de l'islamisme. ^Omar dit : Comptons à partir
du jour où le Prophète effectua sa fuite à Médine; car en
cette année se manifesta le pouvoir de Tislamisme, la vérité
s'affermit et Terreur fut confondue; aucun fait plus important
que celui-là n'est survenu dans le monde. Par conséquent.
Tannée de la Fuite fut établie comme ère.
Les traditionnistes et les chronologistes regardent avec rai-
son la première version comme plus vraie. En effet, une ère
est une chose généralement connue, qui ne peut être ignorée,
par personne , et ^Omar eu connaissait l'usage. 11 est constant,
d'après des traditions avérées, que les Arabes comptaient au-
456 CHRONIQUE DE TABARl.
ciennenient à partir de Tannée de TEléphaut cl à partir de
la reconstruction de la Ka^ba. 11. n est donc pas possible que
le Prophète ait négligé cet usage, et qu ^Omar ait dâ en élre
informé, pour rétablir. On rapporte une parole du Prophète ,
que nous allons transcrire, quoiqu'elle ne se trouve pas dans
cet ouvrage [de Tabari] , qui est inexact en ce qui concerne
rétablissement de Tère de THégire. Le Prophète a dit : «r Certes ,
le temps est revenu en sa révolution au jour où furent crées
les cieux et la terre. L'année se compose de douze mois , et
tbaque mois a trente jours. Quatre de ces mois sont sacrés :
redjeb et trois autres consécutifs : dsou 1-qaMa , dsou'1-^hid-
dja et mo^harrem.7) La raison de cette parole était que les
Arabes rejetaient chaque année Tun des douze mois, en di-
sant, au mois de redjeb, quils s'abstiendraient pendant ce
mois de faire la guerre, et qu'ils ne compteraient cette année
que de onze mois. Quelquefois ils déclaraient qu'ils feraient la
guerre pendant ce mois, et, la guerre terminée, ils tiendraient
pour sacré à sa place le mois de scha^bân ou de ramadhân.
Us appelaient ces mois nwaà\ au singulier naB\\ c'est-à-dire
retard, parce qu'ils transportaient la sainteté du mois de re-
djeb au mois de ramadhân ou à un autre mois. Or, une certaine
année, ils avaient observé la sainteté du mois de redjeb, et
n'avaient pas fait la déclaration relative à la guerre ; et , Tannée
suivante. Dieu révéla ce verset : «rLe nasi (retard) est un sur-
croît d'infidélité, 10 etc. (Sur. ix, vers. 87.) Ensuite Dieu or-
donna au Prophète de porter de nouveau Tannée à douze mois ,
comme il est dit dans le Coran: rrLe nombre des mois est de
douze devant Dieu,^) etc. (Sur. ix, vers. 36.) Donc ces ma-
nières de compter le temps ont été révélées d'en haut. Depuis
qu'il y a des hommes sur la terre , ils en ont eu besoin , et quant
aux grandes époques, ils les comptaient à partir d'une année
PARTIE II, CHAPITRE LXXIX. 457
où il était survenu un événement important. Puisque le Pro-
phète réglait Tannée et les mois, comment aurait-il pu négli-
ger rère? La version de Mo^hammed ben-Djarir est d'ailleurs
contestée par les savants. La véritable ère a été établie par le
Prophète; elle subsiste encore aujourd'hui, parce que depuis
la fuite il ne s^est point passé d'événement plus important,
pour que cette ère ait dû être changée.
J'ai vu à Baghdâd quelques Schi^ites qui me disaient qu'ils
comptaient les années à partir du meurtre de ^Hosaïn, Gis
d'^Alî, parce que c'était un grave événement, où le sang de
'Hosaïn fut versé sur la terre. Cette ère aussi s'explique par
le fait que les hommes prennent toujours pour point de dé-
part de leurs computs quelque événement important qui s'est
passé au milieu d'eux. Ainsi encore, j'ai entendu dire à Bagh-
dâd qu'en Syrie, aux environs de Damas, il y a des adver-
saires d'^Ali, des gens orthodoxes, qui ont un extrême atta-
chement pour Mo^awiya, et qui comptent, non à parlir de
l'Hégire, mais à paitir du jour de la mort de Mo^awiya.
Le Prophète a donc établi l'ère de la Fuite, parce que la
fuite est un événement important pour les musulmans; et
depuis lors aucun autre événement plus important n'est sur-
venu. C'est pour cette raison que les musulmans suivent l'ère
de la Fuite. Les mages ont une ère qui commence à l'année
où fut tué Yezdedjerd, fils de Schehryâr.
CHAPITRE LXXIX.
FUITE DU PROPHÈTE AVEC ABOU-BBXR, DIAPRES UNE AUTRE
VERSION.
On rapporte sur ia fuite du Prophète une autre tradition y
458 CHRONIQUE DE TABARl.
d'après laquelle cette fuite aurait eu lieu dans les circous-
tances suivantes :
Après la mort d'Abou-Tâlib, oncle du Prophète, celui-ci
fut en butte aux violences et aux outrages des infidèles » qui
enfin résolurent de le mettre à mort A cet effet , Walîd, fila de
Moghaïra ; Sofyân , fils d'Omayya ; Abou-Djahl , fils de Hischâm »
et Abou-Sofyân , fils de ^Harb, se réunirent en secret pour déli-
bérer de quelle manière ils feraient périr Mo^hammed, qui,
disaient-ils, nous insulte, nous et nos divinités, et qui veut
nous empêcher d'adorer les idoles. Waltd, fib de Moghaïra,
dit : Enfermons-le dans une maison et laissons^le mourir de
faim et de soif. Abou-Djahl dit : Ceci n'est pas un bon avis;
car Mo^hammed a des parents à la Mecque, qui le recherche-
ront et qui, s'ils le trouvent, nous soupçonneront; alors il y
aura du sang versé entre nous et les Beni-Hâschim. Abou-
Sofyân, fils de 'Harb, dit : Il faut le placer sur une chamelle,
lui attacher fortement les mains et les pieds, et laisser courir
cette chamelle dans le désert; elle le portera vers une tribu
étrangère, où il tiendra aux gens ses discours, et ceux-là le
tueront Walîd, fils de Moghaïra, prit la parole et dit : Cet
avis n'est pas bon; car Mo^hammed est un homme dont la
parole est insinuante, douce et agréable; s'il tombe dans une
des tribus arabes, il séduira les gens, qui se concerteront et
viendront nous attaquer. Cela ne serait pas prudent. Ensuite
on demanda l'opinion d' Abou-Djahl. Celui-ci dit : Je pense
que nous devons choisir quarante hommes, pris dans toutes
les tribus, des hommes vigoureux, de trente à quarante ans,
que nous enverrons se poster à la porte de Mo'hammed. Ils le
guetteront à son passage; au moment où il sortira, le soir,
pour faire sa prière et pour faire les tournées autour du
temple, ils fondront sur lui avec leurs épées et le tueront.
PARTIE II, CHAPITRE LXXIX. A59
Quand les Beni-Hâschim apprendront sa mort, nous dirons
que, comme il a été Uxé par quarante hommes et que Ton ne
peut pas tuer quarante personnes pour le talion d'une seule,
nous consentons à payer le prix du sang, tel qu'ils le Cieront.
Ensuite nous répartirons entre nous cette somme, que nous
payerons. De cette façon nous serons débarrassés de toute
difficulté à son endroit. A ces paroles d'Abou-Djahl , Sofyân,
Gis d'Omayya, et les autres assistants dirent : C'est là un
excellent avis, ô Abou'l-^Hikam. On prétend aussi qu'à celte
délibération assistait Iblis, sous la figure d'un vieil ermite,
feignant de venir de Syrie. Interrogé sur ce qu'il pensait de
l'avis que venait d'émettre Abou-DjabI, il dit : C'est très-juste
et c'est un plan excellent
Alors Dieu envoya Gabriel pour avertir le Prophète, et lui
révéla le verset suivant, en lui disant : 0 Mo^hammed, récite
ce verset : ((Lorsque les infidèles complotent contre toi, pour
te saisir, te tuer ou le chasser. Dieu aussi complote contre
eux,v etc. (Sur. viii, vers. 3o.) Il ajouta : Va et sors de la
Mecque. Le Prophète se rendit chez Aboo-Bekr, qu'il informa
de ce qui se passait. Puis il dit à ^AH : Reste, cette nuit, dans
ma maison, et couche sur mon lit. ^Ali fit ainsi. Lorsque la
nuit fut un peu avancée, les [quarante] hommes vinrent se
placer près de la maison du Prophète, chacun dans un coin»
dans l'intention de tuer Mohammed, quand il sortirait, le ma-
tin, pour la prière. Mais, vers minuit, ils se dirent enti*e eux :
Allons, entrons dans sa maison pour le tuer; car il se pourrait
qu'au jour les Beni-Hâschim fussent avertis, et que, en nous
voyant, ils reconnussent que nous voulons tuer Mo'hammed.
Us se précipitèrent donc, tous ensemble, dans la maison du
Prophète. Ayant trouvé seulement ^Ali, qui était couché, ils fu-
rent désappointés; ils lui demandèrent où était Mo^hammed.
460 CHRONIQUE DE TABARI.
^Ali répondit qu il ne le savait pas. Il y avait parmi eux un
homme de la tribu de Makhzoum , nommé Sorâqa, fils de Ma-
lik» qui dit aux autres : Puisque nous sommes entrés ici, tuons
celui que nous avons trouvé, ensuite nous chercherons Mo^ham-
med. ^kU, entendant ces paroles, sauta de son lit, tira 8on
ëpée et se mit à les attaquer. Tous s'enfuirent; en s'en allant,
ils dirent : Nous sommes venus pour chercher Mo^hammed ,
qu'avons-nous à faire d'^Âli? ^Âli n'avait alors que dix-sept ans.
Dans la même nuit, le Prophète, accompagné d'Abou-
Bekr, se mit en route pour se rendre à Médine. Il y avait sur
la route une caverne. Le Prophète dit à Âbou-Bekr : Il faut
nous cacher quelque part, car ils viendront immédiatement
à ma poursuite. Ils entrèrent donc dans cette caverne, et Dieu
en cacha l'entrée par un buisson d'épines; d'après l'ordre de
Dieu, une araignée vint fixer sa toile sur l'entrée, et un pi-
geon vint y déposer ses œufs et y couva aussitôt ses petits.
Après avoir quitté la maison du Prophète, les infidèles
s'étaient dit que, le jour étant venu, il fallait aller à la re-
cherche de Mo^hammed. Ils engagèrent donc un guide con-
naissant bien la route de Médine, marchèrent sur les pas de
Mo^hammed, et arrivèrent à l'entrée de cette caverne. On pré-
tend aussi qu'Iblis était venu avec eux et leur servait de guide.
Alors, perdant de vue les traces de Mo^hammed et d' Abou-
Bekr, le guide dit : Je ne peux plus suivre leurs traces; ce-
pendant il fait grand jour, et je les ai bien suivies jusqu ici;
il faut qu'ils soient dans cetle fissure. Les autres lui dirent :
Idiot! cette fissure est couverte d'une toile d'araignée, et un
pigeon y a fait son nid et a couvé des petits; si quelqu'un y
était venu, cela ne serait pas ainsi. Mo^hammed et Abou-
Bekr, dans la caverne, entendirent les voix de ces hommes,
et purent aussi les voir. Abou-Bekr dit : 0 apôtre de Dieu,
PARTIE II, CHAPITRE LXXX. 461
les Qoraïschiles infidèles sonl arrivés, je crains qu ils ne nous
fassent périr. Le Prophète répliqua : Ne crains rien, car Dieu
est avec nous; cela est ainsi rapporté dans le Coran. (Sur. ix,
vers, /io.) Voyant Fiusuccès de leurs recherches , les hommes
de la Mecque s'en retournèrent. Le Prophète et Abou-Bekr
sortirent alors de la caverne, continuèrent leur route et arri-
vèrent à Médinc.
CHAPITRE LXXX.
AUTRE BiciT DE LA FUITE DU PBOPHBTE.
Lorsque les Mecquois surent que soixante et dix personnes
étaient venues de Médine et avaient fait un pacte avec Mo^ham-
med pour Temmener à Médine, ils dirent : Nous ne connais-
sons pas ce secret, et les Médinois sont partis! Le Prophète
ordonna a ses compagnons de partir un à un, ou deux à deux.
Lui-même resta jusqu'aux premiers jours du mois de rabf a
premier. Les Mecquois recherchèrent les musulmans; mais ils
ne les trouvèrent pas, car ceux-ci étaient partis. Alors Abou-
Djahl réunit les Qoraïschites et leur dit : Mo^hammed a fait
une alliance avec les gens de Médine , et i\ veut partir. Si nous
ne Ten empêchons pas, demain il aura acquis des forces et
nous fera périr. Ayant pris rendez-vous, ils se réunirent tous
le lendemain, et Iblis, sous la figure d'un vieillard couvert
du taïksâtiy vint assister à leur délibération. On émit toutes
sortes d'avis. On disait : Nous ne pouvons pas tuer Mo^ham-
med, parce que les membres de sa famille sont trop nom-
breux. Iblis fut également de cet avis. Ensuite on proposa de
chasser Mo^hammed de la ville. Iblis dit : Cela ne serait pas
prudent; car Mo^hammed a la parole insinuante, et partout
où il ira on l'accueillera. Il ajouta : Il ne reste qu'à le tuer, mais
^C,2 CHRONIQUE DE TABARI.
il faul agir de Icllc sorte que personne ne puisse s en prendre
à vous. Il faut faire venir des hommes de toutes les tribus
arabes, un homme de chaque tribu, avec ses armes, envahir
[sa maison] pendant la nuit, et le tuer, aCn que toutes les tri-
bus soient complices de sa mort, et les Beni-Hâschim ne pour-
ront pas tuer tous les Arabes. On convint d agir ainsi, et Ton fit
venir deux hommes de chaque tribu. Gabriel en avertit le Pro-
phète, en lui apportant ce verset : rr Lorsque les infidèles com>
plotent contre toi ,?) etc. Il ajouta : Pars demain pendant la nuit.
Il y avait entre les mains du Prophète de nombreux diSpâts
qui lui avaient éié confiés. Il appela ^Âli, fils d'Abou-Tâlib, et
lui dit : Je partirai pendant la nuit; toi, reste encore ici deux
ou trois jours, pour rendre aux hommes leurs dépôts. Quand
la nuit fut venue, le Prophète se rendit chex Abou-Bekr.
Celui-ci tenait prêtes pour la fuite deux chamelles. Il dit :
0 apôtre de Dieu, il y a, à une parasange d'ici, une mon-
tagne, dans laquelle se trouve une caverne; c'est là qu'il faut
aller. Mo^hammed dit : J'y irai à minuit; toi, tu partiras après
moi. Ensuite le Prophète rentra dans sa maison et dit h ^Mi :
Je partirai cette nuit; couche-toi a ma place et couvre-toi de
mon manteau, pour que les incrédules croient que je suis là.
Ne crains rien , ils ne pourront pas te tuer. Rends les dépôts
demain, et ensuite viens me rejoindre.
Abou-Djahl avait réuni les hommes des diiïércntes tribus,
qui, pendant la nuit, vinrent se cacher. Ils virent le Prophète
rentrer dans sa maison, et ils passèrent la nuit à sa porte,
tandis que lui se coucha à Tintérieur. Quand la nuit fut un
peu avancée, le Prophète se leva, fit coucher *Alî à sa place
et sortit de sa maison.
Abou-Bekr dit à sa fille Esmâ : Je vais avec Mo'hammed dans
la montagne; il se pourra que nous y restions deux ou trois
PARTIE II, CHAPITRE LXXX. 403
nuits; apporte-nous chaque nuil de la nourriture et des infor-
mations concernant les Qoraïschites. Abou-Bekr avait un af-
franchi abyssin, nommd ^Amir, auquel il conGa les deux cha-
melles, en lui recommandant de les leur amener le lundi.
Après avoir ainsi tout réglé, le Prophète et Abou-Bekr par-
tirent et entrèrent dans la caverne.
Quand le jour fut venu, et que les inGdèles, à la place du
Prophète, ne trouvèrent qu'^Alî, ils saisirent celui-ci et lui
demandèrent où était Mo^hammed. Qu^en sais-je? répondit
'Alt, il s'est enfui d'auprès de vous. Ils l'emmenèrent à la mos-
quée, et les Qoraïschites s'y rassemblèrent. Pendant quelque
temps, 'Ali fut maltraité; ensuite ils le laissèrent libre et se
rendirent à la porte d'Abou-Bekr, qu'ils ne trouvèrent pas.
Alors ils firent proclamer qu'ils donneraient cent chameaux
à poil roux à quiconque ramènerait Mo'hammed. On alla de
tous côtés; mais on ne découvrit aucune trace.
A la tombée de la nuit, Esmâ se rendit à la caverne et
porta à manger à Mo'hammed et à Abou-Bekr, et leur fit con-
naître les mouvements des Qoraïschites. Ils restèrent , comme
ils l'avaient dit d'avance, trois jours dans la caverne, jusqu'à
ce que les Qoraïschites eussent cessé leurs recherches. Alors
Abou-Bekr ordonna à Esmâ d'apporter, ce soir-là, une plus
grande quantité de vivres et de dire à 'Amir d'amener les cha-
meaux. La quatrième nuit, ils sortirent de' la caverne, mon-
tèrent sur les chameaux et prirent avec eux un guide pour les
conduire à Médine par un chemin détourné.
On raconte, au sujet d'Esmâ, fille d' Abou-Bekr, le fait sui-
vant, rapporté par elle-même en ces termes : Le Prophète
était parti avec Abou-Bekr, et la troisième nuit arriva, sans
qu'aucun de nous sût où ils étaient allés. Alors nous enten-
dîmes une voix qui sortait de dessous la Mecque, et qui chan-
466 CHRONIQUE DE TABARI.
tait. Nous lie vîmes personne, les hommes suivirent la voix, et
j^observai qu'elle s'éloignait vers les hauteurs au-dessus de la
ville. Voici ce qu'elle chantait :
Que Dieu récompense de la meilleure de ses r^mpenses les deux com-
pagnoDS qui se sont arrêtés dans la double lente d^Oumm-Ma'bad I
Ils partent tous les deux, le malin, bien dirigés. Heureux celui qui voyaf^
comme compagnon de Mo'hammed !
Esroâ dit : En entendant ces paroles, je reconnus qu'ils
tétaient partis pour Médine.
Le Prophète sortit de la Mecque le premier jour du mois
rabra premier; il fut trois jours dans la caverne et arriva le
douzième jour du mois à Mëdine. il s'arrêta à Qobâ , près de
Médine, et s'assit sur une éminence de terrain, dans l'ombre.
Les habitants de Médine, à la nouvelle de son arrivée, se ren-
dirent auprès de lui. Le Prophète arriva à Qobâ le lundi; le
vendredi il y fit la prière, après avoir prononcé le sermon.
Ensuite il monta sur son chameau. Tous voulurent saisir la
bride du chameau et dirent : Descends chez moi ! Le Prophète
dit : Posez la bride sur le cou du chameau, il sait lui-même où
il doit s'arrêter. Le chameau marcha jusqu'à l'endroit où est
aujourd'hui la mosquée. Là il se mit à genoux, et le Prophète
descendit. Ce terrain appartenait à deux orphelins, nommés
Sahl et Sohaïl. Le Prophète alla demeurer dans la maison
d'un homme nommé Khâlid, fils de Zaïd, surnommé Abou-
Ayyoub, qui avait une nombreuse famille et point de fortune.
Pendant qu'il conduisait le Prophète dans sa maison, chacun
en particulier invita Mo^hammed à venir demeurer chez lui ;
mais le Prophète dit : La place d'un homme est là où se
trouvent ses vêtements et ses bagages.
MoMiammed fit acheter le terrain [où son chameau s'était
PARTIE II, CHAPITRE LXXXI. 465
arrêté] pour y construire la mosquée, et il demeura dans la
maison d'Âbou-Ayyoub jusqu'à ce que la mosquée fût terminée.
On construisit une demeure pour le Prophète, tout à côté de
la mosquée.
En recevant le Prophète chez lui , Abou-Ayyoub disposa le
rez-de-chaussée de sa maison pour le Prophète, et lui-même
demeura sur la terrasse. On dit à Abou-Ayyoub : Cdmment
as-tu été hier? Il répondit : Comment peut se trouver un
homme qui a au-dessus de lui Dieu, et au-dessous de lui le
prophète de Dieu?
CHAPITRE LXXXI.
PREMIÈRES EXPEDITIONS DU PROPHETE.
Lorsque le Prophète eut quitté la Mecque, les inGdèles s'é-
crièrent : Nous en sommes débarrassés. Mais le Prophète ne
les laissa pas en repos. Dieu lui donna la liberté des entre-
prisés guerrières et lui ordonna de prench-e Toffensive. Quand
il arriva à Médine, il reçut le verset suivant : trTuez les infi-
dèles oii vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les,
mettez-vous en embuscade contre eux, 75 etc. (Sur. ix, vers. 5.)
Il reçut aussi le verset suivant : <tO prophète, combats les
infidèles et les hypocrites, traite-les sévèrement.?) (Sur. ix,
vers. 7&.) En révélant les versets qui ordonnaient la lutte,
Dieu abrogea ceux qui avaient recommandé aux croyants la
patience.
Mo^hammed , dans Tannée même de la fuite , expédia de Mé-
dine des détachements pour couper le chemin aux caravanes ,
qu'il fit enlever et dont il distribua les marchandises aux mu-
sulmans. Ces troupes s'avancèrent jusqu'à la Mecque. Personne
il. 3o
466 CHRONIQUE DE TABARI.
n'osait plus sortir de cette ville, et aucune caravane ne se
hasardait sur les chemins. Ces expéditions furent exécutées
tantôt par le Prophète personnellement , tantôt par ses troupes ,
compos(?es de Mohâdjir (réfugiés) et à'Ançâr (auxiliaires de Mé-
dine). Dans la deuxième année de Thégire eut lieu le combat
de Bedr.
Après avoir reçu Tautorisation de faire la guerre aux infi-
dèles et après la révélation du verset : irLa permission a été
donnée a ceux qui veulent combattre, à cause des violences
qu'ils ont essuyées, 75 etc. (sur. xxii, vers. Ao), le Prophète,
dans Tannée même de l'hégire, sept mois après cet événement,
au mois de ramadhân, fit partir ^Hamza avec trente cavaliers
des Mohâdjir. Ce fut la première armée musulmane qui partit
pour la guerre. Le Prophète , de sa propre main , attacha l'éten-
dard blanc, appelé liway et donna à ^Hamza les instructions
suivantes : Dirige-toi vers le bord de la mer; car une cara-
vane qoraïschite, venant de la Syrie et rapportant une grande
quantité de marchandises, y passera; peut-être pourras>tu t'en
emparer. ^Hamza se rendit a cet endroit; mais la cara>f^ne,
qui était conduite par Abou-Djahl avec trois cents cavaliers,
était déjà passée et était entrée dans un grand village, qui
se trouvait de ce côté. Le chef de ce village, qui renfermait
un grand nombre d'habitants, s'appelait Mo^hammed, Gis
d'^Amrou , le Djohaïnile; il était lié d'amitié avec Abou-Djafal
et avec ^Hamza. Il vint trouver ce dernier et lui parla ainsi :
Âbou-Djahl est dans ce village avec trois cents cavaliers; les
habitants sont disposés à le soutenir; il faut que, par égard
pour moi s tu t'en retournes. ^Hamza savait qu'il disait la vé-
rité, et il s'en retourna. Abou-Djahl conduisit la caravane à la
Mecque. Le porte-drapeau de ^Hamza, nommé Abou'l-Walîd ,
dit : Je ne veux pas rapporter le premier drapeau des musul-
PARTIE 11, CHAPITRE LXXXl. 467
mans sans avoir fait du bulin. ^Hamza répliqua : Fais-le,
car la paix est préférable ici à la guerre ; dans les circons-
tances actuelles, la retraite sans perte est une grande vic-
toire. Après cela, il se retira.
Ensuite, au mois de scbawwâl, le Prophète fut averti que
les infidèles étaient sur le point d'envoyer un détachement
pour marcher contre Médine. En conséquence, il mil^Obaida,
fils de 'Hârith, fils de Mottalib, à la tète de soixante hommes
des Mohâdjir, tous cavaliers, parmi lesquels il ne se trouvait
pas un seul des Ançâr. Le jour où Ahou-Djahl était rentré à
la Mecque, il avait averti les habitants que Mo^hammed avait
commencé les hostilités. Le lendemain , pour prévenir Mo-
^hammed, ils firent partir une troupe de deux cents hommes
sous les ordres d'^Ikrima, fils d'Abou-Djahl , pour tenter un
coup de main contre Médine. C'est contre cette troupe que le
Prophète envoya ^Obaïda avec soixante hommes, en lui remet-
tant Fétendard blanc, qui fut porté par Mista^h, fils d'Othâ-
tha, cousin d'Abou-Bekr. Les deux détachements se ren-
contrèrent près d'un puits nommé A^hyâ, qui contenait une
eau excellente et qui était situé entre la Mecque et Médine.
n y avait dans la troupe des infidèles deux musulmans, Fun
nommé Miqdâd, fils d'^Amrou, Tautre ^Olba, fils de Ghaza-
wân, qui étaient restés à la Mecque, n'ayant pas osé émigrer,
par crainte des infidèles. Lorsque la troupe d'^Ikrima partit,
ils s'étaient joints à elle, disant : Nous sommes avec vous,
nous vous aiderons. Mais leur intention était de s'enfuir et de
gagner Médine. Eu apercevant la troupe de Médine, 'Ikrima
disposa ses hommes pour le combat. ^Obaïda et les musul-
mans se rangèrent également en ordre de bataille. A ce mo-
ment, les deux hommes passèrent du c6té des musulmans.
Sa^d, fils d'Abou-Waqqâç, connu parmi les Arabes pour sou
3o.
AùS CHRONIQUE DE TABARI.
habilelë dans Tart de tirer de Tare, commença par lancer un
trail sur les ennemis. Ce fut le premier trait qui eût été lancé
par un musulman. Quoique aucun des ennemis n'eût été
atteint, ceux-ci, gagnés par la peur, s'enfuirent. ^Obaïda, sa-
chant qu'ils étaient nombreux, ne les poursuivit pas, mais
retourna à Médine. Quelques-uns prétendent que Texpédition
d'^Obaïda eut lieu avant celle de ^Hamza; elles eurent lieu
cependant à peu près à la même époque. Tune au mois de
ramadhân, l'autre au mois de schawwâl.
Lorsque *Obaïda revint, au mois de dsou'l-qaMa, le Pro-
phète fit partir SaM, fils d'Abou-Waqqâç, en lui remettant
Tétendard blanc, à la tête de vingt piétons desMohâdjir. L'é-
tendard fut porté par Miqdâd, fils d'^Amrou. Le Prophète dit
à Sa^d : Dirige-toi vers un endroit nommé Kharrâr, où doit
passer une caravane qoraïschite; peut-être pourras- tu l'en-
lever. Si vous ne la rencontrez pas et que vous ne puissiez
pas l'enlever, n'allez pas plus loin, mais revenez. Quand SaM
y arriva, la caravane était déjà passée depuis deux jours. Il ne
poursuivit pas sa course, conformément aux ordres du Pro-
phète, et s'en retourna.
CHAPITRE LXXXn.
EXPEDITION DE WADDAN ET D'ABWA.
Ce fut la première expédition que le Prophète entreprit
lui-même. Il en revint sans avoir combattu.
Au mois de çafar de la seconde année de l'hégire, le Pro-
phète partit de sa personne , à la tête d'une troupe de Mo-
hâdjir et d'Ançâr, après avoir établi comme son lieutenant à ,
Médine SaM, fils d'^Obâda. L'étendard blanc était porté par
PARTIE 11, CHAPITRE LXXXIll. 469
'Hamza.Le Prophète arriva à Âbwâ, bourg considérable, reii-
l'ermaut un grand nombre d'habitants , et situe entre la Mecque
et Médine. Près de là est un autre bourg, nommé Waddân.
Cest pour cela que cette expédition porte ces deux noms. Le
chef des Arabes de la tribu de Dhamra, Makhschi, lils d*^Am-
rou, se présenta devant le Prophète et conclut la paix avec
lui. Après cela le Prophète resta à Abwâ quinze jours, et s'en
retourna sans avoir combattu.
D'après une autre version, les trois expéditions que nous
venons de mentionner auraient eu lieu toutes trois dans la se-
conde année; le Prophète, durant la première année, n'au-
rait envoyé aucune armée.
CHAPITRE LXXXIIL
EXPEDITION DE BOWAT.
De retour à Médine, au mois de rabfa premier, le Pro-
phète fut informé qu'une caravane qoraïschite de quinze cents
chameaux, conduite par Omayya, (ils de Khalaf, de la tribu
de Djouma^h, et cinq cents hommes, reviendrait de Syrie. Le
Prophète partit au mois de rabfa second avec deux cents
hommes des Mohâdjir et des Ançâr, après avoir laissé comme
son lieutenant à Médine SaM , fils de Mo^ftds. Dans cette exr
pédition, l'étendard fut porté par SaM, fils d'Abou-Waqqâç.
Ayant quitté le territoire de Yathrib, il arriva près d'une
montagne nommée Radhwa, sur le territoire du Tihâma. Il
fit halte à un endroit nommé Bowât. La caravane, avertie,
s'était échappée, et Mo'hammed retourna à Médine.
470 CHRONIQUE DE TABARI.
CHAPITRE LXXXIV.
BXPéDITION DB DSAT-ODL-*09€HAÎRA.
Le mois suivant, djoumâda premier, le Prophète partit de
nouveau, après avoir établi comme son lieutenant à Médine
Abou-Salama, fils d''Abdoul>Asad. L'étendard était porté
par ^Hamza. Près de Médine, à un endroit nommé Dsât-oul-
^Oschaïra, le Prophète fut informé du passage d'une caravane.
Les soldats musubnans se dirigèrent du câté droit, vers le
désert, et arrivèrent à une autre station, où passaient ^[Elé-
ment les caravanes. Mais ils ne Ty rencontrèrent pas. Alors ils
vinrent à une station où il y a un grand arbre, qu'on appelle
Dsat-oul-Sâq. On fit halte à Tombre de cet arbre , et Ton cher-
cha la caravane , sans la rencontrer. Puis le Prophète fit la
prière sous cet arbre; on fit rôtir un agneau, et Ton passa la
nuit en cet endroit. Ensuite on y construisit une mosquée, qui
existe encore aujourd'hui; on la visite, ainsi que la place où
fut rôti l'agneau. Le lendemain, en marchant à la recherche
de la caravane, ils arrivèrent a une station, ensuite à un en-
droit nommé Çor'a, puis à une station nommée Çokhaïràt-
al-Thoroâm, ensuite à un endroit nommé Mouschtarib. Ils
y puisèrent de l'eau et revinrent à Çokhaïrât. Ils avaient ainsi
exploré toutes les stations et tous les puits où la caravane eût
pu passer, sans en trouver aucune trace. Alors ils retournè-
rent directement h Dsât-oul*^Oschaïra , où demeuraient des
Arabes de la tribu de Motledj. Mo^hammed conclut un traité
de paix avec eux, et revint à Médine au mois de djoumâda
second.
Ce fut lors de cette expédition que le Prophète donna à
PARTIE II, CHAPITRE LXXXV. A7t
^AH le nom àLAbou-Tourâb; voici en quelle circonstance : Un
jour, le Prophète, ne voyant pas^Ali, qui était sorti du village
et qui dormait à TomBre d*un arbre au milieu des plantations
de dattiers, alla à sa recherche. Il le trouva enfin dormant
sous Tarbre; son vêtement était tombé, et tout son corps
était complètement couvert de poussière. Le Prophète cria à
haute voix : tr Lève-toi, 6 AbaU'Tourâb,yi Ce nom est resté i
^Ali; il en était fier et aimait qu on l'appelât par ce sobriquet.
^ Ammâr, fils de Yâser, raconte : Je dormais sous cet arbre avec
^Ali. En entendant la voix du Prophète et en me réveillant,
je vis que le Prophète réveillait *Ali, et qu*Alî se levait et se
tenait devant lui. Le Prophète essuya avec son manteau la
tête et le visage d'^Ali, et lui dit : 0 ^Alt, le plus misérable
dans les deux mondes est celui qui sera ton ennemi, qui te
blessera à la tête, qui fera couler ton sang et qui te tuera; il
sera éternellement dans Tenfer.
A répoque de cette expédition, le Prophète n'avait pas en-
core marié Fâtima à ^Ali. Il lui donna sa fille en mariage au
mois de dsoul-qa^da.
CHAPITRE LXXXV.
PRBMIÈRB EXPÉDITION DE BEDR.
Plusieurs jours après, un homme de la Mecque, nommé
Kourz, fils de Djabir, le Fihrite, avec une troupe de Qoraï-
schites, vint faire une incursion sur le territoire de Médiae,
enlever les troupeaux des habitants, qui se trouvaient éloignés
de la ville à trois journées de marche, et les emmener, par
des chemins détournés, à la Mecque. Le Prophète, averti
trois jours après, se mit aussitôt, avec plusieurs Mohâdjir, à sa
iâ) CHRONIQLE DE TABARL
|KMirsiiile. 11 anifa josqu^à Bedr, mais il De put Fatteindre.
Le Prophèie resta trob jours à Bedr, puis il rentra à Mëdioe.
Ce fat 'Ali qui porta le drapeau du Prophète dans cette
eipéditioo. Zaîd, fils de ^Hâritha, avait été laissé comme lieu-
tenant à Médine.
Bedr est un endroit, an milieu du désert, où il y a un
grand nombre de puits, qui ont été creusés anciennement par
nn Arabe nonmié Bedr.
CHAPITRE LXXXVl.
»l BAT?f - !IAKHL.
Le premier jour du mois de redjeb , le Prophète appela
'Abdallah, fils de Dja^hsch, et lui donna le commandement
de douze bonmies des Mohâdjir, teb que Sa'd, fiis d'Abou-
Waqqàç; 'Otba, fils de Gbazawàn; Abou-'Hodsaïfa, fils d'^Otba ,
fils de Rabra, et Wâqid, fils d'AbdaUah, de la tribu de Yar-
bou\ Quelques-uns prétendent qu'ils u étaient quau nombre
de sept Le Prophète, craignant que, s'il disait à ^Abdallah
où il devait aller et ce qu'il devait faire, celui-ci, ainsi que
ses compagnons, eussent peur et refusassent de marcher, lui
remit un écrit cacheté, eu lui disant : Marche dans la direc-
tion de la Mecque; n'ouvre cette lettre qu'au troisième jour
de route; exécute les ordres que tu y trouveras, et rends-toi
à fendroit qui y est indiqué par moi. Ne force pas ceux de
tes compagnons qui ne voudront pas te suivre. ^Abdallah partit
le premier jour du mois de redjeb. Après avoir marché trois
jours, il ouvrit la lettre et y trouva les instructions suivantes :
Avance-toi jusquaux portes de la Mecque, jusqu'à Bain-
Makhl, reste là en secret et cherche à épier les habitants de
PARTIE II, CHAPITRE LXXXVI. 473
la Mecque; sache ce qu ils font, ce qu'ils projettent et ce qu'ils
ont fait des troupeaux qu'ils ont enlevés d'ici, s'ils les ont
tués ou gardés. Cherche à savoir ce qu'ils disent de ce que je
les ai poursuivis et manques. Après avoir accompli ces ordres,
revenez. Le Prophète avait aussi enjoint à ^Abdallah de ne
pas combattre; car on était au mois de redjeb, où il était dé-
fendu aux Arabes de faire la guerre; et le Prophète observait
cette loi. ^Abdallah communiqua cette lettre à ses compa-
gnons. Batn-Nakhl est une station près de la Mecque, la
première sur la route de Tâïf. Ce fut là que le Prophète, en
revenant de Tâïf, passa la nuit, fit la prière, et où les péris
vinrent le trouver, comme nous l'avons raconté. ^Abdallah dit
à ses compagnons : Je suis sûr qu'en allant jusqu'aux portes
de la Mecque, à Batn-Nakhl, nous n'en reviendrons pas vi-
vants. Le Prophète m'a ordonné de ne forcer aucun de vous
à me suivre. Que ceux d'entre vous qui désirent le martyre
viennent, et que ceux qui ne le veulent pas s'en retournent!
Tous le suivirent.
A la première étape, le chameau qui appartenait en com-
mun à Sa'd , fils d'Abou-Waqqâç , et à ^Otba , fils de Ghazawân ,
et qui portait leurs bagages, s'échappa pendant la nuit. Le
lendemain, ne le voyant pas, ils se mirent à sa recherche;
tandis qu'^ Abdallah poursuivit sa route, ils s'enfoncèrent dans
le désert et vinrent jusque dans le Nedjd, et ne purent plus
le rejoindre.
^Abdallah, se rendant à l'endroit que le Prophète lui avait
indiqué, s'y arrêta et prit des informations, en interrogeant
tous ceux qui y passaient. ^Okâscha, fils de Mi^hçan, l'un de
ses compagnons, alla comme espion explorer tous les lieux et
rapporta à ^Abdallah des infonnations. Comme on était au
mois de redjeb, mois sacré, où l'on ne faisait pas la guerre et
klh CHBOMQIE DE TABABI.
M le» gens teaueul de tous càiés visiter la Mecque et les
lieu saiots r(W«), il s'était rasé la télé, afin de n'être fias
reconnu et afin de se (aire passer ponr un pèlerin en état pé-
nitenliel {ikrim). Il entrait ainsi à la Mecqae et prenait par-
tout des renseignements.
Or one caraTane mecqooise. Tenant da Tâif, chargée de
fruits, de raisins et d'autres marchandises, vint à passer près
de Tendroit où était campé ^\bdallah, et y fit halte. Elle était
escortée de quatre hommes, personnages considérables d^entre
les Qoraîschites. L'un d'eux était ^\mrou-ben APHadhram/;
les autres étaient : 'Oihman , fils f* Abdallah , fils de Moghalra ,
et son frère Naufal, les Makhzoumites; enfin Al-^Hakm, fibs
de haîsan, affranchi de Monslim, fils de Moghaîra. En aper-
ceTant \4bdallah, fils de Dja^hsch, et ses compagnons, ils
eurent des appréhensions; ils dirent entre eux : Mo^hammed
a enroyé quelques hommes pour surprendre et enlever la
caravane. Ds se disposèrent à faire halte k cette station et i
envoyer à la Mecque pour chercher du secours. Tout d'un
coup , ^Okâscha , la télé rasée , parut sur une élévation de sable.
En le voyant, ils dirent : Nous sommes au mois de redjeb, le
mois sacré; ces hommes sont [sans doute] des Arabes venus
pour visiter les lieux saints. AI-^Hakm, fils de Kaîsân, dit :
Quand même ce seraient des gens de Mo^hammed, celui-ci
respectera assez le mois de redjeb pour ne pas ordonner de
faire la guerre pendant ce mois, et de commettre des actes
de brigandage. En conséquence, ils firent halte au même
endroit. Le jour que précédait cette nuit était le dernier du
mois de redjeb.
Pendant la nuit, 'Abdallah, fils de Dja'hsch, délibéra sur
ce qu'il devait faire. 11 y a là, dit-il, de nombreuses mar-
chandises : si j'attaque demain, et que je les enlève, j'aurai
PARTIE II, CHAPITRE LXXXVI. 475
combattu au mois de redjeb et violé la sainteté de ce mois;
si j'attends, ils gagneront la Mecque, et le butin nous aura
échappé. ^Abdallah et ses compagnons résolurent d'attaquer
et d'enlever la caravane, disant : Ce sont des infidèles, envers
lesquels il n y a pas lieu d'observer une interdiction sacrée.
Le matin, lorsque la caravane se mit en marche, ils s'appro-
chèrent avec leurs armes, et ^Abdallah, fils de Dja^hsch, et
Wâqid, fils d'^ Abdallah, qui étaient d'habiles archers, tirè-
rent sur ^Ami'ou ben-Al-^Hadhrami, le chef de la caravane,
et le tuèrent. ^Amrou était un personnage considérable parmi
les Qoraïschites; il était allié des Benf-^Âmir Al-^fladhrami,
qui étaient commerçants et jouissaient d'une grande considé-
ration à la Mecque. En voyant tomber ^Amrou,^Othmân, fils
d'^ Abdallah, s'enfuit et se sauva à la Mecque; les autres,
NaufaI , fils d'^Abdallah, et AI-'Hakm, fils de Kaîsân, se ren-
dirent ^Abdallah, fils de Dja^hsch, leur fit lier les mains, en-
leva la caravane et s'enfonça dans le désert, en se dirigeant
vers Médine.
A cette nouvelle, les Mecquois allèrent à leur poursuite;
mais ils revinrent sans avoir pu les atteindre. Ils furent très-
étonnés de ce fait et dirent : Mo^hammed a violé la sainteté du
mois de redjeb, en envoyant une expédition guerrière pour
verser du sang et faire du butin et des prisonniers; il ne pros-
pérera jamais, et sa religion n'aura jamais de succès.
^Abdallah, fils de Dja^hsch, arriva à Médine au mois de
scha^bân, avec son butin et ses prisonniers, et se présenta
devant le Prophète. Celui-ci fut très-<;ourroucé et lui dit :
Pourquoi as-tu agi ainsi? Je ne t'avais pas ordonné de com-
mettre des actes d'hostilité au mois sacré. Les compagnons
du Prophète blâmèrent tous ^Abdallah , fils de Dja^hsch, et lui
dirent : Les infidèles et les idolâtres eux-mêmes s'abstien-
476 CURONiQUe DE TABARl.
oenl de faire ce que tu as fait au mois de redjeb. Le Prophèle
reliul les prisonoiers et coofisqua le butin, sans y toucher,
en attendant les ordres de Dieu. Puis le Prophète demanda
des nouvelles de SaM, fils d'Abou-Waqqâç, et d'^Otba, fils
de Ghazawàn. On lui répondit que, à une certaine station,
nommée MaMan , ayant perdu leur chameau , ils étaient allés
a sa recherche, et que depuis lors on n avait pas eu de leurs
nouvelles. Le Prophète fut inquiet de leur sort; il craignait
qu'ils ne fussent tombés entre les mains des ennemis. Ensuite il
fut informé que les Qoraîschiles le blâmaient d'avoir commis
des actes de violence au mois de redjeb, ce qui n était per-
mis dans aucune religion. Les musulmans qui n avaient pas
émigré et qui étaient reslés à la Mecque firent avertir le Pro>
phète, par un messager, de ces propos des Qoraïschites , et lui
firent demander quelle réponse ils devaient leur faire. Alors
Dieu révéla le verset suivant , par lequel il rassura le Prophète :
(rlls t'interrogeront au sujet du combat dans le mois sacré.
Dis : C'est un péché grave de combattre pendant ce mois;
mais détourner les hommes de la voie de Dieu, ne pas croire
eu lui, chasser des honmies du saint temple où ils habitaient,
est un péché plus grave devant Dieu. L'idolâtrie est un péché
plus grave que le meurtre pendant le niois de redjeb, n (Sur. n ,
vers. 31 A.) ^Abdallah, fils de Dja'hsch, et ses compagnons
furent très-heureux de cette révélation. Le Prophète fit par-
venir le verset aux musulmans de la Mecque, pour qu'ils
pussent répondre aux infidèles qoraïschites.
Les Qoraïschites envoyèrentquelqu'un pour racheter les deux
prisonqiers. Le Prophète répondit : Nous n'acceptons pas leur
prix. Nous avons perdu deux de nos gens : Sa^d , fils d' Abou-
.Waqqâç, et ^Otba, fils de Ghazawàn, dont nous n'avons pas
de nouvelles. Quand ceux-ci reparaîtront, nous vous renver-
PARTIE 11, CHAPITRE LXXXVÏI. . 477
rons ces prisonniers. Mais si nous acquérons la cerliiude qu'on
les a lues, nous mettrons aussi à mort ces deux hommes.
SaM et ^Otba, en recherchant leur chameau, étaient venus
jusqu'à Nadjrân. Ne fayant pas trouvé, ils revinrent à Mé-
dine au mois de scha^bâu. Alors le Prophète, considérant les
deux prisonniers comme leur rançon, les renvoya à la Mecque,
après en avoir reçu le prix.
CHAPITRE LXXXVII.
CHANGEMENT DE LA QIBLA.
Dans le même mois de scha^ban, au milieu du mois, Dieu
ordonna au Prophète de ne plus se tourner pendant la prière
vers Jérusalem, mais vers la Ka^ba. Les Arabes, en priant,
se tournaient vers la Ka^ba, tandis que les juifs et les chré-
tiens se tournaient vers Jérusalem, où était le temple bâti
par Salomon, (ils de David, endroit illustre, vers lequel se
tournaient également Moïse et Jésus. Lorsque le Prophète
reçut sa mission prophétique à la Mecque, il se tournait, en
priant, ver^la Ka^ba. Comme les idolâtres de la Mecque, en
adorant les idoles, se tournaient aussi vers la Ka^ba, quand
le Prophète vint.à Médine, où dominait le culte des chrétiens
et des juifs, qui se tournaient vers Jérusalem, Dieu lui or-
donna de se tourner également, en priant, vers Jérusalem,
afin de ne pas les contrarier et pour qu'ils lui fussent favo-
rables. Le Prophète fit ainsi. Cependant il désirait que le
point vers lequel il devrait se tourner en priant filt la Ka^ba,
qui avait été aussi la Qibïa d*Abraham et d*IsmaëL II priait
journellement Dieu d'exaucer ce désir; enfin, au milieu du
mois de scha^bân de la seconde année de Thégire, le mardi.
t:^ f.HftO!ISOCE D£ TillBI.
Dm rrféia Ik lenet wraat : -X^q:^ aïoo» f o qae tu tour-
f en sae ^NîUf i{n ^ pbîra. Tovme^-loc Ten le saiol temple. *
tS«r. u. tersw 1^9.;
La rÛMM de cette revébtÎM (bt q«e 1*^ jaifs et les rbré-
tîeft» dkaîeat as Profikête : 0 If o^mined . si ta religion e>t
différente de la oolre. «roaunent ie £ût-ii qoe ta te toames
en priant lers le même point qœ noos? Le Prophète, ayant
înioqoé Dien, re^t le icf^et qoe noos lenons de dire.
CHAPITRE LXXXVIII.
rTABUStMOnST ne JCCSI m BABAMli!!.
Lp Prophète était i eno à Médine an mois de rabra premier.
An mois de moHiarrem de Tannée saifante, il remarqua que
les juifs câébraient un jeûne, le dix du mois, en appelant ce
jour ^ifdUvra. Le Prophète leur demanda pourquoi ils dis*
tii^naient ce jour. Ils répondirent : Cest le joor où Dieu a
fait noyer Pharaon dans la mer, et où il a déliné Moue, qui
a jeûné ee jour-là pour rendre grices à Dieu; depuis lors
nous aussi nous consacrons chaque année ce jour au jeûne. Le
Prophète ordonna aux musulmans déjeuner, eux aussi, ce
jour, en leur disant : Je suis plus digne de suirre l'exemple de
mon frère Moïse, fils d^Amràn. Ensuite le Prophète, voyant
que les chrétiens jeûnaient pendant cinquante jours, désira
avoir dans sa religion un jeûne pareil. A la fin du mois de
scha^hân de cette même année, Dieu établit le jeûne du mois
de ramadhân, en révélant le verset suivant : «rO vous qui
croyez, le jeûne vous est prescrit, comme il Ta été à ceux qui
<?vous ont précédés t^ (sur. 11, vers. 179), c'est-à-dire au\
PARTIE 11, CHAPITRE LXXXVHI. àl9
juifs et aux chrétiens. Jésus n'avait ordonné qu*un jeûne de
trente jours; ce sont les chrétiens eux-mêmes qui ont porté
ce chiffre à cinquante. Moïse aussi n'avait dû observer le jeûne
que pendant trente jours, les trente jours du moisdsoul-qa^da,
le temps de sa conversation avec Dieu; mais il y ajouta onze
autres jours. Le Prophète, interrogé sur Tépoque de ce jeûne
de trente jours, reçut le verset suivant: «r Au mois de rama-
dhân, dans lequel a été révélé le Coran, >) etc. (Sur. u,
vers. 18 1.) Mo*hammed ben-Djarir a rapporté ce récit [relatif
au jeûne de Moïse] en fort beaux termes.
A l'expiration du mois de ramadhân, le Prophète établit
l'obligation de l'aumône à la fête de la rupture du jeûne. Ce
jour, il sortit de Médine, se rendit a Moçalla , y fit la prière et
recommanda , dans le sermon , l aumône de la rupture du jeune.
L'année suivante, au mois de mo^harrem, le Prophète
laissa les musulmans libres de jeûner, ou non, le jour d'^A-
schourâ. Quelques-uns observèrent ce jeûne, d'autres ne roI>-
servèrent pas.
Au mois de ramadhân de la même année, le Prophète
sortit de Médine pour livrer le combat de Bedr, qui eut lieu
le vendredi dix-septième jour du mois. L'histoire de ce com-
bat, qui est très- important, n'a pas été rapportée en détail
par Mo^hammed ben-Djarir dans cet ouvrage. Cependant elle
est connue par les recueils des expéditions du Prophète et par
les commentaires du Coran ; car il n'a été révélé sur aucune
autre expédition du Prophète un aussi grand nombre de ver-
sets du Coran. Ce fut la première victoire de l'islamisme, la
première victoire du Prophète sur les infidèles. Nous avons
recueilli, autant que nous avons pu, tant dans cet ouvrage
que dans le commentaire [de Tabari?] et dans le livre des Ex-
péditions du Prophète, les éléments pour compléter ce récit.
-^ n T^ i:i 31 "liki^
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poi^i^ }«r ^dôcaHi . -fis Sel •àt : P^lt^ a b nthenh^ de b car»-
^Hut, ^At faum^r^ fc»» •§«» f^^ ^ Bi^iir. €& ne peut pa»
•Mi joer à^ jAkHST jum oei i^ârirt Le Prtfhêle il rnAÎr ses
*nniaa^gniatf <£ èiniri f^rir^ ^ fdvtir das» le teaps m^me
é& ^noi^:. EIms m'a |CHi«ii^. ksr dit4i. de aie Ihrer iems
litta^. -ut pic-Aér BU rï£f;M«i et 6t miMt^ resdfe mailres de
ttae^ f9tr^itmut'ï fi mt kardûpuml: 3io«$ preBdnNisb cara-
Ibâ^ b» t^aa^rT fus^mmi gaUsb pfendraîoit et qu'ils
|a» de {raftd» €4offte à biie. SoôaBle eC dix bommes
Il ea losfte hàle. Le kadeauûi , b Propbèle , après avoir
MM liealemaat à Médiae Aboo-Lobaba, fib d^ Abd-
partît bi aeiag avec trots cent seixe bommes.
aatre lersioD. il a'aTait avec lui qae trois cent
tneîie boouMS. on. d'après une aatres fins e&ade, trois cent
quatoffxe bookmes. Ds partirent précipitamment, sans prendre
leur armement complet. Deu d'oitre eux avaient des cbevaux ,
soixante et dix étaient montés snr des cbameanx, les antres
étaient à pied. Le Propbèle montait sa cbamelle nommée
'Adbbà . ainsi appelée parce qu'on lui avait fendu \es oreiller.
PAHTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 481
Ces troupes étaienl composées de soixante et dix-huit Mohà-
djir et de deux cent trente-six Ançàr. Parmi les Mohâdjir, il y
avait Abou-Bekr, 'Omar, fils d'Al-Khattàb, 'Ali, fils d'Abou-
Tàlib, et 'Othmàn, fils d'^Affàn. La femme d'Olhmàn, Ro-
qayya, fille du Prophète, était très-malade. Le Prophète or-
donna à 'Othmân de s en retourner, à cause de la maladie de
sa femme. Le chef des Ançàr était Sa'd, fils de Mo'àds, qui
était chef de tous les Khazradj. Tous étaient d'avis qu ils
étaient assez nombreux pour attaquer la caravane, et le Pro-
phète n'emmena pas un plus grand nombre d'hommes.
Arrivé à la première élape, le Prophète passa ses troupes
en revue. Il renvoya cinq hommes comme étant trop jeunes,
savoir : 'Abdallah , fils d"Amrou; Ràfi', fils de Khodaïdj;
Zaïd, fils de Thâbit; Osaïd, fils de Zhahir, et'Amrou, fils
d'Abou-Waqqàç. 'Amrou pria Sa'd, fils d'Abou-Waqqàç, d'in-
tervenir auprès de Mo'hammed^ pour qu'il l'emmenât avec
lui. Les quatre autres durent s'en retourner. Ensuite le Pro-
phète marcha en toute hâte sur Bedr, pour couper 1« chemin
à Abou-Sofyân. Arrivé à la seconde station, il fut informé
que la caravane n'était pas encore passée. Il fit halte, en
s'écartant de la route , afin de ne pas être aperçu par la ca-
ravane, quand elle viendrait, et pour qu'elle ne prit pas la
fuite. Gabriel vint annoncer au Prophète que Dieu l'assisterait
de toutes manières dans son entreprise. Ensuite Mo'hammed
dépêcha deux des principaux Mohâdjir : Tal'hâ, fils d"Obaïd-
allah, et Sa'd, fils de Zaïd, fils de Maufal. Montés sur des
chameaux, ils furent envoyés dans le désert, pour épier la
marche d'Abou-Sofyân. Ces deux hommes s'égarèrent dans
le désert et ne revinrent pas pour prendre part au combat
de Bedr. Le Pro|)hète lit partir deux autres Mohâdjir, égale-
ment montés sur des chameaux, l'un nommé Basbas, fils
II. . 3i
i)J2 tlir.O.MQCE DE T\BU;i.
(PAinriiU, le Djoiiaînite; Faulrc, 'Adî. IjI> d'AlK>u-Za^iibà. \f
Djoijaîiiile. Il leur onlonna de Mf rendre auprès dt^ |»uil> de
R«fdr et d'y piendre des informations sur la marche de la ca-
ravane. Lf'«» Arabe», dans le désert, ont la coutuoie. quand
une caravane vient faire halle près d*un puiU ou à une
station, dy app€»rler de» provisions et des vivrei^. |K»ur les
rendn* au\ gen.n di' la caravane, et de faire avec eux des
affaires, en vendant et en achetant. Arrivés près de Bedr.
les deui Djohaînites y virent un homme qui avait apporté des
provifiions et qui U^ avait dé|)Osées là, en attendant la cara-
vane. Ils s'approchèrent du puits, firent coucher leurs cha-
meaux, et vinrent pour interroger cet homme. Alors ils aper-
çurent deux femmes qui s'adressaient réciproquement tles
réclamations. L'une disait à Fautre : Rends-moi Targent que
tu me dois. L*autre répondait : Demain la caravane arrivera
près de ce puits, je vendrai quelque chose et te rendrai ton
argent. Les deux émissaires, en entendant ces paroles, ne
dirent rien, remplirent d'eau leurs outres, montèrent sur
leurs chameaux, partirent et vinrent avertir le Prophète.
Ils n'eurent pas plus tôt quitté le puits, qu'Abou-Sofyân
et "Amrou, fils d'^Aç, y arrivèrent, seuls de leur caravane.
At)ou-Sofyân , en passant sur le territoire de Yathrih, s'était
enquis des mouvements du Prophète et de ses compagnons.
S'étant avancé encore de deux étapes, il avait quitté la cara-
vane en disant à ses gens : Restez ici, j'irai au puits de Bedr
pour m'cnquérir si quelqu'un de Yathrib, des compagnons
de Mo^bammed, est à la recherche de notre caravane. Abou-
Sofyân cl 'Amrou, fils d"Aç, vinrent donc a Bedr, donnèrent
de Tcau a leurs chameaux, burent eux-mêmes, remplirent
leurs outres et questionnèrent l'homme qui était assis près
du puits. Interrogé par eux sur son nom et sur le nom de sa
PARTIE II, CIIAIMTRE LXXMX. /is;i
hibii, ii li'iir dit qu'il s'appelait Modjdi, fils d^'Ainrou, de la
tribu de Djohaïna. Abou-Sofyàn lui demanda ensuite : As-lii
quelques renseignements sur les brigands de Yathrib ? Est-ce
que quelqu'un d'entre eux est venu à ce puils avant nous?
Medjdi répondit : Tout à l'iieure deux liomnies y sont venus,
ont bu, ont abreuve leurs cliameaux, sont renionlés sur leurs
montures et sont reparlis. — Ne t'ont-ils rien dit? demanda
Abou-Sofyân. — Non. Abou-Sofyân demanda ensuite à quel
endroit les chameaux étaient restés. S'y étant rendu, il trouva
leur crottin; en prenant un peu, il l'éparpilla. Des noyaux
de dattes en sortirent. [1 dit à ^Amrou, fils d'Aç : Ces hommes
étaient de Médine; Mo'hammed est sur nos traces, lui ou des
gens envoyés par lui. — Comment le sais-tu? lui demanda
^Amrou. Abou-Sofyân dit : Les gens de Médine, seuls dans
le 'Hedjâz, donnent à manger aux chameaux des noyaux de
dattes. Ils remontèrent ensuite sur leurs chameaux et revinrent
à Tendroit où était leur caravane, à deux étapes de Bedr.
Abou-Sofyân engagea immédiatement un homme nommé
Dhamdham, fils d'^Amrou, de la Iribu de Ghifâr, qui possé-
dait un chameau très-rapide , et le dépc^cha à la Mecque. Cet
homme promit de s'y rendre en trois jours, quoique la cara-
vane en fût éloignée de six journées de marche. Abou-Sofyân
|ui recommanda, quand il entrerait dans la ville, de crier au
secours. Il lui dit : Uends-toi sur le mont Abou-Qobaïs, et crie,
de façon à être entendu de tous les habitants de la Mecque,
que tu es parti, envoyé par moi, de telle station, pour leur
annoncer que Mo'hammed et les brigands de Médine sont sur
mon chemin, et que, s'ils tiennent h leurs biens, ils arrivent;
sinon, qu'ils ne trouveront plus rien. Dhamdham partit, la ca-
ravane restant à la dislance de deux étapes de Bedr, de milme
que le Prophète, qui l'attendait à son passage près des puits.
:u .
AHà CHROMQIE DE TABAIW.
Avaiil Tai rivée de Diiamdiiam à ia Mecque, "AliLa, lille
d''Ab(lou I-Mollaiib et taale du Prophète, lll uu rêve. Il lui
sembla voir un homme monté sur un chameau arriver à la
Mecque, s'arrêter dans la vallée et s'écrier : Habitants de la
Mecque, n'allez pas, car on vous tuerait; quiconque y ira
n'en reviendra p<is! Il s'avança, toujours monté sur son cha-
meau, vint sur la terrasse de la Ka^ba et répéta son cri. En-
suite il lança du sommet du mont Abou-Oobaïs une pierre
qui coula en bas et se brisa en plusieurs morceaux, qui
atteignirent toutes les maisons de la ville. Au matin, ^\tika
raconta son rêve à ^Abbàs, fds d'^Abdoul-Mottalib. Celui-ci,
edVayé, dit à sa sœur : Ce songe est fort triste; tous les habi-
tants de la Mecque doivent craindre d'être atteints par un
grand malheur. Garde le secret, et ne raconte ton rêve à
personne; je verrai ce qu'il y aura à faire. 'Abbâs sortit très-
soucieux et alla pour faire ses tournées autour du temple.
Il y rencontra ^Otba, fils de Rabfa, qui était son ami, et alla
s'asseoir auprès de lui. ^Olba lui dit : Que t'est-il arrivé, la
figure est altérée? — Rien, dit ^Abbàs. — Si, il t'est arrivé
quelque chose, reprit 'Otba; et il insista. ^Abbâs lui dit : Il
ne faut pas qu'on le sache. — On ne le saura pas, répliqua
'Otba. Alors ^Abbâs lui raconta le rêve qu'avait fait ^Atika.
'Olba, en sortant du temple, rencontra Abou-Djahl et lui
lit part de ce récit. Abou-Djahl dit : Ne l'en préoccupe pas;
les Benj-Hàschim sont tous menteurs, hommes et femmes.
Délivrés des mensonges de Mo^hammed, nous tombons main-
tenant dans ceux des femmes des Beni-Hâschim. [Le lende-
main, dans le temple], il aborda ^Abbâs et lui dit : Qu'est-ce
(|ue ce rêve d"Atika, dans lequel lu rapportes quelle aurait
vu telle et telle chose? 'Abbâs répondit : Je n'en ai aucune
connaissance. — Si, tu le connais, dit Abou-Djahl; on me l'a
PARTIE II, CHAIMTHK LXXXIX. /iSf)
rapporté coiiune venant de toi. Si ce rêve ne se réalise pas ,
nous écrirons sur une feuille, que nous suspendrons à la
porte de la Ka^ba, que dans le monde entier il n'y a pas de
|)ius grands menteurs, tant parmi les hommes que parm'r
les l'emmes, que les Beni-Hàschim, afin que votre impos-
ture soit connue de tous les Arabes. *Abbâs, qui était un
homme réservé et endurant, quitta la réunion et revint à la<
maison.
Abou-Djahl et tous les autres racontèrent le fait chez eux,
à leurs femmes. ^Atika fut informée des paroles qu'Abou-Djahl
avait adressées à ^Abbàs. Le soir, *Atfka et les autn^s filles
d'^Abdou'I-Motlalib et toutes les femmes des Benî-Hàschim
vinrent chez ^Abbas et lui dirent : Pourquoi laisses-tu Abou-
Djahl tenir des propos sur les femmes des Beni-Hâschim
et sur les filles d'^Abdou'I-Mottalib, en ta présence, sans lui
répondre et sans rien dire? Il dit que tous les hommes et
toutes les femmes des Beni-Hâschim sont des menteurs. Jus-
qu'à quand supporteras-tu cela? S'il fait cet écrit, il désho-
norera les BenMIâschim parmi les Arabes. Si tu ne veux rien
lui dire, autorise-nous à aller trouver Abou-Djahl pour ré-
pliquer aux paroles qu'il a dites. Nous n'avons pas voulu le
(aire sans ta permission; car tu es aujourd'hui à la tête dçs
Beni-llàschim, et nous n'avons pas voulu te manquer de res-
pect. ^Abbâs dit : Il n'osera pas faire cet écrit. S'il m'en dit
encore quelque chose, je lui répondrai. Bentrez chez vous.
Le lendemain, ^\bbâs vint au temple et alla s'asseoir à sa
place. Les Qoraïschites avaient pris place, chacun dans un
cercle. Tout à coup des cris se firent entendre dans la
vallée, vi tous se précipitèrent hors de la ville dans la direc-
tion de la voix. Pendant ce temps, ^Abbâs accomplissait ses
tournées autour du tenq)le. (les cris étaient poussés par Dham -
/iSC) CFlliO.MQLK DE TABARl.
(iliaia, qui élail arrive cl qui lit coinine Ahou-Sofyàn le lui
avait ordonné. 11 alla au haut du mont Abou-(Jobaïs , et cria
de façon à èlre entendu de tous les habitants. Ceux-ci furent
stupéfaits; car il ny avait pas un seul chef de famille qui
n'eût dans la caravane un capital.
Abou-Djahl, 'Olba et les principaux (Joraischites firent
proclamer une levée générale. On fil en deux jours les pré-
paratifs de guerre et Ton partit le troisième jour. Tous les chefs
(il grands personnages de la Mecque prirent part à Texpédi-
lion, ou envoyèrent des hommes à leur place, sauf la tribu
des Beni-^\di, fils de Ka^b, qui étaient des personnages con-
sidérables et n'étaient pas soumis à Abou-Djahl et à *Otba;
en outre, ils n'avaient pas de marchandises dans la caravane.
^\bbâs ne voulut pas partir avec Tannée; mais Abou-Djalil ,
dans le temple, lança contre lui des reproches, en disant :
Nous savons que toi et les autres Beni-Hàschim , vous tenez à
MoMiammed; vous êtes ses espions dans le temple. Mais si nous
levenons victorieux de cette guerre, nous expulserons tous les
Beni-llàsihim de la Mecque. Les autres Qoraïschites tenaient
a ^Vbbàs le même langage. %\bl)às répliqua : Je suis vieux,
et uc suis pas propre pour la guerre; mais j'enverrai mes fils.
'Abbâs avait quatre fils : Fadhl, ^Abdallah, Qotham et^Obaïd-
allah. Les Qoraïschites dirent : C'est bien d'envoyer tes quatre
fils, mais il faut que tu viennes aussi. Je partirai, dit ^Abbâs.
Il prit celte résolution malgré lui et fit ses préparatifs. Ses
fils voulurent l'accompagner; mais il ne le permit pas et partit
avec un de ses esclaves. Ses neveux vinrent le trouver et lui
dirent : Tu es un homme âgé, nous ne te laisserons pas partir
>eul; nous irons avec toi. ^\bbàs s'y opposa; mais ceux-là
savaient qu'il parlait ainsi par haine des Qoraïschites et par
dépil d'èlre contraint de partir. Trois de ses neveux allèrenl
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 487
donc avec lui, savoir : Tàlili el 'Aqil, lils d'Abou-Tàlib, et
ÎVaul'al , lils de Ularilli.
Omayya, fils de Klialaf, de la tribu de Djouma^h, ne vou-
lut pas prendre part à l'expédition, à cause de son âge avancé,
il avait deux fils, Çafwàn et 'Abdallah; il fit partir ce der-
nier, le plus jeune des deux. Il avait aussi un ami, nommé
'Oqba, fils d'Abou-Mo'aït, le même qui avait craché à la figure
du Prophète. Abou-Djahl chargea *Oqba de déterminer Omayya
au départ; car, dit-il, nous ne pouvons pas le laisser ici; il
jouit d'une grande considération ; s'il reste , personne ne voudra
quitter la Mecque. 'Oqba vint trouver Omayya , qui était assis
dans le temple au milieu d'une troupe de Qoraïschites, et lui
dit : Ne veux-tu pas venir avec tous ces gens? — Vous êtes assez
nombreux , répondit Omayya. 'Oqba dit : Viens par amour pour
moi. Moi , j'ai craché à la figure de MoMiammed parce que tu
l'as voulu ; il est jusle que tu Tasses ma volonté , en venant avec
nous. Omayya répliqua : Je suis vieux, j'envoie mon fils, qui
est jeune. *Oqba dit : Tu n'es pas plus vieux qu'^Abbâs, qui
est l'oncle de Mo'hammed et qui cependant vient avec nous;
n'as- tu pas honte de refuser de partir? Mais Omayya persista
dans son refus, malgré les instances d'^Oqba. Alors celui-ci
envoya chercher dans sa maison une cassolette, dans laquelle
il fit mettre du feu et du bois d'aloès, el la plaça sous le vête-
ment d'Omayy^, puis il apporta un fuseau et le plaça à côté de
lui. Que signifie cela? demanda Omayya. 'Oqba dit : Comme
tu n'oses pas aller à la guerre, fais ce que font les femmes :
parfume-toi avec ce bois d'aloès, et reste assis à filer. Omayya
fut très-affecté et très-honteux de ces paroles. Il jeta la casso-
lette et le fuseau sur 'Oqba, et lui lança des injures. Puis il se
leva, fit ses préparatifs et partit, lui et son fils, avec l'armée.
Abou-Lahab, fils d^Abdou'l-Mottalib, élaul fort malade,
àHS CHUONIQUE DE TABARl.
lie [ioavait pas su joindre a l'armée, il avait une créance de
(|ualre mille dirliems sur un homme considérable de la Iribu
de Makhzoum, nommé \4ç, fils de Hischâm, fils de Moghaïra.
^Âç envoyait à Farmée un remplaçant. Abou-Labab lui dit :
Si tu pars toi-même à ma place, je te fais remise de ces
quatre mille dirbems. ^Aç partit de sa personne avec uue
troupe des Benî-Makbzoum, des gens de sa famille et de ses
aiïrancbis.
Le troisième jour après l'arrivée de Dhamdbam, mille
hommes sortirent de la Mecque, piétons et cavaliers, montés
sur des chevaux arabes et sur des chameaux de course, tous
complètement armés. A la porte de la ville, Abou-Djahl ins-
crivit les noms de tous les hommes qui composaient Tarmée.
Tous étaien t pleins de joie et dirent : Mo'hammed pense qu'il en
sera d'Abou-Sofyàn comme d'^Amrou ben-Al-*Hadhramî, dont
la caravane venant de Taïf, chargée de quelques fruits, de
dattes et deraisin, et escortée de quatre hommes, a été enlevée,
et lui-même tué par les quelques hommes envoyés par Mo^hani-
med. Nous lui montrerons aujourd'hui comment nous proté>
geons nos biens et notre religion, et comment nous arrache-
rons les hommes de ses mains. Ils emmenèrent avec eux le
frère d'^Vmrou ben-Al-'Hadhrami, et lui dirent : Nous allons
venger la mort de ton frère, nous allons tuer celui qui a ac-
compli le meurtre et celui qui Ta ordonné.
Ni Abou-Sofyân, ni le Prophète ne savaient que l'armée
qoraïschile s'était mise eu campagne. Le Prophète , après le
retour des deux Djohaïuites, qui lui avaient annoncé que la
caravane devait arriver le lendemain à Bedr, s'était mis en
mouvement et s'était rapproché de Bedr ù la distance d'une
étape. 11 rencontra sur sa route un village, une station des
caravanes, nommée Çafra, située entre deux montagnes.
PARTIE H, CHAPITRE LXXXIX. A89
H demanda le nom du bourg, et ensuite les noms des deux
montagnes; on lui rdpondit que Tune s'appelait Mousli*h, et
Fautre Moukhri. On lui dit aussi, sur sa demande, le nom
des Arabes qui habitaient cet endroit; c'étaient deux branches
de la tribu de Ghifàr, les Benî-en-Nàr et les BeuJ-'IIorâq. Le
Prophète trouva ces noms de mauvais augure et ne s'arrêta
pas à cet endroit. 11 passa entre les deux montagnes, prit sur la
droite et vint à un lieu nommé Dsafirân, à une étape de Bech*.
C'est là qu'il attendit l'arrivée de la caravane d'Abou-Sofyàn.
Abou-Sofyàn, après être revenu avec ^Amrou, fils d'*Aç,de
son excursion à Bedr, et après avoir fait partir Dhamdham
pour la Mecque, demeura encore trois jours au même endroiL
Ensuite il dit à *Amrou , fils d'^Aç : Pourquoi rester ici? Mo-
'hammed est plus près de nous que les gens de la Mecque; avant
que ceux-ci arrivent, il peut se passer beaucoup de choses.
Conduisons la caravane loin d'ici, en quittant la route, pour
nous rapprocher chaque jour de la Mecque , et nous éloigner
de Mo^hammed. En conséquence, Abou-Sofyân partit avec
la caravane, en évitant la route, laissa les puits de Bedr à sa
gauche et se dirigea vers le bord de la mer; puis, en longeant
la côte, il prit la route de la Mecque, vers Djeddah, chemin
plus long de cinq journées de marche. Après avoir voyagé
pendant cinq jours , la caravane fut en sûreté sur le territoire de
la Mecque , à trois journées de distance de la ville. Là elle apprit
le départ de l'armée mecquoise , qui avait passé la veille par cet
endroit, se dirigeant vers Bedr, pour attaquer MoMiammed.
Les gens de Médine n'étaient informés ni de la marche
de la caravane, ni de l'arrivée d'une armée de la Mecque. Le
Prophète se trouvait toujours à Dsafirân , guettant la caravane.
Alors Gabriel vint lui annoncer qu'Abou-Sofyàn avait sauvé
la caravane et qu'une armée arrivait de la Meccfue. Mais
41)0 ClinOMQLE DE TABAKI.
Dieu , lui dit-ii , fa promis la vicloire cl sur la caravane el sur
ranih'e. Le Proplièlo convoqua ses compagnons et leur iit
pari des événements. Ils furent consternés. Le Prophète leur
dit : Ne vous aflligez pas, car Dieu m'a promis la vicloire en
tout ét^il de choses, soit sur la caravane, soit sur Tarmée. Les
musulmans dirent : 0 apôtre de Dieu, prie pour que Dieu
nous fasse triompher de la caravane, ce sera plus facile el la
lutte sera moins vive ; car nous tous nous sommes partis sans
faire des prépai'atifs de guerre el sans être complétcmeDt ar-
més. Dieu révéla le verset suivant : «rDieu vous avait promis
que Tune des deux parties vous serait livrée; vous avez désiré
que ce ne f&l pas la plus forte. Mais Dieu a voulu prouver la
vérité de sa parole el exterminer jusqu'au dernier des infi-
dèles,?) etc. (Sur. vni, vers. 7, 8.)
Ahou-Sofyàn, arrivé à trois journées de la Mecque, appre-
nant que Tarmée y avait passé en se dirigeant vers Médine ,
et que ses propres fds éliiieut dans Tarmée, envoya de ccl
endroit même un messager vers les troupes et fit dire aux
chefs : Si c'est pour sauver vos hiens que vous vous êtes mis
en campagne, ils sont en sûreté maintenant; je suis arrivé sur
le territoire de la Mecque. Rentrez et évitez la guerre et le
meurtre; car ceux qui sont avec Mo^hammed appartiennent a
nos familles et sont nos parents. Il est inutile de vei'ser leur
sang. Le messager d'Ahou-Sofyàn trouva Tannée campée à
Djo'hfa, à trois journées de Bedi\ Parmi les infidèles les avis
furent partagés. Les uns voulaient marcher en avant, les au-
tres voulaient s'en retourner. 'Olha, fils de Rabfa, exprima
ce dernier avis. Abou-Djahl dit : Par Dieu, nous ne nous en
retournerons pas avant d'avoir été à Bedr el avant d'y avoir
passé dix jours à boire du vin et à nous reposer; nous inspire-
rons ainsi la terreur aux brigands de Médine; tous les Arabes
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. /i9I
('iilfiidioiil parler de luilre armée el nous craiiidroiil, et per-
sonne n'osera plus poursuivre une de nos caravanes. Ensuite
il |)arla à ^Amir ben-Al-'Hadhrami el lui dit : Tu es le clienl
(r'Olba; nous voulons aller venger ton frère; mais *Olba veut
s'en retourner; dis-lui de ne pas le faire. Si cependant il refuse,
romps rengagement et les liens qui t'attachent à ^Olba et aux
Beni-^Abdou 1-Schams, el deviens un des nôtres; allie-toi aux
Beni-Makhzoum : nous vengerons alors ton frère. *Amir vint
trouver ^Otba et lui tint ce langage. ^Otba répliqua : Ton frère
n'est pas assez important pour qu'il faille faire la guerre pour
lui avec ce grand nombre d'hommes. Si tu veux quitter la tribu
des *Abd-Schams, quitte-la; dégage-toi de tous liens avec elle,
si tu veux, et va où tu voudras. *Amir vint dire ces paroles
d'^Otba à Abou-Djahl, qui, se trouvant au milieu de plusieurs
hommes, dit: rr^Olba a la colique, n expression proverbiale,
chez les Arabes, pour dire que quelqu'un a peur. Abou-Djahl
avait le sobriquet fraux fesses jaunes. -n 11 avait reçu ce sobri-
quet parce que, à cause d'une inGrmité qu'il avait, il teignit
la partie postérieure de son corps avec du safran; quand on
voulait l'injurier, on lui donnait ce nom. Quelques-uns pré-
tendent que cette inGrmité lui était venue dans son enfance
<|uand, luttant un jour avec Mo^hammed, celui-ci l'avait jeté
par terre et lui avait rompu une artère. Les infidèles qoraï-
schiles avaient coutume de couvrir leurs corps et leurs vête-
ments de safran dissous dans de l'eau, de façon à être com-
plètement jaunes, et ils ne se purifiaient pas; car de tous les
parfums, le plus agréable peureux était le safran , que l'on va
chercher dans le Kirmàn et sur le territoire de Hamadân.
Quant au bois d'aloès, à l'ambre el au canq)hre, ils étaient
peu estimés, parce qu'on en apporte en grande quantité par
la voie de nirr, de même que le musc, (jue Ton apportait , par
49J CHRO-MQUE DE TABARF.
la voie de Qier, de Fliide. Or, lorsque Abou-Djahl, eu parlant
d'^Olba , prononça les paroles que nous venons de dire, celui-ci
répli(|iia : Demain ou verra qui a la colique, de moi ou de celui
«taux fesses jaunes.^ *Otba se proposa donc de marcher en
avant; mais les autres étaient divisés, les uns voulaieuts'eu re-
tourner, les autres ne le voulaient pas. Tàlib, Gis d'Abou-Tàlib,
enfjagca son oncle 'Abbàs à s'en retourner avec lui. Mais^Abbâs
n'osait pas, par crainte d'Abou-Ujabl et des Qoraïschites.
Il y avait à la Mecque un bomnie de la tribu des TbaqiT,
allié des Hent-Zohra et jouissant parmi eux d'une grande
considération; ils écoutaient et exécutaient ses avis. Il était
à Parmée avec un grand nombre de Beni-Zobra. 11 leur parla
ainsi : Retournons; car nos marchandises sont arrivées en
sûreté h la Mecque. Pourquoi ferions-nous la guerre? Les
Beni-Zobra, au nombre de cent cinquante hommes, voyant
que leur allié s'en retournait, suivirent sou avis et s'en re-
tournèrent également. Il n'y avait aucune tribu de la Mecque
qui n'eût des hommes à l'armée, sauf les Beni-^Adi-ben-Ka*b ,
qui n'avaient pas quitté la ville, u ayant pas de marchandise
dans la caravane. Après le départ des Benî-Zohra, Tarmée
qoraïschite ne se composait plus que de neuf cent cinquauto
hommes. Abou-Djahl, craignant que d'aulres encore ne s'en
allassent, leva son camp dans la même nuit et s'avança sur
Bedr. Toute l'armée le suivit; aucun autre ne l'abandonna.
Après avoir été averti par Gabriel que la caravane s'était
sauvée et qu'une armée venait à sa renconti^e, le Prophète
réunit ses compagnons pour délibérer avec eux sur ce qu'il
y avait a faire. Tous les Mohàdjir et les Ançàr étant pré-
seuls, il leur demanda leur avis. Abou-Bekr se leva le pre-
mier et dit : 0 apôtre de Dieu, nous ferons ce que tu voudras
ci ce (pie tu ordonneras. (]eux-là soûl nos parents; mais nous
s
k
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. /;<J3
avons cru en toi, et nous avons accepté la relijjion, et nous
avons renonce à eux. Nous avons fait de nos corps et de nos
aines ta rançon; nous lutterons contre eux pour toi; ou Dieu
te fera triompher d'eux et fera triompher ta religion, et rinfi-
délitc sera exterminée dans le monde; ou tious périrons tous
pour toi. Le Prophète remercia Abou-Bekr, lui donna dos
éloges et lui dit de s'asseoir; car il désirait savoir si les Ançâr
prendraient ou non ce même engagement, sachant bien que
les Mohâdjir lui prêteraient aide et secours, tandis qu'il crai-
gnait que les Ançâr et les gens de Médine ne s'en retour-
nassent; car, dans la nuit d'^Aqaba, alors qu'ils avaient prêlé
serment au Prophète, SaM, fils de Mo^âds, loi avait dit :
0 apôtre de Dieu, viens avec moi à Médine! Le Prophète avait
répondu : Je n'ai pas encore reçu de message ni d'ordre de
Dieu à cet égard. Allez, j'enverrai mes compagnons et atten-
drai les ordres que Dieu me donnera. SaM avait répliqué :
S'il en est ainsi, nous ne sommes pas responsables de ta vie
cl de ta sûreté jusqu'à ce que tu viennes à Médine. Quand lu
y viendras, alors nous te défendrons, et ta défense sera pour
nous un devoir. Le Prophète avait approuvé ces paroles. Or
maintenant le Prophète craignait qu'il ne dit : Nous nous
sommes engagés à te protéger à Médine; si tu étais attaqué
à Médine, nous t'y protégerions.
Abou-Bekr ayant repris sa place, le Prophète demanda de
nouveau un avis. ^Omar, fils d'AI-Khattâb , se leva et tint le
même langage qu'Abou-Bekr. Le Prophète le remercia égale-
ment et lui dit de s'asseoir. Ayant renouvelé sa demande,
Miqdâd, fils d^'Amrou, appartenant lui aussi aux Mohâdjir,
se leva et dit : 0 apôtre de Dieu, c'est à nous de tirer l'épée,
à toi de prier et à Dieu de donner la victoire. Nous ne dirons
pas comme disaient les enfants d'Israël à Moïse : tr Allez, loi
494 CIUIOMQI E DE TABAIU.
et Ion Seigneur, et comballez; quant a nous, nous resterons
ici. 7) Assiste-nous de la prière, demande à Dieu la victoire,
car nous combattrons nous-mêmes. Le Prophète le loua el
lui dit : Assieds-toi ; je connais les sentiments de vous tous,
ô Mohàdjir, je ne doute pas de vos intentions. Ensuite il
demanda un nouvel avis. Tous reconnurent que cet appel
s'adressait aux Ançâr. Sa^d, fils de Mo^âds, se leva et dit :
0 apôtre de Dieu, est-ce nous que tu as en vue par ces pa-
roles?— En effet, dit le Prophète, car c'est votre concours
que je demande. Dans cette affaire, je ne puis réussir que par
la puissance de Dieu et par le moyen de votre aide. SaM, fils de
Mo^âds, dit f Que pouvons-nous Taire, à apôtre de Dieu? Nous
avons cru en toi, nous t'avons prêté serment et nous t'avons
accueilli. Il est de notre devoir de te défendre. Nos âmes sont
ta rançon et nous verserons notre sang pour toi, que ce
soit contre les Qoraïschites, ou les Arabes, ou les Perses,
les habitants de Roum ou les Abyssins; nous nous tiendrons
devant toi, nous te protégerons et combattrons les ennemis;
que ce soit a Médine, dans le désert ou en pays cultivé, sur
la mer ou sur les montagnes, nous serons partout avec toi ci
ne t'abandonnerons pas jusqu'à la mort. Le Prophète, très-
heureux de ces paroles, appela Sa'd près de lui, l'embrassa
sur les yeux et le visage et lui dit : 0 Sa'd, que Dieu te ré-
compense pour ta foi, ta bravoure et ta fidélité! Immédiate-
ment il fit marcher l'armée, et fit halte à deux parasanges do
Bedr. En épiant l'approche de l'armée qoraïschite près des
puits, il rencontra un vieillard arabe qui ne le connaissait
pas. Le Prophète lui demanda s'il avait des renseignements
sur la caravane d'Abou-Sofyân. Le vieillard répondit: La ca-
ravane est en sûreté; mais une armée est sortie de la Mecque,
qui va pour combattre Mo^hammed et les gens de Médine.
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 495
Le Prophète lui demanda ensuile : Quels renseijjnemenls as-
lu sur Farinée qoraïschile? Où sont MoMiammed et les gens
de Médine? Le vieillard répondil: Je vous le dirai quand vous
m'aurez dit qui vous êtes. — Parie d'abord, répliqua le Pro-
phète, nous te le dirons ensuite. Le vieillard dil : L'armée
qoraïschite est partie tel jour, a quitté tel jour Djo^hfa, el si
celui qui m'a renseigné a dil la vérité, elle doit avoir passé tel
jour à tel endroit et être en marche pour venir ici. Quant î»
MoHiammed, il était tel jour à tel endroit, et si mes rensei-
gnements sont exacts, il se trouve aujourd'hui à tel endroit.
C'était précisément le lieu oJ!i l'armée musulmane avait Fail
halte, à Dsafirân. Le Prophète, entendant ces paroles, quitia
le vieillard , en faisant courir sa chamelle. Arrivé auprès de ses
compagnons, il leur dit : L'armée qoraïschite est aujourd'hui
ù tel endroit, demain elle arrivera aux puits de Bedr. Au mo-
ment de la prière de l'après-midi , le Prophète envoya *AJi,
fils d'Abou-Tâlib , Zobaïr, fils de Sa*d, et Sa*d, fils d'Ahou-
Waqqâç, vers les puits de Bedr, pour prendre dos informa-
tions sur l'armée qoraïschite. Ils y arrivèrent vers le soir. Les
Ooraïschites étaient campés à deux parasanges de là et avaient
envoyé à Bedr quatre ou cinq hommes des serviteurs de
l'armée, pour chercher de l'eau et pour prendre des infor-
mations sur les mouvements du Prophète. En voyant ^Alî et
ses compagnons montés sur des chameaux, ils eurent peur
et s'enfuirent, en disant : Ce sont les chamelles de l'armée
de Mo^hamnied. *A1J et ses compagnons les poursuivirent et
saisirent un esclave noir, nommé-* Arîdh et surnommé Abou-
ïasâr. Il était Abyssin et appartenait aux Bcni-*Aç-bcn-
Sa'îd, ou, d'après d'autres, à Monnabbih, fils de Mîaddjâdj.
Ils le conduisirent auprès du Prophète. 'Ali lui demanda :
A qui appartiens-lu? — J'appartiens aux Qoraïschiles, répondit
4U6 CHRONIQUE DE TABARI.
Fesclave. — Où se trouve leur armée? — Elle est campée h
deux [)arasau{fes d'ici; on nous avait envoyés pour clierclier
de Teau. — Abou-Sofyân est-il avec Tarméc? — Je ne sais
pas où est Abou-Sofyân. Alors ils frappèrent Tesclave en
disant : Tu mens, tu es avec Abou-Sofyân, tu nous trompes.
Après avoir été longtemps frappé, l'esclave s'écria : Oui, je
suis esclave d'Abou-Sofyân! — Qui est avec Abou-Sofyân?
Combien d'hommes et combien de chameaux y a-t-il?
Comme ils avaient cessé de le maltraiter, l'esclave dit de
nouveau : Je ne connais pas Abou-Sofyân; c'est du camp de
l'armée qoraïschite que je suis venu à Bedr. Pendant cet
interrogatoire, le Prophète faisait sa prière. Après avoir pro-
noncé le salut final, il dit : Je n'ai pas vu d'hommes plus
étonnants que vous. Quand cet homme dit la vérité, vous le
frappez, et lorsqu'il ment, vous le croyez véridique; il est,
en effet, de l'armée qoraïschite. Cette armée est campée à
cet endroit, et Abou-Sofyân a gagné la Mecque. Ensuite le
Prophète appela l'esclave et lui dit : Où est le camp de l'ar-
mée? Dis la vérité et ne crains rien. L'esclave répondit que
l'armée se trouvait à tel endroit. — Combien y a-t-il d'hommes?
demanda le Prophète; sont-ils neuf cents? N'ont-ils pas dit
combien ils sont? — Je ne sais pas combien ils sont, ré-
pondit l'esclave; mais je sais qu'ils tuent chaque jour neuf
ou dix chameaux. Il y a eu hier un banquet chez un des
chefs, auquel assistaient tous les hommes, grands et petits.
Là aussi on a tué dix chameaux. Le Prophète dit : Ils sont,
comme je l'ai dit, de neuf, cents à mille. Or ils étaient au
nombre de neuf cent cinquante; cent d'entre eux avaient des
chevaux, les autres montaient des chameaux. Ensuite le
Prophète demanda à l'esclave quels étaient les grands person-
nages qoraïschites qui se trouvaient dans l'armée. L'esclave
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 497
•
nomma ^Otba, fils de Babra, et son frère Schaïba; Omayya,
fils de Khalaf; ^Oqba, fils de Mourait; 'Abbàs, fils d'^Abdou l-
MoUalib; 'Aqîl, fils d'Abou-Tâlib; Abou-Djahl, fils de Hi-
schâm; ^Hakim, fils de 'Hizâm; il énuméra ainsi tous les
nobles Qoraïschites de la Mecque qui se trouvaient à larmée.
Le Prophète dit à ses compagnons : La Mecque a envoyé contre
nous ses enfanU les plus chers.
Pendant la nuit, fun des Ançâr, un homme de la tribu de
Naddjâr, vint trouver le Prophète et lui dit : 0 apôtre de Dieu,
nous ne devons pas rester ici. Larmée qoraïschite viendra
demain à Bedr et occupera les puits, et nous n'aurons pas
d'eau. Il faut nous y rendre cette nuit, nous établir près du
puits le plus rapproché [de fennemi], creuser un grand ré-
servoir, remplir nos outres, parce que, pendant le combat,
nous ne pourrons pas puiser de feau ; puis il faut mettre a
sec tous les autres puits, afin que, quand ils viendront, ils ne
trouvent pas d'eau, tandis que nous en aurons. Le Prophète,
approuvant cet avis, marcha en avant et fit halte près des puits ,
dont l'un fut rempli, et les autres mis à sec. Dans la nuit, il
fit un rêve. Il lui sembla voir que son armée était dispersée et
qu'il restait seul. A son réveil , il lit part de son rêve à ses com-
pagnons, et l'interpréta dans ce sens que les ennemis seraient
mis en fuite. Il est dit dans le Coran : «r . . .Dieu t'a montré en
songe les ennemis peu nombreux; s'il te les avait montrés en
grand nombre, vous auriez perdu courage, ?? etc. (Sur. viu,
vers. 45.)
Le lendemain, les Qoraïschites se mirent en marche pour
puiser de l'eau et pour occuper les puits. Lorsqu'ils y arri-
vèrent, ils apprirent que le Prophète les avait déjà occupés.
Ils firent halte derrière une grande colline de sable, qui em-
pêchait les deux armées de se voir, mais non de s'entendre.
II. 3vt
498 CIIROMQLE DE TA B A Kl.
Lit Pi*u|)iiiiU* st* (rouvait sur \v terrain ra|)|»roc'lit* îles piiil.s,
tandis que les Qoraïscliites élaicnt sur un terrain éloigne'
des |)ui(s, dans la vallée, comine il est dit dans le Coran :
T . . .Vous étiez plus rapprochés dans la vallée et les ennemis
étaient plus éloignés,!? etc. (Sur. viii, vers. 43.) Le lende-
main, les Ooraïschites se mirent en mouvement, montèrent
la colline de sable et tirent halte près de Tarmée de Ikh/ham-
med, de sorte qu'ils purent voir de leur camp Tannée du Pro-
phète. Quelques-uns d'entre eux gravirent le sommet de la
colline pour regarder. Lorsque 'Otba parut sur le sommet,
monté sur un chameau à poils roux, le Prophète le distingua
et dit: Ils se sont jetés eux-mêmes dans le précipice; [>er-
sonne ne les a avertis, sauf Thonime du chameau rouge. Ils
feraient mieux de suivre son avis. Vue du sommet de la col-
line de sable, qui était grande comme une montagne, Tarmée
du Prophète parut très-faible aux Qoraîschites; et de même
Tarmée ennemie semblait peu nombreuse aux yeux des musul-
mans, qui prirent courage, comme il est dit dans le Coran :
ff ...Dieu les fit paraître peu nombreux à vos yeux,^ etc.
(Sur. vni, vers. 46.)
Après avoir fait halte, les infidèles envoyèrent un homme
nommé 'Omair, fds de Wahb, de la tribu de Djouma^h, pour
reconnaître les forces de l'armée musulmane. Cet homme
tourna autour de l'armée et l'examina. Il revint et leur dit :
Ils ne sont pas plus de trois cents; cependant j'irai voir s'ils
n'ont pas placé une embuscade. 11 se dirigea de tous côtés,
et, revenant, le soir, sans avoir rien trouvé, il annonça qu'il
n'y avait pas d'hommes embusqués. Abou-Djahl dit ironique-
ment : S'il faut combattre, ces hommes ne sont pas de force
a nous résister; cependant vous combattrez le Dieu du ciel,
comme dit Mo^hammed à ses compagnons.
PAUTIE II, CJlAiMTJSE LXXXIX. 41)1)
Lu liomnie nomiiio Aswad, fils d'^Abdou'l-As'ad, de la
Iribu de Makhzouin, dit : Jo jure que je boirai à leur bassin!
et il s'en approcha. Mlaniza, fils d'^Abdou'I-Moltalib, se pré-
cipita sur lui, et, d'un coup de sabre, lui coupa une jambe.
Aswad tomba, et (raina son corps et la jambe détachée, dont'
le sang coulait, vers le bassin, en disant : Je m'y plongerai,
j'y mourrai, n'importe; au moins aurai-je {{àté leur eau.
A ces mots, il se plongea dans le bassin. ^Hamza le frappa
d'un autre coup et le fit tomber dans l'eau, qui fut mêlée
de sang. D'autres infidèles s'approchant pour boire, les mu-
sulmans voulurent les en empêcher. Mais le Prophète leur
dit : Laissez-les; car tout infidèle qui boira de cette eau sera
tué. Il arriva ainsi que le Prophète l'avait dit. Ensuite les
infidèles cherchèrent de l'eau à d'autres puits, à la dislance
de deux ou trois parasanges, parce qu'il n'y avait d'eau que
dans les puits qui étaient occupés par le Prophète.
Les infidèles commencèrent à craindre le Prophète. En
effet, quand Dieu voulait assister le Prophète dans un combat
où il se trouvait, il remplissait de crainte les cœurs des en-
nemis. L'un des principaux personnages des Qoraïschites ,
nommé ^Hakim, fils de ^Hizâm, leur parla ainsi : 0 Qoraï-
schites, retournons 1 Quoique ceux-là soient moins nombreux
que vous, ce sont des hommes qui ne craignent pas la mort.
Nous ferons mieux de nous en retourner. Alors Abou-Djahl dit
à "Amir ben-Al- Hadhrami : Va et demande vengeance pour la
mort de ton frère. 'Âmir alla au milieu de l'armée qoraïschitc
et cria vengeance. Tous les hommes lui répondirent ; Nous
ne retournerons pas à la Mecque avant d'avoir vengé la mor
de ton frère et d'avoir tué celui qui la fait mourir. 'Hak*™'
fils de ^Hizâm, vint trouver *0(ha, fils de Uabra, et lui dit •-
0 Abou-Walid, ne peux-tu pas fairi» que celle année s en
500 CHRONIQUE DE TABARI.
lournt* uujuuixl'liui el que le conibal naît pas lieu ? Tu en
serais honoré |>anni tous les Arabes. 'Otba répliqua : Que
pnis-je faire? Le fils de ^Hanzhaliyya (^Hanzhaliyya était le
nom de la mère d'Abou-Djahl) ne laissera pas les hommes
4
partir. 4iakim dit: 0 Abou-Walid, il retient les bowiues en
alléguant qu'il faut venger la mort d'^Amrou ben-AI-*Hadhrami.
^\mrou était ton allié. Paye toi-même le prix do son sang,
afin que cette afîaire soit apaisée et que les hommes s'en i*e-
toument en paix. ^Otba consentit, sortit, vint au milieu des
troupes, qui se réunirent autour de lui , et, s'appuyant sur fair
qu'il tenait à la main , leur adressa le discours suivaqt : Mes
compagnons qorai'schites, qu'allez-vous faire? Vous voulez
combattre Mo^hammed et ses compagnons, qui sont tous vos
parents! Comment, pourrez-vous les regarder et les frap|)er
avec 1 épée? Ce sont des hommes ayant perdu leur patrie et
leurs biens et vivant dans l'exil, dont la vie est attachée à leurs
poignées et à qui la mort est douce. Tandis que vous tuerez
un homme d'entre eux, ils tueront dix des vdtres. Si vous
voulez ce combat à cause de la mort d'^Amrou ben-Al-^Ha-
dbranri, eh bien, ^Amrou était mon allié, je donnerai le prix
de «on sang i son frère. Ne dites pas : ^Otba veut nous faire
retourner à la Mecque, parce qu'il a peur. Je n'ai pas peur.
Ab#u-Djahl, averti qu'^Otba tenait aux hommes ce langage,
pour les déternriner à renoncer au combat, accourut eu toute
hâte et trouva ^Otba qui parlait aux troupes. Il dit une seconde
fois : Tu as la colique, par crainte de Mo^hammed. Si tu
veux t'en aller, va-l'en; personne ne s'en ira sur ton ordre.
^Amrou a été tué, et son frère n'a que faire du prix du sang
que lu veux lui payer. Il est devenu mon allié; il a renoncé
aux Beni-^Abdou'I-Schams, et s'est engagé avec nous, la tribu
des Beni-Makhzoum. C'est moi qui vengerai la mort de son
PAHTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 501
fiere. Si lu veux partir, pars! 'Olba, irrité de ses paroles, se
tut, prit son arc et rentra dans sa (ente.
Abou-Djahl ordonna, pendant la nuit, d'allumer partout des
t'eux, afin que la crainte empochât les musulmans de dormir
tranquilles; mais la plupart de ceux-ci eurent dans leur som-
meil des rêves, comme il est dit dans le Coran (sur. viii,
vers. 1 1), etle matin ils étaient obligés de se purifier. Cepen-
dant Teau dans leur bassin était gâtée, cl ils n'en trouvaient
pas. Alors Dieu envoya une pluie qui ne tomba que du côté
des musulmans, et non du côté des infidèles. Le bassin se
remplit d'eau et devint pur, et le sable, dans lequel ils s'étaient
enfoncés jusqu'aux chevilles, devint dur après la pluie. Tous
ceux qui étaient impurs firent des ablutions et se purifièrent,
et leurs cœurs furent raffermis, comme il est dit dans le Co-
ran : (T ... Il fil descendre sur vous l'eau du ciel pour vous
purifier,^ etc. (Sur. vin, vers 1 1.)
Quand le soleil parut, les Qoraïschites se formèrent en
lignes de bataille. Ce fut le vendredi, dix-septième jour du
mois de ramadhân, ou, d'après d'autres, le dix-neuvième
jour de ce mois, Abou-Djahl, se plaçant devant les rangs,
dit : 0 Seigneur, viens en aide à celle de ces deux armées
qui t'est la plus chère! Dieu révéla le verset suivant : ffVous
désirez que la victoire se décide pour vous; la victoire s'est
décidée contre vous,?) etc. (Sur. vni, vers, lo.)
Les musulmans n'avaient pas de tentes. SaM , fils de Mo'âds,
vint auprès du Prophète et lui fit une cabane, semblable à
une tente, de branches d'arbres et de feuillages qu'on trouvait
dans la vallée. Il lui dit : Reste ici pendant que nous com-
battrons, afin que le soleil ne t'incommode pas. Il resta lui-
même avec quelques Ançâr à l'entrée de la cabane pour le
garder. Le Prophète y entra avec Abou-Bekr; il se prosterna,
502 CJiriOMQlK DE TABAHI.
pleura vi invo<(ua Dieu en ces lennes : O Seigueui% accomplis
la promesse (|uc lu m'as d ou née, et envoie le secours que tu
m'as annoncé. Il pria longtemps; ensuite il sortit delà cabane,
et les musulmans se formèrent en ordre de bataille. Le Pro-
phète, un bâton h la main, passa devant les ranges pour les
aligner. L'un des Ançàr, nommé Sewâd, fils de Gbaziyya,
sortait un peu hors du rang. Le Prophète lui donna un
coup de bâton sur le ventre et lui dit : Aligne- toi! Sewâd
dit : 0 apâtre de Dieu, tu ni*as fait mal; Dieu t'a envoyé
|K)ur accomplir la justice ; laisse-moi prendre ma revanche.
Le Prophète répliqua : Prends-la. Sewâd le pressa sur son
cœur et l'embrassa. Pourquoi fais-tu ainsi? dit le Prophète.
Parce que, répondit Sewâd, je suis au moment de paraître
devant Dieu; je suis prêt à mourir. Mais, avant de mourir, j^ai
voulu que ma peau touchât la tienne, afin que je sois préservé
de l'enfer. Le Prophète prononça trois fois les paroles : Tu es
préservé de l'enfer. Ensuite le Prophète acheva de mettre en
ordre de bataille ses troupes, et les infidèles firent de même.
Le premier qui sortit des rangs de l'armée des infidèles
fut *Otba, à cause du reproche qu'Abou-Djahl lui avait fait
de manquer de courage. Il était de taille plus élevée que tx3us
les Ooraïschites, et l'on ne trouvait pas de casque assez large
pour sa tête. Il roula un turban autour de sa télé, revêtit
sa cuirasse, prit toutes ses armes et vint se placer entre les
deux armées. Son frère Schaïba et son fils Walîd le sui-
virent. 'Otba défia les musulmans à un combat singulier. Trois
hommes d'entre les Ançâr sortirent des rangs des musul-
mans : *Auf et Mo^awwids, fils de ^Ilarilh, appelés les fils
d'SVfrâ, du nom do leur mère, et ^Abdallah, fils de Rcw.Vlia ,
qui était l'un des principaux Ancàr. (lonnnent vous ;ii>ne-
lez-vous? leur dit "Olba. (lliarun d'eux dil son nom ol sa
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 503
lainille. 'Olba dit: UtMi Irez, vous ireles pas nos éyaiix. Il y
a parmi vous beaucoup de Qoraïschites qui sont nos égaux,
qui ont quitté la Mecque afin de combaltre pour Mo^baninied
contre nous. Ces trois hommes se retirèrent. Ensuite *Olba cria
au Prophète : 0 Mo^hammed, envoie des hommes qui soient
bien nos pairs, des Qoraïschites qui sont avec toi. Le Prophète
dit à *Aii\ filsd'Abou-Tàlib, à ^Hamza, fils d'^Abdou'I-Mottalib,
et à ^Obaïda, fils de ^Hârith, fils d'^Abdoul-MotUnlib : Allez,
vous êtes leurs égaux et de la même famille qu'eux. ^Obaïda ,
le plus âgé d'entre eux, se plaça en face d'^Otba; ^Hamza,
devant Schaïba, et ^Ali, devant Walfd. Ces derniers étaient
jeunes tous les deux : ^Ali n'avait pas encore vingt ans. 'Ilainxa
était âgé de cinquante-trois ans. ^Ali attaqua Walid et le fendit
en deux. ^Hamza tua également son adversaire Schaïba. ^Otba ,
luttant avec ^Obaïda, le frappa d'un coup de sabre qui lui
coupa la cuisse, de sorte que la moelle sortit de l'os. *Ali et
'Hamza accoururent, tuèrent 'Olba et emportèrent ^Obaïda
dans leur camp. Le Prophète, le vopnt dans cet état, lui
dit : Sois content, à ^Obaïda, tu n'es séparé du paradis que
par [le dernier souffle de] ton âme; tu entreras dans le para-
dis éternel. ^Obaïda dit : Si Abou-Tâlib vivait encore, il ver-
rail que j'ai réalisé ce qu'il a dit dans son vers : «rNous ne
vous l'abandonnerons pas avant que nous et nos enfants
soyons tués autour de Mo^hammed.?) J'ai plus de mérite que
lui. Le Prophète lui dit : Tu as plus de mérite que lui; car
lui n'a fait que le dire, mais toi, tu l'as réalisé par le fait.
Ensuite, le Prophète encouragea les hommes, qui com-
mencèrent le combat, tandis qu'il allait et venait dans le
camp, par devant et par derrière. Une flèche de l'armée en-
nemie frappa et tua un affranchi d'^Omar, fils d'Al-KhaUâb,
nommé MihdjaV Ensuih* 'Obaïda, fils de 'llàrith, mourut.
504 CHRONIQUE DE TABARI.
Uu (les Ançâr, iioinnié ^Hâritha, iils de Surâqa, de la tribu
de Naddjâr, fut également tué par une flèche de Tannée des
infidèles. Le Prophète excitait toujours ses soldats. Un homme
d'entre les Ançàr, nommé *Omaïr, fils de ^Hammam, tenait
dans la main quelques dattes, qu'il mangeait sous les yeux
du Prophète. Celui-ci, en exhortant les soldats, dit : Il ne
vous faut, pour obtenir le paradis, que trouver le martyre.
^Omaïr, entendant ces paroles, jeta ses dattes, en disant :
S'il en est ainsi, j'ai assez d^une datte jusqu'à ce que j'entre
dans le paradis. Il tira son sabre, se lança dans les rangs des
ennemis, en frappa et en tua plusieurs, et fut tué lui-même.
Le Prophète, avec Abou-Bekr, entra dans la cabane, se
prosterna de nouveau , pleura et supplia ; il dit : 0 Seigneur,
si cette troupe qui est avec moi périt, il n'y aura plus après
moi personne qui t'adorera; tous les croyants abandonneront
la vraie religion. Il tenait ses mains levées vers le ciel, en
priant. Enfin Abou-Bekr lui prit les mains et dit : Apôtre de
Dieu, ne cherche pas à forcer Dieu par ta prière. Le Pro-
phète répondit : Je demande, 6 Abou-Bekr, l'accomplissement
de sa promesse. Pendant qu'ils parlaient ainsi, Gabriel vint
avec mille anges, se présenta au Prophète et lui dit : Sois
content; Dieu m'a envoyé à ton secours avec mille anges.
Puis il lui récita ce verset du Coran : ff Le jour où vous deman-
diez l'assistance de votre Seigneur, il vous exauça. Je vous
assisterai, dit-il, de mille anges se suivant les uns les autres.?)
(Sur. VIII, vers. 9.) Le Prophète dit : 0 mon frère Gabriel,
mille anges! Gabriel dit : Trois mille, 6 Mo*hammed. —
Trois mille! répéta le Prophète. — Oui, cinq mille, répliqua
Gabriel. Aussitôt le Prophète sortit en courant de la cabane
pour porter aux musulmans cette bonne nouvelle. Il cria à
haulc voix : Dieu a envoyé trois mille anges à votre secours.
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 505
Ils répélèrent dans leur joie : Trois mille! — Oui, cinq iiiille,
rdpliqua le Prophète. Ensuite Gabriel récita au Prophète le
verset suivant : (rDieu vous a secourus à Bedr, car vous étiez
faibles. . . Alors tu disais aux fidèles : Ne vous suffit-il pas que
voire Seigneur vous assiste.de trois mille anges? tî etc. (Sur. m ,
vers. 1 1 9-1 2 1 .) Le Prophète récita le verset aux fidèles. Il vit
comment les anges, tenant dans leurs mains des bâtons, se
mettaient en ligne avec les musulmans. Dieu leur avait or-
donné de se tenir dans les rangs des musulmans; car moi,
leur dit-il, j'ai jeté la crainte dans les cœurs des infidèles, et
vous, frappez-les sur la tète, sur le cou et sur tout le corps. Il
est dit dans le Coran : «rTon Seigneur dit aux anges : Je suis
avec vous,7î etc. (Sur. viii, vers, ta.) Lorsque les anges se
disposèrent à charger Tarmée impie, le Prophète ramassa une
poignée de poussière et la jeta contre les infidèles, en disant :
Que vos faces soient confondues! Dieu commanda au vent
de porter cette poussière aux yeux des infidèles, qui en furent
aveuglés. Chargés par les anges, qui étaient en avant des
fidèles, ils se mirent à fuir. Les anges les poursuivirent, les
frappèrent de leurs bâtons et les firent tomber. Chaque coup
qu'un ange portait à un infidèle lui brisait tous les os de son
corps, depuis la tête jusqu'aux pieds, et lui rompait les veines
et les nerfs; Thomme tombait et remuait convulsivement,
sans qu'aucune blessure fût visible sur son corps, et sans que
son sang coulât. Quand les fidèles arrivaient, ils attaquaient
les hommes ainsi frappés, leur faisaient des blessures et
faisaient couler leur sang. Les compagnons du Prophète ont
raconté : Il y eut des hommes dont la tête fut séparée du
corps et la nuque brisée avant que notre épée les eût atteints.
H y en avait d'autres qui, lorsque nous les attaquâmes,
étaient étendus par terre, agonisant, mais sans blessure. Leurs
506 CilHOMULE DE TABAIU.
f*or|is éuieiii brisés, mais ia Me ne les avait pas eucore quit-
tés. Nous reconuduies que cela uVtait pas de notre lait, mais
iœuvre de Dieu. Il est dit, en effet, dans le Coran : «r Ce n'est
|>as vous qui les avez tués, mais Dieu; ce n'est pas toi qui as
jeté la poussêèrty mais Dieu, -^ etc. (Sur. vui, vei*s. 17.)
Vers le soir, les inGdèles furent mis eu déroute; les musul-
mans les tuèrent à coups de sabre et Grenl des prisonniers. Le
Prophète, en les envoyant à leur poursuite, dit à ses gens :
Parmi ces inGdèles il y a plusieurs membres de la famille de
Hâschim, tels que ^Abbâs, Gis d** Abou I-Mottalib , mon oucle;
^Aqil, Gis d'Abou-Tàlib , père d'^AIi; .Vbou l-Bakbtari, Gis de
Hâschim. Si vous rencontrez ceux-là parmi les fuyards, ne
les tuez pas. Vous savez qu'ils ont été forcés de marcher avec
Tannée. ^Abbâs est un vieillard , qui ne m'a jamais offeofié à
la Mecque. Lorsque les Qoraïschites avaient écrit un enga-
gement de cesser toutes relations avec les Beni-Hâschim,
Abou'UBakhtaii Gt beaucoup d'efforts, jusqu'à ce qu'il fût
parvenu à arracher la feuille de la porte de la Ka^ba, où elle
était suspendue, et à la déchirer. Donc ne le tuez pas. Qui-
conque d'entre vous rencontrera Abou-Djahl, qu'il ait soin de
ne pas le laisser échapper. Si vous ne le rencontrez pas, re-
cherchez-le parmi les morts; car Dieu m'a promis qu'il serait
tué aujourd'hui. Si vous ne le reconnaissez pas à son visage, qui
pourrait être couvert de poussière, vous pourrez le distinguer
à une cicatrice qu'il a au pied. Dans notre enfance, nous nous
trouvâmes un jour dans la maison d'^ Abdallah, Gis de Djoud^ào ,
l'un des nobles de la Mecque. En quittant ia table, après avoir
mangé, Abou-Djahl me poussa et voulut me faire tomber;
mais il n'y réussit pas. Ensuite je le bousculai, el sou pied
ayant frappé le seuil de la maison, il se blessa, et son genou
a gardé la trace de retle blessure. Vou8 le reconnaîtrez à ce
PARTIE II. CHAPITRE LXXXIX. 507
signe; Iraiichez-lui la Ic'le ol apportez-la-moi. En (erminanl
SCS recommandations, il dit : Maintenant, au nom de Dieu,
allez et exécutez ce que je vous ai dit.
Les musulmans partirent à la poursuite des inGdèles qo-
raïschites. Le Prophète, en les voyant s'éloigner, dit, en bran-
dissant le sabre ([u'il tenait à la main : rr Certes, cette armée
sera mise en fuite; ils tourneront le dos,7> etc. (Sur. liv,
vers. 45.)
Âbou-^Hodsaîl';!, iils d'^Otba, Fun des principaux Mohâdjir,
qui était très-aflligé de la mort de son père, de son oncle et
de son frère, qui avaient élé tués ce jour-là , était présent lors-
que le Prophète donna aux fidèles ces instructions relative-
ment à la poursuite. Ayant entendu le Prophète dire à deux
ou trois personnes : Ne tuez pas mon oncle ^Abbâs, Âbou-
^Hodsaïfa dit en murmurant en lui-même : Nous tuons nos
pères, nos frères et nos oncles, et lui, il dit: Ne tuez pas mon
oncle. Par Dieu! si je rencontre *Abbâs, je lui donne le pre-
mier un coup de sabre sur la lôte. Ensuite Abou-^Hodsaïfa
partit avec les musulmans à la poursuite des infidèles. Le
Prophète, qui avait entendu ces paroles, dit à ^Omar, fils
d'Al-Khattâb, présent à cette scène : As-tu entendu, *Omar,
ce qu'a dit Abou-^Hodsaïfa? 'Omar répliqua : 0 apôtre de
Dieu, autorise-moi à le tuer; il est devenu infidèle et hypo-
crite. Le Prophète dit : Il n'est pas devenu infidèle, ni hypo-
crite; il parle ainsi dans la douleur qu'il éprouve de la mort
de son père, de son frère et de son oncle. ^Omar insista et
voulait à toute force que le Prophète lui permit de le tuer. Le
Prophète, qui auparavant n'avait jamais appelé 'Omar par son
surnom, lui dit : 0 Abou-'Ilafç, ne le tue pas; car peut-être
Dieu lui donnera- t-il le martyre, qui sera une expiation de
ses paroles el qui le portera dans \v paradis. Quehju'un avait
508 CHKONIQUE DE TABARI.
eultMidu celte parole du iVophète et Tavaii rapportée à Ai>ou-
'HodsaiTa. Celui-ci se repeuiit. Il continua sa course, crai-
gnant le cliâlimenl de Dieu, et disant : Peut-être scrai-je
tué et trouverai-je le martyre, pour expier mes paroles crimi-
nelles, comme Ta dit le Prophète. Mais Âbou-^Hodsaïfa ne
fut pas tué le jour de Bedr. II suivit le Prophète dans toutes
les autres batailles et combattit avec ardeur, dans la pensée
de trouver la mort et le martyre. Chaque fois il priait Dieu
de lui accorder la grâce du martyre dans le combat, aGn
d'expier les paroles qu il avait prononcées. Après la mort du
Prophète, lorsque les musulmans combattaient Mousaïlima
rimposteur, Abou-'Hodsaïfa fut tué et trouva le martyre. Après
avoir envoyé les musulmans à la poursuite des iuGdèles, le
Prophète entra dans la cabane, pria et rendit grâces à Dieu.
SaM, Gis de Mo^âds, et ses compagnons se tenaient à Teutrée
tout armés, sur leurs chameaux, aGn de protéger le Prophète
contre toute attaque.
Les croyants, acharnés à la poursuite des inGdèles, les
tuèrent ou les Grent prisonniers. Un homme nommé Ka^b,
Gis d'^Amrou , surnommé Abou'l-Laïth , de la tribu de Solaïm ,
Gl prisonnier ^Vbbâs et lui attacha les mains, en lui disant :
Le Prophète m'a défendu de te tuer. ^Abbâs fut très-heureux.
Il avait sur lui vingt dinars. Ka'b les lui prit et Temmena au
camp. Moudjaddsar, Gis de Dsiyàd, client des Ançâr, ren-
contra Aboul-Bakhtari, Gis de Hâschim, avec un de ses
amis, nommé Djounâda, Gis de Molaï^ha. Moudjaddsar dit
à Abou'UBakhtari : Va , ô inGdèle, auprès du Prophète de
Dieu, qui m'a défendu de te tuer. Mais je ne peux pas lais-
ser la vie à ton ami. Abou'l-Bakhtari répliqua : Ma vie est
liée à la sienne; je ne laisserai pas tuer mon ami. Malgré
les elforts de Moudjaddsar, Abou'i-Bakhtari lutta avec lui.
PARTIE II. CIIAPITUE LXXXIX. 509
pour (lëfendrc son ainl, jusqu'à ce qu'il fiil Uu! par Moudjad-
dsar, qui vint en rendre comple au Prophète, en lui racon-
tant le fait et en s'excusanl. Le Prophète agréa ses excuses.
*Abd er-Ra*hmân, fils d'*Auf, qui avait reçu ce nom du
Prophète en se faisant musulman, et qui auparavant s'ap-
pelait *Âbd-^Amrou, avait été, avant Tislamisme, lié d'ami-
tié avec Omayya, fils de Khalaf, et était resté son ami
m(^me après avoir embrassé la religion musulmane, quoique
Omayya fût incrédule. Celui-ci continuait a l'appeler *AI)d-
^Amrou. *Abd er-Ra^imân lui dit : Appelle-moi *Abd er-
Ra^hmân , serviteur de Dieu. Omayya répondit : Je ne
connais pas Ra^ktnân, je ne sais qui il est. — Appelle-moi
alors ^Abdallah. — Je ne connais pas ^Abdallah; je t'appelle-
rai ^Abdou'i-Ilah. — J'y consens, répondit *Abd er-Ra*hmân.
Omayya l'appelait donc ainsi. Or, le jour de Redr, Omayya
et son fils *Alî se trouvaient à l'armée qoraïschite. Lorsque
son armée fut en déroute, Omayya, qui était âgé, ayant perdu
son cheval et ne pouvant pas courir, resta en arrière. Lui et
son fils ^Ali, qui était un jeune homme et qui ne pouvait
pas quitter son père, étaient dans le camp, debout, cherchant
quelqu'un à qui ils pussent se rendre prisonniers, pour échap-
per à la mort. ^Abd er-Ra*hmân, fils d'^Auf, qui aimait les
armures, était entré dans le camp, avait ramassé deux cui-
rasses et les emportait sur son dos. Omayya , l'apercevant de
loin, le reconnut et lui cria : 0 *Abdou'l-Ilah , viens et fais-
nous prisonniers, moi et mon fils, nous valons mieux que
ce que tu tiens. ^Abd er-Ra^hmân jeta les cuirasses, les fit
prisonniers et les emmena. Ils, furent rencontrés par Relàl,
qui, d'après une version, avait été le voisin d'Omayya à la
Mecque, et qui, chaque jour, avait été frappé et tourmenté
par lui. Mais, d'après une version plus exacte, Relâl avait été
510 CHRONIQUE DE TAHABI.
Tesclavo (VOniayyn; ronimc il avait embrassé rislainisiiu*, il
l'ut aciielé par ALou-Bckr, ri donné par lui au Proplièle, qui
TalTranchil. Omayya lui avait attaché les mains et les pieds,
lui avait placé sur le corps un bloc de pierre, avait torturé
tous ses membres, en lui ordonnant de renoncer à Tisla-
niismc. Belâl avait répondu : Il n'y a qu'un dieu! Or, lorsque
les infidèles s'enfuirent, Bclâl , sachant qu'Omayya était parmi
eux, ne songea qu'à s'en rendre maître pour le tuer ou le
faire prisonnier. En passant dans le camp, il vit Omayya et
son fds conduiLs comme prisonniei's par *Abd er-Ra^hmân.
Belàl dit : 0 ^Abd er-Ra*hmân, oii menes-tu ces infidèles que
je cherche? — Tais-toi, dit *Abd er-Ra*hmân, ce sont mes
prisonniers. Belàl répliqua : Que Dieu ne me sauve pas s'ils
échappent de mes mains! Ce sont des Qoraïschites infidèles,
ennemis de Dieu et du Prophète. Les musulmans accoururent
avec leurs sabres et tuèrent le fils d'Omayya. *Abd er-RaMi-
mân, en couvrant Omayya de son corps, lui dit : Voilà tm\
fils qui n'existe plus, ils vont maintenant te tuer également.
Je n'y peux rien faire. Dis : 0 n'y a pas de dieu si ce n'est
Allah, et MoMiammed est l'apôtre d'Allah. Omayya répondit:
Si je pouvais prononcer ces paroles, je ne serais pas venu à
ce combat. *Abd er-Ra*hmân dit : Alors sauve-toi, car je ne
peux pas te protéger. Omayya, ne pouvant courir à cause de
son âge, dit : Si je pouvais marcher, je ne me serais pas
rendu à toi, moi et mon fils. Ils parlaient encore, lorsque
les musulmans se tournèrent vers lui et le tuèrent. *Abd er-
Ra'hmân dit à Belàl : Que Dieu ne le punisse pas, ô BelaK
pour ce que tu as fait. J'ai perdu mes cuirasses, et tu as fait
tuer mes prisonniers, de sorte que chacun a obtenu quelque
chose, exceplé moi.
Lorsque le Prophète donna Tordre de rechercher Abou-
PARTIE lï, CHAPITUR LXXXIX. 511
Djciltl, de ne pas le laisser échapper, de le cliertlier parmi
les moris cl de le lui amener mort ou vif, parce (pie, di-
sail-il, c'était un homme dangereux, Tun des Ançàr, nonmié
Mo'âds, fils d'^Amrou ben-Al-Djamou*h, ne songea qu'à cher-
cher Abou-Djahl. Il le rencontra enfin dans le camp des infi-
dèles, monté sur un cheval arabe; il était avec son fils ^krima.
Mo*âds, le frappant de son sabre, lui enleva le bras droit,
et Abou-Djahl tomba de son cheval. *Ikrima accourut et,
d'un coup de sabre, coupa le bras de Mo^âds, qui se sauva.
Mo*âds vivait encore, n'ayant qu'un bras, sous le califat d'^Olh-
mân. D'après une autre version, Abou-Djahl serait tombé de
cheval, ayant une jambe coupée. Mkrima se tenait devant
son père, et ne le quittait pas. Un autre homme des Ançar,
nommé Mo^awwids, fils d'^Afrâ, vint h y passer, et, voyant
Abou-Djahl assis, le sang coulant de sa jambe, il lui asséna
sur les épaules un coup de sabre qui pénétra jusqu'à la poi-
trine. Abou-Djabl tomba dans la poussière. *Ikrima s'ap-
l)rocha, frappa Mo*awwids et le tua. Voyant que son père
était perdu, il s'en alla. ^Abdallah, fils de Mas^oud, l'un des
plus faibles des musulmans, s'était dit : Je m'occuperai des
morts; j'irai voir lesquels d'entre les Qoraïschites ont été tués.
En examinant les cadavres, il trouva Abou-Djahl, qui avait
encore un souffle de vie. Il le retourna, l'étendil sur le dos
et s'assit sur sa poitrine. ^A'ddallah n'avait pas d'autre arme
qu'un bâton. Abou-Djahl avait un grand couteau; ^Abdallah le
prit pour lui trancher la tête. A ce moment, Abou-Djahl ouvrit
les yeux pour voir qui il était. Reconnaissant ^Abdallah, qui,
avant l'islamisme, avait été son berger, il lui dit : 0 pâtre des
timides moutons, à quelle place t'es-tu assis! ^Abdallah répli-
qua : Que Dieu soit loué de m'avoir accordé cet honneur! —
Ouel honneur vois-tu en moi? dit Abou-Djahh Tu vois qu'on
512 CHROMOIE Ï>E TABARI.
a lue Uni de nobles Ooraîschiles; prends-moi avec eux ! Mais
à qui est la Ticloire? \AI>dallaîi répondit : A Dieu, à son pro-
phète et aux croyants. Mbdallah lui trancha la tête , la porta
au Prophète et la jeta sur la terre devant lui. Le Prophète se
prosterna et rendit grâces à Dieu.
A la tombée de la nuit, les musulmans revinrent au camp,
cessant la poursuite. Le Prophète ordonna de traîner les ca-
davres au bord d^un certain puits sans eau , et de les y jeter,
sauf Omavva, fils de Khalaf, dont le cadaiiTe était entré im-
médiatement en décomposition, 'et que Ton ne pouvait pas
déplacer; on Tenfouit dans la poussière. Le Prophète, se
plaçant au bord du puits dans lequel on avait jeté les cada-
vres, appela chacun des morts par son nom et dit : O ^Otba,
6 Schaîba , à Abou-Djahl , à vous tels et tels , vous étiez tous
mes parents; vous m'avez accusé de mensonge, tandis que des
étrangers ont cru à mes paroles; vous m'avez chassé de ma
patrie, des étrangers m'ont accueilli ; vous m'avez combattu , et
des étrangers ont combattu pour moi. Tout ce que Dieu m'a
promis, la victoire sur vous et votre châtiment, s'est réalisé
sur vous. Les compagnons du Prophète lui dirent : 0 apôtre
de Dieu, paries-tu à des morts? Le Prophète répliqua : Ils
entendent et comprennent comme vous-mêmes, seulement
ils ne peuvent pas répondre. Ensuite le Prophète rentra au
camp.
Les auteurs qui ont rapporté les traditions ne sont pas
d'accord sur le nombre des hommes tués et des prisonniers.
Les uns prétendent qu'il y a eu quarante-cinq prisonniers;
d'après d'autres, il y en a eu moins. Mo^hammed ben-Djarîr,
dans cet ouvrage, dit, ainsi que f ai lu dans le récit des guerres
sacrées et dans d'autres livres, qu'il y a eu soixante et douze
hommes tués et autant de prisonniers. Mais il n'y a pas désac-
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 513
cord sur le nombre des morts musulmans, qui s'élevait à
quatorze, six Mohâdjir et huit Ançâr. Leurs noms se trouvent
dans le livre des Batailles.
En revenant au camp, le Prophète vit 'Hodsaïfa, fils
d^Otba, la figure altërée. Il lui dit : Tu es peut-être affligé,
A ^Hodsaïfa, de la mort de ton père, de ton frère et de ton
oncle? ^Hodsaïfa répondit : Non, 6 apôtre de Dieu, je n'en
suis pas affligé, puisque Dieu a donné la victoire* au Prophète
et qu'il a fait triompher les musulmans. Mais mon père était
un homme très-intelligent et sage; j'avais espéré que Dieu le
favoriserait de l'islamisme; je regrette qu'il ait quitté le monde
dans l'incrédulité. Le Prophète le consola et lui donna des
éloges.
Il y eut désaccord parmi les musulmans au sujet du butin
et des prisonniers. Quelques-uns ne voulaient pas consentir
à un partage général. Mais Sa*d, fils de Mo*àds, dit : Moi
et mes compagnons des Ançâr, qui avons gardé le Prophète
en restant à l'entrée de la cabane, nous avons aussi droit
au butin. Puis on proposa de réunir tout le butin devant le
' Prophète pour connaître son avis. Tout en discutant, ils lui
demandèrent comment ils devaient agir. Le Prophète ne prit
aucune décision, parce que, dans toutes les religions, dans
celle du Pentateuque comme dans celle de l'Évangile, le
butin est une chose sacrée. Il attendit une révélation divine.
Enfin Dieu lui révéla le verset suivant : rrlls t'interrogeront
relativement au butin {ar^àl); dis : La disposition du butin
appartient à Dieu et à son prophète. Craignez Dieu et soyez
d'accord,^ etc. (Surate vin, vers, i.) Le Prophète ne prit
aucune décision , car Dieu n'avait pas manifesté sa volonté.
On réunit tout le butin et les prisonniers en un seul endroit,
et l'on y plaça un gardien, l'un des Ançâr, nommé 'Abdallah,
II. 33
514 CHKOMQUE DE TABARI.
fils de Ka^b, de la Iribu de ^addjâr. Le Prophèle lui or-
donna de rester à son poste jusqu'à ce que Dieu eût fait con-
naître sa volonté.
Le lendemain de la bataille, le Prophète envoya Zaïd, fils
de 'Hâritha, à Mëdine, pour annoncer sa victoire aux musul-
mans qui y étaient restés. Il avait laissé sa fille Roqayya ma-
lade. Quand Zaïd arriva à Médine, il rencontra au cimetière
'Othmân; il Venait d'enterrer Roqayya, qui était morte. Zaïd
s'assit au bord de la tombe de Roqayya, avec^Othmân; les
fidèles se réunirent autour de lui et lui demandèrent des nou-
velles. Il leur raconta la victoire et la manière dont tout s'était
passé; il nomma tous les nobles Qoraïschites qui étaient morts,
*Otba, son frère et son fils, Abou-Djahl, Omayya, et tous les
autres, enfin tous ceux qui avaient été faits prisonniers, et
particulièrement 'Abbâs, fils d"Abdou'l-Mottalib. ^Othmân,
tout à fait étonné, cligna des yeux et dit : 0 Dieu, est-ce un
n^ve ou suis-je éveillé?
Le premier qui rapporta la nouvelle de la bataille à la
Mecque fut Al-^Haïsoumân, fils d'^ Abdallah, le Khozâ^ite,
qui, ayant un chameau rapide, avait précédé tous les autres.
Il n'était resté à la Mecque, des grands personnages, que
Çafv^ân, fils d'Omayya; Abou-Lahab, fils d'^Abdou 1-Mottalib;
Tâlib, fils d'Abou-Tâlib, et Abou-Sofyân, fils de 'Harb. Ils
se trouvaient réunis tous les quatre dans le temple avec quel-
ques autres Qoraïschites, attendant que quelqu'un vint appor-
ter des nouvelles. Tout à coup quelqu'un entra dans le temple
et leur dit : Al-^Haïsoumân , le KhozàSte, est arrivé; il est
dans lo BalMiâ, au milieu d'une foule de gens. Il raconte
que l'armée qoraïschite a été mise en fuite, que tous les
chefs ont été tués ou faits prisonniers. Çafwân envoya pour
qu'on amenai cet homme au temple. Il vint, s'assit en face
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 515
de Çafwân et raconta la défaite. Ils furent tous stupéfaits. Il
leur nomma ensuite ceux d'entre les chefs qui avaient été tués
ou faits prisonniers. Il passa sous silence le nom d'Omayya,
(ils de Khalaf , ne voulant pas le dire en présence de Çafwân.
Comme il énumérait ainsi un grand nombre de personnes
et de chefs, Çafwân ne le croyait pas; il dit : Cet homme est
fou, il ne sait pas ce qu*il dit; il ne connaît personne. Si vous
voulez vous convaincre qu'il est fou et qu il dit tout cela dans
sa folie, demandez-lui ce qui est advenu de moi, pour voir
ce qu'il dira : vous reconnaîtrez qu'il est fou. Us lui deman-
dèrent donc ironiquement des nouvelles de Çafwân. II répon-
dit: Çafwân est ici, assis près de vous; vous vous moquez de
moi. Mais , par Dieu I son père Omayya et son frère *AH ont
été tués. En entendant ces paroles, Omayya poussa des cris
et se mit à pleurer, de même que tous les autres. Il y eut des
cris et des lamentations dans toute la ville.
Abou-Lahab était malade; lorsqu'il apprit cet événement,
la douleur produisit en lui une dyssenterie, et, le lende-
main, son corps, couvert de pustules noires pestilentielles, se
décomposa, et il mourut. Son cadavre resta trois jours dans
sa maison; personne ne pouvait le loucher ni l'enteirer, à
cause de sa putréfaction et de sa puanteur. Enfin, son fils
^Otba démolit la maison et le laissa sous les décombres. Les
pleurs et les gémissements continuaient à la Mecque nuit et
jour.
Le Prophète, le jour oii il envoya la nouvelle de sa victoire
à Médine, réunit tous ses hommes dans le camp pour délibé-
rer sur le sort des prisonniers et sur le butin. Mo'hammed ayant
demandé un avis, ^Omar, fils d'Al-Khattâb, se leva et dit : Je
pense que tu dois faire mourir tous les prisonniers. Ordonne
que chacun tue le prisonnier qui est son parent. Ainsi, dis à
33.
•
516 CHRONIQUE D£ TABARI.
^Ali de tuer son frère ^Aqil, et a ^Hamza de tuer ^Abbâs; car
Dieu fiait que ces incrédules n'ont aucune place dans nos
cœurs et que nous n'avons plus d'amour et d'affection pour eux.
Chacun doil tuer son parent de sa main, pour qu'il ne surgisse
pas d'hostilitë [entre deux tribus], ce qui arrivera si les pri-
sonniers sont mis à mort par des étrangers. Quant à ce butin,
il faut l'enfouir sous terre. ^Abbâs, assis au milieu des prison-
niers, dit à ^Omar : ft 0 'Omar, tu supprimes la pitié; que Dieu
te prive de pitié! ?) Le Prophète ne fut pas content de cet avis;
il demanda une autre opinion. ^Abdallah, fils de Bewâ^ha,
l'un des héros des Ançâr, dit : 0 apôtre de Dieu , mon opinion
est que tu choisisses une vallée; tu la feras remplir de bois
et brûler tout ce butin; ensuite tu feras jeter dans le feu les
prisonniers. ^Abbâs répéta les paroles qu'il avait adressées à
^Omar. Le Prophète, mécontent aussi de cet avis, en demanda
de nouveau un autre. Abou-Bekr parla ainsi : 0 apôtre de Dieu ,
ces hommes sont tous tes oncles et tes cousins, aussi bien que
les nôtres. Dieu nous a donné la victoire sur eux; maintenant
nous devons avoir pitié d'eux, et les relâcher contre une
somme d'argent. Us sont de condition élevée et riches; cha-
cun d'eux doit se racheter. Ceux-là alors seront libres, et les
croyants en auront obtenu des avantages et de la puissance.
Le Prophète fut satisfait de cet avis; il sourit et dit : 0 Abou-
Bekr, il en est d"Omar comme de Gabriel, que Dieu envoie
partout où il y a un châtiment ou un fléau à porter, comme
»
au peuple de Lot et au peuple de Pharaon. Toi, tu es comme
l'ange Michel, que Dieu envoie toujours pour porter la clé-
mence; c'est lui qui porte la pluie, qui porte la clémence
de Dieu au peuple de Jonas, qui en détourne le châti-
ment, et qui fait sortir Jonas du ventre du poisson. Tu es
encore comme Abraham, qui, par pitié pour son peuple.
PARTIE II, CHAPITRJi LXXXIX. 517
a dit : trQue celui qui me suivra soit des miens; que celui
qui me désobéira . . . , mais tu es indulgent et miséricor-
dieux!^ (Sur, XIV, vers. Sg.) Tu es comme Jésus, qui a dit :
«Si tu les punis, ils sont tes serviteurs. Si tu leur pardonnes»
tu es le puissant, le sage.7) (Sur. v, vers. 118.) *Omar est
comme Noé parmi les prophètes; car Noé a dit : «r Seigneur,
rr ne laisse subsister sur la terre aucun des incrédules I «
(Sur. Lxxi, vers, 97.) Il est comme Moïse, qui a dit : trSei-
(tgneur, détruis leurs biens, tî etc. (Sur. x, vers. 88.) Vous avez
raison Tun et l'autre; maintenant attendons ce quWdon-
nera Dieu. Pendant la séance même, Dieu révéla le verset
suivant : (t II n'a pas été donné à un prophète d'avoir des
(T prisonniers, sans faire un grand massacre sur la terre,?) çtc.
(Sur. vm, vers. 68-70.) Dans les anciennes religions, on
brûlait le butin ou on le cachait sous terre, de sorte que per-
sonne ne pût y toucher, et Ton tuait les prisonniers. Dans
ce verset du Coran , Dieu dit : Tous les anciens prophètes ,
conformément à mes ordres, ont enfoui sous terre le butin
et les prisonniers, tandis que vous avez envie de l'avoir. Je
vtux vous donner la récompense de l'autre monde, mais vous
désirez les biens de ce monde. Le Prophète ajouta encore :
Si la décision de Dieu n'avait pas été de rendre le butin
licite dans votre religion, il aurait envoyé sur vous un
grand châtiment, parce que vous vous êtes tournés vers ce
monde actuel , et que vous avez désiré les biens de ce monde.
Le Prophète, après avoir récité ce verset, dit : Si vous aviez
été atteints par ce châtiment, personne nWrait survécu,
sauf *Omar. Enfin Dieu envoya un autre verset, par lequel
il rendit le butin licite. Le Prophète adopta et suivit le
conseil d'Abou-Bekr, et sa décision devint la loi. Le Pro-
phète passa cette nuit au même endroit. Le lendemain, le
518 CHRONIQUE DE TABARI.
dimanche , il leva le camp pour retourner à Médine. Le soir,
à la station, ^\bdallah, fds de Ka'b, qui avait la garde des
prisonniers, construisit une cabane à côté de celle du Pro-
phète, et y mit les prisonniers, tandis qu'il garda Ventn^e.
^Abbâs, ayant les mains fortement attachées, gémissait de
douleur. Le Prophète l'entendit ; il fut touché de compassion
et ne put dormir. Vers minuit, il fit appeler ^Abdallah et lui
demanda pour quelle cause son oncle ^Abbâs gémissait ainsi.
^Abdallah répondit : Prophète de Dieu, ses mains sont for-
tement liées. — Il m'émeut si fort, reprit Mo^hammed, que,
de la nuit, je n'ai pu trouver le sommeil. — Je vais lui délier
les mains, dit ^Abdallah. — Non, répliqua le Prophète, mais
relâche ses liens; car un oncle est un demi-père. ^Abdallah
fit ainsi; les gémissements d'^Abbâs cessèrent, et le Prophète
9'endormit.
Le lendemain, il continua sa route, emmenant les prison-
niers et emportant le butin. 11 fit halte à une station nommée
Irq-az-Zhabya. Il donna ordre de lui présenter les prison-
niers. On les fit passer un à un devant le Prophète, qui était
entouré de ses compagnons, tout armés. Lorsque le Prophète
vit passer *Oqba, fils d'Abou-Mo'aït, le même qui lui avait
craché au visage et que le Prophète avait fait vœu de tuer,
il dit à *Ali : Va, ô ^Alî, accomplis le vœu du Prophète. *Alî
ayant tiré son sabre pour le tuer, 'Oqba s'écria : 0 Mo^ham-
med, si tu me fais tuer, qui aura soin de mes enfants? Le
Prophète répondit : Toi et tes enfants vous brûlerez dans
l'enfer. Ensuite ^Ali lui trancha la tête. On fit passer devant
le Prophète Nadhr, fils de 'Hàrith, qui avait dit : «rÔ Dieu,
si cela est vrai, fais pleuvoir sur nous des pierres, ?> etc.
(Sur. viii, vers. Sa.) C'est à propos de Nadhr que ce passage
du (loran a été révélé, de même que, d'après certains auteurs.
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 519
.le verset : fr Comme vous avez dësiré une clécisiou,^^ etc.
(Sur. vui, vers. 19.) Sur Tordre du Prophète, ^Açim, fils de
Thàbil, fils d'Abou-AqIa'h , tua Nadhr. *Açim était l'un des An-
çâr. Mo'hammed ben-Djarir dit dans cet ouvrage que Nadhr a
été tué par *Ali , et ^Oqba par ^Âçim, Cette version est inexacte ;
c'est la nôtre qui est la vraie. Quelques commentateurs pré-
tendent que les paroles trÔ Dieu, si cela est vrai, 19 etc. ont été
prononcées, non par Nadhr, fils de ^Hârith, mais par Nadhr,
fils d'^Alqama, le jour de la prise de la Mecque, ou à la ba-
taille de ^Honaïn.
Le lendemain, le Prophète arriva à Çafrà, bourg qui est
situé entre deux montagnes. Il ne s'y arrêta pas, passa entre
les montagnes et alla faire halte au bord d'un puits, à une
station nommée Arwâq (?). Là il partagea le butin entre ses
compagnons.
Le Prophète avait un barbier, qu'on appelait Abou-Hind;
il était affranchi de Farwa, fils d'^Amrou, et était resté à Mé-
dine. Lorsqu'il apprit la nouvelle de la victoire, il alla au-de-
vant du Prophète jusqu'à cette station. Il apporta un vase de
^haîs, fait de dattes et de lait, et le présenta au Prophète, qui
appela ses compagnons et mangea avec eux; et ils burent de
l'eau qu'ils puisèrent dans le puits. On rapporte que, lorsque
le vase fut vide, le Prophète invita chacun de ses compagnons
à y mettre quelque chose de sa part du butin , et qu'il le ren-
dit ainsi rempli au barbier.
Le Prophète quitta celte station et se dirigea vers Médine,
après avoir ordonné à ^Abdallah, fils de Ka^b, et à ses com-
pagnons de garder les prisonniers jusqu'à leur arrivée à Mé-
dine et jusqu'au moment oii ils seraient rachetés. Il arriva
avec l'armée à Rau^hâ, station bien connue, à une étape de
Médine. Les habitants de Médine sortirent de la ville et vin--
520 CHRONIQUE DE TABARL
«
rent saluer le Prophète. Il était assis lorsqu'ils arrivèreut,
et Tun des principaux Ançâr, nommé Osâma, fils de Salama
(Salama, fils d'AsIam?), se tenait devant lui avec sou sabre.
C'était un homme très-brave , qui avait fait preuve d'un grand
courage dans le combat , et qui avait tué plusieurs Qoralschites.
On lui demanda comment il était arrivé que tous ces nobles
Qoraïschites avaient été tués. ïl répondit : Ils étaient comme
de faibles vieillards, quand nous les avons attaques; ils étaient
comme des prisonniers ayant les mains et les pieds liés, et
destinés à être mis à mort; nous les avons tués un à un. Le
Prophète fut blessé de ces paroles, qui jetaient le mépris sur
les Qoraïschites, ses compatriotes.il apostropha cet homme en
ces termes : Tais-loi! C'étaient des nobles Qoraïschites; c'est
Dieu qui les a mis en fuite, ils ont été frappés par les anges.
Le Prophète quitta ce lieu et vint à Médine.. Il descendit
chez sa femme Sauda, fille de Zam^a. Zam^a, fils d'Aswad,
était l'un des principaux Qoraïschites; il avait été tué dans
le combat, lui et ses frères 'Hârith et VAqM. Aswad, fils d'*Abd-
Yaghouth, leur père, un vieillard décrépit, vivait à la Mecque.
Sauda avait appris la mort de son père et de ses oncles , et
lorsque le Prophète arriva chez elle, elle se mit à pleurer.
Le Prophète en fut attristé, et le soir il quitta sa maison et
alla dans celle d'^Aïscha , où il passa la nuit.
Le lendemain matin, ^Abdallah, fils de Ka^b, amena les
prisonniers. Il demanda chez laquelle de ses femmes le Pro-
phète était descendu. On lui dit que c'était chez Sauda; car
on ne savait pas qu'il était allé ensuite chez ^Aïscha. En con-
séquence, ^Abdallah conduisit les prisonniers à la maison de
Sauda. Quand celle-ci vit des chefs qoraïschites, comme *Ab-
bàs, fils d'^Abdoul-Mottalib, comme *Aq{l, filsd'Abou-Talib,
Sohaïl , fils d'^Amrou , et comme 'Amrou, fils d'Abou-Sofvàn ,
PARTIE.Il, CHAPITRE LXXXIX. 521
ayant les mains liées, elle eut une si grande surprise et en
fut si afiligëe, qu'elle oublia son propre malheur et sa dou-
leur; elle dit à Sohaïl, (ils d'^Amrou : C'est ainsi, ô gamins,
que vous avez tendu vos mains ignominieusement pour être
faits prisonniers? Pourquoi n'avez-vous pas combattu pour
être tués en combattant, comme mon père et ses frères? Le
Prophète fut averti qu on avait conduit les prisonniers dans
la maison de Sauda , parce qu'on l'avait cru chez elle. Il se
rendit chez elle, et, en entrant par la porte, il la trouva cau-
sant avec Sohaïl. Il entendit ses paroles et en fut très-irrité.
Il lui dit : 0 Sauda, tu excites les infidèles contre Dieu et le
Prophète! Dans sa colère, il n'entra pas dans la maison et
ne s'assit pas; il la répudia sur-le-champ et retourna chez
^Aïscha , où l'on conduisit aussi les prisonniers. Mo^hammed
remit chaque prisonnier à celui qui l'avait pris, pour être
gardé par lui jusqu'à ce que quelqu'un vint de la Mecque
pour le racheter.
Sauda pleura toute la journée à cause de la mort de son
père et de ses oncles , et parce qu'elle avait été répudiée par
le Prophète. Elle souffrait la honte et la disgrâce de Dieu et
de son prophète. Malgré les prières et les instances qu'elle fit
transmettre au Prophète, celui-ci ne lui pardonna pas. Tan-
dis que Sauda pleurait à Médine, Âswad, fils de Yaghouth,
son grand-père, vieux, impuissant et aveugle, pleurait à la
Mecque la mort de ses trois fils. La douleur lui inspirait des
élégies qu'il envoyait h Sauda et qui faisaient verser h celle-ci
de nouvelles larmes. Dans l'une de ces poésies, il était dit
qu'ayant entendu à la Mecque pleurer une femme, Aswad en
avait demandé la cause. On lui avait répondu que cette femme
avait perdu un chameau, et qu'elle pleurait cette perte. Il
disait donc dans sa pièce de vers ; Si celte femme doit tant
522 CHRONIQUE DE TABARI.
pleurer la perte d'un chameau, et en être privée de sommeil,
comment ne pleurerais-je pas et combien ne dois-je pas pleurer
la mort de mes fils! Les femmes de Médine disaient à Sauda
de demander au Prophète l'autorisation de retourner à la
Mecque auprès de son grand-père. Sauda leur répondit : Com-
ment puis-je faire supporter a ce vieillard aveugle les deux
disgrâces, celle de la mort de ses fils et celle du renvoi de sa
petite-fille? Sauda était une femme déjà avancée en âge. Elle
savait que le Prophète avait pour ^Aïscha plus d'amour que
pour toutes ses autres femmes. Elle se tint tranquille jusqu'au
moment où il se rendit à la maison d'^4ïscha. Alors elle s'y
rendit aussi, lui parla en personne et lui demanda pardon des
paroles qu'elle avait dites. Le Prophète lui pardonna. Ensuite
elle lui dit : 0 apôtre de Dieu, je suis une femme vieille, et
en te priant de me reprendre pour femme, ce qui me fait
agir n'est pas le désir d'obtenir ce que doivent rechercher
dans un mari les autres femmes; mais ce que je désire, c'est
d'être comprise, au jour de la résurrection , dans le nombre de
tes femmes, lorsqu'elles seront appelées de leurs tombes dans
le paradis. Reprends-moi, et les nuits que tu devrais passer
avec moi quand mon tour viendrait, passe-les avec ^Ak'scha,
qui alors, tandis que les autres femmes n'auront qu'un seul
tour, en aura deux. *Aïscha pria également le Prophète, qui,
enfin , reprit Sauda comme épouse.
Le Prophète avait donc confié chaque prisonnier entre les
mains de celui qui l'avait pris, pour y être gardé jusqu'à ce
que les parents de chacun vinssent de la Mecque pour les ra-
cheter. Les gens de la Mecque voulurent alors se rendre à Mé-
dine, chacun avec la rançon de son parent. Abou-Sofyân leur
(lit : Ne vous hâtez pas trop de réclamer vos prisonniers. Moi
aussi, j'y suis intéressé. Mon fils ^HanzRala a été tué, et mon
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 523
autre lils ^Amrou est prisonoier. Si vous montrez trop d'em-
pressemeut , en oiïraut des sommes considérables , Mo^ham-
med fixera un taux trop élevé; attendez quelque temps. Il y
avait parmi les prisonniers un homme nommé Abou-Wadâ'a,
Tun des commerçants de la Mecque. 11 avait un fils nommé
Mottalib, qui ne voulut pas attendre; il se rendit à Médine,
racheta son père et le ramena à la Mecque. Alors les autres
allèrent également chercher leurs parents, ou les envoyèrent
chercher. Sohaïl, fils d'^Amrou, avait un fils nommé Mikraz',
qui était prisonnier avec lui. Sohaïl pria le Prophète de gar-
der son fils comme otage et de le laisser partir lui-même pour
aller chercher l'argent de sa rançon et de celle de son fils. Le
Prophète consentit à le laisser partir.
Le Prophète fit venir ^Abbàs, fils d'^Abdoul-Mottalib, et
lui dit : Tu es, mon oncle, de tous les prisonniers le plus
considérable et le plus riche. Rachète-toi toi-même , ainsi que
tes neveux 'Aqîl, fils d'AbourTàlib, et Naufal, fils d^'Hàrith,
et ton client ^Otba, qui tous les trois sont trop pauvres pour
pouvoir se racheter. ^Abbâs répliqua : 0 Mo^hammed, j'ai été
croyant à la Mecque, et Ton m'a forcé d'aller avec l'armée.
Le Prophète dit : Dieu sait si lu as été croyant ou non. Ce-
pendant, en réalité, tu as été avec les infidèles, et c'est dans
l'armée des infidèles que tu as été fait prisonnier. ^Abbâs dit :
Cet Abou'l-Laïth , qui m'a fait prisonnier, m'a pris vingt dinars ;
considère cet argent comme ma rançon. — C'est là, dit le Pro-
phète, un présent que Dieu a fait aux musulmans. — Tu m'ap-
pauvris, dit ^Abbâs, je n'ai pas une fortune assez grande pour
payer la rançon de tant de prisonniers. Le Prophète lui ré-
pondit : Que sont devenus, mon oncle, les dinars que tu as
confiés, en quittant la Mecque, à Oumm-Fadhl, en lui disant
que, s'il l'arrivail uiallfour, il devrait distribuer cet argent outre
b2à CHRONIQUE DE TABARI.
tes quatre fils? — Comment ie sais-tu, ô Mo^hammcd ? — C'est
Dieu qui m'en a averti , répondit le Prophète. ^Abbâs s'écria :
Ton dieu est ie maître des secrets. Tends -moi la main, afin
que je déclare que Dieu est un et que tu es son prophète, en
vérité. Il ajouta : Personne n avait connaissance de ce fait
en dehors de moi et d'Oumm-Fadhl. Après avoir prononcé
la formule de foi, ^Abbâs paya la rançon des trois autres, qui
embrassèrent également Tislamisme. Dieu a révélé, à Fin-
tention d'^Abbàs, le verset suivant : «rÔ Prophète, dis aux pri-
sonniers qui sont entre vos mains : Si Dieu reconnaît dans
vos cœurs ie bien, il vous donnera des biens plus grands
que ceux qui vous ont été enlevés, tj etc. (Sur. viii, vers. 71.)
^Abbàs, après avoir embrassé Tislamisme, devint plus riche
qu'il n'avait été auparavant, et il disait : Dieu m'a promis des
biens dans ce monde et le pardon dans l'autre; il a réalisé sa
promesse en ce qui concerne ce monde; j'espère que, pour
l'autre monde , il la réalisera également.
On disait à Abou-Sofyân : Envoie la rançon de ton fils.
Abou-Sofyân, qui était un homme avare, répondait : Ils m'ont
tué l'un de mes fils; je ne peux pas racheter l'autre, et perdre
ainsi un fils et ma fortune. Qu'ils gardent mon fils jusqu'à ce
qu'ils en soient las. Il le laissa ainsi un long espace de temps
en captivité. Enfin, un des Ançâr, un vieillard, nommé Sa*îd,
fils d'^Abd er-Rah^mâu , qui était venu à la Mecque pour visiter
les lieux saints et qui n'avait été inquiété par personne , fut saisi
par Abou-Sofyân. Celui-ci le prit comme gage de la vie de son
fils et lui dit : Je le donnerai la liberté quand Mo^hammed me
rendra mon fils; s'il le fait mourir, je te tuerai également. Sa^id
fit avertir sa famille, les Benî-Naddjâr, afin qu'ils intercédassent
auprès du Prophète. Celui-ci renvoya *Amrou, fils d'Abou-
Sofyân, à la Mecque, et Abou-Sofyân renvoya Sa^id à Médine.
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 525
Le Prophète , au moment de sa fuite à Médiae , avait laissé à
la Mecque deux de ses filles dans les demeures de leurs maris,
qui étaient incrédules. Il les avait mariées du vivant de Kha-
didja, avant sa mission. L'une de ces deux filles était Roqayya,
mariée à ^Otba, fils d'Abou-Lahab, et l'autre, Zaïnab, était
réponse d'AbouVAç, fils de Rabf a, fils d'^Abdou POzza, fils
d'*Abd-Schams. Après le départ du Prophète , les Qoraïschiles
appelèrent ses deux gendres et leur dirent : Répudiez vos
femmes, les filles de Mo'hammed; nous les expulserons de la
ville, afin qu'elles suivent Mo^hammed.Vous épouserez d'autres
femmes; nous accorderons h chacun de vous une fille issue
d'une famille noble, celle qu'il désirera épouser. En consé-
quence,'Olba, fils d'Abou-Lahab, répudia sa femme Roqayya
et épousa la fille de Sa*îd , fils d'^Acî, nièce d'^Amrou , fils d'*Acî.
Mais Abou'l-*Aç ne voulut pas répudier sa femme Zaïnab , qu'il
ajmait et dont il était aimé. Il dit aux Qoraïschites qu'il ne la
renverrait pas, quand même ils le tueraient. Abou'l-*Aç était
un commerçant connu à la Mecque pour sa grande probité.
Roqayya se rendit à Médine, où le Prophète la maria à *Oth-
mân. Or, lorsque, à la bataille de Bedr, Abou'1-^Aç fut fait
prisonnier et que le Prophète exigea une rançon pour chaque
prisonnier, il dit aussi à Abou'l-*Aç de se racheter et d'envoyer
quelqu'un pour chercher l'argent. Abou'PAç le fit deman-
der h Zaïnab, et celle-ci réunit tout ce qu'elle put; mais la
somme n'était pas suffisante. Alors elle y ajouta un collier de
perles, de cornalines du Yemen et de rubis, qu'elle avait reçu
de sa mère Khadidja, le jour de son mariage avec Abou'l-*Aç.
Le jour du mariage, en donnant la dot à sa tille, Khadidja
demanda à Mo^hammed la permission de lui donner aussi ce
collier, qu'elle portait elle-même; le Prophète l'ouvrit et le mit
de sa propre main au cou de Zaïnab. C'est ce collier qu'elle
526 CHRONIQUE DE TABARI.
envoya au Prophète avec l'argent pour la rançon de son mari.
Lorsque le Prophète le vit, il le reconnut aussitdt pour Tavoir
vu au cou de KhadMja , et aussi au cou de Zaïnab. Le souve-
nir de Khadîdja se réveilla en lui, et aussi raffection pour
Zaïnab, et les larmes lui vinrent aux yeux; il dit : Zaïnab a
dû se trouver dans une bien grande peine, pour ôter de son
cou le souvenir de sa mère Khadfdja. Les croyants, voyant le
Prophète pleurer, lui dirent : 0 apôtre de Dieu , nous t'aban-
donnons ce collier et cette rançon de bon cœur; renvoie-le k
Zaïnab, si tu veux, ou emploie-le selon ton plaisir. Nous tous,
les croyants, nous te laissons maître de notre part, et nous
donnons la liberté à Abou'I-^Aç. Le Prophète les remercia et
dit à Aboii1-'Aç : Ma fille ne peut plus t'appartenir, d'après
la loi , car elle est musulmane, et toi , tu es incrédule. Lorsque
lu seras de retour à la Mecque, renvoie-moi ma fille. H lui.
rendit le collier et l'argent, et fit partir avec lui l'un des
Ançâr, un vieillard, et Zaïd, fils de 'Hâritha, entre les mains
duquel Abou'l- Aç devait remettre Zaïnab, pour qu'il l'ame-
nât à Médine. Ils partirent ensemble. Arrivés à la dernière
station avant la Mecque, ils s'arrêtèrent, et Abou'l-*Aç entra
dans la ville, promettant de faire monter, le lendemain , Zaïnab
dans une litière et de la faire escorter jusqu'à cet endroit.
AbouVAç avait un frère, nommé Kinâna, fils de Rabfa, le
meilleur archer de toute la Mecque, à qui il confia Zaïnab,
en lui disant : Fais-la monter dans cette litière, sur ce cha-
meau, et conduis-la au dehors de la ville jusqu'à la première
station; tu la remettras aux compagnons de Mo^hammed, qui
la conduiront auprès de son père, et tu reviendras. Kinâna
prit son arc et son carquois rempli de flèches, jeta la bride
au cou du chameau et partit en passant par le marché de
la Mecque. Les gens disaient : Voilà la fille de Mo*hammed
PARTIE II, CHAPITRE LXXXIX. 527
<|ue Ton conduit à Mëdine. Il a lue nos fils, nous ne laisserons
pas partir sa fille. Il s'éleva un tumulte, on suivit Kinâna et
on l'atleignit en dehors de la ville. On voulut lui enlever le
chanieau et le ramener à la Mecque. Kinâna fit agenouiller
le chameau, prit devant lui son carquois, ajusta une fleclie
sur son arc et jura qu'il tueraitquiconques'approcherait, jus-
qu'à ce qu'il ne lui restât pas une seule flèche, et qu'ensuite il
lutterait jusqu'à la mort. Ahou-Sofyân avec d'autres person-
nages considérables survinrent et lui dirent : Ote la flèche de
l'arc, afin que nous approchions pour te parler. Kinâna ayant
fait ainsi, ils vinrent auprès de lui et lui dirent : Nous n'a-
vons rien à démêler avec 'toi. Cependant, dans cette ville il
n'y a pas une maison qui n'ait été atteinte par le deuil. Si
tu emmènes cette femme pendant le jour, les habitants ne
peuvent pas rester patients. Ramène-la, à la vue des gens,
à la maison, et fais-la sortir quand la nuit sera venue. Ki-
nâna fit ainsi. Quand toute la ville fut plongée dans le som-
meil, il conduisit Zaïuab en dehors de la ville et la remit
à Zaïd, fils de ^Hâritha, qui l'emmena à Médine, auprès du
Prophète.
Zaïnab resta sans époux pendant quatre ans. Tous les prin-
cipaux musulmans la demandèrent en mariage; mais le Pro-
phète ne raccorda à aucun d'eux. Au bout de quatre ans, une
caravane des infidèles, parmi lesquels se trouvait Abou1-*Aç,
venant de Syrie, fut pillée et enlevée par les musulmans,
lors de son passage sur le territoire de Médine. Abou'PAç
se sauva, vint pendant la nuit à Médine et se rendit dans la
maison de Zaïnab. Le lendemain, Zaïnab avertit le Prophète
et demanda sa protection pour Abou'1-^Aç. Le Prophète ac-
corda sa protection et dit : Ma fille, garde-le dans ta maison,
mais prends garde qu'il no s'approche de toi ; car tu ne dois pas
528 CHRONIQUE DE TABARI.
avoir de rapports avec lui. Ensuite il fit dire à ceux des lûu-
sulmaos qui avaient enlevé les biens d'Abou'l-*Aç : Vous savez
quelle est la situation d*Abou l-*Âç par rapport à moi. Cest un
homme qui, quoiqu'il soit incrédule, n'a jamais fait de tort
à personne; c'est un commerçant très-honnéte. Si vous ne
lui rendez pas ses biens, il sera obligé de les rembourser à
leurs propriétaires. Rendez-les-lui, vous aurez fait une bonne
action; car ces marchandises lui ont été confiées par d'autres.
Je vous en serai reconnaissant. Si vous ne les rendez pas,
vous êtes dans votre droit, car elles vous appartiennent légi-
timement. Les musulmans réunirent toutes ces marchandises
et les portèrent au Prophète, qui les rendit à Abou'l-*Aç.
Celui-ci retourna à la Mecque, et remit les marchandises à
leurs différents propriétaires; tous furent satisfaits et aucun
d'eux n'eut rien à réclamer de lui. Ensuite il revint à Médine,
embrassa l'islamisme, et le Prophète lui rendit Zaïnab. Quel-
ques-uns disent qu'il célébra de nouveau le mariage; d*autres
prétendent qu'il ne fit que rétablir les droits de l'ancien ma-
riage.
Il y avait, parmi les Qoraïschites, un homme nomme
^Omaïr, fils de Wahb, de la tribu de Djouma^h, brave et in-
trépide; mais il était pauvre et vagabond. Il avait accompli de
nombreux actes de bravoure et de témérité. Ce fut lui qui ,
le jour de Bedr, avait reconnu la force de l'armée du Pro-
phète. Il était réputé pour son habileté à estimer la force
d'une armée et pour sa connaissance des routes du désert. Le
jour de Bedr, il avait avec lui son fils, nommé Wahb. Lorsque
l'armée qoraïschite fut défaite, il se sauva; mais son fils fut
fait prisonnier. Un jour, il causait, dans le temple, avec Çaf-
wân , fils d'Omayya, de l'affaire de Bedr. Affligé de ce que son
fils était prisonnier, ^Omaïr dit : Je n'ai pas d'argent pour payer
PARTIE H, CHAPITRE LXXXIX. 529
sa rançon. Si jo n'avais pas une nombreuse famille, que jo
crains de laisser dans la misère après moi, j'irais à Médine,
sous prétexte de racheter mon fils , et y attendrais le moment oii
je rencontrerais Mo^hammed à un endroit isolé, et je le tuerais,
quand même j'y devrais trouver la mort. Çafwàn lui dit : Je
me charge de tes enfants; je les entretiendrai aussi longtemps
que je vivrai. — Mais j'ai des dettes, dit 'Omaïr. — Je payerai
aussi tes dettes, répliqua Çafwàn. Omaïr, ayant reçu de Çafwân
des armes et tout ce qui lui était nécessaire pour le voyage,
quitta la Mecque pour aller à Médine. Gabriel vint auprès du
Prophète et lui fit connaître ce complot et l'arrivée d'^Omaïr.
Le Prophète, se trouvant dans la mosquée, vit entrer par la
porte 'Omaïr; il lui demanda : Que viens-tu faire ici? *Omaïr
répondit : Je viens pour mon fils, qui est ])risonnier. Je suis
pauvre et n'ai pas de quoi payer sa rançon. Je suis venu pour
te prier de lui montrer de la clémence et de le délivrer de la
captivité. Le Prophète dit : Tire Um sabre du fourreau. Le
sabre était flamboyant. Le Prophète reprit : Chien, est-ce
avec un sabre pareil que l'on va chercher un prisonnier?
Qu'avez-vous concédé, toi et Çafwàn, fils d'Omayya, dans
le temple de la Mecque? Dans quel but t'a-t-il envoyé ici?
*Omaïr fut stupéfait; il dit : 0 Mo'hammed, qui t'a appris ce
fait? — Dieu me l'a appris, répliqua le Prophète. — Par le
dieu qui t'a donné ta mission prophétique, dit 'Omaïr, je n'ai
communiqué à personne ce secret, qui n'est connu que de moi
et de Çafwàn! Présente-moi la formule de foi, afin que je dé-
clare qu'il n'y a qu'un dieu et que tu es son prophète. 'Omaïr
embrassa l'islamisme, et le Prophète donna la liberté à son
fils, qui se fit également musulman. Ils retournèrent à la
Mecque, et le Prophète leur recommanda de servir de guides
dans le désert à ceux d'entre les musulmans qui voudraient
II. 3'i
530 CHRONIQUE DE TABARI.
aller de la Mecque à Médine. Ils exéculèreut cet ordre du Pro-
phète jusqu'à la mort d'^Omaïr.
11 s'est écoulé treize mois enlre le combat de Bcdr et celui
d'O'hod. Le Prophète revintducombatdeBedr quatre jours ou,
d'après une autre version, sept jours avant la fin du mois de
ramadhân. L'année suivante, la troisième de Thëgire, au
mois de schawwâl, le septième jour du mois, il partit pour
O^hod. Pendant ces treize mois, il y eut sept expëditions.
Celles qu il commanda lui-même furent : Texpéditiou de
Kodr, l'expédition de Sawiq, l'expédition contre les Qainoqâ'
et l'expédition de Dsou-Amarr. La première de celles qu'il
fit exécuter par des d('lacliements de troupes, sans y prendre
part lui-même, fut l'expédition contre Ka^b, fils d'Aschraf; la
seconde fut l'expédition contre Sallam, fils d'Abou'l-*Hoqaïq,
qui fut tué dans sa forteresse de Khaïbar. Mous raconterons
toutes ces campagnes dans leur ordre.
Kl> l)(i TOME DEUXIEME.
NOTES.
Page 3, ligne ^o : Le premier Jut Tibère. . . Tout ce passage, jusqu'aux
mois : Du tetnpt des rois Aschkaniens ... p. 5 , 1. 96 , ne se trouve que dans
les manuscrits A ot D.
P. 6 , 1. 9^ : Parmi eux il y avait deux frères, . . Ces noms présentent des
variantes considérables dans tous les manuscrits. A : «Mâlik et 'Amrou, fils
d'Abou-Rekr, fils de Temim; Mâlik, Gis de Zohaïr, fils d"Amrou, fils de
Fahr, fils d'Abou-Temlm , leur cousin; Khanfâr, Gis de Konos ( (j^i^)* Gis
d"Amrou , Gis d**Adnân ; Zohaïr, Gis d'Al-'Hârilh ; ÇâU'h , Gis de Çoub'h. ^ —
D : r^Mâlik et 'Amron , Gis de Nabr, Gis de Témlm ; Mâlik, Gis de Zohaîr, Gis
d'Al-Hârilh; Çéli'h, GlsdeÇoub'h, Gis de^Hârith.» — E, J, K, B, L (sauf
les corruptions) : «Mâlik ot'Amrou, Gis de Taïm- Allah ; Mâlik, Gis de Zohair,
Gis d^'Amrou, Gis de Fahm (oïl Fahr), Gis de Taïm-Allah; Khanfâr, Gis de
Ya'hwâ(^^), Gis d^'Amir, Gis de Ma'add, Gis d^'Adnân; Ghatafân, Gis
d'iyâd (Anân, Abâd); Çali'h (Çabi'h, Çai'h), Gis de Çabi'h ('Harb), Gis
d'iyâd ( AbAd).?) — F. Les trois premiers noms comme dans E, J , etc. Puis :
«Khanfâr; Ghatafân, Glsd^Amrou; Zohair, Gis d'Al-'Hârith; Dha'h, Gis de
Dha'h.T) — G : «Amr, Gis de Fahm, fils de Taïm-Allah Qa'hlân; Zohaïr, Gis
d"Amr, Gis de Fahm, Gis de Taïm-Allah ; Khanfâr, Gis de^^JjJl^ Gis de
Ma'add', Gis d^'Adnân; Zohaïr, Gis d'Al-'Hârith, Gis de Zohaïr, Gis d'Abâd;
Çoub'h, Gis de Çai'h, Gis d'Al-'Hârith, Gis dTyâd.
P. 8, 1. 19 : Les manuscrits présentent ici la même confusion dans les
noms propres que ci-dessus.
P. 10, 1. 93 : Naçr, Jils de Rabx'a. Ainsi tous les manuscrits. Cepen-
dant, pins loin, p. 98 , l. 98 , ils portent : «Rabi'a, Gis do Narr.n
3/i.
532 CHRONIQUE DE TABARI.
P. 11,1.19: Dkmzmn. Le roaDUScrit D les appelle y^ et ^^^K' F : ^jyy^
A ^y^' H les deux ensemUe ^vJVy^- L^ autres manuscrits portent
p. 19. I. «3. A partir d'ici , il y a une lacune de quelques feuillets dans
le manuscrit G. Elle sVtend jnsqu^à la fin de Thistoire de 'Hasan « fik de
Tobba'.
P. 17, I. 10 : Dkarfh. Les manuscrits portent cj>v<'-
P. 91, I. 99 : Lu pœriinflaritn teerèUt. L^l ^U; c5*^^ cLV-^S^^-^yj ^'r^
P. 3i, I. i3 : Tobha aboH-Kanb. Les manuscrits portent .^^ — Vf , leçon
évidemment erroné.
P. 3 1 , 1. 1 5. Les manuscrits E , I , K , B , L attribuent les faits qui suivent
à Tobba' le Jeime.
P. 39, 1. 99 : MohofttmedffiU de Djonr, dit gmecre. Ce passage , jusqu'^aux
mots : Quant au nombre. . . p. /isi, i. 95, ne se trouve que dans les manus
crils A et F.
P. ^^, L 5: iiseï Meghdzi. Le manuscrit G finit avec ce chapitre le
«leuxièmp livTe de la Chronique.
P. 68,1. 1 5 : DtVti envoya un ange. Les manuscrits E, I , K , B , L portent :
f range de la mer. y>
P. 66, i. 93. A donne 533 ans selon les chrétiens, et ao6 ans selon les
mages; (i : 5i/i, 590 et a66 ans; E, f, K, B, L: 5ao et 960 ans.
P. 67, 1. 6 : Juipi*à la cinquième génération. Le manuscrit D dit qu^il >
ont dix-sept descendants, de père en fils, portant le nom de Sâsén.
P. 67,1. 6:Khir. G lyA^.
P. 67, I. 19 : DjouzheTy yt;^, d'après F. A donne « Djerhli ; " D, E, I,
K , B , L : « Djouher. r>
P. 67, avant-dernière ligne: Minehecheb, E, 1, K, B, L: ,^,^,^fimjè.
NOTES. 533
P. 6S, dernière ligne : Djoubatân. A : jjJv*m- ^ - J}j' B» K : ^ULij^.
L : ^LuLx^.
P. 69, I. 1 : Parwk. K: yj^[j. I, K, B, L:^.w-#L». — Après celle con-
quéle, les manuscrils E, I, K, B, L menlionnent encore celle de Minou-
schebr el d^Arzizwân.
P. 69, I. 10 : Peu après f Bâbek mourut. Celle phrase se Irouve seulement
dans les manuscrits de la seconde rédaction.
P. C9 , 1. a5 : Rdhqar. A : fs^j' D , G : %<^y F : vÀ^j*
P.69,l.37:B(fAtr. D: «Mâhir.n F: «Qâhir.7) E, I, K, B,L:RHâmân.T>
P. 70, 1. 18 : Iswer, A : ^J:^I• D: >yS^I- K» h K, B, L: jiy»«ut
on
P. 71, 1. 16 : Ce Djouzher. . . Celle phrase ne se Irouve que dans les
manuscrits de la seconde rédaction.
P. 7a , 1. 3 : Bertâm. A : « Berschâm. »ë,I,K,B,L:r Sém. »
P. 79 , 1. 7 : SehâhSchâpour. A , F , G : «Schâd-Schâpour.7»
P. 7a, 1. lâ : Pirouzt. A : /j-L'^y- G : (J%y*^- E- y^^cVH- ' • y^^O^-
K, B, L: y5*juo. D : >^ J^-
P. 73, 1. aa : Bevda. A, G : J>*^. E, I, K, B, L : \o^-
P. 73, 1. 9 : Dàrbenddn. G : « Dârbendâd. t» D : «Dârbtd.T) E, B: nDân-
Bidâd.^ I : «Kârbendâd.» K : «Btdâd.^ L : nKân-Bidâd.^
P. 73 , 1. a6 : Niichabour, Les manuscrits A el F donnent (Jy^ et tiyo-
J'ai rétabli ce nom d'après Mirkhond. Les autres manuscrils ne le donnent
pas.
P. 73, dernière ligne : Sdtiroun, Les manuscrils donnent aJixam, diffé-
remment ponctué , ^'ylgw , etc.
P. 76, I. 11 et suiv. Au lieu de ces noms, le manuscrit E el ceux de sa
famille donnent les noms suivants : «Ardeschir-Khourè, Bâm-Ardeschir,
Dîw-(ou Bewâd-) Ardeschir, Hormuzd-Ardeschir, Jsâbâd-Ardosohir, Nour-
Ardps4"hîr.'?
iu «:HRo>i»;frE le tasibi.
r« ,Mn^. E. I. K. p. I. : *Lq iDÔbed
p. -1. L t3 : 5tHU> tmr . . htf mw m — Ld ÂcK^i-r t» se lroa«e que
*»-t*G.E. B.L
P. ?o. L 17. E. k. B. L iMTtaC *|K Scèùpaor appda eettp vîlte Tîkril .
P. ■^:s . L 16. Os icTf . tu" I (im— ifi du» le leile. sool l«s m^mes que
oesx ^Mit il «si yg^iwn «lass ie pr^Mipr loème de cette tradociioQ . p. 09 j .
H <|4»e te maaascnt F a«ait dooius» iarampieis à cette place. Les lers d^'Am-
roo b«!i»-<3!-T'?kma <*f îi^nt dan^ \^ KtUih^-«l-.A.jkmmi < oi«. de la Bibl. înipér.
soppL ar. t iiS. t. I. fol. 91 «' .
P. ^5. I. I I : Ai^iL •; : - UdbiL- F : rBlI.- K : Lo-
P. 89 . t. 6. Tous les manascnts sont d'accord dans cette geo^togie des
fw des Arabe». F ne <kMiDe qo'uoe seale soccesÂoo : *IinrcNil-Qaîs. fib
d'Anirwi.-
P. ^9 . 1. 9 1 : [ . . . Bmkrim^JU» de Bmkrém. \ Ces mots ne se trou>«ait daiB
aocoD maouscrît; seolement les manuschU E. 1, k. B, L doooeot comme
quatrième roi Honnutd* fils de Bahrim: ib présenleot encore cette leçon
«lanf le chapitre suivant, et font suco^der à Bahràm. fils de Honunzd, Hor-
mozd. fib de Babrim.
P. 90, J- 5 : Trou an* et trou moù. G ajoute : -et trois jours." L : r .Neuf
ans et trois mois.- B : -Neuf ans et neuf mois."
P. 90. Void le commencement du chapitre if d*après les manuscrits £,
I, K, B, L : -Lorsque Hormuzd, fib de Bahrâm, monta sur le trône et mit
la couronne sur sa tête, il prit le titre de mi des roù. Il avait été, du >i>ant
de son père, gooTemeur de Seîstin. Son père Tavait rappelé et Tavait nommé
son successeur . . . *»
P. 90, I. 1 5 : Quatre aru. E , B : ^ Quati'e ans ^t quatre mois. *> G : <» Quinze
ans.*) K, L: -Quarante ans. t?
P. 91, I. 10: Uormuzd araii encoyp. . . Ce ppcit no se trouve que dans A,
\) , F.
NOTES. 535
P. 93, 1. a 6 : Mille homme». E, 1 , K, B, L : («Quatre raille hommeii.n
P. 9/i, 1. la : // ^ avait dans le Ba'hrain. Au lieu de ces mots, les ma-
nuscrits E, I, K, B, L portent: ^11 se dirigea vers la ville de Hadjr, dans
laquelle se trouvaient des Arabes. . . ^
P. 90 , 1. 1 : Schâpour. E , I , K , B , L : r Irân-Schâpour. » Les deux phrases
qui suivent ne se trouvent complètes que dans ces mêmes manuscrits.
P. 100, dernière ligne: Etjit tout rétablir. E, I, B, L ajoutent qu'il lit
apporter, de Boum , de la terre pour les constructions.
P. 101, 1. i3: Imrou'l-Qaîs. A donne ^jjJc^sJI ^j^Jjf ay«I, de
même que plus loin, p. io5, 1. 3. I^es manuscrits E, K, B portent : %^^l
P. 103, 1. 16 : Pendant quatre ant. G : «Quatorae ans.T»
P. 10^. Avant rhistoire de Bahrâmgour, le manuscrit D porte : «Le règne
de Yezdedjerd al-AtbIm dura, suivant une opinion, vingt-deux ans, ou,
suivant une autre opinion, quarante -deux ans cinq mois et tcciie jours. ^
Le même manuscrit donne ensuite un tableau plus exact des rois de 'Hira :
«Lorsque 'Amrou, filsd'imrouM-Qaïs, périt, du temps de Schâpour, fils de
Schâpour, Schâpour plaça à la tète des Arabes Ans (ms. yo), fils de Qa-
lâm, descendant des Amalécites, des Benî-'Amrou-ben-AmlIq. Celui-ci fut
renverse et tue, après un règne de cinq ans, par Dja'hdjaba, fils de Lakhm,
sous le règne de Babrâm, fils de Schâpour. Il eut pour successeur Imrou'l-
Qaïs, qui gouverna les Arabes, au nom des rois de Perse, pendant vingt-cinq
ans. Il mourut du temps de Yezdedjerd al- Atliim , qui nomma à sa place son
fils No'mân, dont la mère était Scbaqiqa, fille d'Abou-Babi'a, fils de Dohl,
fils de Scbaîbân. Ce No'mân était le possesseur du Khawamaq.?)
P. loi^, chap. XXI. Dans Thisioire de Bahrâmgour, le manuscrit G s'é-
loigne complètement des autres manuscrits, moins pour le fond, qui seule-
ment est très-abrégé, que dans la forme. Les expressions sont tout autres,
et semblent reproduire, non un original arabe, mais directement une source
persane.
P. io5, 1. lû: AVwMin. Lo manuscrit (i donne «Moundsir,- de même
qiK^ dans la suite du récit.
535 CHHONIQI'E DE TABARI.
P. 1 06, 1. Il : Un UinwHi'nè. E. I , K, R, L ajouteiil : w D'une haiileur de
vingt coudées. «
P. 106, 1. ai : Pendant cinq ans. E, I, K, B, L ajoutent : -r Quelques-uns
disent pendant vingt ans.»
P. 107, 1. a3 : Mo hammeih fil* de Djarir. . . Cette phrase ne se trouve
que dans E , K , B , L.
P. 107, dernière ligne : 'Abdoul-Aztz. A : «'Otba ben-'Abdou'J-'Azîx. ?» Mais
plus ioiu il écrit toujours «^AbdouVAxli.T»
P. 108, 1. 37 : Les deux premiers de ces vers se lisent dans le Kitdlh-al'
Aghâni(i, I, fol. 9a ). Voyez aussi Maîdani, Prov. éd. de Freytag, 1. 1, p. 280.
P. 1 09, 1. a6 : So*mân avait la religion den Arabet. • . Avant ce récit, le
manuscrit D porte : « Hischâm rapporte que No'mùn entreprit une expédition
en Syrie, y Gt un grand massacre, beaucoup de prisonniers et de butin. C*>
fut le plus puissant des rois arabes. Il avait sa résidence dans le Khawar-
naq . . . ^
P. 110, 1. I : Vingt-deux ans. D, E, I, K, B, L : «Vingt-neuf ans."
F ne donne pas la durée du règne.
P. 1 1 'j , 1. 7 : Et ne manfjtte pas de massacrer j i>X>* v^^naJu*. Ainsi tous les
maniiscriis. Je suppose qu'il y a ici une faute, et qu'il faudrait ^io y^^^aJij.
P. 1 1 /i , I. 1 /i : Djewâm, D : ^«jL^. A et F ne donnent pas le nom. G dit
qu'il était cbef des secrétaires.
P. lao, I. 8 : IjC Khdqânfut mi* en fuite, D, E, I, K, B, L disent que
Babràm lua le Kliàqàn de sa main.
P. 1 aa , I. 1 3 : Bahrdm en fit remise à ses sujets. G parle en outre de trois
amices de l'impôt.
P. laâ, 1. 18 : Mihr-Narsi. . . G donne sa généalogie ainsi : ^ju»OwA-«
P. laa, 1. a'j : Son père avait été vizir de ïeidedjerd. E, I, K. B, L : j» H
I Nai"si J avait pIp vizir do Yezdodjprd. ^
NOTES. 537
P. laa, 1. ùH: Je désirerait posséder. . . Quelques manuscrit: ttJe voiix
voir les villes . . . n
P. 1 a 5 , 1. a a : Bddjmas, A : «p^^^^ L). F : ^JJj>J>k^ ^ • ^ • /rtyrV?^ ^'**
P. I a5 , 1. a5 : Atmangân, B : sli^xu*.
P. 197. Les manuscrits A et F ne contiennent qu'un abrogé des événe-
ments du règne de Flrouz et de la guerre des Euthalites. Les règnes de
Qobâd et de Nouschirwân manquent complètement dans F.
P. 137,1. 1 3 : Le Clétnent. Ce surnom ne se trouve que dans E.
P. 1 3 1, 1. 1 1 : Rouschen-Pirouz. E, L, B : c->Lo ^loh.y^ -^jO^ C^J
})y^ O^}) ^) f cJy^* K : . . . Jj^ >vj ... Ci: . . .^ (J;^ * • '
G appelle la troisième ville Ffrouz-Abâd.
P. i3a , 1. 7 : Déclara la guerre ... I dit que celte guerre eut lieu après
que Firouz eut régné dix-sept ans.
P. i5a, chap. xxx. Ce chapitre ainsi que le suivant manquent dans A
et D.
P. 169, 1. 18 : Moundsir, fils de Mo^mdn al-Akbar, Tous les manuscrits
sont d'accord dans cette leçon.
P. i6â, I. 6: Avant l'époque de Nouschirwân. G dit que, du temps de
Nouschirwân, ils Orent de nouveau la conquête du Yemen.
P. 16/i, 1. 16, et p. 169, I. 8 : Tobba le Dernier. Quelques manuscrits^
portent «Tobba* al-Akbar. n
P. 171, I. 3 : Schdpour, fils de 'Uazdd. F ne donne que le nom de
Schâpour. K : «Schâpour, fils d'Ardeschir.?^ A et D ne donnent pas le nom
du roi. B : «Scb. fils de Kharâd." Strat-ar-Hasoul : « Khorrazâd. ?>
P. 173, I. 5 : 'Uanifi', Tous les manuscrits sont d'accord sur ce nom. Us
varient seulement dans Torthographe : j^^^^;»^, •'^^-V^ ^^ ^^^V^-iV^- Texte
arabe : ^Lui ji oys? *jL*j<d..
P. I -5. H*Tnièrc ligne : Fiminiw. Les manuscrits portent : yjyf^-
538 CHRONIQUE DE TABARl.
P. 1 80, I. 3 : // arriva f au Un*pi d^Omar. . . Ce récit est îolerrompu au
milieu, dans io manuscrit K, qui présente id une grande lacune. CeslPhi»-
toire de NouschirwâD qui suit immédiatement.
P. 181,1. 10 : Tho'lahdn. Lisez : Thalabén.
P. i85, 1. -j^ : GKanoud. Texte arabe : B jb^jl et %2>y^.
P 188, i. !iu : QùUm. I) : ^^„^ yjy E, L, B : ^jAJ\ ^3. K : ^^
p. 189, 1. tii : Al~Dêikrâm, Lisex : Al-Dsilcwéni.
P. i()o« 1. la : /ycl^IA. Texte arabe: ^U^*
P. 199, 1. i3 : Ndhiê. Texte arabe : ^r^y^ C^J^'
P. 193, 1. 9 : Moifhammei. Texte arabe: /p^V^ C J^'
P. 197, 1. 99 : Atwad ben-Maqçour. Ainsi dans tot« les iuaaiiscrit6.
P. 916, I. 1: ' Ahdoul-Moitalib . , . Cette députation n^est mentionnée
(|ue dans A et G.
P. 918, I. 98 : Sab'hdii. A a passé le nom. E, I, K, B récrivent
^jL;j, qL^^, etc. Texle arabe: (jL<?.
P. 918, dornièrc ligne: Khour-Khotrou. A : b^w^ y^.^ G : ^\--^ ^y^'
E , B : Tym^ s^. K : B^ yy^. Texte arabe : y .yj?^ >- .
P. 9 1 9 , 1. 1 9 : Modd. Lisez Moddê.
P. 990, L i5 : Pendant deux ans. A: «^Dix ans."» G: «^Plusieurs années.»
Ce manuscrit attribue les faits qui suivent à Djabala.
P. 9 93. Les chapitres xliii et xliv ne se trouvent pas dans G.
P. :)93, avarft-deniièrc ligne : Vingt-quatre et quarante-huit dirhemê.
Seulement dans E, 1, K, B, L.
P. 998, 1. 8 : Avec une cotte de maiUeM, . . Les manuscrits diflièrent an
peu entre eux dans la description do rarnicnicnt. F ne contient pas ces dé-
tails.
NOTES. 539
V. 339, 1. 1 : Quatre mille dtrhefM, E, I, K, B, L: «Quatre cenls.'»
P. a 3 1, 1. 1 : Quatre mille et un divhemg. E, I, K, B, L : «Quatre cents et
un dirhems pour tous les trois mois.^
P. a33. Les manuscrits E, B, K donnent dans nn tableau la constellation
de la naissance du Prophète.
P. 338, 1. 17 : Maitrou*h. (j ajoute: «Une affranchie nubienne.?»
P. a 39, 1. 8 : Vune Onaisa, Vautre Djodsâma. Les manuscrits présentent
des leçons différentes; ils donnent : a,;v4éuÎ, Julv^, «j'^L^, jui(>^, ou
P. 9/1 3, 1. 96 : Dàr-el-Nâbigha, Plus loin, le manuscrit G écrit : Dàr-al-
Ndbala.
P. 2kti, chap. XLfi. Ce récit ne se trouve que dans les manuscrits A, D,
V. G le donne plus loin.
P. 9 45 , I. 261 Ils ne pourront pas le tuer. F ajoute : «H doit périr par le
poison beaucoup plus lard.?»
P. a/jô , I. 1 5 : Lortque Nouêchirwdn demanda eti mariage... Cet épisode el
les suivants, jusqu'aux mots: Jamais il n*y avait eu en Perte. . . p. a68>
I. 17, ne se trouvent que dans les manuscrits E, I, K, B, L.
P. a '18, I. :î6: Les frontières tout autour du pays. A, E, B, K ajoutent :
«Duns la quinzième année de son règne. ^ I, L : «Dans la dixième année.n
D, F, G ne précisent pas la date.
P. 968, 1. a8 : Sdwè-Schdh, Variantes : Sâwè, Sâbè, Sâbè-Schâh, Sàyè-
Schâh, Seyâbè-Schâh , etc. C'est Schaou-Khan. (Voyez Deguignes, Hist. de*
Huns, t. II, p. 970.)
P. 9/J9, dernière ligne: Haudsa. L'histoire de Haudsa ne se trouve pa»
dans A, D, F, G.
P. 95o, I. 91 : Azddrom. Texte arabe : jj.*^.»*:^ lT^^J^ "^L)''
P. a5o , avant-dernière ligne : Mouknhir qui lui dit . . . Celte phrase dans
Siù HHRO^HôLC DE I\B%E1.
4^ Mooka'W. </<^ '^^id^niaiiat îiin
P. sSs.L 1^ zDt^ém... Ce» dîiui» jv te MB ifte lUkris-TsciioiibiB
Q« Ht trwn^nt qcK «iizk» i^ maiwwcrit» E. I. £. B. L. Taie arabe : > j^^
^jy»4t ^^JJ'^y >**-'^ . Doas La c^apûrs nhanU. cpnimant le» évéoe-
iD««i$ acriqQi4» fut bi*M^ Bahrim-TidL W ntamncrits A, D. F. G ne doo-
iMBt qo^ I9 fiub prizMÎpaax. Tai trwivl sor l<s aotra mauiaacnLs.
P. :i5i. L 14 : GwT]^iM. Lo auniKicnl» potienl .w^iCToa .%mi^.
P. ^66. L 1 1 : Y^zdmA^kKk. E : - YoiIftiibeUudieKli. ^
P. st>6. 1. 1 6 : Lm ckaim. . . F ajooie a ces obi<is une robe de couletir.
P. 999 .1. 10: Sckiz. Les maDosmls donoeot v^' <>*>
P. 999. L 1 : K'jmrénff. E, k, B : \^S.\* : fS^-f-
P. 3o9. A partir do diapitre ui, le texte des manoKrils A, D, F, G
s'accorde de oooïeaa (sauf les difierenoes dans les dêlails) avec le» autre»
ruanuschls.
P. 3o9, 1. à : In frère. D : tL'd général qui recevait chaque jour mille
dinars.?»
P. 3o9, afant-demière ligne : Ln oficier. E. K. B ajoutent : vXommé
Merdânscbâh.-n I, L: eKharridbardn.'v
P. 3o3, 1. 30 : Bakrdtn mail une gœur. G ne parie pas de Kourdi^è. E, F,
D portent seulement que le Khâqàn renvoya Kourdiyè â Madâîn. I, K, L ne
mentionnent pas son mariage avec Bo8t4m ni h mort de œ dernier.
P. 3 0/1, I. 3 : Trente-huit ans. Tous les manuscrits, sauf G, disent que
Panrlz vécut sur le trône trente-huit ans depuis la mort de BahrAm. F porte :
"trente-sept ans.?» — Les manuscrits A, D, F ne donnent qu^un récit très-
abrégé des dentiers règnes sassanides. J^ai suivi les antres manuscrits.
P. 3o6, i. ait <*l 'j6 : Ferroukkdn. TexU» aralw : ^J^J^ * ^^*^**^- Texte
NOTES. 541
P. 3 10, 1. 11 : AtiSfJiU d^Almotujarrin. 1, L : t^Owaïs, fils d^Alm.n G,
.seulement « Aus.» F ne donne pas le nom de ce personnage.
P. 3 1 9 , 1. a 6. Cette description est donnée dans les manuscriU en arabe
et en persan ;j*ai traduit sur le persan, qui ne correspond pas entièrament
au texte arabe. (Pour ce texte voyez Journal asiat. i838, novembre, p. 687;
— Caussin dePerceval, Euai sur T histoire de» Araheê, t. fl, p. i63.)
P. 3 1 3 , 1. 1 8 : Par derrière. Le manuscrit I porte cj^ , au lieu de o^
des autres manuscrits.
P. 3i5, 1. 97 : Mo'hammed hen-Djarîr. . . ('e passage ne se trouve que
dans le manuscrit G.
P. 317, 1. 3 : MofUadjarrada , d'après G. I, L : «Djerîdè.7»
P. 3 1 9 , 1. 1 3 , et p. 39 1 , avant-dernière ligne : Uâmarz ...et,.. Hormuz-
Kharrâd. G : (?Hâmoun. . . et Hormuz.n
P. 39 1, dernière ligne : YezidyfiU de MouscKir. I : «Yezld, fils de
Hischâm.7) K, L : rZaïd, fils de Hâschim.» E, B : «Zaïd, fils de Qâsim.')
P. 3a9 , 1. 6 : YeûdffiU de MouêcKir. G: «Yeiîd, fils de Mas'oiid.w E, I,
K B , L : « Yeztd , fils de ^y^mj» , J^ty^-^^ ou J^^* "
P. 39 9, 1. 9 : Mazyad. Texte arabe : <vBourd.r?
P. 399,1. 2/1 : Et qui est encoi-e parlée. . . Cette pbrase ne se trouve que
dans G.
P. 398, 1. 1 1 : Mille. G : «Vingt mille. ^
P. 33o, 1. i3 : Zdboul. Ainsi E. Les autres manuscrits portent J^L.
B a ici une lacune.
P. 33o , 1. 1 5 : Qui avait encore un autre gouventeur . . . d'après G.
P. 33i, 1. 92, et p. 345, 1. 90 : Mihr-Hormuzd. G : «Mihr-Merd.'» Le
même manuscrit dit qu'il partit pour Zâboul et fut gouverneur.
P. 332 , 1. 93 : Dm jour d'adsar. G : "Le premier jour du mois d'adsar.n
K : ffUne nuit du mois d'Adsar.-»
542 CHROMQUE DE TABARI.
P. 'd'V.\, I. 7 : Pendant qu'il JatMoit encore oh9Cur. Maniiscrîls : ^jùl ^
p. 33^1 , i. 1 9 : DjalniouM. G : mtJL^.
P. 336, 1. no : UJàdekhmê, lisez h/éd-KhaM. G: ^ ^U^. I:
.f*.f^^ ^Ucm», L : (rlsfâd-'Hasin.'^
P. 339, 1. 8 : Le roi d*!ndottan, . . <■: trLe roi d'Indoslan envoya à r)ia-
cun de vous une lettre."
P. 366, 1. a3 : Lui/ut le dix-septième. I ajoute : <rEt rainé.*"
P. 366, 1. a 6 : Après que SclUrouieut tué ses frères . . . Avant ce passage,
les manuscrits E , I , K , B , L donnent encore une fois le récit de Tambas-
sade envoyée par Parwtz à Mo'hammed et à Bâdsftn , presque dans les mêmes
termes que ci-dessus, p. 396. Ils ajoutent seulement que Bàdsân, convaincu
de la vérité de la mission de Mo'haromed , à cause de sa prédiction de la mort
de Parwiz, se convertit à Tislamisme, lui et tous les habitants du Yemen.
P. 367, chap. u. Les manuscrits A el F passent complétcnMînt le règne
d^Ardeschir.
P. 367, L 19 : Mihr- Hasi». E, B : rMihr-Khai»îs.'> G ; y^^ -A>»- L :
f'Mihr-'Hasîii'^. Texte arabe : -^«.^ j^l^.
P. 367, I. f«5 : Schehrizdd. Les manuscrits donnent tantôt ^I^l^^4-à, tan-
tôt ^Ilj!^^ <»ii 3l->i^^. Texto arabe : ,jU^^-
P. 369, I. 7 : Fsafrouh. A : P Ju*. G: ^^^Am'i. E, B: ^^Jui^. ï, L :
--4 jLm». K : ^yA^' Texte arabe : ^ • iu*5. G dit qu'il était garde du roi.
P. 369, i. 2O : La n'oix. G ajoute: <t Quelques-uns disent qu'elle avait été
brûlée, d'autres que Kesra l'avait placée dans son trésor, t»
P. 35o, i H: Khouschensadè. G : g j>.m ^.w,*^ . E, B : c».;^i-;ai. I, L :
. K : ï^cV'NAÂ^. Texte arabe : 8t>.....Â.Ù'%.
P. 35o, 1. <j. A la fm du rhapitro, G ajoute : «tMais ce récit n^est pas
'\act. "
P. 35{», i. 18 : Ferroukh-Hoimuzd. A : «FerroukhiAd.?* D'après ce même
NOTES. 5âS
luaniiscrit, Rousleni vient du Khorâsân avec soixante et dix nûiie hommes,
marche droit sur le palais d\Azermldokht, investit le palais, fait sortir la
reine et lui fait suhir les outrages de vingt Abyssins. Après la mort d^Axer-
mjdokht, on fait monter sur le trône un homme nommé Ardeschir, ensuite
un descendant de Nouschirwâu , puis un descendant de Ferroukhzàd, qui
régna six mois, enfin Yezdedjerd.
P. 35a, 1. 8 : hlthr-HatU. E, B : Ji-^-»^ et JU^ià^. K : ^px-.^. G :
p. 35s, 1. 17 : KhwTâd-Khotrou. Texte arabe: (^KhourrzÂd-Khosrou.')
P. 359 , I. a '1 : F(rouz jfiU de Mihrân. G : « Fils de ^j-ou-c*.. » Texte arabe :
" . . . fils de . y'^^-ry [w^ 1 nomme aussi ScVn««Ju*^. y>
P. 353, 1. ao : Quatre ans. G: n Quarante.^ F: « Quatorze, n
P. 35^1, 1. 6 : Dqniii le temps. . . Les manuscrits présentent dans tous
ces chiffres de nombreuses variantes, qu'il est inutile de relever.
P. 356, chap. lxvi. Les manuscrits A et F n'offrent qu'un texte très-
abrégé.
P. 359 , 1. 8 : Tazkin. xManuscrits : ^>^X^ •
P. 363, 1. ai : Nadhr. E, K, B : JiJ.
P. 366,1. i3:ZoAra. E,I, K,B, L: 0jl.
P. 366, L 93: Ditnrddj.G: ^l^'^.V: ^f^.E,l,K,B, Lr^l^^l.J'ai
corrigé diaprés le texte arabe.
P. 365, L a : 'HolmlyfiU de 'llohaschiya; 1. 18 : AbowGhoubschân. Ces
noms sont méconnaissables dans les manuscrits.
P. 366, 1. 17 : On n'avait jamais . . . G : «Personne, avant lui, ne les
avait désignés par ce nom. n
P. 366, 1. 39 : QuoiquH n'eùl pan utte ip-ande fortune. E, I, K, B, L :
ff FI avait une grando fortune. »
5U CHRONIQUE DE TABARL
P. 367, 1. 5 : Les homme» df Qoçayy i* appelaient,. . G : «Les hommes de
Qoçayy rappelaient. . . r^
P. 370, 1. 8 t *Abd ben-Qoçtttfy, lisez Abd-Qoçayy. F : (jfi3,
P. 370, 1. la : Moghira, E, I, L : is\^c*. K : wl*.
P. 377, 1. a5 : 'Abdallah et Ahou-Tâlib E, I, K, ajoutent : «Le
surnom d"* Abdallah était Abou- Abdallah , et le nom d^Abou-Tâlib/Abd-Ma-
nâf.»
P. 379, 1. i/i : Dam sa maiion. E, K, L, R: «L'emmena à la Mecqiie.?)
P. 379, 1. 17 : Oumm-lqbâl. Texte arabe : jLj aI.
P. 384. L 6 : 'Amr.fiU d'Aêad. E, I, K, B : «Asad.» A : «'Amr.n G:
jw^l ^ ^yiu^. L : «Asyad.?»
P. 395, 1. Qi : Car je iw peux rien faire. . . Le copiste du manuscrit F,
schfitc pins ardent que les copistes àea autres manuscrits, ajoute : s'cV-^^f
^j .1 J| Joi ; de même en d'autres endroits.
P. 399, ]. ak: On rapporte diaprés. . . Ce passage , jusqu'aux mots Abou-
Djahl. . . parla ainsi, p. /io 1, 1. 37, ne se trouve complet que dans F et G.
P. âoo, 1. 95. Après ces vers, F ajoute: r. Il est étonnant que Mo'ham-
med ben-Djarir n'ait pas rapporté ces vers dans son ouvrage, car les récits
confirmés par les poètes et les pièces de vers sont les plus exacts, n II est
à remarquer que ces vers $0 trouvent cependant dans le texte arabe d**
Tabari.
P. 600, 1. sT) : J*ai lu dan* toutes les traditions. . . E, I, K, B, L: •'Quel-
qucs-uos disent qu'Abou-Bekr tint socret.w G : « . . .ne tint pas secreL?»
P. hoûy I. 97 : Mo*hammed ben-Djarir. . . Cette phrase se trouve s/»nlo-
ment dans le manuscrit A.
P. /io3. Enlre le récit de la conversion d'Abou-Bckr et celui de la con-
version d'*Omar, le manuscrit G intercale un récit intitulé : «Récit des Renf-
iNOTES. 545
Khozâ'a el des Benî-Tibània , et des miracles du Prophète.?) Les deux tribus
des Khozâ'a et des Tihâma, habitant le Tâïf, avaient une idole d'une hau<^
teur immense, dans IMnlorieur de laquelle se trouvait un diw qui parlait aux
adorateurs. Les femmes des deux tribus s'étant disputées un soir sur la pré-
éminence, leurs maris, pour vider la querelle, prirent les armes. Leur chef,
nommé 'Abdallah, s'interposa. Alors Dieu leur fait annoncer par la voix de
range Raphaël, à trois reprises, du premier, du deuxième et du troisième ciel,
que le plus parfait de tous les hommes est Mo'hammed, a la Mecque. Ils en-
voient un jeune homme, nommé *Amrou, pour prendre des informations sur
Mo'hammed. 'Amrou , arrivé à la Mecque, interroge successivement un berger
dWbou-Djahl , puis Walid, fils de Moghaïra, 'Omar et Abou-Djahl, qui lui
disent qu'il n'y a pas, à la Mecque, d'homme appelé Mo'hammed. Ensuite
Abou-Djahl achète à 'Amrou ses bagages, et refuse de lui en payer le prix.
Enfin 'Amrou trouve Mo'hammed, qui se rend à la maison d'Abou-Djahl et le
force, en accomplissant une série de miracles, à donner l'argent. Une pierre
salomonienne qu'Abou-Djahl veut jeter sur Mo'hammed se fixe sur son cou,
se rompt ensuite en deux moitiés, dont l'une s'arrête au-dessus de la tête de
Mo'hammed, en lui donnant de l'ombre, etc. Le lendemain, Mo'hammed,
en présence de quinze cents incrédules réunis au Dâr-eti-ISadwa, accomplit
de nouveaux miracles. Il fait sortir d'une pierre un arbre chargé de feuilles
et de fruits. Cet arbre, s'élanl élevé jusqu'à la hauteur de Mo'hammed, lui
demande la permission de s'élever plus haut, et rend ensuite témoignage de
sa mission prophétique, en faisant entendre les paroles: 9 II n'y a pas de
dieu en dehors d'Allah,» etc. Enfin le Prophète change le jour en nuit, fend
la lune en deux moitiés, el en fait descendre une moitié. Les incrédules lui
demandent ensuite de ressusciter les morts et de faire apparaître les anges.
Alors Gabriel apporte le verset du Coran : «Quand même nous ferions des-
cendre les anges , n etc. ( Sur. vi , vers. 111.)
P. /io3, 1. 3 : Une aœur. E, I, K, B, L : r Nommée 'Hafça.^
P. lioU, 1. i3 : Troie an* après. G: "Mo'hammed ben-Djarîr dit que le
Prophète prêcha publiquement l'islamisme, trois ans après avoir reçu su
mission; d'après d'autres traditions, la prédication eut lieu dans la pre-
mière année. *»
P. i^o6, 1. 18 : Notre patience ett à bout. . . Toute la suite du chapitre,
II. 35
S4é «HROMQCE DE TABARi.
•auf rcpMode d*Oqba . manque dai» Ici maniMcnto A e< F : de nk^me U pins
jurande partie da ^ bapitre fanant.
P. &09, dernim ligne: y4 k Ir^ ir Zokrm. G : ? A la thbo de Makk-
loum.^
P. & 1 1, L 9 1 : /(ff libviil é Wmlii. . . Cette propodiioo , d^aptès le maoas-
crit G , est (aile par Walld loi-méme.
P. A 1 & , 1. 1 7 : Ohmfyf fié ir Kkdt^. Les manoKrita varient entre :
vObayy,« et «Omayya.)» A, E, B donnent d^abord : «Omayya,* pins loin :
-Obajy-Kbalaf» («^). L : «^ Abou-Klialai:*
P. /i3i, l. k : 'Abd-Yaia. F : «r'Abd-MâKk.*^ Les autres mannsnits : ^'Am-
rou. y* A et F ne donnent pas le nom du père.
P. A35, 1. 16: AkhnoM. Ti, E,I, K, L, B : y^ ^ /j-^'- A, F : y^^^
p. hZg , 1. 1 : RdJtfJUi de Mâlik. Les manuscrits donnent : «'Hâritha ben-
Tha'lalia.') Tai corrigé d'après le texte arabe.
P. /160, 1. h : 'Abbés. A : <Jl«â3 ^ s^Uc, ce qui, sans doute, est une
corruption du «JLôJ ^ ii^Uc ^ tr^^ ^" ^^^ Arabe. Les autres ma-
nuscrits remplacent ce nom par celui de sj^,
P. /i6^i, 1. ii8 : Aui'Monât. Les manuscrits portent s^il ou s^L;; mé-
prise du traducteur. Le texte arabe porte Aus-Allah. J*ai corrigé d'après le
Sirat-er-RoiouL
P. /i45, I. 10 : ' Abdallah, JU* d^'Amrou. Les manuscrits portent : "'Abd-
allah, fils de Djâhîr.T)
P. /i/17, I. il 5 : AUié. Les manuscrits portent: wj^j^J'^^JC, traduction
inexacte du mot (..^Jl^ du texte arabe.
P. hhgy I. 1 il : Avec un chef nommé Adattah. I, G : <r Nommé Sa'd, fils
de Mo'Ads.^ E ne donne pas le nom.
P. /i6i, chap. LX«. Celte version est la seule qui se trouve dans A et F.
NOTES. 5A7
P. 666 y\. u3 : Mohammed. Ainsi les manuscrits persans et le texte arabe.
Sirai-nr-Ragoul : « Modjdf . n
P. 666, avant-dernière ligne: Ahou%Walid , d'après G. E, I, B, L:
«Abou-Ayyoub.rj A , F n'ont pas celte phrase. K ne donne pas le nom.
P. 667, l.*8: Motlalib. Manuscrit: K'Abdou'i-Motlalib.'î J'ai comgé d'a-
près le texte arabe.
P. 667, 1. 17 : Mi3ta*h. Les manuscrits E, I, K, B, L, qui seuls con-
tiennent ce passage, donnent ^IjI ^ ^JL.^. J'ai corrigé d'après le texte
arabe.
P. 667, 1. :i'j : '0tba„JU9 de Ghazawdn, d'après le texte arabe; les ma-
nuscrits persi'ms donnent : «'Otba, fils d"Amrou.7)
P. 668 ,1. 1 6 : Kharrdr. Manuscrits persans : ^ ly^ , etc.
P. 669, 1. 5: Mak'hscht, d'après le texte arabe. Les manuscrits persan»
donnent , .^--^ et \j.\Xa.
P. 670, 1. 1 1 : DtdlHtu'l'Sdij. Les manuscrits persans donnent *XswI liu»
comme nom de la station , et LwjJI c:)!^, comme nom de l'arbre.
P. 670, 1. 1 9 : Çok'hairat-al-Thotndm. Manuscrits persans : 3L«y I ^Lo. . .
Siral-ar-Basoul : >»LcJt «o. J'ai corrigé d'après le Merdcid.
P. 670, 1. ao: Mouschtarib. Manuscrits persans: c^^:^. Le texte arabe
de Tabari ne contient pas ces détails. J'ai corrigé d'après le Sirat.
P. '170, 1. ;î5 : Motledj f d'après le text<> arabe; les manuscrits persans
donnent : 'r Beni-Lahlim. <)
P. 671, chap. Lxixv. Les manuscrits E, I, K, B, L racontent d'abord la
poursuite de Koua (ils portent: r'Amr, fils de Djâbîr») et appellent cette
expédition colle ttd'Anwat;^ ils mentionnent ensuite en quelques mots l'ex-
pédition du petit Bedr, à laquelle ils ne donnent pas d'objet détenniné.
P. 671, 1. 16 : Le Prophète n* avait pas phcoiw mané. . . D'après les manus-
crits £, I, K, B, L, le mariage avait eu lieu avant ces expéditions. Fâtima
n'était âgée que de treize ans. 'Ali ne la conduisit dans sa maison qu'au mois
d<» çiifar.
548 CHKOMQU£ DE TABARI.
F. .^7^, I. 1 1 : M-'Hakm^JiU lUKaiiôn. d'après le teiU* arabe; les iiia-
iiuincrils persans portent : -Al-'Hakm, fils de Ka'h, et Hischâm, fils de
H y a dans le manuscrit A une interversion de plusieurs chapitres, prove-
nant, sans doute, du manuscrit que le copiste a eu sous les yeux. Les évé-
urnienb, depuis reipédilion de Qoroud jusqu'à Teipédition de Tbaqif , sont
int'Tcalés entre le récit de reipédilion de Yanbou' et celle du petit Bedr.
P. à8o, 1. ai : Trott cent teiie hommn . . . Les maniiscrits £, I, K, H, L
donnent les cbiflres de Zko et de 36o. F, (î : 3i3.
P. 68 1 , dernière ligne : Basboi . . . Les manuscrits Yarient entre « A'hmed ,
Mo'hammed, fik d^Açim, Mo'hammed, bis d**Amir,9 etc. J'ai pris ces uoms
dans le texte arabe, ainsi que ceux de la page 689, 1. 1 et suiv.
P. 69 1 , 1. 1 5 : 'Otba a la coliqve. Le texte porte : 3U5 1 ^j»^ ^L , traduc-
tion inexacte de Tarabe <^^^ ÂajÎ. Ce sobriquet d*Abou-Djahl est ex-
pliqué par le passage suivant, qui n'est pas de nature à être traduit et dont
je n'ai donné qu'un extrait : <a--»v^ d^-^y v5^ly> ^J!.^yJJL0 y ^/^. . .
(j-^j'; ciV ^•^ ^'i c^^;^'^^ o' o^^ c5^' <-^j3' o^^
'^^ yi) (j'>^' j ^))) tr* *^^oy *^^y^ ûLCU ,jl (jixjjIà
p. 5 1 A , 1. 6 : Le lendemain de la bataille. K , K , L , B ajoutent : tr Qui eut
lieu le samedi. T) I : r . . . le vendredi."
P. :) 1 ^ , i. 1 9 : Al-Haisoumdn, d'après le texte arabe, qui donne encore un
autre nom : rr'Haisouba, fils de 'HÂbis.» Los manuscrits persans présentent ce
dernier, mais presque méconnaissable.
TABLE DES CHAPITRES.
AVBRTISSBVE.'VT I
(iHAPiTRi I. Histoire d'Ardeschfr, 6is de Bâbek i
II. Histoire de Djadslma ai-Abrasch i o
m. Histoire de la guerre de Djadsima avec 'Amrou, fils de
Dhareb 17
IV. Histoire d^'Amrou, fiis d"Adi sa
V. Histoire de 'Hnsan, fils du Tobba', roi du Yemen 99
VI. Histoire des gens de la Caverne 3a
VII. Histoire de Jonas, fils de Mataî Uk
VIII. Histoire des deux apôtres secourus par un troisième. ... 5o
IX. Histoire de Samson 53
X. Histoire de Georfjes 5&
XI. Histoire dWrdcschîr, fils de Bâbek 66
XH. Histoire du règne de Schâpour 76
XIII. Histoire du règne d'Hormuzd 85
XIV. Histoire de Bahrâm, fils d'Hormuzd 89
XV. Histoire du règne de Bahràm, fiis de Bahràm, et de ses
successeurs 90
XVF. Histoire de Scliâpour DsouM-Aktâl. 91
XVII. Histoire d'Ardeschfr, fils d'Hormuzd loî
XVIII. Histoire de Schâpour, fils de Schâpour loa
XIX. Histoire de Bahrâm, fils de Schâpour io3
XX. Ilisloir*» de Ye/.d<Mljord al-Alhim 10.^
550 TABLE D£S CHAPITRES.
Pagw.
Chap. XXI. Histoire de Bahrémgour, fils de Yezdedjerd loÂ
XXII. Histoire du règne de BahrAmgour 118
XXni. Histoire de Yeidedjerd, fils de Bahrâm 1 ti-y
XXIV. Histoire de Ffrouz, fils de \eidedjerd to8
XXV. Histoire de Firouz et de Khouschnewâz , roi des Heyâte-
lites i3i
XXVI. Histoire de la guerre de Souferaï contre Khouschnewàz . . 1 /i:i
XXVII. Histoire du règne de Balâscb, fils de Firouz ikh
XXVIII. Histoire du règne de Qobâd, fils de Fîrouz 1^6
XXIX. Histoire de Mazdak 1 48
XXX. Établissement de Timpôt du temps de QobAd et de Non-
schirwân 1 5s
XXXI. Relation de la mort de Qobâd 1 5&
XXXII. Règne de Nouschinvân, fils de Qobâd 1 69
XXXIII. Le Tobba' fait un pèlerinage à la Ka'bn et la fait couvrir. 16&
XXXIV. Règne de Rabî'a , fils de Naçr, le Lakbuiite, roi du Ycmen. 1 G9
XXXV. Règne de 'Hassan et de ses frères 171
XXXVI. Histoire de la conversion des habitants de Nadjrân au
christianisme . 1 7 5
XXXVII. Histoire des gens du Fossé 179
XXXVIII. Histoire de la conquête du royaume du Yemen par los
rois d'Abyssinie 181
XXXIX. Histoire de Texpëdition d^Abraha contre la Ka'ba 188
XL. Histoire du règne de Yaksoum, fils d*Abraha, dans le
Yemen ao3
XLI. Histoire du règne de Saif, fils de Dsou-Yezen, dans le
Yemen 217
XLII. Histoire du règne et de la grandeur de Nouschirwân. ... 919
XLIII. Comment Nouschirwân établit Timpôt et rendit la jus-
tice -jaS
XLIV. Organisation de Tarmée 337
XLV. Naissance du Prophète a33
XLVl. Histoire du moine Ba'hirà 'lUU
XLVÏI. Histoire du règne d'Hormuzd, fils de Nouschirwân a46
XLVIII. Histoire de Bahrâm-Tsclioubin et de ses combats 9 53
XLIX. Combat du fils de Sâwè-Schâli avec Bahrâm>Tschouhin. . 96^
L. Hisloin» de la rôvolte de Bahrâm-Tschoubîn i<6(»
TABLE DES CHAPITRES. 55t
Pages.
Chap. LI. Parwiz et Bahrâm-Tschoubin 27/1
LU. Panviz et le César de Roum. — Il ramène une armée à
Madâïn a86
LUI. Règne de Parwtz après la fuite de Bahrâm-Tschonbfn. . . 399
LIV. Dernières aventures de Bahrâm-Tschoubfn dans le Tur-
kestân 3o9
LV. Suite du règne de Parwiz. — Ses richesses 3o&
LVI. Récit des signes et miracles du Prophète 3o5
LVII. Histoire de la guerre de Dsou-Qâr 809
LVIII. Lettre du Prophète à Kesra-Parwiz SaS
LIX. Schîrouï tue son père. — Règne de Schîrouï SaS
LX. Règne d'Ardeschir, fils de Schîrouï 8^7
LXI. Règne de Schehrahrâz 348
LXII. Règne de Pourândokhl, fille de Parwiz 3i!i9
LXIII. Règne d^Azermidokht, fille de Parwîz 35o
LXIV. Règne de Kesra, fils de Mihr-'Hasfs, [et de ses succes-
seurs 1 35a
• LXV. Sur la différence des systèmes chronologiques libit
LXVI. Généalogie du Prophète 356
LXVII. Mariage du Prophète avec Khadidja 38o
LXVIII. Reconstruction du temple de la Ka'ba 385
LXIX. Mission de Mo'hammed 890
LXX. Conversion d'Abou-Bekr eç-Ciddîq 897
LXXI. Conversion d"Omar, fils d'Al-Khattéb 4o3
LXXII. Prédication publique de Tislamisme hoU
LXX m. Fuite des compagnons du Prophète en Abyssinie. — Con-
version de 'Hamza /i 1 7
LXXIV. Départ du Prophète pour Tâïf. /ia9
LXXV. Apparition d'une troupe de péris qjii adoptent l'isla-
misme /i3/i
LXXVI. Fuite du Prophète de la Mecque à Médine ^187
LXXVII. Arrivée du Prophète et d'Abou-Bekr à Médine /i5o
LXXVIII. Le Prophète fixe Tannée et le mois de Tère de THégire. . liha
LXXIX. Fuite du Prophète avec Abou-Bekr, d'après une autre
vei-siou ii^n
LXXX. Autre récit de la fuite du Prophète /161
LXXXI. Premières expéditions du Prophète /i65
552 TABLK DKS CHAPITRES.
CaAP. LXXXII. Expédition de Waddân et d'Abwâ k^
LXXXIII. Expédition de Bowât &5q
LXXXIV. Expédition de Dsât-oul-'Oschaïra ft'vo
LXXXV. Première expédition de Bedr ft^i • i
LXXXVI. Expédition de Batn-NakhI ft.^, À
LXXXVII. Changement de la Qibla ^nn Û
LXXXVIII. Etablissement du jeûne de ramadhân knB \
LXXXIX. Histoire du grand combat de Bedr A8o ^
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